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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Claude SOUFFRANT, Sociologie prospective d'Haïti. Essai. (1995)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Claude SOUFFRANT, Sociologie prospective d'Haïti. Essai. Montréal: Les Éditions du CIDIHCA (Centre International de Documentation et d'Information Haïtienne, Caribéenne et Afro-Canadienne), 1995, 347 pp. Une édition numérique réalisée par Peterson BLANC, bénévole, Licencié en sociologie-anthhropologie de la Faculté d’ethnologie de l’Université d’État d’Haïti animateur du Groupe de Recherche Intégrée [RAI]. [L'auteur nous a accordé le 24 mars 2016 son autorisation de diffuser ce texte en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Préface

HAÏTI ET LE CHOC DU FUTUR


Aux pires instants de la défaite de la France en 1870, en 1914 et en 1942 ses écrivains, ses philosophes et ses éducateurs se sont penchés sur les problèmes de sa reconstruction. En Haïti, aux heures graves de la vie nationale que nous vivons, les intellectuels et les hommes politiques éclairés de civisme doivent réfléchir sur les échecs du passé et sur la nouvelle prospective qui garantisse sa survie dans le monde moderne. Haïti et le choc du futur, tel est le thème de réflexion que se permet de vous offrir le livre que l’on va lire.

Le monde se transforme à un rythme vertigineux. La Russie soviétique a cessé d'exister ; le Mur de Berlin s'est effondré ; la Chine communiste s'éloigne à pas feutré de l'horreur du massacre de Tienanmen. Finie la guerre froide et finie, avec elle, la lutte féroce entre les deux superpuissances qui, hier, se partageaient le globe terrestre depuis Yalta.

Seule prédomine l'hégémonie américaine qui se voudrait l'instauratrice de la démocratie au nom du nouvel ordre mondial ; avec l'appui des nations européennes heureuses de jouir de la paix depuis 1945 à l'ombre du géant outre-atlantique. Hégémonie d'autant plus redoutable pour le Tiers monde et les pays les moins avancés (PMA) qu'elle s'abrite sous le manteau de l’ONU.

Cette accélération de l'Histoire, imposante par sa rapidité, paralyse les PMA, à l'exception des trois ou quatre nations du sud-est de l'Asie qui ont su mettre leur réveil à l'heure et adopter les principes [10] de management et de développement à la base du progrès.

En attendant d'organiser des recherches sérieuses sur la problématique d'une si grave conjoncture, il est hautement recommandable de projeter de la lumière sur l'avenir d'Haïti dans le monde en pleine mutation ; d'organiser les états généraux de l'éducation, dans le but de réévaluer notre système d'enseignement à tous les niveaux et de l'équiper de l'outillage moderne qui permettra aux générations montantes d'entrer dans le XXIe siècle.

Prospective hardie. Idée belle et généreuse. Elle vise la création de l'Haïtien nouveau qui sera en prise directe avec ce siècle. De l'homme nouveau prêt à vivre librement dans un monde assujetti à l'accélération de l'Histoire. Elle en appellera à l'identité retrouvée, la convivialité reconquise, la solidarité revécue sans faille, fer de lance de la démocratie haïtienne dans sa totale et vraie dimension existentielle. Sans céder naïvement aux objurgations de gouvernements étrangers et d'organisations internationales en mal d'hégémonie.

Légitime ambition d'observateurs qui se sont penchés sur les problèmes complexes de la formation des citoyens haïtiens dans nos familles et nos écoles pendant que l'avenir s'assombrit et que le niveau des écoles primaires, secondaires et supérieures baisse. Cependant, malgré vents et marées, nombre d'instituteurs courageux persévèrent, en dépit d'obstacles quasi-insurmontables, à enseigner à la campagne sous des tonnelles en plein air à des milliers de petits paysans, tandis qu'à Port-au-Prince et dans les villes côtières des enseignants mal rétribués continuent à former les futures élites dirigeantes dans des institutions sous-équipées. Voilà les faits.

Quels sont les chemins d'espoir qui pourront surgir à la suite des états généraux de l'éducation techniquement bien organisés ? Seuls les pédagogues pourront le dire.

Cependant il n'est pas interdit de faire quelques suggestions en prévision d'un pareil projet. Premièrement : il faudra en bannir la [11] politique politicienne et penser « technique » dans la préparation de ces états généraux ; ne pas écarter des techniciens de valeur parce qu'ils sont opposés au gouvernement. Je sais combien il est difficile aux Haïtiens de s'y efforcer et de faire des choix d'une façon objective. Deuxièmement : poser avec lucidité et clarté les problèmes que le pays doit résoudre à l'aube du XXIe siècle en fonction du fait qu'il faut arracher rapidement des millions d'hommes à la nuit de l'analphabétisme.

Se pose la question majeure : leur métamorphose, dans un délai bien court, en des êtres éclairés et responsables par l'éducation totale, permanente, incessante. Arme absolue qui doit s'arc-bouter sur un socle économique. L'une l'autre solidement structurés et orientés vers la modernité donneront naissance à l'homme haïtien du XXIe siècle, la seule issue patriotiquement plausible dans la compétition effrénée des nations caraïbéennes en dépit de notre démarrage tardif.

*

Oserons-nous faire une comparaison avec le Japon et tenter d'en tirer une leçon ? Considérons son évolution à partir du XVIIe siècle. En 1859, une flotte américaine conduite par le commodore Perry jeta l'ancre dans le port d'Edo et demanda, au nom du président des Etats-Unis, l'ouverture du Japon au commerce occidental. Les étrangers obtinrent le droit de débarquer dans plusieurs ports. Se mettant à l'école de l'Occident, le Japon accueillit savants et techniciens du monde entier et tenta de rattraper son retard technologique.

Aujourd'hui Haïti se trouve à la croisée des chemins en pleine mutation imposée par l'ONU. À coup d'interventions brutales dans nos affaires. Qu'on le veuille ou non, la modernité se précipite à nos portes ; la civilisation nouvelle qui étend sa présence à l'échelle [12] planétaire englobe forcément Haïti dans les remous fracassants de sa gigantesque machinerie et exige des cadres techniques adéquats. Tant pis pour les petits pays qui voudraient y résister en se recroquevillant dans leurs coquilles : ils seront impitoyablement broyés par le monstre.

La bonne stratégie consistera à en tirer le maximum de profits intellectuels et matériels grâce à la lucidité et l'habileté politique de nos dirigeants. Par conséquent s'imposent une vraie connaissance de la conjoncture internationale, une analyse profonde et réaliste des faits, des données, des tendances de l'ordre mondial que l'Organisation des Nations unies et les Américains nous imposent ; l'instauration de pratiques manégériales à tous les niveaux du gouvernement et des organisations autonomes, le bannissement du laissez-faire et du népotisme. Chassez l'improvisation. Imposez le management. Abandonnez le marronnage. Ayez le courage de participer à la compétition sociale et politique avec loyauté et lucidité.

Haïtiens, rescapés de l'ignoble terre de Saint-Domingue, trempée de votre sang et de vos larmes dans d'historiques batailles contre les envahisseurs européens, vous avez voulu créer une communauté fraternelle où vous aspirez à vivre en paix avec le reste du monde. La violence dévastatrice des nations colonialistes vous a réduits à l'autarcie pendant presque deux siècles. Aujourd'hui vous vous présentez à la barre de l'ONU comme des naufragés auxquels il faut tendre des bouées de sauvetage et nourrir de produits alimentaires de secours. In extremis. Que faire ? Que dire ?

Les peuples pauvres accueillent l'aide internationale sans perdre leur dignité ; les masses analphabètes ont droit à leur affranchissement spirituel et moral. Nul ne saurait en discuter l'urgence. Par conséquent, d'une part nos élites doivent endosser la responsabilité d'utiliser à bon escient l'aide des puissances étrangères au bénéfice de tout le peuple haïtien ; d'autre part,  c'est la tâche urgente et inéluctable de l'Etat de former les formateurs chargés de créer un lendemain meilleur. « Tout État qui maintient le savoir captif enferme ses citoyens dans un passé de cauchemar », écrivait dans son livre Les nouveaux pouvoirs, le futurologue américain Alvin Toffler. Le « choc du futur » sera en effet irréparable pour les peuples pauvres et orphelins qui seront incapables de sortir tout seuls du gouffre de la misère et du désespoir.

Dr. Louis Price Mars

[14]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 décembre 2016 18:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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