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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Russel (Aurore) Bouchard, “Prix d'État décerné à Soljenitsyne. — Ce que l'historien pensait de Montréal et du Canada était pour le moins prémonitoire....” Texte publié le 6 juin 2007 sur Les délires d'Akakia.

Prix d'État décerné à Soljenitsyne
– Ce que l'historien pensait de Montréal et du Canada était pour le moins prémonitoire...

par Russel (Aurore) Bouchard, historien(ne)
Chicoutimi, 6 juin 2007

Le président russe, Vladimir Poutine, vient de décerner à Alexandre Soljenitsyne, l'ancien dissident soviétique, le prestigieux Prix d'État pour « accomplissements exceptionnels dans le domaine humaniste ».

Ce prix, l'auteur de L'Archipel du Goulag ne l'a pas volé ! L'historien-fétiche du XXe siècle rugissant mérite mieux que quiconque cet hommage qui rejaillit, comme il se doit, de toute évidence, sur la compagne de sa vie, sur sa famille, sur son oeuvre et, hélas ! sur les manipulateurs de peuples qui lui offrent cette récompense ultime avant de faire le grand saut dans sa propre histoire. Un être d'une formidable puissance qui témoigne, par son propre parcours de vie et d'auteur engagé, de l'impossibilité de dissocier l'histoire de la politique. S'il faut avoir un modèle dans l'apprentissage de cet art qu'est l'histoire, je veux bien que ce soit lui. Le simple parcours de cet homme plus grand que nature, banni de son pays pour lui avoir voulu sa libération, mérite l'éloge de la planète toute entière. En tant qu'historien héritier de son message, j'aurai eu cette chance d'avoir été son contemporain.

À travers son oeuvre, l'écrivain, aujourd'hui malade et âgé de 88 ans, a révélé au monde la réalité du système concentrationnaire soviétique. «Toute sa vie, tient à témoigner Mme Soljenitsyne, Alexandre Issaïevitch a étudié l'histoire démentielle de la Russie du XXe siècle qui a engendré la révolution autodestructrice et rendu possible l'existence de L'Archipel du Goulag ». Du sang de martyrs dans les mains d'un pays qui en était déjà souillé pour la peine. Une histoire qui se répète sans cesse et qui semble vouloir plutôt s'étendre à l'ensemble planétaire au lieu de se résorber comme une vieille plaie.

Trudeau, Montréal et le Canada

Parenthèse. Si Soljenitsyne a su se faire très critique sur la Russie et sur les dirigeants de ce pays dont il ne s'est pas privé du reste de qualifier de « bandits », disons qu'il n'a guère été plus tendre envers le Canada, Montréal et Pierre Elliot Trudeau dont il trouva les contacts... « parfaitement inutiles » et le personnage totalement... « insignifiant » ! De quoi faire plaisir à bien des Québécois qui n'ont pas aimé et qui disent se souvenir. Quand on lit ce qu'il a écrit sur Nous, on se surprend d'abord, et on comprend vite pourquoi les journaux du pays, d'une mer à l'autre, n'ont pas pris le temps d'en faire la lecture à défaut de le porter aux nues. Lisons plutôt l'expression singulière de ses humanités :


«Ce que j'aperçus en premier fut Montréal et, vue du haut des airs, la ville me parut horrible, impossible d'imaginer plus affreux. Cette rencontre ne promettait rien au coeur. (Et les jours suivants, où j'y errai au hasard, confirmèrent cette impression. Le monstrueux pont Jacques-Cartier, de métal vert, tout tremblant de trafic automobile sur ses huit voies, sous lequel j'aurais dû passer si j'étais arrivé en bateau ; et, tout de suite après, j'aurais vu les fumées sans joie de la brasserie avec son toit où flottent des drapeaux ; et l'alignement des quais industriels en béton à ce point inhumains que, dans une île du fleuve, les restes d'un vieux bâtiment mi-caserne mi-prison vous réjouissent l'oeil comme quelque chose de vivant. Puis, plus au coeur de la ville, la tour noire de la radio canadienne suivie du groupe absurde et serré des gratte-ciel en forme de boîtes plantés au milieu d'immenses espaces urbains. Montréal aspirait à imiter les «mégalopoles » d'Amérique, mais sans en être capable.»

[...]

« Avant tout, en fait, le Canada ne ressemble pas du tout à la Russie : c'est un continent sauvage, peu peuplé, exposé au souffle des golfes boréaux, couvert de granit, si bien que, pour y tracer des routes, on n'arrête pas d'y forer des excavations. Les forêts ? On se les représentait luxuriantes, prospères, peuplées d'arbres aux troncs épais ; elle se révélèrent (dans l'Ontario, la seule province où j'avais l'intention de me fixer) rabougries, rien n'y retenait le regard, une sorte d'isthme de Carélie : durant de nombreuses années, on en a avec rapacité arraché chaque tronc un tant soit peu épais, des tracteurs l'ont extirpé de chaque fourré et on y a laissé qu'une insignifiante et malsaine population d'arbustes aux troncs chétifs. Si de belles essences d'arbres poussent sur un terrain, on veille à ce que ce soit spécialement indiqué dans le prospectus. (Plus tard, des fenêtres du train, j'ai regardé les steppes canadiennes, mais ce n'est qu'une steppe égale à perte de vue, impossible de se croire en Ukraine qui l'emporte largement par le pittoresque de ses fermes). Si seulement il y avait au moins des villes convenables ! mais le Canada est aussi à la traîne en ce domaine, et les villes y semblent envahies par la paresse intellectuelle : par contre, on voit des hippies abrutis, costauds, gras de lard : sur ce point, le Canada n'est pas à la remorque du monde civilisé, ils se chauffent au soleil sur les gazons, se vautrent dans des fauteuils dans les rues en plein pendant les journées de travail, bavardent, fument, sommeillent. [...]

Le Canada se révélait non pas simplement septentrional, mais, pour ainsi dire, oublieux de soi-même et endormi.[...]

Commencer par poser des voies ferrées toujours plus loin pour s'en désintéresser ensuite, voilà bien la manière jeune, vorace, rapace du continent américain : happer le fruit nouveau, mordre dedans, le jeter pour saisir le suivant...»

Et le tout est puissamment signé Alexandre Soljenitsyne, «Le grain tombé entre les meules», Fayard, 1998, pp. 241-247). Voilà qui aurait dû nous faire sursauter et réagir. Ce livre prémonitoire a été publié voilà dix ans. Et, aujourd'hui, rien n'a changé réellement dans la manière de faire ce pays et à le voir aller nulle part...

AKAKIA
(Qui est aussi
Russel (Aurore) Bouchard,
6 juin 2007.

Les délires d'Akakia.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 27 juillet 2007 15:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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