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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Michel Seymour, PROFESSION PHILOSOPHE. (2006)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel Seymour, PROFESSION PHILOSOPHE. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 2006, 71 pp. Collection: Profession. Une édition numérique réalisée par Charles Bolduc, bénévole, doctorant en philosophie et professeur de philosophie au Cégep de Chicoutimi. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l’autorisation formelle de l’auteur accordée le 26 mai 2012.]

[7]

Profession philosophe

Introduction



Je suis philosophe de profession, mais je n’en fais pas une profession de foi. Je ne suis pas entré en philosophie comme on entre en religion. Je ne me rappelle pas d’avoir décidé que j’allais faire une carrière de philosophe. Cela m’est venu sans que je m’en rende compte, vers l’âge de seize ans, alors que s’amorçaient mes études collégiales et que je découvrais Hegel (La logique de l’être) et Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra). Je ne me suis jamais départi de cet enthousiasme juvénile, je le retrouve encore lorsque, pour préparer un cours, je rassemble quelques articles photocopiés que je me propose de lire.

Je ne vais pas dans cet ouvrage raconter sur un mode biographique comment j’ai été amené à la philosophie, puisque je viens tout juste de le faire et qu’il n’y a rien d’autre à ajouter. Je vais encore moins procéder à une autobiographie intellectuelle qui serait aussi prétentieuse qu’ennuyante. Je n’ai pas l’outrecuidance de penser que l’histoire de ma démarche intellectuelle est d’un quelconque intérêt pour qui que ce soit. Je me propose plutôt de répondre de diverses façons à la question de savoir comment se vit l’existence d’un philosophe dans la Cité. Quelles relations un philosophe entretient-il avec la société dans laquelle il se trouve, à commencer par la [8] société des philosophes ? Il est difficile d’en rester à des considérations générales pour témoigner de cette expérience ou pour se prononcer sur le rôle que le philosophe peut ou doit jouer. Les philosophes étant eux-mêmes des personnes différentes, ils se comportent différemment face aux enjeux sociaux. La philosophie est en outre une discipline qui est plus que deux fois millénaire et elle recouvre des domaines très variés qui peuvent être affectés de mille et une façons par les préoccupations citoyennes. Les philosophes forment un ensemble très diversifié de chercheurs et les ressemblances entre eux ne sont que des ressemblances de famille. Ainsi, on ne peut pas parler de l’insertion sociale du philosophe de façon univoque, parce qu’il existe plusieurs façons d’exercer cette profession.

Il existe, par exemple, un grand pan de la philosophie – je songe à l’histoire de cette discipline – qui n’exige peut-être pas au départ que l’on se sente concerné par l’actualité sociale et politique, alors que d’autres secteurs vivent plus directement ce contact. Les historiens ont affaire à des objets d’étude, les grands penseurs de l’Antiquité (des Présocratiques aux Épicuriens et Stoïciens), du Moyen Âge (de saint Augustin à Dun Scot Origène et Guillaume d’Occam), de la Renaissance (d’Érasme à Montaigne) ou de l’époque moderne (de Descartes à Kant et Hegel) qui, pour l’essentiel, demeurent les mêmes, tout comme demeurent à peu près les mêmes leurs épigones et les auteurs appartenant à la littérature secondaire. Leur objet d’étude n’est pas perturbé par l’actualité politique. Du moins est-ce ainsi que l’on se représente très souvent la pratique de l’historien philosophe. Les exigences méthodologiques sont bien évidemment devenues de plus en plus grandes avec le temps, car il est de plus en plus difficile de se réclamer d’une interprétation originale quand on étudie un grand texte classique. Mais, parmi les tâches qui attendent [9] l’historien, il n’y a pas l’urgence d’intervenir sur la place publique. Le préjugé populaire, qu’il soit fondé ou non, veut que les exigences de l’historien n’aient pas grand-chose à voir avec une quelconque préoccupation à l’égard de la réalité sociale et politique dans laquelle il vit. Sans aller jusqu’à dire que l’histoire de la philosophie est elle-même à l’abri des vicissitudes de l’histoire, la présence forte de la réalité sociale et politique dans la vie académique n’est pas nécessairement ce qui vient perturber le chercheur œuvrant dans ce secteur. En tant que citoyen, il n’est pas moins sollicité que les autres par les événements de son époque et il peut même l’être en partie à titre de philosophe. Mais il n’est pas tenu de l’être par sa propre pratique d’historien de la philosophie, au sens où il ne s’agit pas d’une nécessité inscrite dans cette pratique. Il n’est en tout cas pas du tout poussé dans cette direction, à moins que ses travaux n’aient depuis toujours porté sur des ouvrages classiques d’éthique ou de philosophie politique.

Il en va de même, pense-t-on, même si c’est dans une moindre mesure, du philosophe œuvrant dans le secteur de la philosophie dite « continentale », postkantienne et posthégélienne, couvrant une période s’étalant de la deuxième moitié du XIXe siècle à nos jours. Je songe ici principalement à la philosophie franco-allemande, se déployant à partir de Schopenhauer et Nietzsche. Il s’agit d’un courant de pensée qui se présente comme une critique de l’idéalisme allemand traditionnel, c’est-à-dire comme une critique de l’illusion des pouvoirs de la raison, du volontarisme et de l’autonomie du sujet individuel, au profit d’une approche plus réaliste qui se propose de prendre acte des divers déterminismes affligeant la condition humaine. Certains insisteront sur les déterminismes de l’histoire et de la tradition et s’en remettront à l’interprétation des grands textes philosophiques (Gadamer, Heidegger), alors que [10] d’autres examineront les déterminismes de la nature humaine (Nietzsche), les déterminismes de l’inconscient (Freud) ou les déterminismes socio-économiques (Marx). D’autres demanderont qu’une attention plus grande soit portée aux phénomènes tels que nous les vivons et à l’égard de l’expérience intentionnelle en général (Husserl, Merleau-Ponty, Ricœur). Les existentialistes insisteront sur la facticité de l’existence (Sartre, Camus), tandis que d’autres thématiseront l’altérité (Lévinas). Les penseurs structuralistes seront amenés à mettre en évidence, pour les admettre ou pour les critiquer, les structures sociales ou institutionnelles qui déterminent l’être humain (Lévi-Strauss, Foucault). Enfin, certains prendront acte des déterminismes idéologiques issus de la métaphysique occidentale et proposeront, dans une perspective postmoderne, de les déconstruire (Deleuze, Derrida, Lyotard).

Là encore, le corpus est plus ou moins complété. Les interprétations foisonnent et peuvent parfois donner lieu à de vives controverses, mais tout cela peut se passer dans une relative quiétude par rapport aux préoccupations contemporaines qui animent les intellectuels. Ceux qui s’intéressent à la philosophie continentale pourront estimer, non sans raison, que des questions fondamentales doivent nous solliciter indépendamment des préoccupations de notre époque. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et les praticiens qui œuvrent dans ce domaine peuvent considérer comme une vertu le fait de se tenir à l’écart des modes. Ils ne se situent pas en marge de l’histoire, et ce, même si les auteurs qu’ils étudient proposent des considérations qui sont parfois « inactuelles », car ils sont plutôt à l’affût des invariants de l’histoire. La philosophie est l’algèbre de l’histoire, disait Merleau-Ponty.

Pourtant, il faut tout de suite préciser que les choses ne sont pas aussi simples que cela, même dans les [11] secteurs qui sont a priori à l’abri du tourbillon de l’actualité. Tout d’abord, l’engagement social du philosophe ne dépend pas seulement de son objet d’étude, mais aussi de son propre tempérament, de ses « traits de caractère ». Ensuite, la plupart des auteurs, sinon tous, aspirent à dire quelque chose d’important concernant leur propre époque. Si le propos est intemporel, c’est qu’il vaut pour toutes les époques. Cela doit donc être important aussi pour les philosophes qui, à notre époque, cherchent à comprendre ces auteurs classiques. J’ajouterais que, parmi les philosophes « continentaux », il faut inclure, en plus de Marx, les penseurs de l’école de Francfort (Adorno, Horkheimer, Marcuse, Habermas) ou, comme on l’a vu, des auteurs tels que Sartre, Camus et Foucault, qui ont été très engagés politiquement. Enfin, il y a aussi des penseurs qui, comme Heidegger et Gadamer, se sont retrouvés au cœur de la tourmente nazie et ont choisi à leurs risques et périls d’assumer pleinement l’historicité de leur propre condition de citoyens allemands au sein du IIIe Reich. Ceux-là ne peuvent plus être lus sans que soit thématisée la problématique de l’insertion du philosophe dans la Cité. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire l’ouvrage effrayant d’Emmanuel Faye consacré à Heidegger.

Aussi, si j’exclus la question de savoir comment les historiens de la philosophie et les interprètes de la philosophie continentale pensent leur rapport à la réalité sociale, ce n’est pas parce que la question n’est pas pertinente pour eux ou parce que leurs préoccupations politiques sont absentes. C’est en fin de compte tout simplement parce que le propos qui est le mien est davantage personnel. Je veux témoigner de ma propre expérience de philosophe. Or, je ne suis pas un historien de la philosophie et je ne fais pas partie du courant issu de la philosophie continentale.

[12]

Je ne traiterai pas non plus de la philosophie orientale, même si sa présence accrue dans nos universités s’explique en partie par l’influence grandissante de la Chine et de l’Asie du Sud-Est dans la réalité politique actuelle. On ne peut pas rester indifférent à l’égard de ces pays si l’on sait le moindrement dans quelle direction s’oriente l’histoire. Le philosophe occidental qui travaille à notre époque dans le domaine de la philosophie orientale est donc inévitablement habité par une préoccupation sociale et politique, et ce, même lorsqu’il s’intéresse à Confucius. Mais il est vrai que nous en sommes encore au tout début en ces matières, et que l’influence particulière de la philosophie pratiquée dans les pays asiatiques sur les chapelles universitaires occidentales demeure à notre époque relativement limitée.

S’il y a un secteur qui est en principe traversé par les préoccupations qui animent l’actualité, c’est bien celui de l’éthique et de la philosophie politique. Mais là encore, si le philosophe n’est pas enclin à s’engager socialement, il pourra peut-être choisir de se tenir à l’écart des enjeux et des débats contemporains. Il est donc possible d’imaginer un philosophe de l’Antiquité ou de l’époque moderne qui est socialement impliqué dans les débats sociaux de son temps à cause de son tempérament et un philosophe éthicien qui choisit plutôt de s’en retirer. Comme on le voit, plusieurs cas de figures sont possibles, et les champs philosophiques disciplinaires ne déterminent pas des attitudes sociales qui seraient prescrites à l’avance pour des raisons méthodologiques.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 23 octobre 2012 15:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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