RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel SEYMOUR, “Le nationalisme québécois et la question autochtone.” In ouvrage sous la direction de Michel Sarra-Bournet, assisté de Pierre Gendron, Manifeste des intellectuels pour la souveraineté suivi de Douze essais sur l’avenir du Québec, pp. 75-100. Préface de Guy Rocher. Montréal: Les Éditions Fides, 1995, 286 pp. [Michel Sarra-Bournet nous a accordé, le 20 janvier 2016, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.] [M. Sarra-Bournet nous a accordé, le 20 janvier 2016, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[75]

Manifeste des intellectuels pour la souveraineté
suivi de Douze essais sur l’avenir du Québec.

Deuxième partie :
Douze essais sur l’avenir du Québec

Le nationalisme québécois
et la question autochtone
.”

Par Michel SEYMOUR *

Les Québécois et Québécoises constituent une nation à part entière et le Canada a depuis toujours refusé de leur reconnaître ce statut. La souveraineté est donc la seule solution qui s'offre à eux aujourd'hui. Je voudrais dans les pages qui suivent étayer quelque peu cet argument et caractériser plus précisément le concept de nation qu'il présuppose. Je me propose ensuite d'élargir ma réflexion aux Premières Nations.

Entre la nation civique
et la nation ethnique


Certains prétendent que le nationalisme est toujours tribal ou ethnique. Selon ces penseurs, il nous faut choisir entre la nation ethnique et la nation civique, et seule la seconde peut être admise. Mais la vaste majorité des Québécois et Québécoises conçoivent la nation en dehors de cette [76] opposition entre le nationalisme ethnique et le nationalisme civique. Ils admettent majoritairement un concept pluraliste et multiethnique de la nation, ce qui les éloigne du nationalisme ethnique, de même qu'ils admettent la possibilité d'un État souverain multinational, ce qui les éloigne aussi d'une conception exclusivement civique de la nation.

Il faut tout d'abord se démarquer du nationalisme ethnique que certains promeuvent encore. Il y a sur le territoire québécois une nation québécoise incluant les francophones, la minorité nationale anglophone et les communautés issues de l'immigration, et il y a aussi des nations autochtones. Qu'il devienne souverain ou non, le Québec est multinational (Québécois et autochtones), comporte plusieurs communautés nationales (la communauté nationale principale franco-québécoise et la minorité nationale anglo-québécoise), et est multiethnique (incluant les néoquébécois issus de l'immigration). Il faut donc résister à une conception ethniciste de la nation québécoise, qui exclurait les communautés anglophone et allophone.

D'autre part, il faut aussi résister à une conception exclusivement civique qui forcerait les autochtones à appartenir à cette « nation ». Si l'on réduisait la nation à la nation civique, on serait dans l'impossibilité de dire que les communautés autochtones sont des nations, que les nations sous domination coloniale sont des nations, et que les Québécois et Québécoises forment une nation. Il faut donc s'opposer à une conception exclusivement civique de la nation si cette notion implique l'idée d'un « État souverain » et si la nationalité est réduite à la citoyenneté. Les nations existent indépendamment du fait d'être souveraines et on peut admettre la possibilité d'États souverains multinationaux : le Canada, la Belgique, l'Espagne et la Suisse sont des États qui, dans les faits, sont multinationaux.

[77]

Il faut s'opposer à une vision de la nation qui ferait de celle-ci une entité culturellement homogène (même histoire, même culture, même langue) ne pouvant pas autoriser des cultures distinctes. Il faut en ce sens reconnaître des droits collectifs spécifiques aux minorités nationales [1]. Le fait que le Québec accède à la souveraineté politique ne signifie donc pas qu'il doive devenir un État unitaire et assimilateur [2].

[78]

Une nouvelle définition

Mais quelle est donc cette conception de la nation qui se distingue autant de la nation civique que de la nation ethnique ? Une nation peut apparaître pourvu qu'une communauté linguistique, concentrée en assez grand nombre sur un territoire donné et constituant une majorité sur ce territoire, forme une communauté politique avec des minorités nationales et des minorités ethniques issues de l'immigration. Cette société distincte doit aussi être inscrite dans un réseau spécifique d'influences culturelles, morales et politiques, qui est fonction de sa composition linguistique, de sa position géographique et de son histoire. Il faut aussi qu'une majorité d'individus au sein de cette communauté politique se perçoive comme faisant partie d'une même nation. Il faut ensuite que ce soit sur ce territoire que l'on trouve la plus grande concentration de gens qui parlent la langue de la communauté majoritaire et qui sont livrés au même contexte de choix. La communauté linguistique en question peut, en effet, faire partie d'un groupe linguistiquement homogène et soumis aux mêmes influences qui déborde ce territoire. Mais pour qu'on ait affaire à une nation proprement dite, il faut que ce soit sur ce territoire que l'on trouve le principal échantillon de population inscrit dans un tel réseau d'influences. Il s'agit alors de la communauté nationale principale, et elle forme avec ses minorités une nation à part entière.

Cette définition de la nation fait intervenir la langue comme facteur identitaire fondamental, mais ce critère à lui seul est insuffisant. Divers groupes parlant la même langue peuvent former diverses nations, et des minorités linguistiques peuvent faire partie intégrante d'une nation dans laquelle on trouve une communauté principale parlant une [79] langue différente de la leur. En plus du facteur linguistique, il faut tenir compte du contexte de choix, du réseau des influences agissant sur la nation. Ce réseau prend sa source dans les groupes qui, dans le monde, partagent une même affiliation linguistique, ou qui ont une certaine proximité géographique, ou qui exercent une certaine influence historique. Ces groupes déterminent la nature des forces agissant sur cette société, et l'on peut définir en partie la nation en fonction de ce contexte de choix moral, politique et culturel qui s'offre à elle. Mais la nation est aussi individuée en fonction du territoire, et c'est pourquoi elle se trouve là ou se trouve la communauté nationale principale, alors que les communautés nationales moins populeuses qui parlent la même langue et sont inscrites dans un même réseau d'influences, mais à l'extérieur du territoire, ne font pas partie de la nation.

L’argument identitaire

La plupart des Québécois et Québécoises auraient préféré l'option fédéraliste si celle-ci avait pu permettre la reconnaissance du principe des peuples fondateurs et de l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Mais il apparaît désormais clairement que la vaste majorité des Canadiens n'est pas prête à reconnaître le caractère multinational du Canada (exception faite de la reconnaissance constitutionnelle récente des Premières Nations), tant sur le plan constitutionnel que sur les plans politique ou administratif. Au contraire, ceux-ci ont entériné la vision de Pierre Elliott Trudeau, qui admet l'existence d'une seule nation, et qui promeut le bilinguisme et le multiculturalisme. Cette vision cherche entre autres choses à effacer toutes les traces des peuples fondateurs et à noyer les [80] différences acadienne, québécoise et autochtone dans le grand ensemble canadien.

Certains reconnaissent la validité de l'argument que nous venons d'esquisser, mais ils croient que les sondages révèlent le double attachement des Québécois en faveur du Québec et du Canada. Ils estiment que ce fait milite contre la thèse de la souveraineté politique du Québec et pour le maintien du lien fédéral. L'attachement à l'égard du Canada se révélerait notamment dans la volonté d'une majorité de Québécois de maintenir la citoyenneté et un passeport canadiens advenant l'indépendance. Mais cet argument des fédéralistes risque d'être contradictoire, puisqu'il fait intervenir justement l'idée qu'il existe une nation québécoise, alors que dans les faits les Canadiens proposent aujourd'hui au Québec d'adhérer à un État unitaire pan-canadien. Il faut dire et répéter que le double attachement des Québécois est le point de départ de notre argument : ceux-ci auraient préféré pouvoir fonctionner à l'intérieur d'un État multinational. Mais le problème est que le Canada anglais ne veut rien entendre à cet égard, et nous demande dans les faits d'abdiquer notre affiliation nationale. Voilà pourquoi nous sommes dans l'obligation d'exercer notre droit à la souveraineté.

D'autres reconnaissent aussi la validité de notre argument, mais ils estiment que le refus de reconnaissance de la nation québécoise au sein du Canada ne constitue qu'un paramètre parmi d'autres permettant d'évaluer les mérites de la fédération canadienne. Et ils vont même jusqu'à le réduire au fait d'inclure ou non une clause à cet effet dans la Constitution. Mais il ne faut pas réduire le différend constitutionnel à la simple question de savoir si telle ou telle clause doit ou ne doit pas être enchâssée. Le désaccord constitutionnel révèle en fait une exclusion beaucoup plus [81] profonde : de plus en plus, les Canadiens refusent d'accorder au Québec des arrangements administratifs, un statut particulier, une décentralisation accrue, l'abolition de normes « nationales », le statut de société distincte ou une limitation du pouvoir de dépenser du fédéral. Le différend constitutionnel est à la source d'un très grand nombre de problèmes fondamentaux qui rendent impraticable le système fédéral tel qu'il est. La question nationale n'est pas qu'un paramètre parmi d'autres. Elle s'immisce dans tous les recoins de la vie politique, économique et culturelle. La souveraineté du Québec entraînerait un grand déblocage sur le plan constitutionnel et permettrait de contribuer au moins en partie à la résolution de plusieurs problèmes concrets auxquels nous sommes confrontés.

Les Premières Nations

Le concept de nation que nous venons de définir, et qui nous a permis de conclure que le Québec était une nation, n'entre-t-il pas en conflit avec le concept de nation qui s'applique aux autochtones ? Dans notre caractérisation de la nation, nous avons imposé un certain nombre de contraintes pour qu'un groupe linguistique donné puisse former avec d'autres groupes une nation à part entière. Nous avons vu que pour constituer une société distincte, il faut qu'existe sur un territoire donné un regroupement linguistique d'individus qui est livré à un ensemble spécifique d'influences culturelles, morales et politiques [3].

[82]

Nous avons aussi précisé qu'il devait exister une communauté linguistique concentrée « en assez grand nombre » sur un territoire donné et formant une majorité sur ce même territoire. Est-ce à dire que les groupes autochtones ne forment pas des nations proprement dite parce que dans certains cas leurs membres ne sont pas en nombre suffisant ? Il y a onze communautés autochtones sur le territoire québécois formant au total une population de 67 272 personnes. Les plus populeuses dépassent à peine les 10 000 habitants alors que les moins populeuses n'en comprennent que quelques centaines. Que faut-il penser de ce fait ? N'existe-t-il pas de très petites nations ? La principauté de Monaco a une population d'environ 25 000 personnes. Elle est un État souverain bien qu'elle soit sous protectorat français. Le Luxembourg a une population de 400 000 habitants. Voilà des exemples de très petites nations. Mais nous avons affaire ici à des cas plus controversés. Quelle réplique pouvons-nous formuler à l'endroit de ceux qui prétendent que ces groupes sont trop petits pour constituer des nations ?

En premier lieu, on ne doit pas ignorer l'histoire. Le poids des groupes autochtones a diminué au moins en partie suite à l'envahissement blanc. Il faut comprendre ensuite la raison qui nous pousse à parler d'une communauté qui devrait être « en assez grand nombre » : il s'agit d'un critère qui va en général de pair avec celui de constituer un groupe inscrit dans un contexte de choix spécifique et celui de se percevoir comme nation. D'une [83] manière générale, quand la population est en très petit nombre, elle perd ses traits caractéristiques et se laisse assimiler à la majorité. C'est pour cette raison que nous avons imposé une condition quantitative. Mais il nous faut pondérer les différentes composantes dans notre définition de la nation. Il a été stipulé que la communauté linguistique doit être inscrite dans un certain contexte de choix et se percevoir comme nation. Or presque tous les groupes autochtones sont dans cette situation. Leurs populations ont été avec le temps considérablement réduites, mais celles qui restent forment dans tous les cas des groupes qui sont encore inscrits dans des réseaux d'influences spécifiques et qui se perçoivent comme formant des nations. Ces critères doivent l'emporter sur celui d'être une communauté concentrée en assez grand nombre, et c'est pourquoi notre définition doit inclure les communautés autochtones parmi les nations.

Il existe cependant une autre raison pour mettre en doute notre affirmation à l'effet que les 11 communautés autochtones vivant au Québec constituent des nations à part entière. Nous avons bien laissé entendre que la nation se trouvait sur le territoire où se trouve le plus important échantillon de population parlant une certaine langue et livré à un même contexte de choix. Selon ce critère, il semble que les communautés mohawk, micmac, inuit et cri ne puissent pas compter comme des nations sur le territoire du Québec, car les plus importants échantillons de ces groupes se trouvent à l'extérieur du territoire. On aurait affaire dans le meilleur des cas à des minorités nationales. Mais cette objection n'est fondée que si les seules délimitations territoriales valables sont celles qui découlent de la division du territoire canadien en provinces. Or précisément, les communautés autochtones ne fonctionnent pas à [84] partir d'une même conception des délimitations territoriales.

Quelle que soit la portée que l'on veuille accorder à la notion de droit ancestral, on doit supposer que cela implique au moins un droit d'occupation du territoire qui n'a rien à voir avec celui qui correspond aux territoires  provinciaux tels qu'on les connaît. Même si le droit ancestral n'implique pas une propriété privée du territoire ou un droit de revente, mais seulement un droit d'accès à des territoires traditionnellement occupés par les autochtones, on peut prétendre que ce sont ces limites territoriales qui doivent prévaloir pour déterminer où se situe telle ou telle nation autochtone. De cette manière, les délimitations provinciales ne doivent pas être le seul point de référence à partir duquel on doit déterminer le lieu d'occupation de la nation. Pour parler des nations autochtones, il faut donc faire référence à un autre ordre juridique, celui du droit ancestral, qui peut nous aider à fixer des limites territoriales même si elles n'ont rien à voir avec la propriété privée. On peut alors, en accord parfait avec la définition proposée, reconnaître l'existence de nations cri, inuit, mohawk et micmac sur le territoire québécois même si les plus importants échantillons de ces populations se trouvent principalement situés à l'extérieur du territoire québécois. J'en conclus que les 11 communautés autochtones vivant sur le territoire québécois sont des nations à part entière. Elles ne sont pas toutes principalement situées sur le territoire québécois, mais pour les traiter toutes comme des nations, il suffit de faire appel à un autre régime de délimitations territoriales qui n'entre pas nécessairement en conflit avec celui des 10 provinces canadiennes.

Il nous reste à discuter d'un dernier point de friction possible entre le concept de nation que nous avons introduit [85] et celui qui est parfois véhiculé en rapport avec les communautés autochtones. Certains font valoir l'idée que la nation autochtone a un caractère ethnique. Cela se révélerait dans la notion du droit « inhérent » à l'autonomie gouvernementale, ou dans l'idée que les nations autochtones ne peuvent pas inclure des minorités blanches. À ce sujet, il faut répondre que ces communautés sont de plus en plus ouvertes à l'idée d'inclure des minorités blanches au sein de la nation. C'est notamment le cas de la nation inuit. Il faut dire aussi que, selon notre définition, la nation peut inclure des minorités nationales et des communautés issues de l'immigration, mais elle ne cesse pas d'être une nation du seul fait de ne pas inclure dans les faits de tels groupes. Cela dit, il est vrai que la plupart des groupes autochtones contiennent des minorités blanches sur leurs territoires, ne serait-ce que suite à des mariages interraciaux, et il serait futile, voire dangereux, d'exclure, par exemple, les femmes d'autochtones de leur communauté d'appartenance. Nous croyons qu'une évolution semblable à celle du peuple québécois s'effectue au sein des nations autochtones. Le nationalisme québécois a cessé d'être un nationalisme canadien-français et est devenu à proprement parler québécois il y a une trentaine d'années. Les Québécois sont alors progressivement passés d'un nationalisme ethnique à un nationalisme moderne, pluriculturel et multiethnique. Ils ont cessé de se concevoir comme Canadiens français et se sont identifiés à une communauté circonscrite par les différents facteurs identitaires que sont la langue, le contexte de choix et le territoire.

[86]

Une situation semblable ?

Prenons donc pour acquis que nous avons raison de traiter les communautés autochtones comme des nations à part entière. Ne doit-on pas alors leur reconnaître en principe les mêmes droits que ceux dont se réclame le Québec ou, à tout le moins, des droits qui sont semblables à ceux de la nation québécoise ? La réponse est oui. Il faut les reconnaître comme nations, enchâsser cette reconnaissance dans la Constitution du Québec souverain, reconnaître leurs droits ancestraux, admettre un droit à l'autonomie gouvernementale, et les associer à la définition de cette notion. On peut même aller jusqu'à admettre qu'ils ont en principe un droit moral à l'autodétermination qui inclut non seulement un droit à l'autonomie gouvernementale, mais aussi un droit d'association ou d'intégration et un droit de sécession. Le droit à l'autodétermination ne doit cependant pas être inscrit dans la Constitution parce qu'il ne s'agit pas d'un droit juridique, mais plutôt d'un droit moral qui ne peut être exercé que dans des circonstances extrêmement particulières.

Les Premières Nations, tout comme la nation québécoise, peuvent dans des cas très graves recourir à des mesures qui entraînent la violation de l'intégrité territoriale. Mais il faut, pour ce faire, des justifications morales très importantes. Le Québec a de telles raisons. Le Canada refuse de lui reconnaître le statut de nation. Ce refus a seulement commencé à prendre une forme explicite depuis les 30 dernières années, mais il était déjà implicitement présent depuis le début de la Confédération. La Confédération a en effet été fondée sur un malentendu fondamental et l'idée des peuples fondateurs n'a été entretenue que par les fédéralistes québécois. Le Canada refuse aussi [87] d'accorder au Québec tous les pouvoirs dans des domaines relevant de sa compétence nationale (éducation, langue, culture, télécommunications, immigration) ou régionales (formation de la main-d'œuvre, assurance-chômage, développement régional). Il n'a cessé au contraire de s'immiscer dans les affaires de compétence québécoise par son pouvoir de dépenser. Il a aussi toujours tenté d'imposer un carcan de normes « nationales » contre la volonté explicite de tous les gouvernements québécois. Il a ensuite, par de nombreuses politiques, influé de manière inégale sur le développement économique de ses nations et assuré le développement d'une seule région économique (Toronto) aux dépens des autres régions, et en particulier aux dépens de la région économique de Montréal, qui est le cœur de l'économie nationale québécoise et qui est presque aussi populeuse que Toronto. Il a toujours refusé de renégocier un partage de pouvoirs avant de rapatrier la Constitution. Tout cela constituait déjà un contentieux très lourd qui justifiait le recours à une démarche souverainiste. Mais à la suite de l'échec référendaire de 1980, les choses ont continué à se détériorer. Le Canada a imposé sans référendum un ordre constitutionnel qui allait à l’encontre de la volonté québécoise et de son Assemblée nationale, et le Québec s'est vu à cause de cela exclu de la famille constitutionnelle. Le « pacte fédératif » a alors été rompu et toutes les règles de bonne conduite entre entités fédérées ont été violées. C'est un peu comme si à ce moment-là, le Canada s'était séparé du Québec. Le Canada a ensuite refusé d'entériner l'Accord du lac Meech qui allait assurer au Québec un minimum d'autonomie en matière de législation linguistique. Tous ces refus des Canadiens ont été progressivement explicités au cours des 30 dernières années.

[88]

Les Premières Nations ont sans doute des griefs de ce genre. Les plus graves se sont produits il y a plusieurs siècles. Leur situation a historiquement été beaucoup plus difficile que celle du Québec, et elle est à bien des égards encore maintenant plus difficile que celle du Québec. Mais on ne peut exclusivement tabler sur des arguments historiques et, dans la conjoncture actuelle, on ne peut aisément attribuer des torts au Québec. Ont-elles toujours de tels griefs à l'endroit du Canada qui a été leur principal interlocuteur jusqu'à maintenant ? Nous ne chercherons pas à répondre à cette question même s'il semble très clair que le gouvernement canadien s'est particulièrement traîné les pieds dans ce dossier. Mais ont-elles une justification semblable à l'égard du Québec ? Pour que les Premières Nations aient le droit de violer l'intégrité du territoire québécois, il faut que le Québec se comporte à leur endroit comme le Canada s'est comporté à l'égard du Québec depuis une trentaine d'années. Dans les deux prochaines sections, nous nous demanderons si les Premières Nations ont une justification morale pour avoir recours à la sécession après l'accession du Québec à la souveraineté, ou pour exercer un droit d'association avec le reste du Canada avant l'accession à la souveraineté. Nous ne poserons pas le problème de l'accession des Premières Nations au statut d'États souverains : une telle éventualité est peu plausible, elle ne correspond pas à ce qu'elles revendiquent, et des considérations telles que la viabilité et la reconnaissance internationale entreraient en ligne de compte. Les deux aspects de la question, celui du droit de sécession ou du droit d'association, ne sont considérés que dans la perspective d'une intégration au reste du Canada.

[89]

Le gouvernement québécois sur la sellette

Nous ne croyons pas que les Premières Nations puissent prétendre que l'attitude québécoise soit intransigeante quand on examine la situation de près. Tout d'abord, le Québec n'est pas l'interlocuteur principal même si depuis 1973, suite à une politique du gouvernement fédéral, les deux paliers de gouvernements sont associés aux discussions en matière de revendications territoriales globales. Si on veut prendre en considération la responsabilité du Québec, il faut dans le meilleur des cas partir de 1973, car avant cette date, les négociations incombaient d'abord et avant tout à Ottawa. Il faut ajouter à cela que jusqu'à maintenant, les Indiens et les Inuit ainsi que les terres qui leur sont réservées relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en vertu de l'article 91 (24) de la loi constitutionnelle de 1867. La loi sur les Indiens qui instaurait le régime des réserves a été imposée par le gouvernement fédéral et non par les gouvernements provinciaux.

Qu'est-il arrivé depuis 1973 ? On doit constater l'ouverture progressive du Québec. La Convention de la Baie James a été signée dès 1975. Il s'agissait d'une entente entre les gouvernements québécois et canadien, d'une part, et les Indiens Cris (11 000 personnes) et les Inuit (7 000 personnes), d'autre part. Ce fut la première entente à être conclue dans le cadre de la nouvelle politique fédérale. En 1978, l'entente fut élargie pour inclure les Naskapis (500 personnes). En 1983, le gouvernement québécois a adopté un ensemble de principes devant désormais régir les négociations avec les autochtones. En 1985, il a reconnu l'existence des nations autochtones. Il faut aussi dire que les Premières Nations revendiquent l'autonomie gouvernementale depuis 1985 seulement. Le gouvernement québécois est [90] engagé dans des négociations sur l'autonomie gouvernementale avec plusieurs nations sur son territoire. En témoignent l'offre récente faite aux Attikameks (4 000 personnes) et Montagnais (au moins 12 000 personnes), mais aussi les négociations avec la nation inuit (7 000 personnes) qui sont déjà très avancées.

À tout cela, il faut ajouter les ouvertures récentes du gouvernement dont le retrait du projet Grande-Baleine et l'accord signé avec les Cris en mai 1995. Dans son avant-projet de loi sur la souveraineté, le gouvernement actuel a affirmé en outre la volonté expresse de la nation québécoise de constitutionnaliser le droit des Premières Nations à l'autonomie gouvernementale. Tout cela nous met sur la bonne piste. Imaginons que l'on reconnaisse en plus les droits ancestraux des Premières Nations et que l'on reconduise dans l'éventuelle constitution du Québec souverain les clauses de la Constitution canadienne de 1982 les concernant (sauf le rôle de fiduciaire du gouvernement fédéral, bien entendu). Quel argument moral les Premières Nations pourraient-elles invoquer pour justifier le recours à la violation de l'intégrité territoriale une fois le Québec devenu souverain [4] ?

[91]

Certains soutiendront que des conflits impliquant les Premières Nations semblent se manifester davantage sur le territoire québécois qu'ailleurs au Canada. Ce fait s'explique aisément : contrairement aux provinces de l'Ouest, le Québec n'a pas procédé à l'extinction des droits ancestraux des Premières Nations par des traités. Si l'on excepte la Colombie-Britannique et les Provinces maritimes, le Québec est à toutes fins utiles un des seuls lieux au Canada où des revendications territoriales globales sont encore possibles, et c'est aussi le lieu où celles-ci sont les plus avancées. Ailleurs au pays, les Canadiens se sont montrés plus opportunistes et ont réussi à imposer lors de la construction des chemins de fer des traités qui allaient de pair avec l'extinction des droits des autochtones.

À la lumière de ces nombreux gestes d'ouverture de la part du gouvernement québécois, on peut conclure qu'une violation de l'intégrité territoriale du Québec apparaîtrait à ce stade-ci pour le moins prématurée advenant l'accession du Québec à la souveraineté.

Un droit d'intégration au Canada ?

Avant que le Québec ne devienne souverain, les Premières Nations ne peuvent-elles pas décider de rester dans le Canada ? Il faut répondre à cela que le droit d'association ou d'intégration, tout comme le droit de sécession, a pour effet de violer l'intégrité territoriale du Québec. La seule différence est l'existence d'un délai si ce droit est exercé avant la souveraineté du Québec. Ce serait seulement lorsque la souveraineté entrerait en vigueur que la violation de l'intégrité territoriale prendrait effet. Le droit d'association avec (ou d'intégration à) l'État souverain de son choix, comme composante du droit à l'autodétermination, [92] doit donc être soumis aux mêmes contraintes morales que le droit de sécession proprement dit. Les Premières Nations ne peuvent exercer leur bon vouloir en ces matières sans justifications morales importantes. Elles doivent avoir des griefs importants avec leur nouvel interlocuteur, le gouvernement du Québec. Sinon, ce comportement est immoral. Pour le moment, l'interlocuteur principal est encore à Ottawa, et ce, même si très souvent le travail est fait avec le négociateur québécois [5].

Les Premières Nations ne peuvent pas tout bonnement choisir la proposition d'autonomie gouvernementale canadienne de préférence à la québécoise si les deux sont équivalentes, parce que cela fait une énorme différence aux yeux des Québécois. Il y va des intérêts économiques en jeu dans le Grand Nord et de l'intégrité territoriale du Québec. Pour heurter de front ces intérêts, il faut des justifications morales. Les Premières Nations peuvent-elles invoquer des justifications morales alors que le gouvernement du Québec est disposé à faire aboutir l'entente d'autonomie gouvernementale avec les Attikameks et les Montagnais, à poursuivre celles déjà avancées avec les Inuit et les Cris et à amorcer des négociations avec les autres nations ?

Après un vote favorable lors du référendum de 1995 et avant l'accession du Québec à la pleine et entière souveraineté, aucun changement constitutionnel ne surviendra. Les clauses concernant les droits ancestraux et l'obligation de fiduciaire de la part de la Couronne du Canada demeureront en application. Si en outre le gouvernement du Québec [93] s'engage à reconduire les clauses de la Constitution de 1982 dans sa propre Constitution au moment où il accède à la souveraineté, les Premières Nations ne peuvent invoquer le changement de l'ordre constitutionnel pour justifier l'exercice de leur droit à l'autodétermination [6].

[94]

Les droits ancestraux

Doit-on reconnaître l'existence des droits ancestraux aux peuples autochtones ? À ce sujet, il faut admettre que les procureurs généraux qui se sont succédé à Québec ont toujours plaidé en faveur de l'extinction de ces droits. Cette extinction remonterait au régime français et aurait été confirmée lors de la Conquête. De plus, avec la Convention de la Baie James, les Cris auraient renoncé à ces droits. Qu'en est-il exactement ? Il semble qu'il n'y a pas de raison de principe pour refuser ce droit aux diverses nations autochtones vivant sur le territoire québécois. L'essentiel à ce propos est d'être clair sur la définition du droit ancestral. On doit déterminer s'il inclut ou non un droit de propriété, un droit de chasse et de pêche, un droit à l'autonomie gouvernementale et un droit de taxation. On doit aussi savoir si ce droit est compatible avec le fait d'être assujetti à la Charte des droits et libertés et au code criminel. On pourrait penser que l'important est que ce droit puisse se traduire par des propositions concrètes, mais il né faut pas négliger la dimension symbolique. Il faut que les Premières Nations puissent en vertu de ce droit avoir accès pour des fins de subsistance à des terres qui dépassent largement celles sur lesquelles elles ont un droit de propriété. Il faut qu'on leur reconnaisse un droit de propriété sur des terres [95] spécifiques. Il faut qu'elles puissent effectivement instaurer sur ces terres un gouvernement autonome. Il faut en somme que des ententes du type de celle proposée aux Attikameks et Montagnais puissent être conclues.

Il n'est peut-être pas nécessaire de conclure de telles ententes en échange de l'extinction des droits ancestraux des Premières Nations. C'est là une vieille méthode qui doit peut-être être abandonnée. De telles ententes peuvent être accompagnées par une clause portant sur les droits ancestraux que l'on enchâsserait dans la Constitution du Québec souverain. Cela pourrait très bien se faire pourvu que la notion de droit ancestral soit définie et que sa portée soit précisée.

Le droit à l'autodétermination

Nous avons laissé entendre plus haut que les autochtones avaient en principe un droit moral à l'autodétermination. Mais le droit à l'autodétermination est-il un droit moral ? Le rapport des cinq juristes internationaux rédigé à l'intention de la Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec nous permet de répondre par l'affirmative [7]. Il ressort de leur rapport que l'exercice du droit à l'autodétermination n'est pas régi par des règles de droit international et donc qu'il s'agit dans le meilleur des cas [96]

d'un droit moral. Il est vrai que la déclaration universelle des peuples autochtones semble aller dans le sens de la reconnaissance juridique du droit à l'autodétermination des peuples. L'autodétermination est ici une notion qui inclut l'indépendance souveraine ou l'autonomie gouvernementale, l'association à un État indépendant ou son intégration proprement dite. Cette déclaration n'est cependant pas encore en vigueur et elle fait l'objet d'une étude attentive aux Nations Unies. Supposons cependant que l'on soit quand même en mesure de faire intervenir un instrument qui n'est pas encore en vigueur. Mais alors il faut aller au-delà des seules considérations juridiques. Il faut soulever la question morale de l'exercice du droit à l'autodétermination.

Un constat s'impose donc. Qu'on se fie au jugement des cinq experts consultés par la commission d'études des affaires afférentes à la souveraineté ou à la déclaration universelle, le droit à l'autodétermination semble pour le moment un droit moral qui requiert des justifications morales adéquates pour être exercé. Il n'y a pas de problème moral en soi, et il se peut que dans un avenir prochain, on puisse adopter des règles plus restrictives concernant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les droits moraux des peuples ne sont rien d'autre que des droits collectifs qui n'ont pas encore fait l'objet de législation explicite. Rien n'interdit donc que cela se produise dans un avenir prévisible. Mais en attendant de voir la communauté internationale se prononcer par des règles de droit mises en vigueur par un organisme international, le droit à l'autodétermination demeure un droit moral.

Il semble donc qu'on ne doive pas inclure un tel droit dans la Constitution du Québec souverain. La situation est la même pour les Premières Nations et le Québec. Dans un cas comme dans l'autre, ni la Charte actuelle des Nations [97] Unies ni la Constitution canadienne ne confèrent un droit juridique à l'autodétermination. Il s'agit d'une question morale qui doit se justifier par des arguments moraux. En somme, les Premières Nations ont comme le Québec un droit d'autodétermination et le refus d'enchâsser un tel droit ne doit pas être interprété comme une absence de reconnaissance de la part du Québec à l'endroit des autochtones [8].

Conclusion

Puisque l'on peut envisager favorablement la reconnaissance des droits ancestraux et que le droit d'autodétermination ne peut être enchâssé dans la Constitution, il [98] semble que les Premières Nations n'aient pas en ce moment au Québec de justification morale pour exercer leur droit à l'autodétermination. Comme pour la nation québécoise, il faut une justification morale pour exercer un tel droit. Le droit d'association ou d'intégration (exercé avant l'accession du Québec à la souveraineté) ou le droit de faire sécession (exercé après) irait à l'encontre des intérêts économiques du Québec dans le Grand Nord et violerait son intégrité territoriale. Il pose donc un problème moral. Mais si le Québec est disposé, comme il semble l'être, à reconnaître les nations autochtones, à constitutionnaliser cette reconnaissance, à leur accorder un droit de veto sur tout changement constitutionnel, et à admettre éventuellement des droits ancestraux clairement définis ainsi que leur autonomie gouvernementale, alors on peut difficilement prétendre que leurs droits collectifs ne sont pas reconnus et qu'ils ont en ce moment une justification morale semblable à celle qu'a le Québec pour faire sécession.

Plusieurs personnes ont à maintes reprises prétendu que les souverainistes ne pouvaient rien contre l'exercice du droit à l'autodétermination des Premières Nations. La situation, prétendent-ils, est la même pour les Québécois et les nations autochtones. Si les premiers s'engagent dans un processus d'accession à la souveraineté qui viole l'intégrité du territoire canadien, alors ils ne peuvent rien contre des nations autochtones qui chercheraient à en faire autant et violeraient l'intégrité du territoire québécois. C'est ce raisonnement en apparence implacable que nous venons de désamorcer. Nous acceptons l'idée que la position de la nation québécoise est parfaitement symétrique à celle des Premières Nations, mais nous estimons justement qu'elle se situe au niveau de l'exercice d'un droit qui requiert des justifications morales. Or nous croyons avoir montré que la [99] nation québécoise avait de telles justifications morales alors que les Premières Nations ne peuvent pas, dans les circonstances présentes, prétendre qu'elles ont des justifications morales de ce genre à invoquer contre le Québec. Il y a symétrie, mais justement au nom même de cette symétrie, il faut admettre que les Premières Nations n'ont pas pour leur part de bonnes raisons en ce moment pour violer l'intégrité territoriale du Québec.

Nous préférons cependant terminer sur une note plus positive. Le Québec et les Premières Nations ont des intérêts objectifs en commun et il est temps qu'ils s'en rendent compte. À la lumière des récents déblocages, on peut d'ailleurs saisir dans l'air du temps un changement de cap autant chez les souverainistes que chez les autochtones. Il faut le dire et le répéter parce que c'est vrai. La nation québécoise et les Premières Nations : MÊME COMBAT !

[100]



* Département de philosophie, Université de Montréal.

[1] On peut définir ces dernières comme des groupes qui ont joué un rôle historique dans la création d'institutions sur le territoire, qui sont le prolongement d'une nation voisine et qui se perçoivent comme appartenant à une autre communauté nationale. Les minorités russes dans les pays baltes, la minorité hongroise en Slovaquie, la minorité arabe en Israël, la communauté franco-canadienne en Ontario et la communauté anglophone au Québec constituent des exemples parmi de nombreux autres de minorités nationales. Les anglophones doivent donc être considérés comme des Québécois à part entière, mais il faut aussi tenir compte du fait qu'ils se conçoivent comme le prolongement d'une nation voisine (la nation « canadienne-anglaise »). Il serait en ce sens essentiel d'insérer dans l'éventuelle constitution du Québec souverain les droits collectifs de la minorité anglophone.

[2] Il y a une différence entre les communautés nationales et les communautés immigrantes. Les communautés immigrantes sont celles qui sont récemment arrivées sur le territoire d'une autre nation ou qui, bien qu'elles soient arrivées depuis assez longtemps, ne sont pas le prolongement d'une nation voisine. Les membres de ces communautés ont délibérément renoncé à leur première affiliation nationale. Ils font partie de la nation qui les accueille dès lors qu'ils choisissent de s'installer et de vivre sur son territoire. Ils doivent être intégrés linguistiquement à la communauté majoritaire pour éviter leur ghettoïsation et pour rendre possible un véritable métissage des cultures. Même lorsqu'on favorise une politique de multiculturalisme comme c'est le cas au Canada, et que cela conduit à la création d'institutions propres aux communautés immigrantes, il ne fait pas sens de constitutionnaliser des droits collectifs pour les immigrants. Leurs droits fondamentaux peuvent être adéquatement assurés par une Charte des droits individuels applicable à tous les citoyens. Si une Constitution doit être faite pour durer, il ne faut pas y inclure des dispositions qui risquent de s'avérer temporaires, et les politiques spécifiques à l'égard des immigrants sont de cet ordre.

[3] Il n'est pas nécessaire que la langue parlée sur ce territoire soit elle aussi distincte. La langue est un facteur identitaire important parce qu'elle contribue à raffermir les liens entre les membres de la société, mais elle n'est pas le seul facteur. Les communautés autochtones peuvent donc constituer des nations à part entière même lorsque la langue autochtone n'est presque plus parlée dans la communauté et que la majorité parle français ou anglais.

[4] Il est vrai que plusieurs membres des Premières Nations ont des conditions de vie très difficiles. Mais elles sont peut-être dans une situation moins difficile au Québec si l’on se fie à un certain nombre d'indicateurs très souvent mentionnés comme la vitalité de la langue parlée, le niveau d'éducation, le revenu annuel moyen, le taux de chômage, le déplacement vers les villes, le taux de criminalité et le taux d'emprisonnement, etc. (Voir Danielle Cyr, « La survie des langues autochtones du Québec : une idéologie en mutation », Communication présentée dans le cadre du colloque « Études québécoises : bilan et perspectives », Université de Trêves, Allemagne, 1993.) Il est vrai cependant que des problèmes très importants demeurent, et les gouvernements doivent s'employer à faire l'impossible pour corriger cette situation.

[5] En ce qui concerne la négociation d'autonomie gouvernementale avec la nation inuit, par exemple, tout le travail est fait par le gouvernement québécois. Le gouvernement fédéral adopte à toutes fins utiles le rôle d'observateur dans les discussions actuelles.

[6] Il est vrai que la proposition gouvernementale à l'intention des Attikameks et Montagnais est restée pour le moment lettre morte. Elle était pourtant fort généreuse. Elle incluait 4 000 kilomètres carrés comme lieu d'exercice du gouvernement autonome et 300 kilomètres carrés de pleine propriété. Elle incluait aussi 40 000 kilomètres carrés de droit de chasse et de pêche pour la subsistance. Elle offrait enfin aussi la cogestion des mines et des forêts et le partage des bénéfices provenant de leur exploitation. Pourquoi a-t-elle été refusée ? La réponse à cette question est sans doute fort complexe. Il se peut que les populations concernées soient tentées par l'idée de faire hausser les enchères. Il se peut aussi que certains manifestent une certaine méfiance à l'endroit du gouvernement, et ce quel que soit le contenu de la proposition. Certaines nations s'inquiètent peut-être aussi du sort réservé à la clause de droit ancestral et au droit à l'autodétermination. Mais il se peut aussi que plusieurs nations ne soient pas encore prêtes à renoncer aux réserves, pas encore prêtes à l'idée d'un gouvernement public autonome, pas encore prêtes à admettre une définition non ethnique de la nation. Il y a tout lieu de croire que les nations concernées hésitent devant tant de réformes en profondeur et tant de changements rapides.

En ce qui concerne la Convention de la Baie James, pas moins de douze révisions sont survenues depuis son adoption en 1975. Il s'agit d'un document qui est sans cesse réactualisé. Par exemple, une entente est survenue il y a deux ans concernant la commercialisation du caribou et de la perdrix. Et le gouvernement vient tout juste de conclure une nouvelle entente avec les Cris concernant une nouvelle réactualisation. Il faut sans doute reconnaître que leurs griefs sont fondés en très grande partie. Les gouvernements successifs à Québec n'ont pas tenu suffisamment compte des clauses économiques contenues dans la Convention de la Baie James. Les 15 milliards de profit issus de la construction de barrages n'ont entraîné aucune retombée pour les Cris, et cette situation doit être corrigée. L'entente survenue en mai 1995 constitue un premier pas dans la bonne voie. Le gouvernement a conclu un accord portant sur les résidences de personnes âgées, sur le développement économique, sur l'implication des autochtones dans l'exploitation des forêts, sur une structure régionale et sur le leadership local. Mais les Cris ont-ils d'autres griefs concernant l'entente ? Il semble que l'un des problèmes majeurs concerne l'extinction de leurs droits ancestraux. Comme tous les traités conclus au Canada, celui de la Baie James a entraîné l'extinction des droits ancestraux. Et comme les autres nations autochtones ; les Cris veulent voir reconnaître leur droit à l'autodétermination.

[7] Les cinq juristes stipulent que : 1) l'accession à la souveraineté est une question de fait que le droit international constate. 2) Le droit à l'indépendance complète n'est autorisé qu'aux peuples coloniaux. Un État peut cependant réaliser l'indépendance complète s'il a la reconnaissance rapide des États souverains, s'il se montre capable de gérer son propre territoire et s'il fait adopter une déclaration d'indépendance de façon démocratique. 3) Les frontières internationales du Québec souverain seraient les frontières provinciales.

[8] Il se peut que certaines des Premières Nations choisissent la confrontation et veuillent exercer leur droit à l'autodétermination. C'est la raison pour laquelle le gouvernement du Québec ne prend pas de risques et qu'il a inscrit dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté une clause d'inviolabilité de l'intégrité territoriale. On sera sans doute tenté de répliquer que le gouvernement ne peut pas à la fois traiter le droit à l'autodétermination comme un droit exclusivement moral et du même coup inscrire une clause confirmant le caractère inviolable de l'intégrité territoriale du Québec. Si l'exercice du droit à l'autodétermination est fonction de justifications morales et non juridiques, alors comment comprendre une clause d'inviolabilité du territoire qui tente de bloquer par une procédure juridique tout recours à l'exercice de ce droit ? La vérité est peut-être que le gouvernement québécois sait d'ores et déjà qu'il devra s'engager dans une « épreuve de force » avec certaines des Premières Nations. C'est aussi dans la perspective d'un tel rapport de force qu'il faut comprendre le désir des Premières Nations de voir reconnaître sur le plan juridique un droit comme l'autodétermination. Nous croyons pour notre part que l'idéal serait de ne pas avoir à inscrire dans la Constitution une clause d'inviolabilité de l'intégrité du territoire. Mais nous comprenons aussi que le problème moral que nous avons soulevé ne semble pas être reconnu par certains des chefs autochtones.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 16 octobre 2017 9:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref