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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Michel Seymour, Philosophe, “Les intellectuels québécois et la question nationale” (1998)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Seymour [Philosophe, professeur de philosophie, Université de Montréal],  Les intellectuels québécois et la question nationale. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Raymond Klibansky et Josiane Boulad-Ayoub, La pensée philosophique d'expression française, chapitre 19, pp. 629-668. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1998, 686 pp. Collection Zétéis. [Texte diffusé avec l’autorisation formelle de l’auteur accordée le 18 mai 2005.]

Introduction

Les philosophes ont depuis toujours maintenu une certaine distance à l'égard des débats politiques. Très peu se comportent comme de véritables « intellectuels » au sens français de l'expression. Cette propension à rester en marge des débats n'est pas seulement présente en philosophie, mais elle la caractérise probablement mieux que toute autre discipline. La fameuse chouette de Minerve prend son envol, comme chacun sait, à la tombée de la nuit. C'est d'ailleurs elle que l'on trouve sur la couverture du Bulletin de la Société de philosophie du Québec. La distanciation critique est pour les philosophes non seulement de mise ; elle apparaît comme la vertu cardinale de l'entreprise philosophique. 

Les philosophes québécois ne font pas exception à cette règle. On peut même dire qu'ils ont déployé un certain zèle en ce sens. Mais il y a plus. Les philosophes d'ici ont manifesté historiquement leurs talents dans des secteurs autres que celui de la philosophie politique. jusqu'à tout récemment, la philosophie politique a été au Québec trop peu fréquentée, et ce sont les experts d'autres disciplines, les politologues par exemple, qui ont très souvent été chargés d'investir ce champ. 

Tout cela change très rapidement, bien sûr, et il faut s'en réjouir. Les pionniers de la philosophie politique québécoise ne sont plus seuls, et les événements politiques ont pris tellement de place dans la vie de tous les citoyens que les philosophes ne peuvent plus s'épargner l'effort de réflexion prescrit par l'actualité politique. Les enjeux sont trop importants pour se tenir à l'écart de la vie intellectuelle ou de la philosophie politique. Il y a de plus en plus de professeurs qui travaillent dans le secteur de la philosophie politique au Québec, et un nombre toujours croissant d'étudiants travaillent dans ce domaine. Il y a aussi de plus en plus d'universitaires qui s'engagent dans la vie politique. Tout cela surgit peut-être très tardivement, mais le retard est largement compensé par le sentiment d'urgence qui nous anime. 

En outre, le retard des philosophes ne comporte pas que des désavantages puisque cela incite les chercheurs d'autres disciplines à s'occuper de philosophie politique. Cela permet à l'interdisciplinarité de s'inscrire au cœur même de la recherche universitaire : les chercheurs en sciences sociales se mettent à écrire sur certains aspects philosophiques de leur recherche et les philosophes sont de plus en plus incités à les lire. On doit souhaiter que cette collaboration puisse se poursuivre et s'installer à demeure dans le milieu universitaire québécois. Notre société est trop petite pour se priver des bénéfices que rapporte inévitablement une interdisciplinarité accrue entre les différents secteurs de recherche. 

J'essaierai d'esquisser, dans ses grandes lignes, la contribution récente des penseurs d'ici aux débats sur la nation et le nationalisme [1]. La « question nationale », comme il est de coutume de l'appeler, occupe le devant de la scène politique québécoise depuis plus d'une trentaine d'années, et il convient de se servir de ce sujet pour bien mesurer le degré d'ancrage des intellectuels au sein des affaires de la cité. Je ne restreindrai toutefois pas mon corpus à celui des philosophes professionnels. La philosophie n'est pas la propriété exclusive des philosophes, et elle peut être prise en charge par des juristes, des politologues, des anthropologues, des écrivains et des sociologues, pour ne pas parler des journalistes, des économistes, des historiens, des critiques littéraires ou des artistes. J'ai donc choisi d'être le plus diversifié possible dans ma présentation de la contribution des intellectuels d'ici à la problématique nationale [2]

L'intellectuel, nous disait Sartre, est « celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». L'actualité politique ne doit pas être seulement une affaire de spécialistes et être du ressort exclusif des politologues. Elle commande plus que jamais des efforts intellectuels en provenance de divers milieux. De la même manière, la philosophie politique ne doit pas être prise en charge seulement par ceux qui pratiquent la philosophie politique. Il y a moyen d'envisager le décloisonnement des disciplines sans sombrer dans l'éclectisme, le charlatanisme ou la synthèse douteuse. 

Je partirai du début des années soixante-dix, mais je ne m'en tiendrai pas à une présentation chronologique. Mon texte est divisé en sections qui respectent plutôt une division thématique. Je m'attarderai exclusivement à certaines des contributions qui ont fait avancer l'analyse conceptuelle des notions de peuple et de nation. J'ai choisi de circonscrire mon sujet de cette manière pour que l'on soit d'emblée placé sur un terrain éminemment philosophique, mais aussi pour éviter l'éparpillement. J'ai dit que je voulais être le plus diversifié possible, et c'est la raison pour laquelle j'ai choisi un juriste (Jacques Brossard), un politologue (Jean-Pierre Derriennic), un anthropologue (Claude Bariteau), un écrivain (Neil Bissoondath), un sociologue (Fernand Dumont) et un philosophe (Charles Taylor). 

Il s'agira de déblayer un espace de réflexion qui touche à la réalité des débats politiques eux-mêmes. Il est inutile de nier l'impact politique des idées ou de taire les enjeux majeurs auxquels sont confrontés l'ensemble des Québécois. Il importe, toutefois, de dépolitiser autant que possible la réflexion sur les notions de peuple ou de nation. Pour cette raison, les six auteurs que j'ai choisi de discuter sont pour une moitié d'allégeance souverainiste (Brossard, Bariteau et Dumont) et pour l'autre, d'allégeance fédéraliste (Derriennic, Bissoondath et Taylor). je chercherai à faire porter la discussion à un niveau qui dépasse les banales querelles de clocher. 

Comme je l'ai dit, une telle réflexion s'inscrit inévitablement dans une démarche qui a des incidences sur le plan politique, Il faut reconnaître que les désaccords politiques entourant la question nationale présupposent très souvent des désaccords sur la nature et le statut de la nation. En un certain sens, on entre donc au coeur des débats politiques lorsqu'on fait face à cette question. Si la réflexion philosophique ne parvenait pas à avoir des incidences pratiques, il ne servirait à rien de s'adonner à des analyses conceptuelles. Cela dit, comme nous le verrons, les désaccords déborderont largement les positions politiques officielles. je fais le pari qu'il est possible de s'attaquer à la « définition » de la nation sans pour autant se retrouver pris dans une rhétorique partisane. Il n'y a pas un concept de la nation qui soit propre aux souverainistes québécois et un concept de la nation propre aux fédéralistes. Les oppositions politiques ne recoupent pas parfaitement les oppositions philosophiques. 

Mais peut-on vraiment réussir à dépolitiser la question ? je crois qu'il faut répondre à cette question par oui et par non. On peut légitimement s'adonner à une réflexion philosophique par-delà les enjeux strictement politiques. Il faut, en effet, croire à la possibilité de s'entendre sur des concepts aussi fondamentaux que ceux de « peuple » ou de « nation », et ce, quelle que soit la position que l'on occupe sur l'échiquier politique. Mais il faut reconnaître aussi que les différends politiques reposent en partie au moins sur des désaccords ou malentendus au niveau des idées, et que c'est à partir de ces idées que des arguments politiques prennent forme. Les débats philosophiques peuvent alors permettre de légitimer certains types d'arguments politiques et d'en déligitimer d'autres. Réfléchir sur le concept de nation peut donc contribuer à l'avancement des débats politiques eux-mêmes. C'est de cette manière que le philosophe peut jouer son rôle d'intellectuel et se mêler modestement aux affaires de la cité.


[1] Pour des contributions récentes à la littérature portant sur la nation et le nationalisme, voir Jocelyne Couture, Kai Nielsen et Michel Seymour (dir.), Rethinking Nationalism, Supplementary Volume of the Canadian Journal of Philosophy, Calgary, University of Calgary Press, 1998.

[2] Pour une analyse du vocabulaire de la nation tel qu'utilisé par les élites politiques, voir Gilles Bourque et Jules Duchastel, L'identité fragmentée, Saint-Laurent, Fides, 1996.

Retour au texte de l'auteur: Michel Seymour, philosophe, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le Samedi 13 août 2005 10:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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