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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Micheline de SÈVE, “Du socialisme patriarcal au féminisme socialiste.” Un article publié dans le livre sous la direction de Lucille Beaudry, Christian Deblock et Jean-Jacques Gislain, Un siècle de marxisme, pp. 175-193. Avec deux textes inédits de Karl Polanyi. Québec: Les Presses de l’Université du Québec, 1990, 374 pp. [Livre diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de Christian Deblock accordée lundi le 29 juillet 2008.].

Micheline de Sève

Professeure, Département de science politique, UQÀM

Du socialisme patriarcal
au féminisme socialiste
”.

Un article publié dans l’ouvrage Sous la direction de Lucille Beaudry, Christian Deblock et Jean-Jacques Gislain, Un siècle de marxisme. Avec deux textes inédits de Karl Polanyi, pp. 175-193. Québec : Les Presses de l’Université du Québec, 1990, 374 pp.


Nous vous proposons d'établir ci-après que l'explication marxiste de la lutte des classes demeure une explication partielle de la réalité sociale. D'abord parce que le marxisme reste prisonnier de l'éthique productiviste capitaliste. Ainsi il néglige dans son analyse de l'économie le domaine de la production et reproduction des êtres humains et, par conséquent, il ignore le fondement matériel de l'appropriation économique et sexuelle du travail et du corps des femmes, source de leur oppression. Ensuite, parce que persistant à considérer la sexualité comme un domaine secondaire sinon infrasocial de l'activité humaine, il échoue à produire une analyse matérialiste dialectique du rapport homme-femme. D'où son échec à supprimer la famille patriarcale, cette « substructure nécessaire à l'État autoritaire [1] » qui désigne l'« ensemble des individus qui doivent leur travail à un chef [2] ». Enfin, l'absence de rupture avec l'assimilation patriarcale des différences sexuelles puis sociales à des inégalités permanentes l'empêche d'en finir avec l'État dont la légitimité s'appuie précisément sur l'habitude acquise dès l'enfance de vivre et de fixer la différence sur le mode de la hiérarchisation et de la domination.


La femme, un être de nature

Certes Engels, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, a identifié le fondement sexuel de la division sociale du travail mais ni lui ni Marx ni aucun de leurs successeurs reconnus n'ont dépassé l'explication naturaliste des rôles sexuels, en particulier dans la sphère dite privée de la vie domestique. Pour illustrer ce point, nous nous appuierons d'abord sur les travaux d'Alexandra Kollontaï, la plus « féministe » des dirigeantes révolutionnaires d'après 1917 pour qui « la vie d'épouse et de ménagère », comme « la direction du ménage » pour Engels ou l'« esclavage domestique » pour Lénine, continue d'apparaître comme un résidu biologique, l'effet nécessaire du rapport de la femme et d'elle seulement à la procréation. C'est ainsi que Kollontaï définit la maternité comme « fonction naturelle » de « la » femme dont la spécificité est d'être chargée d'une « fonction sociale supplémentaire » en tant que [176] mère et éducatrice des enfants [3]. La maternité ne renvoie pas à la paternité et à la définition sociale changeante de la division sexuelle du travail mais à un invariant biologique renvoyant « la » femme à « sa » nature et masquant le caractère social de la domination sexuelle de l'homme sur elle dans la vie domestique comme dans l'ensemble des secteurs de l'activité humaine. Après Dieu, c'est la nature qui devient responsable de l'oppression féminine et non pas la distribution économique et politique des rôles sociaux :

Car les femmes, si elles travaillent côte à côte avec les hommes, ont une fonction sociale supplémentaire, celle de donner la vie à de nouveaux citoyens, « engendrer de nouvelles forces de travail. C'est aussi pourquoi l'État ouvrier est obligé de prendre spécialement soin des femmes. Dans la phase de la dictature du prolétariat, il n'est pas nécessaire d'atteindre à une totale égalité entre les sexes, mais d'employer la main-d'oeuvre féminine à des tâches raisonnables ainsi que d'organiser un système cohérent de protection maternelle [4].

En ce sens, l'univers spécifique des femmes échappe à la dialectique puisqu'il ne concerne qu'elles et reste en marge du champ des rapports sociaux. Si les marxistes s'en préoccupent c'est que les efforts consacrés par « la » femme à ses devoirs ménagers la relèguent à « l'économie familiale privée où les forces de travail sont dilapidées [5] » et la distraient de ses responsabilités comme homme (au sens générique du terme, cela va de soi).

Car le marxisme comme le capitalisme ne valorise que le travail « productif ». Le nouveau pouvoir soviétique se proposera donc de libérer la force de travail des femmes en socialisant à l'ensemble d'entre eues les tâches extra-sociales que chacune accomplit de façon artisanale dans son foyer et qui apparaissent comme perte d'énergies :

La république des Soviets doit veiller à ce que la force de travail de la femme ne soit pas absorbée par un travail improductif, comme l'entretien de la maison et le soin des enfants, mais qu'elle soit employée de façon judicieuse à la production de nouvelles richesses sociales [6].

C'est ainsi qu'à la limite, maternité et travail sont antithétiques. La reproduction des êtres humains reste un secteur nominalement constitutif de l'économie mais apparaît comme un résidu naturel annexé dans la nouvelle société axée sur le « travail obligatoire pour les hommes et les femmes adultes » [7]. La négation du caractère social de la production domestique est telle, même chez Kollontaï, qu'elle équivaut à [177] faire des femmes des parasites dès lors qu'elles ne s'intègrent pas à la sphère proprement sociale - ou masculine ! - de la vie « active » :

Désormais, le travail des femmes est devenu partie constituante de l’économie nationale. Ce n'est qu'avec la participation des femmes que nous pouvons envisager une élévation de la production. Il ne doit plus y avoir de parasites, c'est là le principe sur lequel nous construisons tout notre système social. Et nous comptons parmi ces parasites les femmes entretenues, que ce soit de façon légale, comme épouses ou illégale, comme prostituées [8].


Liberté partielle :
la double journée de travail


Loin de redéfinir le cadre général de l'organisation du travail, le marxisme reprend à son compte la fragmentation sexuelle des tâches qui signifie pour les femmes et elles seulement l'institutionnalisation de la double journée de travail. À aucun moment n'est remise en question la définition du travail ménager comme « travail féminin », collectivisé ou non. Toute prétention à réviser le rapport homme-femme au sein de la famille comme le rapport spécifique d'un mode de production donné est ainsi assimilée à une aberration féministe « contre-nature ». Comme si le contenu variable selon les époques et les sociétés des fonctions d'épouse et de mère ne devait pas nous alerter à la distance entre la différence biologique et ses conséquences sociales ; comme si l'économie sexuelle n'était pas aussi une économie politique.

De fait, comme l'exprime Christine Delphy :

En niant l'existence de ce système de production, on nie l'existence de rapports de production spécifiques à ce système et on interdit aux intéressées la possibilité de se rebeller contre ces rapports de production. Il s'agit donc avant tout de préserver le mode de production patriarcal des services domestiques, c'est-à-dire la fourniture gratuite de ces services par les femmes [9].

Du point de vue de l'émancipation des femmes, la théorie marxiste est au mieux réformiste lorsqu'elle se propose de réduire le fardeau de leur « handicap biologique », au pire parfaitement réactionnaire lorsqu'elle nie l'existence même d'un problème social à ce niveau et renvoie sans plus les femmes à leurs chaudrons. Que penser alors de l'affirmation de [179] Marx voulant que le rapport de l'homme à la femme soit le critère pour « juger du degré de développement humain [10] » ?

Notons « abord la rareté de ce genre de propositions dans l'oeuvre de Marx où, à défaut d'analyse, elles restent simplement de belles phrases. Pour Marx comme pour Lénine, la question des femmes reste subsidiaire sur les plans théorique aussi bien que stratégique. La proposition est inversée : ce n'est pas la libération des femmes qui détermine le progrès social mais ce dernier qui établit la « condition » qui peut leur être faite.

Souvenons-nous des réprimandes de Lénine à Clara Zetkin

La liste de vos péchés, Clara, est encore plus longue... Le premier État où existe la dictature du prolétariat se bat contre les contre-révolutionnaires du monde entier. La situation en Allemagne requiert le rassemblement de toutes les forces révolutionnaires pour faire échec à une contre-révolution qui ne cesse de progresser, et, pendant ce temps, les militantes de votre parti débattent de la question sexuelle et des formes du mariage dans le passé, le présent et l'avenir [...] Tout ce qu'il y a de juste là-dedans, les travailleurs l'ont lu depuis longtemps dans Bebel [11].

Et Lénine de remonter aux sources - et quelles sources ! - pour légitimer son indignation :

Le sage Salomon disait déjà : chaque chose en son temps... À l'heure actuelle, toutes les pensées des femmes du parti, des femmes de cluses laborieuses doivent être orientées vers la révolution prolétarienne. Elle établira également les bases d'une nécessaire rénovation des conditions du mariage et des rapports entre les sexes. Mais pour l'instant, il y a vraiment d'autres problèmes au premier plan [12]...

L'ennui, c'est que 60 ans et plus ont passé depuis ces « sages » paroles et que les femmes attendent toujours... Les services collectifs sur lesquels comptait Lénine pour les libérer continuent de suivre, et encore d'assez loin derrière, les besoins de l'industrie en main-d'oeuvre plutôt que de répondre à la volonté de soustraire « la » femme à l'esclavage domestique, « la libérer du joug abrutissant et humiliant, éternel et exclusif, de la cuisine et de la chambre des enfants [13] ».

Ainsi malgré l'annonce lors du 24e Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique en 1971 d'un nouveau programme d'allocations familiales pour les enfants de moins de huit ans qui prévoyait doubler le [179] nombre d'enfants bénéficiaires d'une telle formule d'assistance, seulement 37 pour cent des enfants de cet âge étaient couverts en 1974, ce qui correspondait à 0,6 pour cent du revenu national, comparativement à 3,2 pour cent pour des programmes similaires en France deux ans plus tôt [14].

Certes, crèches et garderies sont en général plus nombreuses à l'Est qu'à l'Ouest mais c'est aussi que les femmes composent presque partout la moitié sinon plus - 51 pour cent en URSS - de la population dite active [15]. Les grands-mères de plus en plus rares en milieu urbain continuent d'être requises au service de la famille d'autant que la qualité des services publics laisse sérieusement à désirer [16]. De plus, les femmes restent aux prises avec des difficultés constantes d'approvisionnement qui témoignent d'une incapacité plus générale d'un système fondé sur la valorisation des produits du secteur de l'industrie lourde au détriment des besoins plus « terre à terre » de la population. À tel point que la vision de cauchemar, où Kollontaï évoquait la situation des femmes dans les pays capitalistes pendant la Première Guerre mondiale, est devenue prémonitoire !

Lorsqu'enfin, après une longue et épuisante journée de travail, les ouvrières, employées, téléphonistes ou contrôleuses rentraient à la maison, elles devaient ressortir aussitôt et prendre place dans les queues interminables pour acheter la nourriture, le bois ou le pétrole nécessaires au repas de la famille. De toute façon, les files d'attente étaient alors de règle devant les magasins, tant à Londres qu'à Paris, Berlin, Moscou ou Saint-Petersbourg, bref, absolument partout dans le monde. Ce qui obligeait les gens à d'ennuyeuses et longues heures d'attente. De nombreuses femmes tombèrent malades et perdirent le contrôle de leurs nerfs. Névroses et maladies mentales se multiplièrent, tandis que l'inflation provoquait une sous-alimentation permanente [17]...

N'est-ce pas le même constat que dressaient les Polonaises de Lodz qui amorcèrent en juillet 1981 une série de marches de la faim qui s'étendirent à tout le pays le mois suivant ?

Le régime instauré dans l'ensemble des pays de l'Est s'est appuyé sur la glorification du travail social « productif » par opposition au travail privé des paysans ou des femmes qualifié « improductif ». L'économie domestique n'a pas été seule à subir les conséquences de cette dévalorisation qui n'a pas tardé à s'étendre à l'ensemble des activités liées à l'amélioration des conditions de vie des travailleurs-euses au bénéfice de l'industrie lourde, sans parler de l'attention consacrée à l'industrie de guerre. La sous-estimation systématique des besoins de l'agriculture [180] comme de l'industrie légère tient de la même logique qui secondarise non seulement les besoins spécifiques des femmes mais tout ce qui concerne les besoins privés de consommation des travailleurs par contraste avec l'insistance apportée au gonflement de la puissance collective de l'État.

Les femmes ont été les premières à devoir subordonner leurs attentes à l'échelle générale des priorités mais les prolétaires n'ont pas tardé à faire également les frais de ce mode de hiérarchisation des besoins qui, du classement, passe facilement à la négation de ceux-là qui sont jugés secondaires. L'intérêt général de classe a justifié le sacrifice puis la répression des instincts « égoïstes » de consommation des prolétaires de chair et d'os. Cela a abouti à vider le pouvoir de la classe ouvrière après avoir vidé celui du peuple de son contenu réel.

De même que le libéralisme n'a pu accomplir ses rêves de démocratie faute d'avoir saisi le lien entre pouvoir économique et pouvoir politique, de même le marxisme-léninisme n'a pu accomplir son programme d'émancipation réelle des prolétaires faute d’avoir intégré dans sa théorie la dialectique travail-vie, production-reproduction, de la vie immédiate comme de la richesse collective. Par suite, les prolétaires continuent de subir la domination d'un État qui méconnaît aussi superbement leurs aspirations spécifiques qu'eux-mêmes s'accommodent de l'assujettissement de leurs compagnes. Le prolétaire n'existe qu'à l'état de concept abstrait : il n'a pas plus de droits individuels ou collectifs (voir le sort réservé aux syndicats) que la femme n'est libre de sa personne et le pouvoir continue de flotter au-dessus des êtres réels dans la plus pure tradition hégélienne. L'homme n'existe qu'au neutre selon la logique patriarcale qui nie la réalité sociale du corps, celle de la différence, pour s'en remettre à la norme unique de la Raison, celle de l'Histoire ou celle de l'Homme avec un grand H.


À tout seigneur tout honneur...

Si, conformément aux prescriptions de Marx et de Lénine, c'est à la pratique qu'on juge la valeur d'une théorie, force est de constater la nécessité de reprendre l'analyse aussi bien pour rendre compte de la permanence de l'État et des classes dans les sociétés dites socialistes que de l'absence d’émancipation des femmes.

Mais cette fois, on nous comprendra de ne pas subordonner nos attentes à celles de ceux qui pour être nos frères de classe n'ont pas moins raté jusqu'ici aussi bien leur propre révolution que reporté indéfiniment la nôtre.

De fait, si l'analyse matérialiste dialectique de la situation des femmes s'est développée, ce n'est pas au marxisme-léninisme qu'on le doit mais à la résurgence du féminisme comme courant autonome de pensée et d'action. Nous ne retracerons pas ici la lignée qui va depuis le [181] « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir, en passant par La dialectique du sexe de Shulamith Firestone et La politique du mâle de Kate Millett jusqu'aux plus récentes contributions de Heidi Hartmann, Natalie J. Sokoloff, Sheila Rowbotham ou Suzanne Blaise [18]. Nous tenterons plutôt de souligner l'apport du féminisme anti-patriarcal à la production théorique selon une méthodologie largement empruntée au marxisme certes, mais qui marque l'éclatement des catégories dogmatiques.

Et d'abord, poussant d'un cran l'analyse des conditions réelles de vie et de travail des êtres humains hommes ou femmes, le féminisme a progressivement découvert l'ampleur de la pénétration des structures de domination sexistes qui fondent l'ordre social en figeant la distribution des rôles :

Le sexisme, c'est la division selon le sexe, du travail et de la participation à la vie, à la marche des affaires humaines [...] C'est le sexisme qui dit à l'homme : Tu feras A et tu ne feras pas B, car tu es un homme. Et à la femme : Tu feras B et tu ne feras pas A, car tu es une femme. C'est le fixisme des rôles sexuels ; au profit du pouvoir mâle, bien entendu [19].

Le terme de patriarcat, loin de s'appliquer à la seule domination des pères ou des patriarches sur les familles pastorales de l'Antiquité, en est venu à désigner l'ensemble des rapports sociaux qui hiérarchisent les hommes entre eux sur la base de leur intérêt commun à maintenir leur suprématie sur les femmes.

Heidi Hartmann a bien montré comment, au XIXe siècle, le capital avait pu profiter de cette solidarité patriarcale des hommes entre eux pour diviser ouvriers et ouvrières, en offrant aux premiers des salaires supérieurs :

Au lieu de lutter pour des salaires égaux pour les hommes et les femmes, les travailleurs mâles recherchèrent un « salaire familial » dans le but de retenir les services de leurs femmes à la maison. En l'absence du patriarcat, une classe ouvrière unie aurait pu affronter le capitalisme mais les relations sociales patriarcales divisèrent la classe ouvrière, permettant d'en acheter une partie (les hommes) aux dépens de l'autre (les femmes). Hiérarchie entre les hommes et solidarité entre eux, les deux furent cruciaux dans ce mode de règlement. « Le salaire familial » peut être compris en termes de règlement du conflit à propos de la force de travail des femmes qui opposait les intérêts patriarcaux et capitalistes à l'époque [20].

[182]

Le capital eut beau jeu par la suite de pousser son avantage, utilisant la main-d'oeuvre sous-payée des femmes et des enfants pour briser la résistance des travailleurs qui se retournèrent contre qui ? Contre les femmes bien sûr, trop « stupides » pour comprendre la nécessité de se serrer les coudes « entre hommes » et indignes d'appartenir aux mêmes syndicats que leurs vaillants confrères...

Comment la classe ouvrière aurait-elle pu réaliser son unité alors qu'elle était traversée par une guerre des sexes que les féministes n'ont pas inventée, pas plus que les marxistes n'ont inventé la lutte des classes ?

L'une et l'autre théories révolutionnaires ont bien plutôt en commun de révéler le caractère social des modes de hiérarchisation des hommes et des femmes présentés comme intangibles parce que soi-disant naturels. La fatalité du « il y aura toujours des pauvres parmi vous » est niée par l'une, comme le masochisme inné des femmes l'est par l'autre, et la domination patriarcale désigne :

[...] le pouvoir institutionnel et totalisant que les hommes comme groupe exercent sur les femmes, l'exclusion systématique des femmes du pouvoir dans la société et la dévaluation systématique de tous les rôles et traits assignés par la société aux femmes. Nous avons lentement réalisé que nous devions confronter et attaquer la suprématie mâle comme un système global [21].

Certes, le concept de patriarcat désigne une multitude de formes de construction sociale des rôles sexuels (sex-gender system) [22]. Cependant, l'ensemble des systèmes de pouvoir qui se sont succédé depuis l'époque des premiers pasteurs nomades participent d'une même volonté d'appropriation du corps et du travail des femmes. Or, pas plus dans les sociétés primitives que dans nos sociétés contemporaines, la domination sexuelle des femmes ne se justifiait par des impératifs biologiques. Les recherches en cours tendent plutôt à démontrer que le processus d'infériorisation sociale des femmes aurait suivi la prise de conscience nouvelle de l'importance de contrôler les génitrices dans des sociétés où les bras n'étaient jamais trop nombreux pour l'agriculture ou pour la guerre [23].

Mais la division sexuelle du travail, excluant les femmes des activités jugées dangereuses pour leur intégrité physique et les enfermant petit à petit dans la sphère du « privé », n'a pas tardé à engendrer une division sociale entre les hommes eux-mêmes selon le nombre plus ou moins grand de femmes nubiles et d'enfants placés sous leur « protection ». L'appropriation privée des moyens de production et d'abord de la capacité de produire des êtres humains est donc née de la mise en [183] tutelle des femmes et des enfants bien au-delà de la période de gestation pour les premières et de la maturité physique pour les seconds.

Rappelons que dans les premières sociétés patriarcales, le père n'était pas le géniteur - on ignorait l'existence d'un lien entre l'acte sexuel et la grossesse - mais le père de la femme [24], « celui qui nourrit », « celui qui vous protège », « vous marie » et à ce titre affirme son autorité sur les enfants de sa soeur. Le chef de famille commandait d'autant plus de pouvoir que sa domination sur un certain nombre de femmes et leur progéniture lui assurait la soumission ou l'alliance d'autres hommes intéressés à obtenir de lui l'accès à des femmes nubiles pour devenir à leur tour riches et respectés. Au cours des siècles, les conjoints ont déplacé les frères comme maîtres des femmes ; des tribus plus populeuses ont réduit en esclavage celles dont la richesse en armes ne pouvait compenser la faiblesse numérique et l'État est né de l'arbitrage ou du règlement pacifique ou non de l'échange des femmes au sein des tribus ou entre elles.

Faut-il rappeler que l'histoire des conflits de générations entre pères et fils, aînés et cadets, n'est pas si ancienne et que quelques années avant la Révolution française, les pères pouvaient encore faire emprisonner leur fils de 30 ans pour insubordination ou se débarrasser de filles inutiles en les plaçant au couvent ? Pour être moins documentée, la lutte des femmes et des enfants pour obtenir la liberté de choix de leur conjoint ou échapper au statut de mineur n'en a pas moins conditionné l'évolution de l'économie et du droit aussi sûrement qu'elle a modelé les rapports de classes [25].

Marx s'est assez indigné des mécanismes de transmission héréditaire du capital pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister sur ce dernier point. Le fondateur du socialisme croyait que la famille bourgeoise disparaîtrait après la révolution. Reste que ses couplets sur ce thème ressemblent à ceux des capitalistes sur la pauvreté : pas plus que les inégalités de revenu n'ont disparu avec la croissance du PNB, la famille patriarcale n'a cessé d'être la cellule de base des sociétés dites socialistes.


Famille, État : des siamois

Les bolcheviks croyaient fermement que leur révolution entraînerait à court terme la disparition de la famille comme unité de travail domestique aussi bien que de l'État, instrument de domination de classes. Il convient donc d'insister sur la période qui a suivi la prise du pouvoir pour comprendre pourquoi, à ce sujet plus particulièrement, la pratique a pris la théorie en défaut.

En effet, il n'y a plus grand chose de commun entre le discours soviétique officiel qui prétend que « la véritable libération des femmes a été pleinement garantie [26] » puisque : « [...] la femme par son essence [184] biologique est une mère - une enseignante-formatrice - avec une capacité innée pour s'occuper des petits enfants, une approche pédagogique instinctive [27] » et les attentes de révolutionnaires comme Inessa Armand, s'exclamant au premier congrès panrusse des femmes travailleuses en 1918 :

Jusqu'à ce que les anciennes formes de la famille, de la vie domestique et de l'élevage des enfants aient été supprimées, il est impossible de créer la nouvelle personne, il est impossible de construire le socialisme [28].

De fait, le marxisme tel qu'institutionnalisé en URSS est resté indifférent non seulement au caractère oppressif de la division sexuelle des tâches au sein de la famille mais a exclu du champ de l'analyse matérialiste un secteur entier de l'activité humaine, celui de la sexualité. Là encore, alors que le discours initial prévoyait que de l'émancipation économique des femmes suivrait leur affranchissement sexuel, le nouveau code de la famille édicté en 1926 les replaçait sous la tutelle d’un mari ou de l'État, garant de la domestication de leur corps au nom encore une fois du respect sacro-saint de la nature. Incidemment, il est permis de s'étonner si les comportements attendus des femmes sont commandés par leur instinct, qu'il faille des lois comme celle de 1936 contre l'avortement pour leur interdire de désobéir à leur « nature ».

Pourtant, dès 1927, même le Zhenotdel [29], la section féminine du secrétariat du comité central, maintes fois accusée de « déviation féministe », rentrait dans le rang et s'élevait elle aussi contre la maternité volontaire :

Nous devons établir clairement dès le début que l'application de tous moyens pour prévenir la grossesse est anormale. La femme en santé doit être mère parce que seule la maternité lui apporte le plein épanouissement de sa force physique et spirituelle. En « autres mots, le résultat de l'acte sexuel doit être la conception [30].

Thomas d'Aquin n'aurait pas trouvé mieux ! Mais qu'en auraient dit Inessa Armand ou Alexandra Kollontaï qui se plaignaient déjà de l'indifférence du parti envers ce quelle appelait la crise sexuelle

D'où vient donc notre impardonnable indifférence envers l'une des tâches essentielles de la classe ouvrière ? Comment s'expliquer la relégation hypocrite du problème sexuel dans le casier des affaires de famille ne nécessitant pas un effort collectif ? Comme si les rapports entre les sexes et l'élaboration [185] d'un code moral réglant ces rapports n'apparaissaient pas dans tout le cours de l'histoire comme l'un des facteurs invariables de la lutte sociale ; comme si les rapports entre les sexes, dans les limites d'un groupe social déterminé, n'influaient pas fondamentalement sur l'issue de la lutte entre les classes sociales adverses [31].

Mais si Kollontaï recherche l'égalité sexuelle pour les femmes à travers la collectivisation des travaux domestiques et leur pleine intégration au circuit du travail social « productif » pour offrir à « l'humanité libérée » un « amour authentiquement libre et les joies d'une maternité libre et saine [32] », elle échoue à dépasser l'économisme de l'ensemble de l'approche matérialiste marxiste. La hiérarchie travail productif-travail improductif s'étend pour elle aussi au rapport travail-vie ; l'économie prime sur la sexualité, bridée, réduite à l'amour-camaraderie », « amour-jeu » admis à se glisser dans les interstices de la vie dite active mais condamné à rester en deçà de « l'amour-passion » contraire aux intérêts du parti [33].

Au-delà de la sujétion des « passions », de la subordination de « l'égoïsme privé » à l'intérêt public, c'est l'assujettissement à l'État qui ne tardera pas à renaître des cendres encore chaudes de la Révolution. Les femmes resteront seules responsables de ce que des théoriciennes américaines qualifient de sex-affective production, désignant par là non seulement le fait de porter des enfants mais celui de les élever et de leur fournir comme à ses parents ou intimes soins personnels, affection ou satisfaction sexuelle [34].

L'expérience ne tarda pas d'ailleurs à démontrer aux bolcheviks qu'indépendamment des coûts associés à la collectivisation des soins aux enfants et de l'entretien de la force de travail, la socialisation ne pouvait satisfaire les besoins d'attention constante et spécifique des bébés et des enfants, pas plus que des bordels communaux ne pourraient satisfaire les besoins de privauté et d'intimité des adultes. En effet, la sexualité n'est pas qu'une fonction physiologique mais implique la satisfaction de besoins affectifs par l'établissement des liens personnels suivis avec le ou les partenaires sexuels.

Les dirigeants soviétiques revinrent donc à la famille traditionnelle comme solution de ces deux problèmes mais il ne leur vint pas à l'esprit que les hommes sont tout aussi aptes, moyennant un apprentissage adéquat, à participer aux tâches liées à la reproduction de la vie que les femmes le sont à s'intégrer au travail social. En l'absence d'interrogation concernant le rapport hommes-femmes, le matérialisme réducteur de la production des richesses réaffirma sa prépondérance sur la matérialité prétendûment instinctive ou infrasociale des rapports « privés » entre individus sexués. Au lieu d'inviter les hommes à partager avec les [186] femmes les tâches liées à la satisfaction des besoins émotionnels et matériels des enfants comme d'eux-mêmes, la vieille formule du « repos du guerrier » prévalut de nouveau. La famille redevint cette unité de production et reproduction domestique où le travail et le corps de la femme sont appropriés par son conjoint, ce qui commande sa position subordonnée dans cette cellule sociale de base.

Les pulsions de l'éros retrouvaient le cadre contraignant de la morale dite « naturelle » et non plus bourgeoise, (c'est le féminisme qui est bourgeois, c'est bien connu), commune à tous les régimes patriarcaux dont l'État constitue le garant obligé. De même que, sans transformation des structures de l'économie, la domination politique de la classe au pouvoir persiste malgré tous les mécanismes formels de la démocratie ; de même,, sans transformation des structures du rapport hommes-femmes, Mat s'affirme comme l'instrument de répression nécessaire des pulsions qualifiées d'égoïstes sinon de bestiales de l'ensemble des citoyens. Les femmes font bien sûr plus spécifiquement les frais de cet enfermement de tous dans des rôles types précodés et régis au besoin par la violence. Mais l'échec de la tentative de révolution des formes de la famille dite bourgeoise - et plutôt patriarcale - se double de l'incapacité de réaliser l'émancipation des citoyens-citoyennes de la tutelle de l'État sans tenir compte de la composante sexuelle de l'égalité socio-politique.

À partir du moment où la moitié féminine de la population se voit nier la liberté d'assumer d'avoir ou non des enfants, les conditions mêmes de l'enfermement de ces êtres humains - donc capables de résistance - dans une condition sexuelle passive dictent la résurgence de la famille hiérarchisée comme cellule de base d'une société autoritaire et répressive. L'autorité de l'homme sur la femme, des parents sur les enfants, devient la matrice de l'ensemble des rapports d'inégalité oppressifs dont l'État est le verrou.

L'appropriation du travail des femmes au sein de la famille, la négation de leur initiative en matière de rapport à la sexualité comme à la maternité, loin d'être de simples effets de leur condition de « non-travailleuses » sont le fondement de l'oppression politique comme de l'exploitation économique d'humains par d'autres. La division sexuelle du travail est le premier mode d'instauration de la stratification sociale sous l'empire de la domination. La supprimer est une condition aussi nécessaire de la disparition de l'État que la suppression de l'appropriation privée (par un capitaliste individuel ou collectif) des moyens de production. Car avec l'apprentissage des rôles sexuels stéréotypés, l'enfant de sexe mâle ou femelle fait l'apprentissage de la domination et de l'assujettissement. Il intègre à la construction de sa personnalité la dialectique de l'oppression d'un sexe sur l'autre, des forts sur les faibles, des grands sur les petits, etc., construisant par là même son identité sociale sur la base de son intériorisation de la dialectique du maître et de [187] l'esclave et s'acceptant comme dominant ou dominé selon le sexe d'abord, l'âge ensuite, puis la race, la culture, la richesse, etc.

C'est ainsi que l'État se nourrit de notre conformisme sexuel et social. Nous en sommes tous les cellules dans la mesure où nous nous réprimons nous-mêmes pour nous ajuster aux images de virilité ou de féminité que nous avons intégrées pour correspondre le plus possible à des modèles imposés qui sont l'expression historique des multiples formes qu'adopte l'État pour nier notre individualité, briser notre résistance et faire de nous-mêmes les premiers instruments de notre aliénation. Les hommes y gagnent un statut sexuel dominant mais c'est au prix de leur acceptation de la loi patriarcale qui implique la soumission au chef, que celui-ci prenne le visage du père, du patron, du parti ou de l'État.

Pour la majorité d'entre eux, cela signifie leur acceptation de la férule d'hommes supérieurs, leurs dirigeants, plus vieux, plus forts, plus riches ou plus savants, les maîtres de la cité. Leurs velléités de résistance se heurtent constamment à leur respect « inné » de la hiérarchie, la permanence du rapport dirigeant-dirigé leur apparaissant aussi inéluctable que l'infériorité « biologique » des femmes.


La conscience
ne nous vient pas de l'extérieur


Les femmes étant aussi humaines que leurs maîtres, elles aussi résistent mais elles n'ont pas le même intérêt à préserver un ordre qui ne leur offre pas de privilèges. L'histoire de l'humanité n'est pas seulement l'histoire de la lutte des classes mais également d'une série d'affrontements entre les femmes et le système de domination patriarcal forcé d'emprunter sans cesse de nouvelles formes pour juguler leur révolte. Il lui a fallu successivement céder au moins partiellement à leurs pressions pour la liberté de choix de leur conjoint, pour le divorce, pour la contraception et l'avortement, pour le droit de vote, pour l'égalité de salaires, contre la violence, de crainte de perdre tout contrôle sur elles. Mais les réformes mises de l'avant parviennent de moins en moins à masquer le caractère social du patriarcat comme mode d'appropriation du travail et du corps d'un sexe par l'autre. Elles ne parviennent plus à masquer la répression dont nous sommes l'objet, la violence que nous subissons ou qui menace de s'abattre sur nous dès que nous oublions où est notre place :

[188]

Savoir où est sa place, c'est le message du viol, le même message que les lynchages transmettaient aux Noirs. Ni le lynchage, ni le viol ne sont des actes spontanés ou sexuels. Tous deux sont des actes de terrorisme politique, consciemment et inconsciemment destinés à maintenir par des rappels « à l'ordre » constants, une collectivité entière à sa place. Les attitudes racistes et sexistes sont si inextricablement nouées dans le viol, qu'il en devient l'expression symbolique parfaite de ce qu'il y a de pire dans notre culture [35].

La protection du père, du mari, du conjoint ou de l'État ne nous est assurée qu'à titre conditionnel, les femmes battues, mutilées, harcelées, violées témoignant de l'actualité pour nous toutes du dicton « malheur aux vaincus ». La dimension sexuelle de notre oppression, l'étroitesse et l'insuffisance du concept de classe en ce qui nous concerne, ne peut nous échapper ne serait-ce que parce que la prostitution manifeste trop clairement la spécificité de notre condition socio-sexuelle :

Les prostituées existent pour servir les hommes sexuellement. Les prostituées existent seulement à l'intérieur d'un cadre de domination sexuelle mâle. De fait, hors ce cadre, la notion de prostituées serait absurde et l'usage des femmes comme prostituées impossible. Le mot putain est incompréhensible àmoins que l'on soit immergé dans le lexique de la domination mâle. Les hommes ont créé la catégorie, le type, le concept, l'épithète, l'insulte, l'industrie, la marchandise, la réalité de la femme comme prostituée [36].

À travers la lutte actuelle des femmes contre la pornographie, représentation, au sens étymologique, des « moeurs » des prostituées [37], l'idéologie d'une culture qui encourage et légitime le viol, les voies de fait et les autres crimes violents contre les femmes [38], c'est une offensive dirigée contre toutes les femmes qui est dénoncée. Aux États-Unis, l'industrie de la porno, en pleine croissance, est déjà plus importante que celles du disque et du cinéma réunies. Un milliard des deux milliards et demi ou plus de profits réalisés chaque année provient de l'exploitation des moins de 16 ans, confirmant, s'il en était besoin, l'extension de la domination à l'ensemble des êtres sexuellement vulnérables à commencer par les enfants des deux sexes [39].

Le fait que la pornographie soit largement perçue comme « expression de l'érotisme » signifie seulement que l'abaissement des femmes est pris pour le réel plaisir sexuel [40].

[189]

Saluer cette forme « industrie comme l'incarnation de la liberté sexuelle, - celle des hommes de révéler les femmes à leur désir masochiste de soumission - est tout aussi significatif de la poursuite de la guerre des sexes dans nos sociétés dites civilisées que le maintien de pratiques de mutilation sexuelle du clitoris des femmes sous d'autres cieux. Ici on craint la censure, là, on invoque le respect de cultures qui ont en commun avec la nôtre d'attendre des femmes qu'elles intériorisent la répression dont elles sont l'objet au point d'y participer. Témoin, ce commentaire d'un ethnologue contemporain :

[...] on ne lit pas sans un certain malaise des affirmations péremptoires déclarant tout net que l'excision « demeure [...] une des plus crapuleuses bassesses engendrées par la mentalité humaine primitive ». [...] En fait et pour autant qu'on puisse en juger objectivement, [...] l'excision est un rite de socialisation [...] Tout est centré sur le rôle que la société confie à l'homme et à la femme, rôle monovalent qui amène la pratique sociale à délivrer l'individu des tendances attribuées à l'autre sexe pour qu'il puisse agir et sentir comme si elles n'existaient plus en lui... On est homme ou femme, chacun déterminé dans son être et sa sexualité et il ne faut rien de plus [41].

« Rien de plus », « objectivement »... décidément, nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde. Dans le cas de la pornographie, puisque là aussi le bât blesse, c'est moins la censure qui fait problème que l'indifférence face aux violences exercées sur des femmes réelles, nos soeurs, payées ou non pour s'y soumettre.

Ces formes de violence exercées réellement, ou sur le mode de la consommation symbolique par les hommes, sont aux rapports sexuels ce que l'État est aux rapports de classe. Elles perpétuent la domination patriarcale tout aussi sûrement que l'État incarne la dictature de classe même quand l'usage de la violence physique y reste à l'état de menace latente. L'apostrophe d'Hubertine Auclair aux membres d'un congrès international ouvrier en 1879 reste actuelle :

Si vous, prolétaires, vous voulez aussi conserver les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges de classe [42] ?

Peut-on scientifiquement prétendre résoudre l'énigme de l'État, supprimer les liens entre la politique et la guerre sans supprimer la base même de notre incapacité acquise à concevoir la différence sexuelle, autrement que sur le mode de la hiérarchisation et de la domination ?

[190]

À moins de consentir à l'effort de théorisation et d'organisation nécessaire pour effectuer une jonction révolutionnaire entre le mouvement d’émancipation du prolétariat et le mouvement féministe, la démocratie restera un vain mot dans la bouche de dirigeants qui ne seront jamais que nos oppresseurs.



[1] Germaine Greer, La femme eunuque, Paris, Laffont, 1971, p. 404.

[2] C. Delphy, « L'ennemi principal », dans Partisans, libération des femmes, Paris, Maspero (petite collection no 106), p. 119.

[3] A. Kollontaï, Conférences sur la libération des femmes, Paris, Éd. la Brèche, 1978, p. 139-140 et p. 220.

[4] Ibid., p. 262.

[5] Ibid., p. 217.

[6] Ibid., p. 228.

[7] Ibid., p. 187.

[8] Ibid., p. 200-201. Les soulignés sont de nous.

[9] C. Delphy, op. cit., p. 135.

[10] K. Marx, Les Manuscrits de 1844, Paris, N.R.F., tome 1, p. 62. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] Des années plus tard, cela donnera : « Les dames n'ont pas de raison de se plaindre de l'Internationale qui a élu l'une d'elles [...] au Conseil général. Le progrès social se mesure à la position sociale du beau sexe (les laides y comprises). Lettre à Kugelmann, dans L'émancipation de la femme, Paris, Ëd. sociales, p. 91. Cité dans C. Delphy, op. cit., p. 164.

[11] C. Zedkin, Batailles pour les femmes, Paris, Éd. sociales, 1980, p. 185-186.

[12] Ibid., p. 187-188.

[13] V.I. Lénine, Sur l'émancipation de la femme, Moscou, Éd. du Progrès, 1973, p. 85.

[14] G.W. Lapidus, Women in Soviet Society, Equality, Development and Social Change, Berkeley, U.C.L.A., 1978, p. 305 et p. 130 et suiv.

[15] Voir le tableau 14, ibid., p. 172.

[16] Ibid., p. 133. Voir également A. Rind, Être femme à l'Est, Paris, Stock, 1980.

[17] A. Kollontaï, op. cit., p. 172.

[18] Voir S. Blaise, Des femmes de nulle part, Paris, Éditions Tierce, 1981 ; S. Rowbotham, « Mouvement des femmes et luttes pour le socialisme », dans Nouvelles questions féministes, no 2 ; L. Sargent dir., Women and Revolution. A Discussion of the Unhappy Marriage of Marxism and Feminism, Montréal, Black Rose, 1981, et N. J. Sokoloff, Between Money and Love. The Dialectics of Women's Home and Market Work, New York, Praeger Special Studies, 1980.

[19] F. d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort, Paris, Pierre Horay, 1974, p. 119.

[20] H. Hartmann, « The Unhappy Marriage of Marxism and Feminism : Towards a More Progressive Union », dans L. Sargent, dir., Women and Revolution, op. cit., p. 21-22.

[21] A. Popkin, « The Personnal is Political : The Women's Liberation Movement », dans D. Cluster, dir., They Should Have Served that Cup of Coffee, Boston, South End Press, 1979, p. 199-200.

[22] Pour une discussion plus extensive de ce concept voir G. Rubin, « The Traffic in Women : Notes on the « Political Economy » of Sex », dans R.R. Reiter, Toward an Anthropology of Women, New York et Londres, Monthly Review Press, 1975, p. 157-210. G. Rubin choisit de restreindre le concept de patriarcat à son acception classique mais nous croyons qu'elle néglige ce faisant la puissance évocatrice d'un terme politiquement lourd de sens au profit d'une désignation plus rigoureuse peut-être mais qui a le défaut de sa neutralité sémantique.

[23] Voir R. Reiter, op. cit. et les travaux de C. Meillasoux, Femmes greniers et capitaux, Paris, Maspero, 1975 ; E. Reed, Féminisme et anthropologie, Paris, Denoël Gonthier, 1976 et M. Stone, Quand Dieu était femme, Montréal, Éd. l'Étincelle, 1979.

[24] C. Meillasoux, op. cit., p. 67.

[25] Voir les travaux de P. Aries, L'enfant et la famille sous l'ancien régime, Paris, Seuil (coll. Points-histoire), 1973 ; de É. Badinter, L'amour en plus. Histoire de l'amour maternel du XVIle au XXe siècles, Paris, Flammarion, 1980 et de E. Shorter, Naissance de la famille moderne, Paris, Seuil (coll. Points-histoire), 1977.

[26] Selon l'éditorial de la Pravda du 8 mars 1977 cité p. 87 par A. Holt, voir la note 30 ci-dessous.

[27] G. Lapidus. op. cit., p. 323, note 88. Propos recueillis dans une entrevue avec un membre du praesidium du Comité des femmes soviétiques.

[28] I. Armand, citée dans T. Yedlim, dir., Women in Eastern Europe and the Soviet Union, New York, Praeger Special Studies, 1980, p. 91.

[29] Cette organisation formée en 1919 dans le but de faciliter l'éducation et la mobilisation des travailleuses et des paysannes fut établie sur des bases non mixtes pour des raisons strictement tactiques face à la timidité des femmes et à la réticence des hommes à les laisser participer à des organisations mixtes. Elle disparaîtra en 1930 sans que sa représentante ait jamais été admise à assister aux réunions de l'orgburo (bureau exécutif) au même titre que les autres représentants des divers départements du comité central.

Tout au cours de son existence et malgré la loyauté au Parti de ses dirigeantes, elle sera en butte à la méfiance des autorités, surtout au niveau local, et à la franche hostilité des paysans. Pendant la seule année 1928, 203 de ses militantes furent assassinées en Ouzbekistan parce que « féministes ». Voir G. Lapidus, op. cit., chapitre 1, plus particulièrement p. 69-70 et R.H. McNeal, « The Early Decrees of Zhenotdel », dans T. Yedlin, dir., op. cit., p. 75-86.

[30] Selon un article publié dans le journal du Zhenotdel, Rabotnitsa 38, 1927, p. 16, cité et souligné dans H. Alix, « Marxism and Women's Oppression- Bolshevik Theory and Practice in 1920's », dans T. Yedlin, dir., op. cit., p. 101.

[31] A. Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle, Paris, Maspero (petite collection no 182), p. 169-170.

[32] Ibid., p. 93.

[33] Ibid., p. 193-203.

[34] A. Ferguson et N. Folbre, « The Unhappy Marriage of Patriarchy and Capitalism », dans Women and Revolution, p. 314.

[35] R. Morgan, « La pornographie et le viol : théorie et pratique », dans L. Lederer, (textes réunis par), L'envers de la nuit. Les femmes contre la pornographie, Montréal, Éd. du Remue-ménage, 1983, p. 149.

[36] A. Dworkin, Pornography. Men possessing Women, New York, Putnam's Sons, A Perigee Book, 1981, p. 200.

[37] Ibid., p. 200-201.

[38] L. Lederer, op. cit., p. 18.

[39] A. Dworkin, op. cit., p. 201 et F. Rush, « L'exploitation des enfants dans la pornographie », dans L. Lederer, op. cit., p. 82.

[40] A. Dworkin, op. cit., p. 201.

[41] R. Luneau, Chants de femme du Mali, Paris, Luneau Ascot Éd., 1981, p. 40-41.

[42] Cité dans S. Blaise, op. cit., p. 37.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 5 février 2011 19:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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