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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L’au-delà de la technique et de son autre ” (2000)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Savary, “ L’au-delà de la technique et de son autre ”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Serge Cantin et de Robert Mager, avec la collaboration de Serge Savary, L'autre de la technique. Perspectives multidisciplinaires, chapitre 9, pp. 221-257. Québec: Les Presses de l'Université Laval / L'Harmattan, 2000, 340 pp. Collection : Mercure du Nord. [Autorisation accordée par le professeur Claude Savary le 5 novembre 2004]

Introduction

Le savant n'étudie pas la nature parce que cela est utile; il l'étudie parce qu'il y prend plaisir et il y prend plaisir parce qu'elle est belle. Si la nature n'était pas belle, elle ne vaudrait pas la peine d'être connue, la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue.

Henri POINCARÉ


Le sens de mon propos sera le suivant: on a l'habitude de présumer que ce qui importe ou doit retenir l'attention, c'est le fait d'une opposition entre la technique et l'art - pour nommer «l'autre» de la technique - ou, entre les deux, d'une différence que l'on durcit. Ce que je vais essayer de montrer, c'est qu'il est plus fécond de les rapporter tous deux à une situation commune, situation dans laquelle ils seront mieux compris, et sera aussi mieux comprise la condition humaine.

La posture de ce qu'on nomme aujourd'hui la technique, et ses relations avec les autres dimensions de notre activité mentale, ce sont là des choses dont les configurations ont considérablement varié au cours de l'histoire. On peut le voir, par exemple, par cette description d'Aristote au premier livre de la Métaphysique: «Puis les arts nouveaux se multiplièrent, dirigés, les uns vers les nécessités de la vie, les autres vers son agrément; or toujours les inventeurs de ces derniers arts ont été considérés comme plus sages que les autres, et cela, parce que leurs sciences ne tendent pas à l'utilité». (A, I, 981b17) Dans ce texte, deux domaines qui pour nous sont fort distincts, si ce West opposés, la technique et les arts, sont réunis dans la même classe. Car, en effet, il n'y a pas pour les Grecs un équivalent de notre concept d'art (1). Il est fort probable qu'ils n'avaient pas non plus notre concept de technique. Notre étonnement grandit encore lorsqu'on s'aperçoit qu'Aristote utilise le mot c'est-à-dire technique, pour désigner l'art (2).

Dans la manière aristotélicienne de décrire l'activité des agents humains en général, ce qui est distingué, ce n'est pas la technique et l'art, mais l'activité qui produit une oeuvre distincte de l'agent et l'activité «qui n'a d'autre fin que l'action intérieure, immanente (3)». À certains égards, cette dernière distinction, celle d'Aristote, est plus moderne que la première, celle qui oppose ou sépare la technique et l'art. Ce que je nomme «moderne» et «plus moderne» est à entendre de la manière que voici: je suppose qu'est «moderne» ou «plus moderne» une réflexion pour laquelle la technique et l'art - ou la science et l'art - font toutes deux partie de la culture. Je suppose qu'est moins moderne la réflexion qui identifie la culture avec l'art et en exclut - y oppose - la technique et la science.

Pour moi les activités mentales des agents humains seront distribuables en deux sous-classes: une première, celle par laquelle les représentations ou symboles sont constitutifs du savoir des agents humains, de leurs relations cognitives à leur environnement physico-pragmatique, c'est-à-dire les symboles qui déterminent la forme et la valeur pratiques des comportements, ceux-ci étant alors considérés exclusivement comme réactions plus ou moins appropriées à l'environnement, et comme moyens plus ou moins puissants de le contrôler (manipuler, modifier); une seconde, celle dans et par laquelle les agents communiquent entre eux, se comprennent et interagissent, par et dans laquelle les agents donnent sens au monde, à l'existence, à la vie sociale. Dans cette conceptualité je distingue, d'une part, la relation à l'environnement physique, empirique, la constitution d'un monde d'objets - et donc une élaboration de l'objectivité - et, d'autre part, la relation à l'environnement humain, la constitution d'un monde de sujets - et donc une élaboration de la subjectivité. Et si ce qui relève de la technique et ce qui relève de l'art se rencontrent et se rejoignent, c'est que les deux cheminement divergents que je distingue, dans l'objectif et dans le subjectif, sont aussi entraînés vers la convergence. On peut reformuler mon propos énonce au premier paragraphe en disant qu'il est plus fécond -et plus pertinent - de considérer que l'objectivité et la subjectivité sont en composition plutôt qu'en opposition.

Dans ma distinction, comme dans celle d'Aristote, les deux genres d'activités seront donc rapprochés plus que séparés. C'est ce que j'expliciterai plus loin. C'est ce qui me permettra de montrer pourquoi la technique et ce qu'on a coutume de présenter comme son autre - disons l'art ou l'éthique - sont deux activités à conjoindre plus qu'à séparer. C'est qu'elles sont toutes deux des médiations dans le couplage de l'agent humain et du monde; toutes deux renvoient à un motif qui leur est commun et que je désigne par l'expression «au-delà», un «au-delà» qui fait qu'une situation commune les produit.

Notes :

1. Voir Richard WOLLHEIM, Art and Its Object, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, pp. 103-104.

2. Si on cherche sous «technique» dans l'Index rerum d'un ouvrage sur Aristote, on nous dit «voir Art», comme dans Pierre AUBENQUE, Le problème de l'être cbez Aristote. Essai sur la problématique aristotélicienne, Paris, PUF, 1994, 551 p.

3. Je reprends les formulations du traducteur Tricot: ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, Paris, Vrin, 1959, p. 31. La distinction faite par Aristote suppose que son auteur a perçu les entités suivantes: des états mentaux, des représentations, des objets dans l'environnement, etc.; ce sont des notions que reprennent les analyses les plus récentes de l'action et des sujets connexes (un exemple parmi d'autres: Thomas BALDWIN, «Objectivity, Causality, and Agency», dans: Jose Luis Bermùdez, Anthony Marcel et Naomi Eilan [dir.], The Body and the Self, Cambridge, The MIT Press, 1995, pp. 107 ss.).

Retour au texte de l'auteur: Claude Savary, professeur de philosophie, UQTR Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 7:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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