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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rémi Savard, “Un projet d’État indien indépendant à la fin du XVIIIe siècle et le Traité de Jay”. Un article publié dans la revue RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, vol. XXIV, no 4, 1994, pp. 57-69. [Autorisation accordée par l'auteur le 15 novembre 2005 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Rémi SAVARD

Anthropologue, professeur retraité de l’enseignement,
Université de Montréal

Un projet d’État indien indépendant
à la fin du XVIIIe siècle et le Traité de Jay
”.

Un article publié dans la revue RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, vol. XXIV, no 4, 1994, pp. 57-69.


Introduction
Concurrence et alliances
Couronnes française et anglaise, autochtones, francophones des Pays d'en Haut et d'ailleurs (1670-1774)
Couronne anglaise, révolutionnaires américains, autochtones, francophones des Pays d'en Haut et d'ailleurs (1773-1915)
L'esprit et la lettre du traité de Jay

Références bibliographiques

« Acte authentique des six nations Iroquoises sur leur Indépendance » (Source : Roy 1922 : 109)
Carte 1.   Territoire approximatif de l'État indien conçu par les Britanniques
Carte 2.   proclamation royale de 1763 (adapté de Beaulieu, Cantin et Ratelle 1989 : 341 et Canada 1980 : 6)
Carte 3.   Frontières (Traité de Paris 1783) et forts britanniques en territoire américain (adapté de Harlow 1964, 2 : 667 et Trudel 1976 : 258)
Carte 4.   Frontière entre les colonies anglaises et les territoires indiens établie au Fort Stanwix. (adapté de O'Callaghan 1857 : 136)
Carte 5.   Acte de Québec 1774 (adapté de Canada 1980 : 6)
Carte 6.   Le rêve canadien de 1791 (selon R. Savard)

[57]


Introduction

La question de la « contrebande indienne » à travers la frontière canado-américaine ne date pas d'hier. Sans remonter au commerce dit « illicite » de la fourrure entre Ville-Marie et Albany, on peut affirmer sans crainte que, dès la fin du XVIIIe siècle, la porosité de cette frontière en faveur des Indiens habitant de part et d'autre a constitué l'écueil majeur à l'établissement de la paix entre la nouvelle république et son ancienne métropole.

Le problème revient périodiquement dans l'actualité, et chaque fois de façon plus aiguë. On entend alors mentionner le nom du juge en chef des États-Unis, John Jay, qui négocia avec son homologue britannique, Lord Grenville, les termes d'un traité - appelé depuis lors « traité de Jay ». Signé en 1794 ce traité visait surtout à régler le différent frontalier entre les deux pays. Le principal mandat du juge en chef Jay...

... était de déloger les négociants en fourrure de Montréal et les troupes de la garnison britannique du triangle qui s'étend entre le sud des Grands Lacs et le confluent du Mississippi et de l'Ohio [cartel] [...], mais aucun des signataires ne cherchait à se mettre en travers des chercheurs de fourrure et des intermédiaires indiens (pour la plupart iroquois à l'époque), auxiliaires indispensables du commerce des fourrures des deux côtés de la frontière. (Canada 1979 : ii)

Il arrive à certains leaders autochtones contemporains de déclarer avec assurance que la liberté de commerce transfrontalier leur est garantie par certaines clauses du traité. Peu familiers avec ce document, certains journalistes se précipitent alors en bibliothèque et concluent généralement sur un ton péremptoire qu'il n'en est rien, qu'il s'agit d'un traité entre le Canada et les États-Unis et que les Indiens n'ont à peu près rien à y voir, bref que ces chefs autochtones sont plus ou moins des demeurés. Le présent article entend situer le traité de Jay dans son contexte historique, afin de mieux comprendre sa portée actuelle. Sans donner raison ni aux uns ni aux autres, l'histoire semble pencher plus en faveur des leaders autochtones que de leurs contradicteurs. il ne s'agit pas ici de nous substituer aux juristes, pas plus cependant que de nous soumettre aveuglément à leur verdict en ces matières.


Concurrence et alliances

Dans la péninsule occidentale du continent eurasiatique, en 1492, l'étonnement était à peine retombé qu'éclatait une querelle entre le Portugal et l'Espagne au sujet des terres découvertes par Colomb. L'aventure américaine des Européens débutait ainsi sous le signe de la concurrence, laquelle demeurera une des clefs majeures permettant de comprendre la nature des rapports qu'ils établirent avec les autochtones. Un siècle plus tard, dans le Nord-Est américain, Français, Anglais, Hollandais et Suédois vinrent s'ajouter à la liste des convives au festin des Amériques. Face aux autres, chacune de ces entreprises coloniales relativement fragiles du XVIIe siècle se devait de proclamer jalousement sa souveraineté sur telle ou telle partie de l'Amérique et sur ses habitants, tout en démontrant au tribunal de Rome et à ses successeurs qu'elle n'empiétait ni sur les terres ni sur les nouveaux sujets de quelque autre Prince très chrétien de la petite péninsule. Mais pour avoir la moindre chance de demeurer dans la course, elles durent toutes et longtemps pouvoir compter sur des alliances avec [58] certains des peuples hôtes démographiquement plus importants, qu'il fallait alors traiter officiellement en égaux et vis-à-vis desquels il convenait de mettre en sourdine toute forme de prétention à une quelconque souveraineté européenne.

Un acte rédigé le 2 novembre 1748 par les notaires Dulaurent et Panet illustre bien cette dynamique. il s'agit du procès-verbal d'une réunion tenue ce jour-là dans la salle d'audience du château Saint-Louis à Québec. Environ quatre-vingts représentants des Senecas, des Onondagas, des Cayugas, des Oneidas et des Tuscaroras s'étaient rendus à l'invitation du commandant général de la Nouvelle France, le marquis de La Galissonnière [1]. Ce dernier déclara les avoir convoqués pour...

... demander si vous êtes sujets des anglois ainsy que j'ay ouï dire qu'ils le pretendent et suivant ce que m'ont mandé Mrs Clinton et Shyrley, Gouverneurs de Newyork et de Baston, dont Voici les Lettres où ils m'écrivent que vous êtes Vasseaux de la Couronne d'Angleterre et que vous êtes obligés d'aller en guerre pour les Anglois quand ils vous l'ordonnent. (Roy 1922 : 109)

carte 1

Territoire approximatif de l'État indien conçu par les Britanniques
(d'après Leavitt 1916 : 149 ; la lecture de cette carte est difficile)


Deux chefs iroquois, chacun parlant au nom d'une des moitiés regroupant chacune quelques nations membres de la Confédération, déclarèrent n'être les sujets de personne [2]. Ravi d'une telle réponse, Monseigneur le Commandant général exigea des notaires qu'ils prennent...

... acte de Tous ces discours et des réponses faites, par les dits deputés et approuvées par Tous leurs Confrères, Et a demandé qu'il fût signé de plusieurs des assistans sur tout de ceux qui entendent la Langue, [...] Et les dits deputez ez nommés ont, à leur égard, ne scachant ecrire, fait et Signé les marques de leurs Nations. (Roy 1922 : 109)

C'est ainsi que les représentants des divers monarques européens entretinrent durant plus de deux siècles des relations de type diplomatique avec les porte-parole de certains peuples autochtones, n'hésitant d'ailleurs pas à le faire à travers les protocoles alors en vigueur dans le nord-est de l'Amérique du Nord [3].

On s'éloignait sans doute ainsi de la coutume européenne voulant qu'un monarque ne négocie ni ne traite avec ses sujets. Mais outre qu'une telle norme ne pouvait prétendre à l'universalité, pas plus alors qu'aujourd'hui, il parait douteux qu'on puisse faire valoir maintenant une quelconque restriction mentale pour révoquer la portée d'une telle tradition qu'un intérêt avait jadis suggéré d'adopter.

En 1990, à l'occasion d'une décision unanime de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Sioui c. Procureur général du Québec et Solliciteur général du Canada, les juges devaient trancher, entre autres points, la question de la capacité des Wendats de convenir d'un traité avec les représentants de monarques européens. Le juge Antonio Lamer formula ainsi l'opinion du tribunal :

Je suis d'avis que les documents historiques nous permettent plutôt de conclure que tant la Grande-Bretagne que la France considéraient que les nations indiennes jouissaient d'une indépendance suffisante et détenaient un rôle assez important en Amérique du Nord pour qu'il s'avère de bonne politique d'entretenir avec eux [sic] des relations très proches de celles qui étaient maintenues entre nations souveraines. En effet, les métropoles faisaient tout en leur pouvoir pour s'assurer de l'alliance de chacune des nations indiennes et pour inciter les nations coalisées à l'ennemi à changer de camp. Ces efforts, lorsque couronnés de succès, étaient concrétisés par des rites d'alliance ou de neutralité. Cela indique clairement que les nations indiennes étaient considérées, dans leurs relations avec des nations européennes qui occupaient l'Amérique du Nord, comme des nations indépendantes. (1990, 1 R.C.S : 1052-1053)

Cette stratégie prit fin peu après la signature du traité de Gand entre les États-Unis et la Grande-Bretagne (1815). En passe de devenir la super-puissance européenne du XIXe siècle, cette dernière se sentait beaucoup moins vulnérable qu'à la fin du XVIIIe siècle (révolutions américaine et irlandaise, guerres napoléoniennes, blocus continental). Par ailleurs, les États-Unis, par ce traité, disaient renoncer définitivement à toute prétention sur la colonie canadienne. De plus, d'autres territoires coloniaux ailleurs au monde étaient venus remplacer avantageusement ceux que la Grande-Bretagne avait perdus en Amérique du Nord. Avec la concurrence entre les États-Unis et l'Angleterre disparaissait la nécessité pour chacune de ces nations d'entretenir des [59] alliances avec les peuples autochtones. Cependant, avant de faire place aux stratégies de remplacement et de tutelle mieux connues du public contemporain, celle des alliances atteignit durant ces dernières décennies des sommets que la mémoire collective s'est empressée d'oublier : la tension était alors si forte entre la nouvelle république et la Grande-Bretagne, que les politiciens de Londres et du Canada jonglèrent sérieusement avec le projet d'un État indien indépendant (carte 1) [4].


Couronnes française et anglaise,
autochtones, francophones des Pays
d'en Haut et d'ailleurs (1670-1774)

L'exploration française de l'intérieur du continent par Radisson, Des Groseilliers et quelques jésuites à partir du milieu du milieu du XVIIe siècle, profita surtout aux Britanniques qui, en 1670, en récoltèrent la Terre de Rupert [5]. Les autorités de la Nouvelle France se devaient donc de réagir ; le 3 septembre de la même année, l'intendant Talon nommait Simon-François Daumont de Saint Lusson « commissaire subdélégué "pour la recherche de la mine de cuivre au pays de Outaouas, Nez-Percés, Illinois, et autres nations découvertes et à découvrir en l'Amérique Septentrionale du côté du lac Supérieur ou Mer Douce" » (Lamontagne 1966 : 256) [6]. Neuf mois plus tard, soit le 14 juin 1671, Daumont de Saint-Lusson était au sault Sainte-Marie où il prenait officiellement possession des territoires alors dit « de l'ouest ». Comme le rapporte André Vachon, « quelques Français "qui étaient sur les lieux en traite" signaient l'acte de prise de possession » (Vachon 1966 : 405). Les Pays d'en Haut se peuplèrent bientôt de traiteurs et d'aventuriers français. Ainsi prenait peu à peu forme le Middle Ground cher à Richard White : « C'était à la fois une conséquence de la vie quotidienne et une conséquence de relations diplomatiques officielles entre des peuples distincts. »(White 1991 : 53)

À peu près au même moment les Hollandais quittaient définitivement l'Amérique du Nord. Neuwe Amsterdam devenait New York. La Couronne britannique, comme Louis XIV l'avait fait en 1663 pour les établissements français de la vallée du Saint-Laurent, avait commencé en 1664 à affirmer son autorité sur la Nouvelle-Angleterre jusqu'alors dominée par les Puritains et les Hollandais. Elle y parvient lorsque « Edmond Andros fut chargé par le duc d'York de gouverner sa colonie de New York après la seconde conquête de la Nouvelle Hollande en 1674 » (Jennings 1975 : 300). L'année suivante débutait ce qu'on a appelé la guerre du roi Philippe, surnom que les colons anglais donnèrent au chef des Wampanoags nommé Metacomet. Ce dernier avait pris la tête d'une vaste coalition indienne en Nouvelle-Angleterre, provoquée par la propagande puritaine ayant déjà eu raison des Pequots en 1636-1637, et qui menaçait depuis 1663 les wampanoags et leurs divers alliés (Jennings 1975 : 298). Andros fut le grand pourfendeur de ce qui était devenu pour les colons « une conspiration générale des païens contre les Anglais » (cité par Jennings 1975 : 307, ma trad.). Cette guerre entraîna non seulement la déroute des Amérindiens de la Nouvelle-Angleterre, mais aussi la suprématie de la colonie du duc d'York sur les autres établissements anglais.

Pour rétablir l'unité de cette Nouvelle-Angleterre démembrée, il suffisait à la Couronne britannique d'orienter les énergies de tous vers un ennemi commun : les Français, qui avaient débordé de la vallée du Saint-Laurent et dégustaient déjà ce pactole de la fourrure constitué du triangle formé par les Grands Lacs et les vallées de l'Ohio, de la Wabash, de l'Illinois et du Mississippi-Nord (carte 1). Franchir les Appalaches devint l'obsession des colons anglais et peut-être la principale motivation de leur engagement dans la guerre de Sept Ans qui a mené au départ de la France. Le gouverneur de la Galissonnière, que nous surprenions le 2 novembre 1748 à Québec en pleine rencontre diplomatique avec une délégation iroquoise, voyait en effet la vallée de l'Ohio comme la voie d'accès majeure au continent (White 1991 : 223). C'est pourquoi il ne négligeait rien pour obtenir l'alliance des Amérindiens indignés de voir de plus en plus de gens venir s'installer comme chez eux sur leurs territoires [7]. Selon Dionne, « à l'époque de la capitulation de Montréal, la révolte grondait chez les indiens depuis déjà une bonne quinzaine d'années » (Dionne 1991 : 133).

La nouvelle des capitulations de Québec (18 septembre 1759) et de Montréal (8 septembre 1760) mit quelque temps à parvenir aux commerçants français établis au sud des Grands Lacs. Ont-ils vraiment cru ensuite à la rumeur voulant que la France expédierait des troupes pour reprendre la vallée du Saint-Laurent ? Ne l'auraient-ils pas diffusée surtout pour fouetter l'ardeur de leurs alliés indiens, espérant ainsi contenir les Anglais et arriver à écouler leurs fourrures par le Mississippi ?

Après la reddition de Montréal, le personnel du ministère français des Colonies tenta jusqu'en août 1761 de soustraire la vallée de l'Ohio du territoire qui devait être cédé par un éventuel traité de paix avec l'Angleterre (Sosin 1958 : 187) :

En raison d'une situation militaire déplorable, les Français avaient accepté de perdre leur colonie américaine, mais leur ministre des Affaires extérieures, le duc de Choiseul, chercha à minimiser les pertes en affirmant qu'une grande partie des territoires situés à l'intérieur appartenaient à la Louisiane. En conséquence il se disait disposé à céder à la Grande-Bretagne la rive droite de l'Ohio jusqu'à dix lieues de la rivière Wabash. (Sosin 1960 : 10)

Deux mois après la signature du Traité de Paris (1763), « des ordres furent donnés [...] en vue de l'occupation militaire de la Floride et de la Louisiane à l'est du Mississippi » (Sosin 1958 : 190).

C'est alors que le chef outaouais Pontiac mit en marche « le seul plan raisonnable, celui de rétablir la suprématie française dans l'ouest et de faire encore une fois échec aux empiètements britanniques » (White 1991 : 186) [8]. Si bien que lorsque le Board of Trade rédigea durant l'été 1763, à la demande du Secrétaire d'État Egremont qui lui en avait [60] d'ailleurs dicté le contenu (Sosin 1960 : 55), un projet d'encadrement politique des territoires acquis lors de la signature du traité de Paris, il le fit « avec en toile de fond un soulèvement indien sans précédent, dont les succès initiaux laissaient présager sinon une défaite finale, du moins une victoire coûteuse pour l'Angleterre » (Dionne 1991 : 136). Selon Harlow,

La frontière américaine était en pleine anarchie. L'absence d'administration civile et d'une force organisée pour protéger la frontière avait laissé la bride sur le cou aux spéculateurs fonciers et aux trafiquants de fourrure sans contrôle : comme jamais elles ne l'avaient fait auparavant, les tribus indiennes joignirent leurs forces en vue d'une guerre redoutable contre l'homme blanc. (Harlow 1964, 2 : 666)


« Acte authentique des six nations Iroquoises
sur leur Indépendance »
(Source : Roy 1922 : 109)



Le Board of Trade proposa de réserver le « Nord-ouest » et le « Sud-Ouest » pour les indiens, et de laisser ce territoire de la Couronne sans autre forme de gouvernement civil. Egremont était d'un avis différent ; il proposait que le Territoire indien (Indian country), « même s'il devait être réservé à l'usage des autochtones, soit donné en partage au gouvernement de Québec » (Sosin 1958 : 192). Il n'y avait donc aucune divergence sur la nécessité de se concilier les Amérindiens. En raison de la mort subite d'Egremont en août 1763, de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de coalition (Bedford-Grenville) et de l'urgence d'agir, c'est dans la précipitation qu'on mit la dernière main au texte de la Proclamation royale rendue publique le 7 octobre 1763. La formule favorisée par le Board of Trade fut retenue (carte 2). on notera cependant que la proposition du Secrétaire d'État sera largement reprise par l'Acte de Québec voté au printemps de 1774, dont l'un des effets sera de rattacher le triangle de la fourrure (Pays d'en Haut) à la colonie de Québec.

Le texte final de la Proclamation trahit le souci des autorités britanniques d'offrir aux Amérindiens des Pays d'en Haut la même protection contre l'envahissement de leurs terres que celle jadis donnée par la « common law » à leurs congénères de la Nouvelle-Angleterre. William Johnson, chargé du Département du Nord, des Affaires indiennes, eut fort à faire sur le terrain pour substituer cet état d'esprit à l'approche revancharde des militaires. Ceux-ci incarnaient plutôt la rage et la frustration de l'expansionnisme des colons de la Nouvelle-Angleterre ; le général Amherst, qui souhaitait « extirper et enlever cette vermine » [9] (White 1991 : 288), et son subalterne, le colonel Bouquet, n'avaient pas hésité à utiliser des couvertures et des vêtements infestés de petite [61] vérole pour venir à bout des Amérindiens du Nord-ouest. Prenant connaissance du traité que le colonel Bradstreet avait négocié à Détroit avec les indiens confédérés, dans lequel la souveraineté britannique sur ces peuples était affirmée sans ambages, Johnson était d'avis que de telles expressions de soumission...

... s'étaient produites en raison de l'incompétence de l'interprète ou encore de quelque autre erreur ; car je suis parfaitement convaincu qu'ils n'ont jamais eu l'intention ou n'ont encore envisagé une telle chose, et qu'ils ne pourront être soumis à nos lois pour encore quelques siècles, qu'ils n'ont aucun mot susceptible de rendre même la notion la plus atténuée de sujétion, et si elle devait leur être complètement expliquée, tout autant que la nature de la soumission, de la discipline etc., cela pourrait produire des torts immenses. (cité par White 1991 : 294, ma trad.) [10]

Et Richard White conclut :

Johnson ayant laissé tomber les prétentions de Bradstreet à la souveraineté absolue sur les indiens, les contours politiques du pacte [« the political contours of the middle ground »] demeurèrent fondamentalement les mêmes qu'à l'époque des Français. Les Algonquiens devinrent les alliés des Britanniques. (White 1991 : 306)

En novembre 1768, au fort Stanwix, les Britanniques et les Amérindiens ont convenu d'un traité pour enrayer l'invasion des terres de l'ouest par les colons anglais (carte 4). La frontière coloniale, établie cinq ans plus tôt par la Proclamation royale, reculait ainsi vers l'ouesté

Quant à cette Proclamation de 1763, elle ne mit pas fin à l'influence française dans la vallée de l'Ohio. Au printemps 1765, les autorités britanniques étaient informées que :

... les Français fournissaient des marchandises aux tribus de l'Illinois et de l'ouest du Mississippi. À moins que les Britanniques puissent en faire autant, les autochtones pourraient être conduits à s'allier avec les Français et la sécurité à l'intérieur du pays être à nouveau menacée. (Sosin 1958 : 195).

En 1768, incapable de contrer l'agitation française dans l'Illinois, l'administration britannique songea à l'encadrer :

La région de l'Illinois présentait un problème unique en raison de l'influence des Français et des pertes qu'ils occasionnaient pour le commerce des fourrures. Pour contrer leurs activités, et en même temps maintenir l'autorité britannique, Gage proposa que les habitants soient rassemblés dans une colonie militaire, sous la conduite d'un gouverneur et d'un conseil désigné, ainsi que de prêtres nommés par l'Évêque de Québec. (Sosin 1958 : 199)

À la fin de 1773, par suite des pressions des Français de l'Illinois et des marchands anglais de Détroit, Londres décidait d'accorder des institutions gouvernementales aux francophones du nord et de l'ouest de la rivière Ohio. On hésitait cependant à créer une nouvelle colonie (Sosin 1958 : 206-207).

Les colons français de la vallée du Saint-Laurent Inquiétaient Londres eux aussi. Depuis déjà quelques années, dans les milieux politiques et militaires britanniques, les discussions allaient bon train sur la nécessité de diminuer les coûts de l'administration militaire prévue pour la colonie de Québec par la Proclamation du 7 octobre 1763. Des institutions plus représentatives justifieraient un financement populaire. Mais surtout, en ces temps troublés : « S'assurer de la coopération loyale des Canadiens français était essentiel non seulement pour garantir la sécurité de la Province, "mais avec elle celle de toutes les autres possessions de Sa Majesté en Amérique". » (Harlow 1964 : 682).

L'Acte de Québec de 1774 [11]...

... prévoyait un gouverneur militaire et un conseil, nommé par la Couronne et en possession de tous les pouvoirs législatifs. De plus la loi associait le droit criminel anglais et le droit civil traditionnel français, tout en accordant aux catholiques romains une tolérance complète ainsi que tous les droits légaux. (Sosin 1960 : 241)

Quant à l'extension des frontières, prévue par l'Acte de 1774, elle serait alors apparue au législateur anglais comme la façon d'assurer son autorité et les profits commerciaux tant dans la colonie de Québec qu'auprès des populations francophones des Pays d'en Haut et de la côte nord du golfe [62] Saint-Laurent (entre la rivière Saint-Jean et le détroit de Belle Isle). Les documents la présentent comme nécessaire :

Carte 2

proclamation royale de 1763

(adapté de Beaulieu, Cantin et Ratelle 1989 : 341 et Canada

A. Terre de Rupert (Hudson's Bay Co)

B. Territoire administré par la Couronne

C. Colonie espagnole

D. Colonie de Québec

E. Colonie de Terre-Neuve

F. Colonie de Nouvelle-Écosse

G. Anciennes colonies britanniques

H. Colonie de Floride de l'ouest

I. Colonie de Floride de l'Est



Carte 3

Frontières (Traité de Paris 1783)
et forts britanniques en territoire américain

(adapté de Harlow 1964, 2 : 667 et Trudel 1976 : 258)




A   Angleterre
B   Espagne
C   Vieux Nord-Ouest
D  Vieux Sud-Ouest
E   Anciennes colonies britanniques

a   Fort Michilimackinac
b   Fort Détroit
c   Fort Sandusky
d   Fort Presque-Isle
e   Fort Niagara
f   Fort Oswego
g   Fort Oswegatchie
h   Fort Pointe au Fer


... pour éviter les dangers et faire disparaître les désavantages qui sont la conséquence de l'état défectueux actuel de l'intérieur de la contrée ; pour y fortifier l'autorité et le pouvoir de la couronne ; pour étendre la protection d'un gouvernement civil sur les établissements des sujets canadiens qui y ont été formés et pour rendre stables et productives les pêcheries sédentaires sur la côte nord du golfe Saint-Laurent. (Short et Doughty 1921, 1 : 527) [12]


Couronne anglaise, révolutionnaires américains, autochtones, francophones des Pays d'en Haut et d'ailleurs (1773-1915)

L'Acte de Québec fit monter d'un cran l'ardeur révolutionnaire des anciennes colonies anglaises, que la Proclamation royale de 1763 avait déjà frustrées du triangle de la fourrure. Londres venait ainsi de se constituer une colonie loyale dont le territoire était plus grand que l'ensemble de ses treize anciennes colonies. Au surplus, cette loi du parlement impérial semblait bien céder aux Français et aux indiens les richesses du Nord-ouest, pour lesquelles les colons avaient jadis pris les armes (Harlow 1964 : 250) [carte 5]. Au surplus les troupes britanniques attaquèrent à Lexington le 19 avril 1775, soit onze jours avant que l’Acte de Québec n'entre en vigueur. La bataille de Bunker's Hill eut lieu en juin. « Le même mois le Congrès continental prit la décision d'envahir le Canada. » (Harlow 1964 : 714) Du côté américain, on était donc convaincu que le gouverneur Carleton préparait une attaque. Le 10 mai 1775, à Philadelphie, les délégués mettaient sur pied une confédération nommée « Colonies-Unies de l'Amérique du Nord » (Trudel 1976 : 81). Montréal tombait aux mains des rebelles le 13 novembre 1775. Le 18 juin suivant, peu après l'arrivée des troupes anglaises en mai, les rebelles retraitaient (Harlow 1964 : 214). Le 2 juillet 1776, les treize colonies faisaient l'unanimité en faveur d'une proposition d'indépendance. Deux jours plus tard le texte de la Déclaration rédigée par Jefferson [63] était approuvé (Trudel 1976 : 123-124). Le 3 septembre 1783 à Paris, face à un éventuel appui de l'Espagne (alors alliée de la France) aux colonies rebelles, l'Angleterre acceptait les termes d'un traité de paix avec ces dernières. La nouvelle république américaine venait ainsi d'arracher à l'Angleterre les terres situées entre les Grands Lacs et la vallée de l'Ohio (carte 3, C), soit l'enjeu de toutes les convoitises politiques et marchandes européennes depuis les premières explorations françaises. On imagine facilement le sort qui attendait la frontière prévue en 1768 par le Traité de Stanwix (carte 4).

Un autre épisode de l'histoire des Pays d'en Haut commençait. Le même scénario, mais cette fois avec des acteurs différents - malgré les frontières convenues lors du Traité de Paris de 1783, les forces britanniques refusaient de quitter leurs forts désormais situés sur le territoire de la nouvelle république (Berkhofer 1969 : 249 et suiv. ; Bemis 1962 : 4 ; Leavitt 1916 : 151-152 ; Short et Doughty 1921, 2 : 720, no 1 ; Trudel 1976 : 262-267). Comme l'avait fait le Ministère français entre 1760 et 1763. Comme des éléments francophones s'étaient longtemps encore accrochés au triangle formé par l'Ohio, le Mississippi et les Grands Lacs. Et pour le même type de raisons [13].


Carte 4

Frontière entre les colonies anglaises et les territoires indiens
établie au Fort Stanwix.
(adapté de O'Callaghan 1857 : 136)



carte 5

Acte de Québec 1774 (adapté de Canada 1980 : 6)

A. Terre de Rupert (Hudson's Bay Co)

B. Territoire administré par la Couronne

C. Colonie espagnole

D. Colonie de Québec

E. Colonie de Terre-Neuve

F. Colonie de Nouvelle-Écosse

G. Anciennes colonies britanniques

H. Colonie de Floride de l'ouest

I.  Colonie de Floride de l'Est



Selon Leavitt, le général Haldimand (commandant en chef des forces britanniques et gouverneur de Québec) s'efforça jusqu'en 1786 de conserver l'amitié des Amérindiens du Pays d'en Haut pour garantir la sécurité du Canada et le maintien du commerce de la fourrure : « Il suggéra également que les Britanniques conservent les postes frontières [14] et interdit aux Américains de façon stricte toute navigation sur les Grands Lacs. » (Leavitt 1916 : 15)

Haldimand, n'ayant pas reçu l'ordre de faire évacuer les forts, affirmait aux représentants des Six Nations iroquoises et des Amérindiens de l'Ohio qu'ils « détenaient des "droits exclusifs de propriété" sur les terres que leur avaient réservées le Traité de Stanwix » (Leavitt 1916 : 154 ; voir carte 4) [15]. Des Mohawks dirigés par le chef de guerre joseph Brant et quelques membres des autres groupes de la confédération iroquoise avaient accepté l'asile au Canada offert par Haldimand à la suggestion du Secrétaire d'État [64] Lord Sydney. En 1786, Lord Dorchester remplaçait Haldimand. L'hostilité envers les Américains venait maintenant surtout des Indiens de l'Ohio. À la demande de ceux-ci, la confédération iroquoise prit la tête de l'opposition à la pénétration des anciens colons anglais dans le triangle du Nord-Ouest. joseph Brant, beau-frère de Sir William Johnson, épousait ainsi, à son insu peut-être, la stratégie britannique visant à conserver ce réservoir de fourrures à la Couronne. Dès ce moment et jusqu'en 1790, la Grande-Bretagne prétendit attendre, pour rendre les forts et retirer ses troupes du territoire, que les Américains se conforment à l'article 4 du traité de 1783, selon lequel les signataires s'engageaient à ne mettre aucun obstacle légal au remboursement de toute dette contractée de bonne foi avant la signature du traité. On peut toutefois penser que l'argument ne servait qu'à gagner du temps. D'autant plus qu'on n'était pas sans savoir à Londres, comme l'explique Trudel, que la longue guerre avait réduit de beaucoup la valeur du dollar américain et que l'obligation de payer les dettes en livre sterling représentait un coût prohibitif pour la république naissante ; d'autant plus, ajoute-t-il, que « le Congrès général ne pouvait absolument rien pour amener les États à faciliter l'exécution de l'article 4, chacun des États étant pour ainsi dire indépendant au sein d'une confédération qui n'avait rien de défini » (Trudel 1976 : 264).

Parallèlement à ces discussions frontalières qui traîneront jusqu'au traité de Jay (1794), la Grande-Bretagne était aux prises avec une réforme constitutionnelle aussi délicate qu'incontournable dans la colonie canadienne : la minorité anglaise s'impatientait devant le traitement de faveur accordé par Londres à la majorité canadienne (reconnaissance du droit civil français et de la religion catholique), elle qui aspirait par ailleurs à une forme de gouvernement à la fois moins paternaliste et plus représentative (Harlow 1964, 2 : 714 et suiv.).

L'Angleterre se voyait mal refuser une telle mesure « démocratique » à ses loyaux sujets anglais, sans justement risquer de perdre cette loyauté si précieuse en ces temps difficiles pour elle. On était également soucieux de s'assurer celle des francophones et de leurs élites cléricales, de crainte de les voir rallier eux aussi la révolution américaine advenant une intervention de la France dans le conflit. Si on optait pour une législature représentative, deux possibilités s'offraient : soit une chambre dominée par les francophones, soit une forme de parité artificielle entre les deux groupes linguistiques au sein de cette chambre. Comme on l'avait souvent fait lors des discussions antérieures à l'Acte de Québec de 1774, on se mit à rêver de pouvoir assimiler les francophones. Mais les échéances ne permettaient pas d'attendre cet heureux événement : « Le Canada serait absorbé par les États-Unis, à moins que la colonie n'arrive à offrir des attraits supérieurs aux Canadiens français ainsi qu'aux entreprises des marchands britanniques et locaux. » (Harlow 1964, 2 : 724) Finalement, pressé par le temps comme c'est souvent le cas, le Parlement britannique vota en 1791 le nouvel acte constitutionnel. La colonie de Québec était alors scindée en deux provinces : le Bas-Canada et le Haut-Canada [carte 6].

Carte 6

Le rêve canadien de 1791 (selon R. Savard)



A. Bas-Canada

(populations francophone et indienne assimilables)

B. État indien

C. Haut-Canada

(population dominante)


On a vu comment les tensions intérieures, que souhaitait étancher cette législation, n'étaient que le corollaire de la guerre entre l'Angleterre et ses anciennes colonies.

C'est à partir de 1791, selon Leavitt, que la politique britannique abandonna l'idée de maintenir sa présence comme telle dans le triangle contesté, choisissant plutôt de faire la promotion d'un État-tampon indien indépendant (« a neutral barrier Indian state ») entre les États-Unis et le Canada (Leavitt 1916 : 152). La situation européenne laissait sans doute craindre que la France n'intervienne en Amérique en faveur des États-Unis.

Lord Henry Dundas, affecté au poste de Secrétaire d'État aux Affaires intérieures, le 8 juin 1791, en remplacement de Lord Grenville dès lors responsable du secrétariat aux Affaires extérieures, formulait en ces termes dans une lettre au gouverneur Dorchester les idées du gouvernement Pitt au sujet de ce projet d'État indien indépendant :

[65] Votre Seigneurie ayant déjà pris connaissance des intentions des serviteurs de Sa Majesté d'essayer de garder ce qui pourrait agir comme une barrière efficace et durable entre les territoires des États américains et les possessions de Sa Majesté dans cette région [...] L'idée proposée était que Sa Majesté et les États américains devraient s'entendre pour réserver à l'usage exclusif des Indiens une certaine portion de territoire comprise entre leurs frontières respectives sur toute l'étendue de celles-ci, portion de territoire au sujet de laquelle les deux parties devraient stipuler qu'elles ne permettraient à aucun de leurs sujets de garder ou d'acquérir aucune terre quelle qu'elle soit, et quoique, par suite d'une telle cession, les postes frontières actuellement aux mains de Sa Majesté seraient abandonnés, Votre Seigneurie semble d'accord avec eux que l'opposition à une telle mesure serait amoindrie par le fait que si les forts ne tombaient pas entre les mains des États américains, ils seraient néanmoins cédés dans le but même de devenir parties d'un tel territoire réservé à la possession paisible et indépendante des indiens.

En plaçant les Indiens dans une telle position Us deviendront une barrière naturelle contre les empiétements respectifs et, par le fait même, maintiendront une situation dans laquelle leur attachement et leurs dispositions amicales envers les sujets de Sa Majesté peuvent être d'une grande utilité... » (Leavitt 1916 : 175-176) [16]

Leavitt indique que, dès l'automne 1783, Haldimand avait déjà suggéré en ces termes l'idée d'un État indien neutre :

Ce serait certainement à l'avantage des deux nations, et cela représenterait très probablement le meilleur moyen de prévenir les jalousies et les querelles, que la région intermédiaire entre les limites assignées au Canada par le traité provisoire [17] et celles établies en 1768 comme cela a déjà été mentionné, devrait être considérée comme appartenant entièrement aux Indiens, et que ni les sujets de la Grande-Bretagne ni ceux des États américains ne devraient être autorisés à s'y établir, niais que les sujets de chaque partie devraient se voir reconnaître la liberté de faire le commerce où ils le souhaitent. (Haldimand to North, Nov. 27, 1783, in Leavitt 1916 : 175, note 1)

À l'automne 1791, le Secrétaire aux Affaires extérieures Lord Grenville demandait donc à George Hammond, alors chargé des Affaires des États-Unis dans le gouvernement britannique, de négocier cette « Independent Country » dans laquelle les Américains devraient renoncer à toutes possessions ou réclamations ainsi qu'à l'installation de forts (Leavitt 1916 : 176).

Si les résultats des négociations semblaient le justifier fi était autorisé à laisser aller les forts, pourvu que les Américains renoncent à toute revendication à leur sujet et les laissent « avec le reste du territoire en possession tranquille et indépendante des indiens ». (Leavitt 1916 : 176-177)

L'État-tampon, comme l'écrivait Leavit, devait garantir la sécurité canadienne et celle des territoires de chasse des Indiens. Les intérêts des commerçants britanniques seraient protégés grâce au contrôle des grandes voies de commerce : Saint-Laurent Grands Lacs, Mississippi et ses tributaires. En échange de ces avantages énormes, l'Angleterre céderait ses forts non pas aux Américains mais à ses alliés amérindiens.

Quant aux États-Unis, le projet anglais impliquait qu'ils devaient renoncer à tous les territoires au nord et à l'ouest des rivières Ohio et Muskingum, perdant ainsi l'accès aux lacs Érié, Huron, Michigan et Supérieur ainsi qu'aux cours d'eau les reliant. ils ne conservaient finalement que le droit de commercer dans le pays indien indépendant ! Les Britanniques exigeaient aussi la région située au nord et à l'ouest des rivières Fox et Wisconsin, entre le lac Michigan et le Mississippi, ainsi qu'une bande de terre à Détroit entre les lacs Érié et Huron, afin d'inclure des établissements canadiens dans le Dominion et de contrôler les deux rives des voies navigables reliant ces lacs. on comptait que la jeune république, en plus de se départir ainsi de territoires que le Traité de 1783 lui avait accordés, céderait aussi une région baignée par la section nord du lac Champlain « à titre de compensation pour les retards encourus lors des recouvrements de dettes » (Leavitt 1916 : 179).

L'Angleterre rêvait en grand. Ayant obtenu de l'Espagne la liberté de naviguer le long de la côte du Pacifique, elle souhaitait pouvoir relier ses colonies de l'Atlantique à ce qui est effectivement devenu beaucoup plus tard l'ouest canadien. Par ailleurs, elle aspirait au contrôle de la route commerciale du Sud par le Mississippi (Harlow 1964, 2 : 724-725).

Quand Hammond entreprit de tester de telles instructions auprès des Américains, il mit peu de temps à comprendre que le projet n'avait aucune chance d'être retenu par eux. Par ailleurs, la situation européenne créait beaucoup d'autres soucis à l'Angleterre ; en plus de l'Irlande, il y avait les guerres napoléoniennes qui risquaient, la France étant alliée aux États-Unis, de s'étendre à l'Amérique. or la guerre est coûteuse. D'autant plus qu'elle anéantirait le commerce anglo-américain, que ces tiraillements frontaliers n'avaient pas empêché de reprendre au lendemain du traité de 1783.

Le 19 novembre 1794 l'Angleterre et les États-Unis signaient le Traité d'Amitié, de Commerce et de Navigation (dit « traité de Jay »). L'article 2 prévoyait l'évacuation, le 1er juin 1796 ou avant, des troupes et des garnisons britanniques de tous les forts et établissements situés à l'intérieur des frontières définies en 1783 (Traité de Paris) (Bernis 1962 : 454-455). La Grande-Bretagne mettait donc de côté son projet d'État indien indépendant ; on le retrouva cependant de temps à autre dans la documentation du Foreign Office, et ce jusqu'aux négociations ayant conduit à la signature du Traité de Gand en 1815 (Bernis 1962. 362).


L'esprit et la lettre du traité de Jay

L'article 3 dispose de la question du commerce frontalier. Bien qu'il s'agisse d'un traité conclu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, « le peuple indien [y] est considéré comme un peuple distinct des sujets britanniques et des citoyens des États-Unis » (Canada 1979 : 11).

[66] Il est convenu qu'il sera en tout temps libre aux sujets de Sa Majesté et aux Citoyens des États-Unis, ainsi qu'aux Sauvages résidant sur l'un ou l'autre côté des frontières, de passer et repasser librement par terre ou par la navigation intérieure dans les territoires et pays respectifs des deux parties sur le continent américain (à l'exception exclusivement du territoire compris dans les limites de la Compagnie de la Baie d'Hudson) et de naviguer sur tous les lacs et rivières d'iceux et de s'adonner librement aux affaires et au commerce les uns avec les autres. (Bemis 1962 : 455-456, mes italiques et nia traduction largement inspirée de celle de Canada 1979 : 3) [18]

La formulation de ce premier paragraphe du troisième article laisse bien entendre que les indiens ne doivent être confondus ni avec les citoyens américains, ni avec les sujets de Sa Majesté. On leur reconnaît même explicitement, comme groupe, le droit de commercer avec les deux autres. De plus, un autre paragraphe du même article reconnaît aux Indiens comme tels et à eux seuls le droit de franchir la frontière dans les deux sens et sans frais de douane sur les biens emportés :

Aucun droit d'entrée ne sera imposé par aucune des parties sur les fourrures transportées d'un territoire à l'autre par voie terrestre ou par navigation dans les eaux intérieures, et les indiens passant et repassant avec leurs effets et marchandises propres de quelque nature que ce soit ne seront sujets à aucun droit ou impôt quelconque pour ces dits effets et marchandises. Mais les marchandises en ballots ou autres gros colis peu communs chez les Indiens ne devraient pas être considérés comme effets appartenant bona fide aux Indiens. (Bémis 1962 : 457, mes italiques et ma traduction inspirée de celle de Canada 1979 : 4) [19]

Pour comprendre le sens du passage en italiques, on a intérêt à consulter l'appendice III de Bernis, intitulé « Comparaison du projet de Jay du 30 septembre 1794 avec le Traité signé par Jay et Grenville le 19 novembre 1794 » (Bernis 1962 : 391-433). L'auteur y utilise un procédé d'édition pour distinguer ce qui se retrouve identique dans le texte du traité (souligné), ce qui s'y retrouve identique quoique formulé différemment (souligné par une ligne brisée) et ce sur quoi les Britanniques ont été intraitables (aucun soulignement) :

Les indiens habitant à l'intérieur des limites de l'une et l'autre partie seront en tout temps libres de passer et de repasser avec leurs marchandises propres et leurs effets, et de s'adonner à leur commerce à l'intérieur et à l'extérieur de la juridiction de chacune des dites parties, sans obstacle et sans molestation, ou sans être assujettis à aucun impôt quel qu'il soit - mais les marchandises en ballots (à l'exception des fourrures) ne seront pas considérées comme des effets appartenant bona fide aux Indiens - Pourvu cependant que ce privilège soit suspendu pour les tribus en guerre, et pendant le temps où elles sont en guerre, avec la partie chez laquelle ils habitent ou tentent de venir - Mais aucune des parties contractantes n'établira de liens politiques, ni ne conviendra d'aucun traité avec des indiens habitant à l'intérieur des limites du territoire de l'autre. (Bémis 1962 : 394-395) [20]

Le négociateur américain proposait aussi que chacun s'engage, en cas de guerre entre les deux pays signataires, non seulement à ne pas recourir à l'assistance d'indiens, mais même à refuser toute offre de la part de ces derniers. Proposition qu'on ne retrouve pas dans le texte final du traité. Ceci démontre bien que l'intérêt des Britanniques consistait à maintenir la possibilité d'une alliance future, aussi bien militaire que commerciale, avec les Indiens vivant du côté américain de la frontière.

Si les négociations entre les deux parties principales se sont déroulées dans une atmosphère d'amitié et de respect mutuel, 9 n'est pas sûr que leur conclusion soit favorable à la position de Jay. un document de négociation déposé par le juge en chef en septembre 1794 [il s'agit du document cité plus haut] diffère considérablement du traité signé (plus précisément, sur le point qui nous occupe, en ce qui concerne les garanties proposées par Jay pour s'assurer de la neutralité du peuple indien). il est prouvé que ce document n'a pas été soumis à l'appréciation du Congrès alors en train de siéger, car celui-ci n'aurait alors jamais accepté le traité définitif en raison des concessions évidentes qui ont été faites. Le délai de quinze mois entre la signature et la promulgation du traité montre bien que la ratification n'a pas été facile au Sénat et à la Chambre des représentants des États-Unis. Même après la proclamation du traité le 29 février 1796, les opposants à la Chambre des représentants se sont efforcés de s'y opposer en refusant de voter les crédits d'application qui n'ont été adoptés que par une faible majorité de trois voix. (Canada 1979 : 7-8)

Selon Bernis lui-même, le négociateur américain fut incapable de faire reconnaître le principe selon lequel une nation ne puisse s'immiscer dans les affaires des Indiens habitant le territoire de l'autre nation ; le négociateur britannique n'était pas prêt non plus à accepter l'idée que chacun des gouvernements s'efforce d'empêcher ses Indiens de s'en prendre à l'autre, pas plus qu'il n'était d'accord pour se priver d'alliances indiennes en cas de guerre contre les États-Unis :

Le refus britannique de donner son accord à ces derniers principes était sans aucun doute relié à l'espoir du « Foreign Office » qu'il pourrait y avoir une chance de mettre en place l'État tampon indien neutre [« the neutral Indian barrier state »] avant l'évacuation des postes, en juin 1796, selon les termes du nouveau traité. (Bemis, l962 : 359-360)

Parce que son pouvoir de négociation était limité, l'Angleterre a dû renoncer à son projet d'État indien indépendant. Quitte, comme le croyait Bernis, à le ramener éventuellement sur le tapis lorsque les circonstances seraient plus favorables : « il est revenu de temps à autre sur les cartes et les plans du "Foreign Office" jusqu'à ce que les négociations du traité de Gand en 1815 en consacre la disparition définitive. » (Bernis 1962 : 362) On ne soulignera jamais assez qu'il représentait alors, aux yeux des Britanniques eux-mêmes, la meilleure garantie de protection de leurs intérêts dans la région. Leurs négociateurs sont néanmoins parvenus à maintenir pour les Indiens une situation s'apparentant à celle que leur aurait donnée l'État indépendant, en tout cas assez pour que le public américain en tienne rigueur à Jay.

Au lendemain du traité signé à Gand en 1815, les États-Unis renonçaient à toute prétention sur le territoire de la colonie canadienne. Napoléon avait quitté la scène européenne. L'Angleterre était déjà une grande puissance impériale, [67] avec tout ce que cela signifie de sécurité et de confiance en l'avenir, aussi bien en Europe que dans son « empire colonial en voie d'accroissement alors même que les empires portugais et espagnol sont à la veille de s'effondrer » (Marx 1990 : 188). Elle entreprit alors de liquider sa politique d'alliance avec les nations autochtones d'Amérique, ce qui n'est pas sans mettre en relief l'importance stratégique que ces alliances avaient eue jusque-là.

Le traité de Jay a donc été l'un des derniers de cette longue série de gestes inspirés par une tradition remontant aux toutes premières entreprises coloniales dans le Nord-Est américain et selon laquelle, pour citer à nouveau le juge Antonio Lamer de la Cour suprême, « les nations indiennes étaient considérées, dans leurs relations avec des nations européennes qui occupaient l'Amérique du Nord, comme des nations indépendantes ». (1990, 1 R.C.S : 1052-1053)

C'est dans ce contexte historique et politique que fut négocié et finalement formulé le traité de Jay. On y trouve en effet non seulement l'esprit mais jusqu'à un certain point la lettre de ce réalisme politique ayant prévalu jusque vers 1815.

Ces événements devraient aussi en faire réfléchir plusieurs, chez les Amérindiens et ailleurs, en cette période d'indépendance québécoise appréhendée et de rhétorique d'alliance retentissant de part et d'autre d'une éventuelle frontière. Aux autochtones, le contexte pourrait fournir des conditions de négociations qui ne reviendront pas de sitôt ; les souverainistes n'auront jamais autant besoin de leur appui pour se blanchir devant l'opinion publique internationale. Quant à la sympathie des fédéralistes à leur endroit, elle fondra comme celle des Britanniques pour joseph Brant et les siens dès que la menace de sécession québécoise aura disparu soit par résorption, soit par accomplissement. Plutôt que de servir de haut-parleurs aux intérêts canadiens, ils auraient intérêt à forcer les souverainistes québécois à préciser leurs promesses pré-référendaires jusque dans les moindres détails et à s'engager de façon claire, devant l'opinion publique internationale, à s'y conformer. Aux Canadiens et aux Québécois, l'occasion pourrait être bonne de commencer à inventer des formules aussi contemporaines qu'inédites pour enfin gérer dans l'honneur et la dignité, en dehors de toute forme de tutelle, nos rapports avec les peuples autochtones.


Ouvrages cités

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[69]

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[1] Le Marquis « ... était entouré de l'intendant Bigot, de M. Pierre de Rigaud de Vaudreuil, lieutenant de [sic] roi de Québec, de M. jeanVictor Varin, commissaire-ordonnateur à Montréal, de Paul de Bécard de Fonville, Gaspar Chaussegros de Léry, Daniel Liénard de Beaujeu, Louis de Chapt de Lacorne, Pierre de Chapt de Lacorne, Philippe Thomas de Joncaire, Le Gardeur de Montessori, Dagneau Douville, Louis d'Ailleboust, Philippe Dagneau de la Saussaye, Louis Le Cavelier, etc., tous officiers dans les troupes du détachement de la marine » (Roy 1930 : 187).

[2] « Alors Les dits Chefs ont délibéré quelque Temps entr'eux, après quoy Cachouintioui chef des Onontagés, parlant au nom de Son Village et de celuy des Tsonontoüans [Sénécas], a dit qu'autrefois il n'y avoit point de blancs dans tout ce continent, mais que depuis environ cent ans il s'en étoit établis tant françois qu'anglois, Qu'ils avoient lié commerce avec les uns et avec les autres pour avoir des fusils, des Couvertures et autres commoditez qui leur étoient cy devant inconnues, Qu'ils avoient même vû avec plaisir s'établir des Traiteurs dans leur voisinage, mais Qu'ils n'avoient cedé leurs Terres à personne, qu'il comptent qu'elles Sont toujours à Eux, Qu'ils ne les Tiennent que du Ciel. [...] Ensuite s'est levé Toniahac Chef des Goiogoüan [Cayugas] qui a repeté les mêmes choses et qui a ajouté que pour preuve que les six Nations iroquoises n'étoient point sujettes de L'Angleterre, C'est que dans cette guerre cy et la precedente les Anglois les avoient continuellement sollicités de prendre la hache contre les françois, ce qu'ils ont refusé constamment et qu'ils refuseront encore Voulant se maintenir en paix avec les anglois et les françois. » (Roy 1930 : 443)

[3] Delâge 1989, 1991, 1992 ; Foster 1984 ; Havard 1992 ; Jennings 1984, 1985 ; White 1991.

[4] « Le projet favori de la diplomatie frontalière britannique, de 1791 à 1795 et de temps à autre par la suite jusqu'en 1815, était de mettre en place un État tampon indien neutre [« a neutral indian barrier state »] à l'intérieur du territoire des États-Unis. il avait été conçu en vue d'assombrit le triomphe territorial américain de 1783. Son objectif était de soustraire à la juridiction des États-Unis une vaste région tout au long de la frontière canadienne, par la création d'un État nominalement neutre et indépendant duquel les troupes britanniques et américaine auraient été exclues. Grâce à un tel stratagème les postes auraient été évacués au profit surtout de l'expansion coloniale britannique ; car alors que le territoire en question aurait été entièrement soustrait à la souveraineté américaine, les commerçants britanniques et les agents du ministère des indiens du Canada auraient continué à avoir les coudées franches pour la poursuite de leurs activités. Cette zone tampon turbulente [« restling buffer zone »] aurait privé les États-Unis de tout contact avec les Grands Lacs et le Saint-Laurent et aurait protégé les voies d'accès stratégiques au Canada. » (Bemis 1962 : 145) Selon une publication du Centre de recherches historiques et d'étude des traités, les Britanniques avaient conçu un projet semblable avant même la chute de la Nouvelle France ; Londres aurait effectivement tenté « de faire de la zone située entre les Appalaches et les bassins inférieurs du Mississippi et de l'Ohio une zone tampon occidentale entre la Louisiane et les Treize Colonies, les indiens des Six Nations [la confédération iroquoise] et les terres qu'ils occupaient en haut de l'État de New York faisant tampon avec la Nouvelle-France » (Canada 1979 : 2). Le calcul économique sous-jacent à la diplomatie britannique d'alors n'est pas sans évoquer le syndrôme koweïtien de la diplomatie américaine contemporaine : « Ancien président du Conseil de sécurité de Jimmy Carter, Zbigniew Brzeziinski écrit sans ambages : "Le véritable intérêt vital pour l'Amérique dans la crise du Koweït, c'est d'assurer que le golfe Persique demeure une source sûre et stable d'approvisionnement en pétrole vendu à un prix raisonnable àl'Occident Industrialisé..." » (Gresh et Vidal 1991 : 12)

[5] Le 2 mai 1670, Charles Il accordait à son cousin le prince Rupert et à ses associés londoniens la charte de la Hudson's Bay Co.

[6] On comprend mieux le contenu du mandat confié à Daumont de Saint-Lusson lorsqu'on sait que Radisson et des Groseilliers avaient fait miroiter au prince la possibilité d'ajouter des métaux précieux à la collecte de fourrure : « La rencontre de Rupert avec Radisson et des Groseilliers dans les appartements du prince à Windsor éveillèrent en lui la détermination d'arracher aux Français le lucratif commerce des fourrures. Après avoir étroitement interrogé les renégats de Nouvelle France sur les descriptions par les indiens des dépôts d'or et de Cuivre, Rupert, alors gouverneur des Mines royales, fut enthousiasmé à l'idée que l'arrière-pays de la baie d'Hudson n'offrirait pas seulement des fourrures mais autant de richesses minières aux Stuarts que les mines du Pérou et du Mexique en produisaient pour les rois d'Espagne. » (Newman 1985 : 107)

[7] « Il faut se rappeler que depuis le début de la seconde moitié du 18e siècle, les immigrants affluaient en nombre sans cesse croissant dans les treize colonies, et que cet afflux était accompagné d'une migration massive et incontrôlée au-delà des monts Appalaches-Alleghenies, que les indiens de l'intérieur, en particulier les Six-Nations iroquoises, considéraient comme une frontière naturelle les séparant des colonies anglaises. » (Dionne 1991 : 133)

[8] Concernant ce soulèvement indien, Sosin apportait diverses explications susceptibles de nuancer cette phrase de White : « Le gouverneur Thomas Boone de la Caroline du Sud rapportait que les tribus du Sud étaient inquiètes de l'élimination des Bourbons. Les autochtones refusaient de reconnaître le droit des Britanniques de s'emparer des possessions [« holdings »] espagnoles et françaises que les Indiens n'avaient jamais cédées. Au nord, George Croghan faisait état d'une attitude similaire : les indiens se plaignaient que les Français n'avaient aucun droit de "céder leur pays [« to give away their country »] ..." » (Sosin 1960 : 66). Ces rapports de Boone et Croghan apportent de l'eau au moulin de White, puisqu'ils confirment d'une certaine façon sa théorie des alliances.

[9] « extirpate and remove that vermin ».

[10] Voici la version originale de ce texte ancien aussi important que difficile à traduire : « ... have arisen from the ignorance of the interpreter or from some other mistake ; for I am well convinced that they never mean or intend, any thing like it, and that they cannot be brought under our Laws, for some Centuries, neither have they any word which can convey the most distant idea of subjection, and should it be fully explained to them, and the nature of subordination punishment etc., defined, it might produce infinite harm. »

[11] Acte à l'effet de pourvoir d'une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l'Amérique du Nord.

[12] Le document est difficile à dater. Cependant une lettre du 1er décembre 1773 indiquerait que le projet d'extension des frontières serait antérieur à ce jour (Short et Doughty 1921, 1 : 526, no 1),

[13] « Les négociants en fourrure canadiens estimaient que la vieille région du Nord-ouest n'aurait jamais dû être attribuée [aux Américains] au départ ; ils se proposaient de rester dans la place et complotaient à Québec pour assurer le maintien de la garnison britannique. De son côté, le nouveau magnat des fourrures américains, John Jacob Astor, qui était en train de constituer son empire, considérait la vieille région du Nord-Ouest comme une chasse gardée américaine. » (Canada 1979 : 4)

[14] D'avant la signature du Traité de 1783.

[15] « "Sole Proprietors" of the lands reserved to them by the Treaty of Fort Stanwix. »

[16] Version originale : « Your Lordship being already apprized of the Intentions of His Majesty's Servants to endeavour to secure what may operate as an effectual & lasting Barrier, between the Territories of the American States and His Majesty's Dominion in that Quarter [...]. The Idea suggested was, that His Majesty and American States should join in securing exclusively to the Indians a certain portion of Territory lying between and extending the whole length of the Lines of their respective Frontiers, within which both Parties should stipulate not to suffer their Subjects to retain or acquire any lands whatever, and although in consequence of such a Cession the Frontiers Posts now in His Majesty's Hands would be given up. Your Lordship appeared to coincide with them in the opinion that the objection to this measure would be much lessened by the Circumstance of their not being to come into the possession of the American States, but to be ceded for the express purpose of becoming part of such Territory as is to be reserved for the undisturbed and independant possession of the Indians. By placing the Indians in such a Position they will become a natural Barrier against mutual Encroachments, and at the same time hold a situation in which their attachment and friendly Disposition to His Majesty's Subjects may be capable of the most serviceable... »

[17] « Provisional Treaty » : Haldimand doit entendre le traité de Paris de 1783 (carte 3), tandis que les frontières de 1768 sont sans doute celles qui ont été établies par le traité de Stanwix (carte 4).

[18] Texte original : « It is agreed that it shall at all Times be free to His Majesty's Subjects, and to the Citizens of the United States, and also to the Indians dwelling on either side of the said Boundary Line freely to pass and repass by Land, or Inland Navigation, into the respective Territories and Countries of the Two Parties on the Continent of America (the Country within the Limits of the Hudson's Bay only excepted) and to navigate all the Lakes, Rivers, and waters thereof, and freely to carry on trade and commerce with each other. »

[19] Texte original : « No Duty of Entry shall ever be levied by either Party on Peltries brought by Land, or Inland Navigation into the said Territories respectively, nor shall the Indians passing and repassing with their own proper Goods and Effects of whatever nature, pay for the same any Impost or Duty whatever. But Goods in Bales, or other large Packages unusual among Indians shall not be considered as Goods belonging bona fide to Indians. »

[20] Texte original : « It shall at all times be free to the Indians dwelling within the Boundaries of either of the parties, to pass and repass with their own proper goods and effects, and to carry on their commerce within or without the jurisdiction of either of the said parties, without hindrance or molestation, or being subjected to any imposts whatever - but goods in bales (Peltries excepted) shall not be considered as goods belonging bona fide to Indians - Provided however that this privilege shall be suspended with respect to those Tribes, who may be at war and while they may be at war, with the party within whose jurisdiction they may either dwell, or attempt to come - But neither of the contracting Parties will form any political connextions, nor hold any Treaties with Indians dwelling within the boundaries of the other. »



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 14 octobre 2010 10:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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