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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LES NATIONALISMES AU QUÉBEC du XIXe au XXIe siècle. (2001)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte sous la direction de Michel Sarra-Bournet, avec la collaboration de Jocelyn Saint-Pierre, LES NATIONALISMES AU QUÉBEC du XIXe au XXIe siècle. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2001, 364 pp. Collection: Prisme. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, guide de musée, retraitée du Musée de La Pulperie à Chicoutimi. [L’auteur nous a accordé, conjointement avec le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis Dion, le 11 janvier 2016, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[3]

LES NATIONALISMES AU QUÉBEC
du XIXe au XXIe siècle.

Introduction

Jocelyn Saint-Pierre

Dans certains milieux, le mot nationalisme a une connotation un peu rétrograde. On l'associe parfois à un nationalisme étroit, exclusif, intolérant à l'égard des autres. Chez nous, on utilise des expressions bien typiques pour le discréditer ; on parle des «pure-laine», des «tricotés-serré», etc. Des gens le considèrent comme un mouvement de droite associé au chauvinisme. Pourtant, le sentiment national revêt bien d'autres sens sur cette planète : il suffit de songer au nationalisme légitime des grands États, le patriotisme, comme le nationalisme des Américains, des Britanniques ou des Français. Le nationalisme fait parfois peur, comme celui des Allemands ou des Japonais d'une triste époque. Dans d'autres cas, il est sympathique, comme celui des États baltes, de la Tchétchénie, de la Suisse ou du Canada, né en réaction à la menace américaine. Sans parler de l'ultra-nationalisme des peuples autochtones. Mais il y a, hélas, des nationalismes excessifs qui tuent, comme en Bosnie ou en Afrique. Où se situe le nationalisme québécois ? D'où vient-il ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord savoir comment désigner ce regroupement d'individus qui vivent au Québec et dont la majorité s'est successivement identifiée comme canadienne, canadienne-française, puis québécoise. La quête identitaire de ces descendants d'un petit groupe d'Européens et d'autochtones a quelque chose de pathétique. La rectitude politique impose une difficulté encore plus grande, parce que certains mots sont tabous. Le terrain est miné. Les hommes politiques eux-mêmes s'y aventurent à leurs risques et périls. On n'a qu'à se rappeler les propos de Jacques Parizeau sur les groupes ethniques lors du dernier référendum, ceux de Lucien Bouchard sur la [4] race québécoise et ceux de Jean Chrétien sur la culture québécoise. D'aucuns entretiennent la confusion entre les notions de race, de peuple, de nation, d'ethnie et de groupe linguistique. Pour éclairer le débat, il convient de clarifier quelques notions. Il faut être un peu téméraire pour s'aventurer dans cette périlleuse entreprise qui a été tentée par d'autres [1].

Première question : les Québécois forment-ils une race ? La race est une réalité biologique, une rubrique de classification zoologique. C'est un regroupement assez large à l'intérieur d'une espèce qui présente un ensemble de caractéristiques physiques communes. Mais cette notion reste extrêmement imprécise — dangereuse même — et, avec le métissage des individus, elle ne veut à peu près plus rien dire. Qu'est-ce que c'est que la race blanche ? Qu'est-ce que la race noire ? Au reste, cette notion qui a tant fait souffrir l'humanité est à proscrire. Les Québécois ne forment certainement pas une race, c'est évident. Forment-ils un peuple ? La notion de peuple est une réalité historique. Le sens commun définit un peuple comme un ensemble d'hommes et de femmes habitant un même territoire et constituant une communauté sociale et culturelle. Visiblement, les Québécois forment un peuple. Mais forment-ils pour autant une nation ? Le dictionnaire définit la nation comme une communauté humaine, le plus souvent installée sur un même territoire, et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle, économique plus ou moins forte. Les Québécois sont-ils une ethnie ? Le mot ethnie, qui vient du grec ethnos, veut dire « peuple ». Notre Larousse parle de famille au sens large, qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène et dont l'unité repose sur une langue, une culture et une conscience de groupe communes. Certainement que les Québécois francophones forment une ethnie. Quant à la notion de groupe linguistique, bon, c'est assez clair, on parle ici d'un groupe de personnes qui parlent la même langue ; le Québec est donc constitué d'au moins deux groupes linguistiques.

En réalité, le problème de définition qui nous intéresse vient du statut politique du Québec, qui, pour plusieurs, est loin d'être arrêté. Ce territoire qui a été d'abord une colonie française, la Nouvelle-France, puis une colonie britannique, « the province of Quebec », puis une province britannique, la province du Bas-Canada, puis une section de la [5] province du Canada sous l'Union, puis de nouveau la province de Québec avec la Confédération, comment le désigner ? On a commencé à parler de l'État du Québec dans les années soixante. Vingt ans plus tard, le Québec était devenu une « société distincte ». Récemment, on a proposé «foyer principal de la langue, de la culture et de la tradition juridique française en Amérique». Cette entité politique, est-elle une patrie, un pays ou un État ? Le mot patrie réfère au lieu de naissance : ce peut être un pays, une province, une ville où l'on est né. C'est une communauté d'individus vivant sur un même sol, qui sont unis, en vertu d'un attachement culturel pour la défense des mêmes valeurs. Patrie vient du latin patria, pays du père. Cette notion a quelque chose de sentimental, elle réfère au père, à l'attachement, c'est donc une notion qui vient du cœur. D'ailleurs, le soldat ne défend-il pas sa patrie ? Souvenons-nous des Patriotes américains ou des Patriotes de 1837-1838. On parle d'union, de valeurs. Pour plusieurs, le Québec est donc leur patrie. Le Québec forme-t-il un pays ? Voilà qui est plus délicat. Un pays, c'est le territoire d'une nation. C'est l'ensemble des habitants, des forces économiques et sociales d'une nation. Pour certains, le Québec est un pays. Un État, alors ? Le Larousse définit l'État comme une entité politique constituée d'institutions, qui préside aux destinées collectives d'une société et qui exerce à ce titre le pouvoir. Le Québec formerait donc un État. Mais la notion d'État suppose aussi la reconnaissance formelle ou tacite des autres États. Le Québec ne serait alors qu'un demi-État, puisqu'il n'est pas pleinement souverain.

On se rend bien compte que toutes ces notions ne sont pas faciles à manier. Le présent ouvrage regroupe à ce sujet les réflexions de chercheurs et de chercheuses de toutes les disciplines en provenance de plusieurs universités du Québec et du reste du Canada. Il couvre la période de 1830 à nos jours.

Louis-Georges Harvey, professeur à l'Université Bishop, nous propose une nouvelle interprétation du nationalisme des Patriotes qui, loin d'être intolérant, xénophobe, rétrograde et fermé sur lui-même, comme on l'a souvent qualifié, serait plutôt typiquement américain, donc très de son temps. Le point de vue est novateur. Le nationalisme des Patriotes, plutôt intégrateur, inclut tous les habitants du Bas-Canada et s'inscrit dans un courant continental. Le professeur Harvey démontre que la Révolution américaine occupe une grande place dans le discours des Patriotes ; le réfèrent n'est pas européen, mais américain. La collectivité est définie par le territoire. Face à l'intransigeance britannique, pour justifier le recours aux armes, les chefs Patriotes trouveront dans la Révolution américaine un exemple de résistances [6] constitutionnelles et économiques. Selon Harvey, pour contrer les résolutions Russell, les Patriotes ont évoqué entre autres la mémoire de George Washington et celle des héros de la Révolution américaine.

Gérald Bernier, professeur à l'Université de Montréal, et Daniel Salée, professeur à l'Université Concordia, abordent la même période, mais ils ont voulu dépasser la tendance dominante de l'historiographie qui voit la rébellion des Patriotes comme une manifestation du nationalisme en occultant la dimension socio-économique. Leur analyse est plutôt axée sur le processus de transition vers le capitalisme, sur la persistance de l'Ancien Régime, sur les luttes sociales et les rapports de pouvoir. Selon eux, l'idée de la nation québécoise articulée dans les rébellions de 1837-1838 a peu à voir avec celle qui sera développée plus tard, au XXe siècle.

J.-Yvon Thériault, sociologue à l'Université d'Ottawa, veut comprendre la dialectique entre nation et démocratie au sein de la modernité. Le rapport qui existe entre démocratie et nationalisme a profondément marqué les rébellions de 1837-1838 et le rapport Durham qui s'ensuivit. Selon Thériault, c'est à ce moment que se confirme une opposition entre le nationalisme et le libéralisme. L'attitude d'Étienne Parent face au nationalisme en est l'illustration. Jusqu'en 1840, son libéralisme politique est inséparable de l'affirmation de la nationalité canadienne. Par la suite, il fait une distinction entre les exigences de la liberté politique et la défense de sa nationalité. L'arrivée du gouvernement responsable aurait, d'après Parent, mis fin à la légitimité des revendications politiques du nationalisme canadien. Thériault fait un parallèle audacieux, mais néanmoins fort intéressant, entre Parent et Francis Fukuyama qui, à un siècle d'intervalle, arrivent au même constat : le nationalisme québécois remet en cause le postulat qui veut que les populations préfèrent vivre dans des sociétés libérales plutôt que dans des entités politiques définies par la nationalité. Le destin du Québec sera un test pour la démocratie libérale moderne. Parent pensait, conclut Thériault, que le prix à payer pour réintroduire le principe communautaire de la nationalité sans rompre avec le libéralisme était sa neutralité politique.

Dans un tout autre registre, Gilles Janson, de la bibliothèque de l'UQAM, aborde la question du nationalisme dans le sport. On pouvait penser que le nationalisme trouverait un terreau fertile dans le sport. Janson a le mérite de nous le démontrer. Son étude couvre les années 1890 à 1920, période de la pendaison de Riel, de la question scolaire au Manitoba et en Ontario et de la crise de la conscription, et montre comment [7] la volonté canadienne-française d'occuper le champ culturel du sport s'est exprimée. Dans sa démonstration, Janson décrit les tentatives de structuration des associations et clubs sportifs francophones, en particulier l'Association athlétique d'amateurs Le National, et les revendications des Canadiens français dans le sport, surtout dans le hockey. Il découvre que l'on a valorisé la force physique et l'usage du français dans les activités physiques et sportives. Il montre surtout comment les francophones se sont appropriés une culture sportive longtemps structurée et développée par les anglophones. Le sport devient alors pour certains d'entre eux un moyen d'affirmation et de valorisation. Même si le sport favorise l'action individuelle et l'exaltation de l'esprit d'entreprise, il contribue, dans l'esprit des promoteurs de l'époque, au développement d'une nation plus forte, plus dynamique et plus sûre d'elle-même.

Nelson Michaud, qui enseigne à l'ENAP, nous ramène sur le terrain politique. Son analyse porte sur le nationalisme québécois et le Parti conservateur d'Arthur Meighen. Selon lui, le Parti conservateur fédéral a accueilli au début du siècle des représentants québécois qui défendaient le nationalisme. Le nationalisme canadien, sentiment partagé surtout par les francophones du Québec, était perçu par les dirigeants conservateurs fédéraux comme un élément fondamental de la reprise du pouvoir détenu par les libéraux de Mackenzie King et d'Ernest Lapointe. L'alternative au tandem King-Lapointe repose sur un seul homme, Ésioff-Léon Patenaude. Le texte de Michaud analyse son nationalisme en insistant sur son expression politique. Il décrit les démarches de Meighen auprès de Patenaude pour l'attirer dans son parti afin d'en refaire l'image, ternie par la crise de la conscription.

On le sait, l'indépendantisme québécois est né dans les milieux intellectuels catholiques. Jean-Claude Dupuis, qui a complété un doctorat en histoire à l'Université Laval, fait le lien entre le nationalisme, le séparatisme et la philosophie catholique de l'entre-deux-guerres. Il décrit la naissance de l'indépendantisme québécois chez Lionel Groulx dans L'Action française. Les nationalistes catholiques qui prêchaient le séparatisme — manifestation d'un vieux principe libéral condamné par l'Église et qui prônait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes mais allait à l'encontre du respect de l'ordre établi, soit le devoir de piété envers la patrie et le devoir d'obéissance envers les autorités légitimes — ont justifié leur idéal d'indépendance à partir de la philosophie politique de l'Église. Ils ont réussi à concilier leur idéal séparatiste avec les principes du droit chrétien. L'indépendance politique découlerait [8] d'un séparatisme passif, c'est-à-dire d'une situation que les Canadiens français n'auraient pas provoquée eux-mêmes.

L'historien et éditeur Jean-François Nadeau retrace une tranche de vie de l'historien Robert Rumilly : son installation à Montréal en 1928. Le futur historien du Canada français, qui était membre de l'Action française de Charles Maurras, quitte la France pour le Canada, attiré par l'essor économique américain et surtout par l'espoir trouver une société conforme à son idéal politique. Rumilly est émerveillé à son arrivée à Montréal ; il trouve une collectivité qui correspond presque entièrement à l'image doctrinaire qu'il se faisait d'une société ayant su préserver la vieille France. Les impressions exprimées par Rumilly fournissent une bonne indication de la nature des idées qui ont cours au Canada français à cette époque.

Avec Jacques Beauchemin, sociologue à l'UQAM, c'est le nationalisme duplessiste qui nous est décrit. Beauchemin remet en cause le jugement rétrospectif sévère porté sur Duplessis par l'historiographie traditionnelle. Son régime a été jugé antidémocratique, ethniciste, conservateur et même fascisant. La thèse d'André-J. Bélanger sur l'apolitisme du nationalisme duplessiste est également contestée. En établissant les origines de ce conservatisme et les conséquences de l'immobilisme dans lequel il aurait confiné la société québécoise, l'auteur montre le caractère politique de ce clérico-nationalisme qui dépasse largement la défense simple et obstinée de l'autonomisme provincial. Le nationalisme duplessiste contient en germe une part de la redéfinition politiste du nationalisme des années soixante. Le discours duplessiste politise la référence à la tradition et aux coutumes canadiennes-françaises à l'intérieur d'une attitude de résistance au providentialisme soutenu par le gouvernement fédéral. Cet ethnicisme est le résultat des luttes politiques du siècle dernier ; la race comme désignation identitaire, et l'ethnicisme qui en a découlé, était la seule forme que pouvait adopter le nationalisme canadien-français au sortir du XIXe siècle.

François Rocher, professeur à Carleton University d'Ottawa, compare quant à lui deux périodes : celle du rêve d'égalité de Daniel Johnson père, et celle de la résignation de son fils. La façon dont Daniel Johnson père appréhendait la place du Québec dans le système politique canadien est au centre de l'analyse. Le nationalisme de Daniel Johnson s'est graduellement modifié, passant du nationalisme canadien-français au nationalisme québécois. Ce discours ambigu marque une rupture dans la perception que l'on se faisait du Québec et pose les balises du nationalisme québécois moderne. Selon le professeur [9] Rocher, le discours du fils rompt avec le questionnement qui inspirait la démarche du père. Johnson fils renvoie à une vision du Québec antérieure à celle de la Révolution tranquille. Dommage, conclut Rocher, que Daniel Johnson père ne soit plus là pour opérer un retour vers le futur.

L'historiographie a pratiquement oublié le rôle des femmes dans la question nationale québécoise. Chantal Maillé, professeure à l'Université Concordia, essaie de pallier cette lacune en décrivant les liens entre le mouvement des femmes et le projet identitaire québécois. Son hypothèse : l'action des féministes du Québec se situe en continuité avec le rôle de productrices d'ethnicité que les Québécoises ont joué dans l'histoire. Les dernières décennies ont permis l'expression d'une vision féministe des enjeux nationaux, même si les femmes sont loin de constituer un groupe homogène face au nationalisme québécois. Les prises de position des groupes de femmes vont de l'abstentionnisme au soutien inconditionnel à l'option souverainiste.

Ralph P. Glintzel, du Franklin College of Indiana, traite d'un autre aspect souvent ignoré par les chercheurs : le rôle des travailleurs québécois dans la définition du nationalisme. Il s'intéresse surtout à l'aile socialiste du mouvement syndical, en particulier face à l'indépendantisme, dans la décennie 1972-1982. Selon lui, les socialistes ont alors pris le contrôle des trois centrales syndicales québécoises importantes (CSN, FTQ et CEQ). Partisans d'un Québec indépendant et socialiste, ils se sont vus pris entre les souverainistes péquistes et les communistes antiséparatistes. Leur tentative de faire adopter leur orientation par leur centrale a été un échec. Cependant, leur analyse constitue une contribution importante au nationalisme socialiste québécois de la période post-Révolution tranquille. Le pragmatisme a eu raison du dogmatisme, puisque les défenseurs de l'indépendance et du socialisme se sont prononcés dans un sens étapiste et ont accepté l'hégémonie péquiste.

La philosophe de l'UQAM, Jocelyne Couture, explique comment s'est estompé depuis le milieu du XXe siècle le sentiment d'appartenance nationale que la population canadienne d'origine française s'était forgée au cours de sa longue histoire. La provincialisation de l'État-providence, le nationalisme québécois et la Constitution de 1982 ont décimé le cadre de vie commun qui aurait pu assurer le maintien d'une nation canadienne-française. Aujourd'hui, l'intégration sociétale des francophones canadiens favorise leur assimilation et l'isolement des communautés rend leur survie culturelle encore plus difficile. Elle [10] en appelle à la bonne foi et à la sensibilité de la majorité anglaise pour un réalignement des politiques fédérales. Enfin, selon la professeure Couture, le leadership qu'exerce le Québec dans la protection du français a des effets au Canada, et cela continuerait d'être vrai même s'il devenait souverain.

Dans une analyse en profondeur des thèmes qui charpentent les derniers ouvrages de Fernand Dumont, Max Nemni, qui enseigne à l'Université Laval, pose la thèse suivante : au lieu de disparaître, le nationalisme québécois contemporain — qui se dit civique ou territorial en raison du culturalisme inhérent au nationalisme ethnique — se politise en prenant la forme d'une vision historiciste de l'émergence naturelle d'un État-nation non ethnique. Le nationalisme de type identitaire demeure donc une des forces vives du Québec. Max Nemni se propose également de clarifier la notion de communauté politique. Le nationalisme québécois, soutient-il, reste marqué par l'organicisme, l'historicisme et le culturalisme.

Pour sa part, Louis Balthazar, professeur de science politique à l'Université Laval qui a publié un fort intéressant bilan du nationalisme québécois en 1986, démontre que le nationalisme de la majorité des Québécois est résolument autonomiste. Ce nationalisme est un phénomène plus large que l'aspiration à la souveraineté : on peut être nationaliste sans être souverainiste. Selon le professeur Balthazar, plusieurs Québécois se contenteraient d'une large zone d'autonomie pour leur province, qui rendrait possible l'affirmation sans équivoque de leur identité à l'intérieur d'une union canadienne. La grande ouverture sur le monde et le pluralisme croissant de la société québécoise sont de puissants antidotes aux effets pervers du nationalisme. Ce nationalisme autonomiste permet donc l'expression d'une identité et d'une ouverture à l'intégration. Par conséquent, les Québécois qui veulent affirmer leur spécificité tout en maintenant une union canadienne ne devraient pas être accusés de pratiquer l'exclusion et d'entretenir l'hostilité.

Autre exemple de la difficile coexistence de différents projets nationaux sur un même territoire : les relations entre les nationalistes québécois et autochtones. Analyste assidu de ces questions et professeur au Cégep du Vieux-Montréal, Pierre Trudel les renvoie dos à dos. En examinant leurs discours respectifs, il a constaté que, lorsqu'ils ne s'ignorent pas totalement, ils projettent l'un de l'autre une image négative, parfois déformée et même caricaturale.

[11]

Dans un plaidoyer pré-référendaire, le philosophe Kai Nielsen (un des membres fondateurs des Intellectuels pour la souveraineté) sépare la question de l'indépendance politique du Québec de celle de l'existence d'une nation, d'une culture ou d'un peuple québécois distincts, dans le but de justifier l'appui à la souveraineté du Québec à partir de l'intérêt général. Bref, il entend faire la démonstration qu'on peut être souverainiste sans être nationaliste. Pour ce faire, il évite d'inclure dans son argumentation principale les questions qui divisent francophones et non-francophones, et prend plutôt parti pour une morale altruiste et désintéressée où tous devraient prendre en compte les intérêts individuels et collectifs de chacun. Toutefois, pour faire bonne mesure, il ajoute que le nationalisme n'est pas un mal en soi et même qu'aujourd'hui il est nécessaire à la vie en société et va de pair avec l'ouverture sur le monde. Enfin, il récuse toute notion essentialiste de la nation, expliquant qu'elle est un construit social et qu'elle peut, par conséquent, être ouverte au pluralisme culturel.

Spécialiste new-yorkaise du nationalisme québécois, Anne Griffin nous rappelle l'importance de la mémoire collective. Selon elle, c'est la reconstruction de la mémoire au cours des années 1950 et 1960 — c'est-à-dire le passage d'un paradigme conservateur à un paradigme libéral — qui a modifié les perceptions du régime fédéral canadien et entraîné une nouvelle formulation des revendications nationalistes au Québec.

L'historien Ronald Rudin de l'Université Concordia s'est penché sur l'œuvre que ses collègues québécois ont publiée au cours des années 1970 et 1980. Il constate qu'elle partage, avec celle des Irlandais, une tendance à privilégier les aspects structurels et rationnels du passé, de manière à faire apparaître le Québec comme une nation moderne, « normale ». Ce faisant, ces historiens « révisionnistes » ont exagéré les points de convergences entre le Québec et les sociétés voisines, aux détriments des aspects singuliers de son histoire, notamment les conflits nationaux. Il prône une histoire «postrévisionniste» où l'on retrouverait un juste équilibre entre ces éléments.

Pour l'historien et sociologue Gérard Bouchard de l'UQAC, l'apport de nouveaux arrivants a entraîné la diversification de la population. En conséquence, le nationalisme québécois a dû se réformer afin de conserver sa fonction intégrative. Au cours des dernières décennies, l'ancien rapport d'exclusion s'est muté en rapport d'inclusion. Tout en misant sur une langue commune, il s'est ouvert aux autres cultures, sans pour autant se noyer dans une conception purement civique de la nation, qui aurait fait l'économie d'une culture nationale. Mais pour [12] aller au bout de sa transformation, le nationalisme québécois doit aussi se doter d'une mémoire et d'un projet communs à tous.

Dans sa contribution à la compréhension du nationalisme au Québec, l'historien Michel Sarra-Bournet fait un plaidoyer pour l'histoire. Chaque nation est un cas d'espèce, elle est capable du pire et du meilleur, et la mauvaise réputation qu'on a faite au nationalisme québécois est le fait de nationalistes canadiens qui refusent de reconnaître le caractère national du Québec parce qu'ils craignent pour l'intégrité de leur nation. Pourtant, l'évolution du nationalisme québécois entre les pôles ethnique et civique a été fort semblable à celle du Canada. Toutefois, il demeure nécessaire de faire une distinction entre projet national québécois (qui embrasse la totalité de la population du Québec) et le nationalisme québécois (qui demeure surtout l'apanage des francophones). L'auteur conclut en affirmant que, si la question nationale ne se règle pas, on ne peut pas exclure une régression vers l'ethnicisme.

Cet effort de réflexion sur le nationalisme québécois peut ouvrir des voies de recherche fort prometteuses. Je n'en mentionnerai qu'une en terminant. Dans une conférence prononcée au Centro de Investigaciones Sobre America del Norte de l'Université de Mexico, le 3 mars 1995 [2], Lise Bissonnette, directrice du Devoir, situe le nationalisme québécois dans le continentalisme américain, un peu comme l'a fait un de nos collaborateurs. Elle soutient qu'avec la désintégration de la fédération canadienne le nationalisme québécois loin d'être anachronique se situera pleinement dans les grands courants nord-américains. Un point de vue séduisant et stimulant, comme l'est cet ouvrage, du moins nous l'espérons.



[1] Dans Genèse de la société québécoise, Boréal, 1993, Fernand Dumont explore douze termes différents pour essayer de définir la communauté québécoise. Voir aussi Jean-Paul Desbiens et François Caron, «Il faut commencer par déterminer le terrain des mots», La Presse, 9 décembre 1995, p. B-9 et B-10.

[2] Lise Bissonnette, «Le Québec, ou la fausse contradiction», Occasional Papers, n° 4, juillet 1995, Center for the Study of Canada, State University of New York, Plattsburgh, p. 1-6.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 11 mai 2017 6:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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