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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

MANIFESTE DES INTELLECTUELS POUR LA SOUVERAINETÉ
suivi de DOUZE ESSAIS SUR L'AVENIR DU QUÉBEC. (2000)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Michel Sarra-Bournet, MANIFESTE DES INTELLECTUELS POUR LA SOUVERAINETÉ suivi de DOUZE ESSAIS SUR L'AVENIR DU QUÉBEC. Préface de Guy Rocher. Montréal: Les Éditions Fidès, 1995, 286 pp. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, guide de musée, retraitée du Musée de La Pulperie à Chicoutimi. [L’auteur nous a accordé, le 20 janvier 2016, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Manifeste des intellectuels pour la souveraineté
suivi de
Douze essais sur l’avenir du Québec.

Préface

La philosophe française Blandine Barret-Kriegel publiait il y a quelques années une savante étude historique intitulée La République incertaine. Un titre analogue pourrait coiffer cet ouvrage-ci. L'avenir de la société québécoise — république ou non — est plus que jamais enveloppé d'un nuage d'incertitude. Incertitude sur la décision collective qui sera prise à l'occasion du référendum où nous serons appelés à dire ce que nous voulons être. Incertitude également sur le type de société que nous voudrons dessiner pour l'avenir. On entend en effet bien des voix inquiètes affirmer, plus à tort qu'à raison à mon avis, que le concept d'un Québec souverain manque de contenu, qu'il nous jette dans l'abîme d'un inconnu noir de menaces, tant et si bien qu'un tel climat est favorable aux pires prophéties et aux conjectures et prévisions les plus pessimistes.

Cette obsession de l'inconnu interpelle des intellectuels. Il relève en effet de leur métier, sous ses différentes formes, de s'attaquer à des incertitudes, qu'elles soient de nature scientifique, métaphysique, épistémologique, esthétique ou éthique. Un intellectuel lutte presque quotidiennement avec l'ombre de l'inconnu, pour la faire reculer ou du moins en [8] réduire la densité. Qu'il ait à résoudre des problèmes, créer des concepts ou des formes, élaborer des hypothèses ou des théories, vulgariser sa pensée, l'intellectuel chemine sans cesse du moins connu au plus connu, de moins de vérité à un peu plus de vérité.

Voilà qui explique et même justifie que des intellectuels aient senti le besoin, voire l'obligation, d'intervenir dans le débat référendaire. Puisque celui-ci présente l'aspect d'une série d'équations à plusieurs inconnues, il est normal que des intellectuels se soient mis à la tâche d'en réduire quelques-unes. Ils le font évidemment d'une manière militante, puisqu'il s'agit d'un débat politique où s'opposent deux options. C'est pourquoi leurs interventions prendront la forme d'arguments. Mais chacun l'a fait en intellectuel, c'est-à-dire en prenant appui dans son champ de compétence et, à l'occasion, suivant les canons de sa discipline.

Au cours des dernières années, on a souvent fait aux intellectuels le reproche de garder le silence, d'être à l'écart des débats publics. Je ne suis pas du tout certain que cette observation était fondée : j'ai plutôt cru qu'elle venait du fait qu'on ne voyait pas les signatures auxquelles on avait été habitué pendant quelque temps, relayées qu'elles étaient par celles de plus jeunes. Peu importe : c'est l'impression qu'on avait, prenons-la comme telle. Voici que des intellectuels prennent la parole, dans un manifeste qu'ils ont été plus de trois cents à signer et dans ce livre qui vient expliciter dans des textes davantage détaillés la rédaction forcément elliptique d'un manifeste.

Il faut cependant ajouter que les dix-huit rédacteurs des chapitres de ce livre ne sont pas un échantillon parfaitement représentatif de tous les signataires du manifeste : ces derniers se sont recrutés chez des étudiants et chez des professeurs, et l'enseignement universitaire est loin d'avoir [9] été le seul lieu des adhésions, contrairement sans doute à l'impression que peut donner la table des matières de ce livre.

Quand nous nous interrogeons entre nous sur les raisons qui nous ont fait adhérer au projet d'indépendance ou de souveraineté du Québec, on constate combien les démarches ont pu varier de l'un à l'autre. Il y a donc une pluralité des voies pour arriver à cette conviction, et chacune a sa vérité. Pour ma part, quand je dois expliquer à un visiteur étranger, ou à un ami fédéraliste, ou à quelqu'un qui n'a pas encore fait son choix entre le Oui et le Non, pourquoi j'ai opté, il y a plusieurs années déjà, pour l'indépendance du Québec, je réponds que la principale raison en est l'intégration des immigrants et réfugiés que reçoit et recevra le Québec. L'immigration a été un facteur de grande importance dans l'évolution du Québec depuis trois ou quatre décennies et elle le sera au moins autant sinon davantage dans l'avenir : le Québec a été et sera un pays d'immigration, surtout si l'on songe à la pression croissante qu'exerceront des populations déplacées, qui sont aujourd'hui plus nombreuses que jamais. On comptait un million et demi de réfugiés dans le monde en 1960 ; ils étaient 11 millions en 1985 ; ils sont 21 millions en 1995.

Or il est évident, sans qu'il soit nécessaire de faire de nombreuses observations, que si le Québec demeure dans la Confédération canadienne avec le statut de « province », les immigrants y viendront toujours pour habiter le Canada. C'est au Canada qu'ils demandent la citoyenneté, c'est à la reine du Canada qu'ils prêtent serment en devenant citoyens de ce pays. L'image qu'ils ont du Québec est celle-là même qu'entretient le reste du Canada, surtout depuis 1982 : une des provinces du Canada, une province comme les autres.

[10]

Sans doute, les enfants des immigrants apprennent-ils maintenant le français à l'école. Il s'agit d'un changement indéniable, mais qui demeure fragile et incomplet. On sait — les observations faites dans les écoles secondaires le confirment — que les élèves allophones, ceux dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais, même s'ils étudient en français, utilisent l'anglais dans la vie courante. La question difficile s'impose : dans quelle mesure assimilent-ils la culture d'un Québec francophone et s'intègrent-ils à une société à majorité de langue française ? Aux yeux de l'immigrant, si les francophones du Québec forment la majorité d'une des dix provinces, c'est dans un Canada majoritairement anglophone qu'ils sont venus, où les francophones sont minoritaires. Il est donc normal qu'ils voient les choses ainsi : leur vision correspond à la réalité.

Bien sûr, la politique officielle de l'immigration du gouvernement du Québec présente la société québécoise comme étant « francophone, démocratique et pluraliste ». Mais le caractère « francophone » du Québec paraît à bien des immigrants forcé et artificiel, dans un Canada qu'on leur a présenté comme étant « bilingue et multiculturel ». La notion déjà ancienne des deux peuples fondateurs est presque oubliée et même reniée par le gouvernement canadien : elle n'a plus cours ni dans les documents officiels ni dans le discours, même au Québec. La Charte de la langue française a marqué un cran d'arrêt dans l'anglicisation des immigrants du Québec. Mais on sait comment cette loi a été érodée par les parlements et les tribunaux et combien elle demeure une législation honnie dans le reste du Canada. On voudrait que le Québec revienne au libre choix entre l'anglicisation et la francisation, choix qui n'existe nulle part ailleurs au Canada, où l'on trouve rien que de plus naturel d'angliciser les immigrants tout simplement [11] par la force de l'environnement culturel, social et économique.

La politique québécoise de l'immigration est donc une contradiction patente : elle présente le Québec comme un Etat de langue française, dans un Canada dont le gouvernement central dit valoriser le bilinguisme ; elle suppose l'intégration à la communauté francophone, dans un pays qui affiche son multiculturalisme. Si le Québec demeure dans la Confédération canadienne, l'intégration des immigrants et réfugiés à la culture et aux institutions francophones, déjà aujourd'hui très problématique, risque d'être demain purement illusoire.

On invoque souvent l'apport culturel de l'immigration pour justifier celle-ci, et à bon droit. Encore faut-il se demander à qui profite cet apport ? Que penser d'un apport qui affaiblit la majorité au lieu de la nourrir ?

La seule solution susceptible de changer ces perspectives d'avenir est que le Québec devienne un État souverain, qu'il acquière la personnalité d'un pays. On sait que l'image que projette un pays fait partie du processus de la décision d'immigrer et du choix du lieu où émigrer. La souveraineté du Québec permettra seule de sortir de l'équivoque, de la fragilité et de la marginalité qui entache et entachera toujours davantage la politique québécoise de l'immigration.

Il n'y a dans cet objectif rien de raciste, ni de fasciste, ni de xénophobe ; rien non plus d'une vision fixiste de l'histoire, comme si nous ne croyions pas que le Québec changera comme il a déjà changé. Il ne faut y voir non plus aucune motivation de « purification ethnique ». Il s'agit bien plutôt de l'attente la plus normale qui soit à l'endroit de l'immigration, dans l'optique pluraliste qui est et sera celle du Québec.

[12]

Bien sûr — faut-il le dire ? — la souveraineté du Québec ne réglera pas miraculeusement toute cette question. L'intégration des immigrants à la culture francophone commune d'un Québec indépendant exigera encore et pour longtemps des politiques appropriées, des changements d'attitudes et de comportements de la part de la population, des réformes d'institutions. Un Québec souverain sera toujours une enclave à majorité française dans une Amérique du Nord anglophone. Mais la souveraineté m'apparaît comme une condition essentielle au départ d'une longue démarche qui exigera à la fois une solide motivation, de la délicatesse et de l'ouverture.

D'autres arguments appuient le projet de souveraineté du Québec. Le lecteur en trouvera plusieurs autres, et de poids, dans les chapitres de cet ouvrage. J'ai exposé le mien dans cette Préface, dans l'espoir d'aiguiser la curiosité du lecteur, souhaitant qu'il trouve dans ce livre les réponses à ses propres incertitudes.

Guy Rocher



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 16 octobre 2017 8:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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