RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel Salée, “La mondialisation et la construction de l'identité au Québec.” Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 105-125. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp. [Autorisation accordée par la direction des Presses de l'Université Laval le 2 novembre 2010 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[105]

Daniel Salée *

La mondialisation et la construction
de l'identité au Québec
”.

Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 105-125. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp.

Le Québec et la mondialisation
Du sens socioculturel de la mondialisation
Identité québécoise et hétérogénéité
La construction du consensus identitaire québécois
Dérives identitaires : l’apparition de l’hétérogène
Enjeux et défis de l’identitaire au Québec
Identité, citoyenneté et démocratie
Références


Le Québec et la mondialisation

Il y a quelques années, au cours d'un colloque sur la Révolution tranquille organisé par la revue Relations et le Centre Justice et foi, le sociologue français Alain Touraine s'étonnait de ce qu'il percevait alors chez les Québécois comme l'expression d'un désenchantement. Quelle en est la raison, devait-il se demander, quel est le sens de ce désenchantement que semblaient vivre les Québécois avec une telle force après trente ans de construction identitaire soutenue et plutôt réussie ? Devant l'épuisement de tous les modèles volontaristes et le triomphe de la société de production et de consommation de masse, conclura-t-il, « vous avez le sentiment de perdre non pas votre ancienne, mais bien votre nouvelle identité [...]. Le vrai danger que vous ressentez, c'est l'affaiblissement, peut-être l'épuisement, de l'identité que vous êtes en train de vous créer » (Touraine, 1989 : 119-120).

« Tout se passe », poursuit le sociologue français, « comme si ce modèle national et multidimensionnel [auquel les Québécois et Québécoises ont présumément adhéré depuis trente ans] s'épuisait en même temps que les luttes politiques et culturelles ; comme si, finalement, la modernité se réduisait à une croissance économique et à une modernisation professionnelle entraînant logiquement la fusion dans un ensemble plus vaste » (1989 : 119). Alimenté par les participants au colloque, Touraine notait, en fait, combien la production de l'identité québécoise semble désormais tributaire de cette « fusion dans [106] un ensemble plus vaste », ce que l'on appelle plus couramment la mondialisation.

Presque tous au colloque s'entendaient pour déplorer la chose. En adhérant au projet moderniste, dont la mondialisation est la manifestation actuelle, le Québec se serait laissé porter par une spirale de transformations sociales et économiques qui, en bout de piste, semble n'avoir débouché sur rien de plus que la sacralisation de la raison techniciste/productiviste individualisante, à cent lieues du projet organique et communautaire initial (Renaud, 1984 ; Salée, 1986). Si Alain Touraine s'était adressé à un auditoire de gens d'affaires plutôt qu'à des intellectuels fatigués et déçus de voir que la Cité qu'ils avaient âprement construite était aujourd'hui sacrifiée sur l'autel de la raison marchande, il n'aurait sans doute pas perçu ce qui lui semblait être du désenchantement. Au contraire, on lui aurait fait valoir tout ce que pouvait avoir de positif cette « fusion dans un ensemble plus vaste ». On lui aurait dit que l'intégration du Québec dans l'économie continentale ne pouvait que profiter à la consolidation de l'économie québécoise et, ce faisant, au renforcement identitaire de la québécitude. On lui aurait expliqué que le Québec n'a rien à craindre de la mondialisation et des restructurations qu'elle suppose : sa bourgeoisie d'affaires a désormais atteint la maturité économique et financière qui lui permet de sauter sur le train en marche de la mondialisation. Le sociologue français y aurait peut-être vu alors l'expression d'un néo-nationalisme d'affirmation économique, articulé par une garde montante de gens d'affaires (Rocher, 1993) qui reprirent le flambeau de la québécitude à la suite de la déroute postréférendaire et du déclin des dogmatismes humanistes et technocratiques de la Révolution tranquille (Létourneau, 1991 : 23-29).

La parole publique glose beaucoup sur la mondialisation. On disserte amplement, ça et là, sur son caractère incontournable, sur l'importance d'y faire face en restructurant les institutions sociales et les mécanismes de production économique. Au Québec à tout le moins, on en parle souvent en termes de défis à relever et des nécessaires adaptations qu'entraîne le phénomène. Parce que l'internationalisation du capital et des échanges marchands en constitue la manifestation la plus tangible, on a souvent tendance à la saisir surtout comme une réalité économique. Pour l'essentiel, le discours sur la mondialisation s'articule autour de ses effets sur l'économie domestique. Qu'il s'agisse d'en dénoncer les méfaits (Drache et Gertler, 1991) ou d'en banaliser le sens, comme s'il n'était question de rien de plus qu'une simple opération de redressement comptable ou de réalignement des priorités économiques, c'est presque toujours de politiques économiques dont il est question.

L’agenda public au Québec est intimement articulé, depuis un certain nombre d'années, au désir de la bourgeoisie d'affaires francophone de bien se positionner sur les marchés internationaux (Breton et Jenson, 1991) ; les analyses qui tournent autour du volontarisme ou de l'instrumentalisme économique de cette classe n'éclairent quand même pas suffisamment l'effet profond de la mondialisation sur la construction identitaire au Québec. Bien que d'aucuns [107] s'accordent pour tracer un lien entre la mondialisation et l'obsession économico-marchande d'un discours public qui s'affiche aujourd'hui comme référent essentiel de l'identité québécoise, on saisit encore mal les conséquences de la mondialisation sur la dynamique identitaire au Québec. À l'évidence, la « fusion dans un ensemble plus vaste » n'est pas sans répercussion sur la manière dont la majorité francophone du Québec se perçoit et s'active par rapport aux autres, fussent-ils de l'extérieur ou de l'intérieur. La mondialisation force en quelque sorte une reconceptualisation de nos rapports à l'environnement. Or, quel est le sens de cette reconceptualisation pour le Québec ? Qu'implique-telle en ce qui a trait à la production identitaire des Québécois et Québécoises ? Ce sont là les questions qui animent la démarche de ce texte.

À la différence des travaux qui font autorité sur la question, le phénomène de la mondialisation ne sera pas abordé ici dans sa dimension technico-économique. La mondialisation engendre une réalité infiniment plus large et plus complexe pour la société civile que ce que donne à croire un discours plutôt porté à juger du bien-fondé d'ajustements à des impératifs technologiques et administratifs nouveaux. Les transformations qu'entraîne la mondialisation dans la sphère des échanges et de la production s'accompagnent de mutations significatives des pratiques socioculturelles, mutations qui semblent être sur le point de façonner une subjectivité nouvelle et de donner cours à des procès inédits de relationalité et d'affirmation sociales (Leys et Mendell, 1992). C'est à l'intérieur de ces nouveaux procès qu'il faut d'abord chercher la clé de la problématique identitaire du Québec.


Du sens socioculturel de la mondialisation

De façon générale, le phénomène de la mondialisation suppose typiquement l'accomplissement d'un procès de globalisation de la sociétalité, qui transcende, tout en l'engageant, le cadre étroit de la société domestique. Roland Robertson, un sociologue américain qui étudie depuis longtemps la question, a remarqué que tout en comprimant les cultures, les communautés nationales, les groupes ethniques et les groupes d'intérêts, la mondialisation les amène paradoxalement à affirmer le contenu de leur configuration identitaire propre et à se doter des moyens de cette affirmation sur la place publique. La mondialisation se manifeste surtout comme un phénomène socioculturel qui s'exprime dans la construction institutionnalisée de l'individu, dans la célébration de l'identité subjective et dans l'expression de diverses formes d'identifications personnelles et collectives minoritaires (Robertson, 1992).

Dès lors que l'on appréhende la mondialisation dans sa dimension socioculturelle, se fait jour une variété de dynamiques sociopolitiques complexes que le seul regard économiste sur le phénomène ne permet pas de saisir. Il existe bon nombre d'analyses récentes sur l'ordre mondial, la globalisation des rapports sociaux et transnationaux ainsi que sur la nature de la (post) modernité qui s'en dégage (Appadurai, 1990 ; Arnason, 1990 ; [108] Featherstone, 1990, 1991 ; Freitag, 1992 ; Luke, 1992 ; Robertson, 1992). Bien que leurs auteurs se réclament de nuances argumentatives ou théoriques spécifiques (et parfois contradictoires), ils se rejoignent en général sur le sens politique nouveau qui émerge de la mouvance civilisationnelle propre au procès de mondialisation.

Il ressort de cette littérature que, contrairement à ce qu'il pourrait y paraître, la mondialisation n'est pas forcément synonyme d'homogénéisation (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de tendances à l'homogénéisation qui peuvent agir pour objectiver certaines formes de la mondialisation). En fait, en même temps que la mondialisation semble concourir à une certaine homologie des comportements culturels par-delà l'espace frontalier des territoires nationaux, elle offre aussi un cadre global de différenciation, de valorisation des identités particulières. Elle participe d'une logique ambivalente toute tournée vers un abouchement des agents sociaux à une structure référentielle duale. L'un des pôles de cette structure est produit par un environnement global de références, rendu possible par les progrès rapides des technologies de communication qui abaissent les frontières, ouvrent les consciences individuelles à des valeurs civilisationnelles et culturelles inconnues ou non familières et réduisent la distance intellectuelle et morale entre les différents modes de pensée et d'existence. L’autre pôle, qui s'inscrit souvent en réaction au premier, s'accomplit dans la réaffirmation d'identités nationales, sociales, économiques ou culturelles particulières : l'humanité – à tout le moins dans les sociétés de tradition libérale et démocratique – en est à un point de son développement qui s'articule dans la construction institutionnalisée de l'individu, dans la glorification publique de la subjectivité individuelle.

De toute évidence, la mondialisation prend fait et acte dans « l'universalisation du particularisme et dans la particularisation de l'universalisme » (Robertson, 1992 : 102). Il s'agit là d'une évolution propre à la modernité – certains insisteront pour dire que dans ces conditions, c'est bien de postmodernité dont il est question – qui n'est pas sans susciter une tension entre homogénéisation et hétérogénéisation culturelle. Cette tension aboutit à l'instauration progressive d'une dynamique sociale qui s'accomplit dans ce que Michel Freitag a décrit comme

un décalage croissant au sein du sujet collectif de type encore moderne, entre d'un côté l'universalisme transcendantal (associé au concept de l'État) et l'unité de l'identité communautaire (impliquée dans le concept de Nation), au nom desquels les exigences de transformation de la société sont justifiées et formulées politiquement, et de l'autre la spécificité empirique de plus en plus marquée des formes de mobilisation et des objectifs particuliers qui sont poursuivis par les divers mouvements sociaux dans lesquels le sujet politique universaliste de la modernité commence à se décomposer (Freitag, 1992 : 48).

On trouve dans la littérature pertinente différentes manières de caractériser cet entrechoquement entre universalisme et particularisme. Si certains y voient le [109] propre de la mondialisation, pour d'autres il ne s'agit que d'une conséquence de la modernité. D'autres encore parlent d'une condition typique de la postmodernité ou du postkeynésianisme. La manière de caractériser la chose importe peu finalement ; l'absence de standardisation intellectuelle pour en rendre compte participe plus d'un flou théorique normal étant donné son apparition relativement récente dans le champ d'interactions sociétales. Ce qui semble sûr, cependant, au-delà des chicanes sémantiques et interprétatives, c'est la réalité même du phénomène. Il est important d'en bien saisir l'effet, car il conduit tout droit à une reconfiguration du politique. Il est encore trop tôt pour savoir quelle sera la forme finale de cette reconfiguration, mais il semble d'ores et déjà qu'elle passera par

le démembrement progressif de l'unité transcendantale du sujet politique, selon la logique nouvelle de la légitimation de la diversité des intérêts empiriques et donc des conflits d'intérêts ou d'objectifs dans la société. La portée du démembrement deviendra explicite lorsque les « intérêts » en question finiront par s'énoncer, non plus dans le langage universaliste et creux des « intérêts », mais dans celui immédiatement concret de la revendication de reconnaissance des identités particulières, fondées elles-mêmes sur n'importe quelle sorte de différence (Freitag, 1992 : 48).

« L’idéal moderne de subordination de l'individuel aux règles rationnelles collectives a été pulvérisé », nous dit Gilles Lipovetsky, « le procès de personnalisation a promu et incarné massivement une valeur fondamentale, celle de l'accomplissement personnel, celle du respect de la singularité subjective, de la personnalité incomparable... » (1983 : 12-13). À terme, le démembrement dont parle Freitag signifie la fragmentation du social et du politique, tels qu'ils ont été conçus jusqu'à maintenant, en une multitude d'identités de plus en plus particulières et limitées, de plus en plus locales, à la recherche de sphères singularisées d'autonomie qui appuient leurs prétentions spécifiques sur les droits individuels et, donc, sur une liberté définie de manière privée.

Certains se réjouissent de cette perspective et y voient « un renforcement de masse de la légitimité démocratique » (Lipovetsky, 1983 : 185) ou, encore, la possibilité de se libérer du Léviathan et de faire l’'expérience de formes communautaires réduites et, par conséquent, plus humaines et plus démocratiques (Luke, 1992 : 33). D'autres, au contraire, croient que la dynamique sous-jacente au procès de personnalisation ne peut que conduire au chaos, à différentes formes de disjonction du social dans la mesure où l'hétérogénéisation culturelle qu'il suppose est absolument incompatible avec la tendance fondamentale à l'homogénéisation des sociétés modernes (Appadurai, 1990 : 20).

Quoi qu'il en soit de ces supputations prospectivistes, tous s'accordent pour conclure que la mondialisation conjugue une grammaire politique aux accents nouveaux qui remet en question les formes et institutions actuelles du politique. Il peut être encore difficile de croire la chose possible, car l'espace politique public n'a pas changé de manière radicalement perceptible sous le [110] coup de l'hétérogénéisation culturelle croissante. On pourrait même plutôt penser qu'il s'en trouve enrichi ; que la gestion des revendications féministes ou de la pluriethnicité, par exemple, a permis au droit universaliste de l'État-nation de marquer des points pour la démocratie. Pourtant, il n'est pas excessif de croire que la pénétration de l'hétérogène mène, à terme, à l'obsolescence de l'État-nation et des réseaux centralistes de gouverne. Certains croient d'ailleurs que le processus est déjà amorcé au Canada (Hamel et Jalbert, 1991 ; La Rue et Létourneau, 1993 ; Leys et Mendell, 1992).

Timothy Luke (1992) explique que le procès général de mondialisation (globalization) s'accomplit dans l'émergence d'écheveaux informatiques, télématiques et robotiques multiformes dont l'imbrication contribue à la mise en place d'une « infostructure » planétaire qui abaisse les barrières érigées autrefois par les États industriels modernes pour s'aménager des sphères distinctes d'autonomie, de sécurité et d'identité nationales. L’effet combiné de ces écheveaux engendre de nouveaux codes et de nouvelles pratiques culturelles qui se déploient par-delà les confins de l'État-nation dans des expressions de différence, de résistance et de multiplicité « in a cybercreole of placelessness, eccentricity, and simultaneity » (1992 : 29). Ces nouveaux codes et pratiques sont articulés par des forces sociales dont les agents opèrent à l'intérieur de sites les plus divers et dont la conception du pouvoir, le langage propre, les cadres spatio-temporels et les signes d'autorité s'inscrivent en faux contre l'État unidimensionnel et universalisant. À terme, c'est vraisemblablement au décentrage, à la déconstruction et à la dématérialisation des notions conventionnelles du pouvoir d'État centralisé qu'aura contribué le procès de mondialisation.


Identité québécoise et hétérogénéité

C'est avec l'imminence de ce contexte nouveau en toile de fond qu'il faut apprécier les particularités de la problématique identitaire au Québec. La volonté de reconnaissance, le désir de voir son identité propre et son droit à la différence universellement respectés sont désormais des déterminants importants de la dynamique sociopolitique des sociétés modernes. Le Québec n'échappe pas à cette réalité. Cela n'est pas sans conséquence pour l'intégrité de l'identité québécoise traditionnellement conçue alors que la réalité sociale s'objective désormais au Québec dans une multitude d'identités différentes et revendicatrices.


La construction du consensus identitaire québécois

L'accès à la modernité, la chose est connue, a eu pour résultat au Québec la reconfiguration de l'identité par laquelle les Québécois d'expression française s'étaient traditionnellement définis. De peuple aux accents ruraux et colonisés, imbu d'un imaginaire de soumission fait de repli sur soi, de peuple profondément [111] ancré dans un terroir passéiste tenant lieu de seul rempart contre les humiliations de l'histoire, les francophones du Québec – les Canadiens français – sont devenus en moins d'une génération peuple rebelle et conquérant, en quête d'un État-nation, embrassant à bras le corps tous les défis de la modernité.

L'historien Jocelyn Létourneau [1] a habilement exploré le sens et les effets du passage à la modernité sur la reconstruction de l'identité et la production de l'être collectif au Québec. Incarnations d'un récit fondateur modulé selon les inflexions intellectuelles et culturelles d'une intelligentsia et d'une technocratie rapidement devenues dominantes dans la foulée de la Révolution tranquille, le Québec et les Québécois modernes, explique-t-il, sont le produit d'une identité réinventée. Ce récit participe essentiellement de ruptures présentées comme nécessaires avec un passé, des institutions et une mémoire qui empêchaient le Québec d'advenir et de se réaliser pleinement. Il s'appuie en grande partie sur une axiomatique efficace et convaincante qui a progressivement pénétré l'imaginaire collectif. Puisant d'abord dans les savoirs savants et les référents caractéristiques de la modernité, il s'est formulé en une réinterprétation de l'expérience vécue et fait de l'État (québécois) un véritable moi social, le lieu d'accomplissement par excellence de toutes les aspirations de la collectivité.

L'identité nouvelle qui prend forme à travers ce récit est faite de représentations homogènes et de prétentions universalisantes qui posent l'inaliénabilité du territoire québécois et font de ce même territoire le lieu privilégié de convivialité et d'existence des Québécois de souche française. Bien que discours de rupture, la parole technocratique qui alimente l'identité du Québec moderne n'en puise pas moins dans la tradition et la mémoire culturelle, sources des lieux communs de l'imaginaire collectif et du sentiment d'appartenance sans lesquels l'authenticité nationalitaire et les fondements de l'« être québécois » seraient vides de sens. Bien que l'accès à la modernité ait permis que la société québécoise se délivre des carcans idéologiques traditionnels et de référents identitaires dépassés, la parole technocratique, qui justifiait et rationalisait le devenir moderne, n'en a pas moins eu recours aux grands récits du passé pour mobiliser la nation vers la modernité. « Le recours à la tradition s'est apparenté à une espèce de baume appliqué sur le corps social pour soulager la souffrance créée par l'exil du passé, d'une part, et pour prévenir toute dislocation (ou errance) possible de l'être collectif en train de vivre un processus majeur de recomposition sous les traits d'une figure moderne, d'autre part » (Létourneau, 1992 : 784).

Il ne fallait pas que l'ouverture de la société québécoise sur l'extérieur que comportait l'émancipation moderniste entraînât la désincarnation du moi collectif. La mise en place par la technocratie d'un État provincial fort, véritable État dans l'État, allait, avec ses prétentions d'État-nation, servir de point d'ancrage autour duquel s'agglutinerait progressivement le corps social. Autour de lui allait prendre forme une identité dynamique, robuste et universelle à [112] laquelle se rallierait bientôt la quasi-totalité des Québécois d'expression française – « de souche ».

Les tribulations constitutionnelles des dernières années nous donnent la juste mesure de toute la profondeur et de l'efficacité de ce processus de reconstruction identitaire par et à travers l'État. On pourra peut-être chicaner sur l'ardeur qu'il y mit, mais de Meech à Charlottetown, le gouvernement du PLQ insista constamment sur la légitimité et sur l'intégrité juridictionnelle et administrative de l'État québécois. À travers cette insistance à protéger les frontières institutionnelles de l'État, ce gouvernement, pourtant nullement soupçonnable d'acharnement indépendantiste, ne faisait rien d'autre que de réaffirmer les fondements existentiels et prétendument inviolables de l'identité que les Québécois sont à se fabriquer depuis la Révolution tranquille. Il se faisait l'écho d'un large consensus quant à la perception qu'ont les Québécois de la nature et du contenu de leur être collectif.

Cet être collectif, porté tout entier par la modernité et résolument tourné vers l'avenir, apparaît dans l'univers symbolique des Québécois au moment de la Révolution tranquille sous les traits d'un Homme [2] assuré, audacieux, conscient de ses capacités et tout prêt à en maximiser l'application. Si, au cours des années soixante et soixante-dix, cette assurance et cette audace l'amènent à prendre sa place dans la Cité et à affirmer ses droits, elles articulent depuis le début des années quatre-vingt une ambition économique et entrepreneuriale vorace de même qu'une confiance aveugle dans ses chances de réussite. Qu'il s'avère aujourd'hui que les succès économiques et financiers enregistrés par la bourgeoisie d'affaires québécoise aient été fort relatifs au cours de la dernière décennie, que « Québec Inc. » ait été à certains égards une vue de l'esprit plutôt qu'une réalité tangible et productive (Dubuc, 1993 ; Létourneau, 1991 : 26-29), importe peu : cela ne change rien à la volonté (ni à la constance de cette volonté) d'affirmation collective qui anime les Québécois et leurs prétentions à la différence.

À travers les mutations identitaires induites par la modernité (« de l'Homme hésitant à l'Homme audacieux, de l'Homme dans la Cité à l'Homme dans le Marché ») s'est constituée une parole hégémonique – autrefois articulée par la technocratie d'État, aujourd'hui par l'élite économique – qui affirme sans ambages et comme un leitmotiv que le Québec est une société libre, distincte, seule maîtresse de son destin, de ses choix et de son développement. Peu importe les options politiques ou constitutionnelles qui se réclament de cette parole, se profile en filigrane de sa textualité l'homo quebecensis dans toute sa culturalité et dans toute son historicité propres, à nulles autres pareilles. Malgré la bonne volonté apparente du discours officiel, malgré les appels à la tolérance, à la reconnaissance de la différence et de l'altérité – rectitude politique oblige –, la québécitude reste, dans l'univers symbolique de l'imaginaire collectif, profondément attachée à cette culturalité et à cette historicité précises qui définissent véritablement une « communauté imaginée » au sens ou l'entend Benedict Anderson (1991).

[113]

Officiellement, cette québécitude reste ouverte à l'immigrant, pour peu qu'il en veuille. Dans les faits, c'est-à-dire en ce qui a trait aux perceptions symboliques, elle interpelle d'abord et surtout ceux et celles qu'on appelait autrefois les Canadiens français, unis qu'ils sont par un sens commun et inné de la nation et de la culture dans lesquelles ils se reconnaissent d'emblée, un vécu collectif qui leur est propre et qui remonte aux origines, ainsi qu'un territoire historiquement circonscrit. Toute la charge identitaire que porte la québécitude, tout le projet social qu'elle véhicule, tout le dynamisme qu'elle projette sont tournés presque à l'exclusive vers l'homo quebecensis ; ils sont définis, imaginés pour lui, pour son bénéfice.

« Aucune nation ne s'imagine en contiguïté avec l'humanité », écrit Anderson (1991 : 7). Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau et la grande majorité des mémoires qui y ont été présentés illustrent parfaitement cette assertion. Après trente ans de quête identitaire, la parole publique s'est enfin cristallisée en « un formidable consensus », pour reprendre les mots du Parti québécois. Or, ce consensus, à quelques dissonances près, c'est d'abord et avant tout à la mouvance des Québécois francophones de souche qu'il fait référence. Si le projet de souveraineté qu'il justifie pour certains articule au premier chef l'État québécois et se veut englobant, c'est à n'en pas douter, au profit éventuel de la communauté imaginée qu'on le propose (Nemni, 1993).

On peut s'offusquer de l'exclusivisme inavoué et inavouable que comporte le phénomène, mais cela ne changerait rien au fait qu'il recouvre simplement une réalité fondamentale, incontournable, tout bonnement humaine : tout groupe national est le produit d'une dynamique sociohistorique donnée qui informe, modèle et, surtout, distingue l'être collectif – qui anime, donne un sens à l'« entre-nous ». La communauté imaginée est forcément limitée au vécu partagé par les membres qui la composent ; elle s'imagine a priori, viscéralement, sans l'Autre. Son histoire lui appartient en propre. Aussi généreuse soit-elle, aussi ouverte à l'Autre puisse-t-elle devenir, rien ne lui enlèvera cette histoire, substrat inaliénable de ses prétentions à la différence. La construction identitaire du Québec n'échappe pas à ce principe.


Dérives identitaires :
l’apparition de l’hétérogène


Implicitement, le territoire québécois est le lieu physique par excellence et incontestable sur et autour duquel l'identité de la communauté imaginée a toujours été pensée – « Le Québec aux Québécois ! ». Mais ce lieu n'a jamais été occupé à l'exclusive par les seuls membres de la communauté imaginée. Il s'y est toujours trouvé d'autres identités, souvent décomptées ou ignorées par la québécitude (l’identité immigrante), parfois silencieuses (l’identité autochtone et les diverses identités sociales et économiques : femmes, pauvres, jeunes), ou alors carrément conquérantes par-devant lesquelles il a fallu prendre position, voire s'opposer (l'Anglo-Québécois).

[114]

La Révolution tranquille et le verbe nationalitaire qui l'animait ont longtemps donné l'impression que le Québec ne pouvait prendre fait et acte que par et dans l'imaginaire identitaire particulier et homogène de l'homo quebecensis – le « pure laine ». Depuis une décennie au moins, d'autres expressions identitaires s'affirment, parfois parallèlement ou totalement en dehors de la québécitude, ou parfois encore cherchant au contraire à la pénétrer pour la redéfinir et la remodeler. L’hétérogène s'est désormais immiscé dans la problématique identitaire du Québec et revendique un espace qui lui serait propre.

Ce qui est indiscutable en tout cas, c'est qu'au début des années 80 (sic), à la faveur de la « déconfiture des dogmatismes modernistes », des questionnements du discours féministe, des repositionnements exigés de tous les groupes de la société, d'abord par la loi 101, puis par le résultat référendaire, l'hétérogène s'introduit par trois brèches : celle de la critique du discours nationaliste (même décapé), celle de l'écriture immigrante et celle de l'écriture au féminin (L’Hérault, 1991 : 57, en italique dans le texte)

L'hétérogène se manifeste à travers une parole identitaire nouvelle et polymorphe qui interpelle la québécitude dans ses fondements et ses certitudes. Par certains aspects, il se fait critique, de l'intérieur, et rejette d'emblée l'expression d'une identité qui ferait bloc et qui s'inscrirait sans appel dans le tissu homogène d'une certaine historicité, dans une certaine prégnance dont seuls les membres historiques de la communauté imaginée participeraient. Elle se pose pour une « ouverture indéfinie » de l'identité québécoise qu'elle somme de se « réoriginer », de se réinventer en dehors des schémas traditionnels de la culture qui l'ont définie historiquement (Charron, 1982 ; Morin, 1982 ; Morin et Bertrand, 1979). Par d'autres aspects, peut-être moins radicaux mais tout aussi interpellants, elle cherche surtout la recomposition de la québécitude. Elle ne la nie pas, ne lui demande pas nécessairement d'être ce qu'elle ne peut pas être, mais elle la convie à s'adapter aux réalités identitaires disparates d'une modernité débridée, à reconnaître que l'identité doit s'inscrire « dans l'hétérogénéité, la polysémie, l'équivoque, l'hybridité, le multiple. En d'autres mots : en dehors du régime de l'opposition simple qui rétablit l'homogène en excluant » (L’Hérault, 1991 : 67).

De toutes les manifestations de l'hétérogène, la parole immigrante est peut-être celle qui illustre de manière la plus percutante [3] la profondeur du défi qui est posé à la québécitude : en 1990, un grand sondage du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration devait révéler que 76 % des membres des communautés culturelles s'identifiaient partiellement ou exclusivement à leur ethnie d'origine ; la moitié ajoutait aussi se reconnaître plus volontiers comme Canadien, plus rarement comme Québécois (Cauchon, 1992 : B1).

Par-delà le multiculturalisme et l'intégration, options qu'elle rejette de plus en plus, la parole immigrante propose, ainsi que l'expriment les animateurs de la revue Vice Versa, « l'hypothèse transculturelle » (Tassinari, 1989 : [115] 58), c'est-à-dire un « autre regard sur la culture [...] qui permettrait de résoudre le drame de l'immobilisme et de la fuite aveugle » et qui cesserait de voir dans la multiethnicité du Québec « un patchwork de langues, d'habitudes et de comportements, mais bien conscience de soi, de ses origines, de son histoire ». L'hypothèse transculturelle ne cherche rien de moins qu'à « reconstituer la société civile autrement qu'en oscillant follement entre la nostalgie d'un passé immuable et l'adhésion inconditionnelle à la modernité, refus global de ce même passé » (Caccia et Tassinari, 1987. Cité par Tassinari, 1989 : 59).

En fait, l'homo quebecensis est appelé sur la voie d'une mutation profonde de son être collectif, « qui implique une modification du rapport à l'Autre favorisant la remise en cause des caractéristiques identitaires et de l'ordre culturel existants (donc qui assume l'idée selon laquelle les Québécois sont « tous ceux qui vivent au Québec », nonobstant leur culture d'origine et leurs pratiques culturelles actuelles) » (Létourneau, 199 1 : 30). L’idée est séduisante, en principe, mais elle ne peut s'accomplir sans « la prise de parole par les Gens du silence et la mise au silence d'un certain discours par les gens de parole » (L’Hérault, 1991 : 105, en italique dans le texte).

Manifestement, l'hétérogène postule plusieurs manières autres d'assumer la québécitude, plusieurs paroles autres que le verbe nationaliste, autres que celle de la communauté imaginée. On peut, certes, trouver quelque chose d'excitant, de noble, voire de libérateur dans le métissage des identités et embarquer à plein dans cette nouvelle aventure de la (post) modernité. Cependant, compte tenu de la réalité concrète des relations sociales, l'hétérogène semble plutôt porteur de tensions entre des visions divergentes du Québec et de l'« être Québécois », porteur d'inévitables questionnements politiques.

La recherche de réponses à ces questionnements ne saurait être aisée : l'intégration réticente des nouveaux immigrants, un contexte politique souvent fondé sur la méfiance réciproque, la cohabitation difficile et les privilèges économiques, sociaux et symboliques de la communauté francophone constituent des obstacles de taille à l'accomplissement d'un projet transculturel (Létourneau, 1991 : 30-34). La suite du texte tente de saisir un peu mieux la logique de ces tensions et questionnements qui suscitent un malaise que l'on appréhende encore mal.


Enjeux et défis de l’identitaire au Québec

Par la généralisation du phénomène de la mondialisation, la modernité, qui avait permis, dans le sillon de la Révolution tranquille, l'élaboration d'une identité nouvelle fondée sur la rupture d'avec les modèles socio-idéologiques d'antan, interpelle encore une fois l'identité québécoise. À cette différence près : il y a trente ans, la construction de l'identité québécoise pouvait procéder par rejet de carcans socioidéologiques devenus inacceptables parce qu'inadaptés aux impératifs de la modernité ; il s'agissait surtout de se débarrasser de ce qui dans le moi collectif était devenu un empêchement au progrès. [116] Aujourd'hui, la mondialisation propulse le Québec dans un univers de sphères multiformes de subjectivité (communautés culturelles, femmes, Autochtones, etc.) qui, fidèles à la morale individualiste et égalitaire produite par la raison techniciste/productiviste de la modernité, se posent en équivalents des aspirations identitaires des Québécois. De nouveaux choix s'imposent pour donner un contenu à l'identité québécoise : entre le pluralisme et la nostalgie des grands récits ; entre la reconnaissance de la différence et de l'altérité et le repli sur le moi collectif. Choix identitaires, mais aussi choix sociaux qui pourraient conduire à l'émergence d'une dynamique sociopolitique différente, et il n'est pas inconcevable qu'elle en soit une d'éclatement.

Lamberto Tassinari, un des animateurs de la revue transculturelle Vice Versa et chef de file de l'hétérogène au Québec, écrivait il y a quelque temps :

Résoudre le problème immigrant signifie se débarrasser de la « maladie Québec » et redéfinir de façon radicale l'identité québécoise. Ce chemin toutefois, encombré comme il est de débris du passé, de fantasmes, n'est pas facile à parcourir. Sur le plan théorique, un des principes permettant de comprendre notre fin de la modernité est la perte de sens du principe de majorité (force) avec son corollaire d'autoritarisme et d'ethnocentrisme. Or, les élites intellectuelles et politiques se montrent généralement réfractaires à ce concept. C'est la perception de soi comme mineur qui fait encore fantasmer ces élites, cette agglomération de classes, cet amas d'intérêts et de sentiments qu'est l'idéologie nationaliste. La nostalgie d'un pouvoir perdu, de l'Amérique ratée, enchaîne la pensée nationaliste aux sources mystifiées et mystifiantes (Tassinari, 1989 : 61).

Ces mots percutants, lancés sur le ton de l'amertume et de la provocation, laissent clairement entrevoir la nature des problèmes potentiels que soulève au Québec la généralisation du procès de mondialisation décrit précédemment. Ils témoignent de manière presque douloureuse du dilemme de la production identitaire au Québec. Tout en s'en prenant aux formulateurs de la québécitude, Tassinari dénonce les paramètres sociopolitiques à l'intérieur desquels ceux-ci confinent « l'être Québécois ». Il dénonce l'absence d'imagination et la désuétude du modèle de sociétalité auquel l'élite politique et les décideurs québécois semblent, selon lui, adhérer obstinément.

Il est clair que pour s'accomplir totalement, le projet identitaire sous-jacent à la québécitude compte sur la légitimation éventuelle d'un État-nation souverain. Les trois dernières décennies d'histoire ont démontré sans équivoque combien cette aspiration détermine profondément le discours et les politiques publics du Québec. Presque tous les gouvernements québécois, depuis 1960, ont cherché à asseoir, d'une manière ou d'une autre, l'autonomie juridictionnelle et administrative de l'État québécois ; et ce, toujours au profit de la communauté francophone, dans le but d'affirmer et de protéger sa spécificité culturelle présumée (bien que cela se fit avec des variations sensibles pour ce qui est des stratégies et des méthodes). Or, et c'est là le nœud du problème [117] identitaire actuel, alors même qu'ils n'ont jamais pu encore réaliser complètement l'expérience de l'État-nation, à travers lequel seul leur identité prend tout son sens, les Québécois (ceux de la communauté imaginée) sont dépassés par des prétentions identitaires parallèles et concurrentes dont la logique propre vient en quelque sorte flétrir leur ambition universaliste, exprimée justement par la quête de l'État-nation. Société moderne, intégrée dans le village global, le Québec subit aussi la tension entre universalisme et particularisme et connaît aussi le « démembrement progressif de l'unité transcendantale du sujet politique » dont parlait Freitag. L’unicité de « l'être Québécois » s'estompe désormais sous les assauts revendicateurs et particularistes de l'hétérogène.

La mondialisation a un effet équivoque sur la construction identitaire du Québec. D'une part, elle renforce le procès d'accentuation particulariste dont la québécitude elle-même participe. Étant partie du Canada, donc d'un ensemble plus vaste et englobant, dont la reconnaissance acquise comme État-nation permet l'exercice d'un monopole absolu sur le discours universaliste, le Québec y va de son particularisme nationalitaire pour contrer les effets néfastes de ce discours sur ses propres prétentions identitaires. Depuis l'échec de l'accord du lac Meech, on a assisté à une recrudescence du discours d'affirmation de la différence culturelle et politico-administrative du Québec. Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau ainsi que le rapport Allaire en ont clairement donné le ton. Aussi, dans le cadre strict du Canada, l'expression de la québécitude situe donc le Québec dans le camp de l'hétérogène et contribue par son discours disjonctif au démembrement de l'unité transcendantale du sujet politique canadien.

Cependant, et ici on baigne dans l'autre côté de l'équivoque, dans la mesure où la québécitude s'est imposée comme parole hégémonique, l'État québécois apparaît désormais sur le territoire restreint du Québec comme le centre universaliste et homogénéisant contre lequel opposer ses revendications particularistes et formuler ses aspirations à la différence. Dans l'optique des autres particularismes qui traversent aujourd'hui la société québécoise, l'expression de la québécitude apparaît comme un frein à l'expansion de leur propre espace identitaire. Situation ambiguë s'il en est : le Québec (celui de la communauté imaginée) participe à la fois de l'hétérogène et de l'universel, mais il y perd au change et sur deux fronts à la fois : celui de l'État canadien et celui même de l'espace politico-administratif et juridictionnel qui lui est imparti.

Depuis le début des années soixante-dix, les rapports interculturels et interethniques au Canada sont balisés par une politique de multiculturalisme qui postule que le pluralisme culturel constitue le fondement de l'identité canadienne. Chaque groupe ethnique, chaque communauté culturelle a le droit de développer et de préserver ses propres valeurs et référents identitaires particuliers au sein du cadre institutionnel canadien. Personne, cependant, ne peut y revendiquer un statut spécifique. Tous doivent bénéficier du même traitement, [118] des mêmes droits et des mêmes considérations de la part de l'État, tous sont également Canadiens.

La Loi constitutionnelle de 1982 est venue consacrer cette logique contradictoire de différenciation et d'homogénéisation en gestation depuis la fin des années soixante. Guy Laforest (1992) a bien démontré comment la réforme constitutionnelle de 1982 contourne la notion de deux majorités fondatrices, historiquement défendue par le Québec, en promouvant une culture politique fondée sur le minoritarisme constitutionnel. Le Québec se retrouve désormais sans plus de prétentions spécifiques que les autres minorités culturelles maintenant dotées de véritables identités constitutionnelles. L’Acte constitutionnel de 1982 a mis fin à la pertinence métanarrative de la dualité canadienne. Entre Meech et Charlottetown, il est devenu clair que le Canada anglais n'entend pas reconnaître de statut spécial à la prétendue différence du Québec. Au cours des cinq années qu'aura duré le dernier exercice de réflexion publique sur l'avenir constitutionnel du Canada, la voix du Québec s'est progressivement éraillée jusqu'à l'extinction dans une cacophonie de prétentions identitaires particularistes et autocentrées, toutes aussi vociférantes les unes que les autres. Manière comme une autre de désamorcer l'hétérogène.

Dans pareil contexte où toute forme de hiérarchisation des prétentions identitaires est pratiquement impossible, la crédibilité et la légitimité des paramètres identitaires qui définissent la québécitude s'estompent. Au point où, sur le territoire même du Québec, ils constituent de bien faibles arguments devant les revendications des nations autochtones ou des communautés culturelles animées aussi de prétentions identitaires que d'aucuns n'hésitent pas à présenter comme équivalentes à celles du Québec. Au sein du cadre constitutionnel et législatif canadien, une identité vaut bien l'autre.

Les Autochtones en particulier l'ont compris et c'est pourquoi, au plus fort des débats constitutionnels de l'année dernière, certains de leurs leaders n'ont pas craint d'aller jusqu'à nier l'existence du peuple québécois ou encore de remettre en cause les frontières territoriales du Québec. Si tous n'avalisent pas nécessairement le radicalisme de cette position, il est clair, dans la vision autochtone des choses, que le droit autochtone à l'autodétermination n'est pas moins important que la volonté des Québécois à disposer de leur destin national. Il ne saurait être question pour les Autochtones d'accepter qu'il y ait préséance de celle-ci sur celui-là dans quelque exercice de redéfinition du contrat social, tant dans le Canada tout entier qu'au Québec.

La négation constitutionnelle de la spécificité du Québec menace d'au moins deux manières la construction identitaire de la québécitude. Premièrement, sur la base de la culture politique héritée de la logique constitutionnelle qui prévaut actuellement, de plus en plus de groupes se sentent justifiés de remettre en question les prétentions identitaires et particularistes du Québec. Plusieurs nations autochtones, Mohawks en tête, n'ont pas manqué de faire part de leur position à cet égard depuis quelques années (Vincent, 1992). Il en est de même, quoique de manière moins radicale et moins spectaculaire, des [119] Anglo-Québécois et des communautés culturelles qui s'inscrivent dans leur mouvance (Legault, 1992). Cette approche s'inscrit pour ces groupes dans une logique d'autant plus naturelle qu'ils s'identifient souvent plus volontiers à l'État fédéral au sein duquel le Québec n'occupe, dans leur imaginaire propre, qu'un espace administratif subalterne. Deuxièmement, ils sont également justifiés d'y aller de leurs propres prétentions identitaires qu'ils n'hésitent pas à inscrire d'emblée en dehors de la québécitude [4]. Ces prétentions, ils en assènent l'État québécois qui, d'abord garant et porteur – presque par définition – de la québécitude, les en exclut ou alors propose des demi-mesures inévitablement imparfaites et insatisfaisantes. La situation ne manque pas d'être embarrassante : l'État québécois et la communauté francophone qui s'en réclame font figure de bourreau dans l'opinion publique, eux dont la victimisation historique a alimenté la conscience collective, justifié les mobilisations nationalitaires et permis le cumul d'un certain (mais fluctuant) capital de sympathie jusqu'à la débâcle de l'accord du lac Meech.

Le dossier autochtone est l'illustration par excellence de ce phénomène. Les revendications sur lesquelles reposent les prétentions identitaires de plusieurs nations autochtones semblent devoir passer obligatoirement par la réappropriation territoriale. Cela ne peut que heurter de front l'identité québécoise dont le substrat imaginaire est intimement lié à une géographie considérée comme inaliénable. Dans l'état actuel des choses, rien de ce que fera un gouvernement québécois ne pourra satisfaire les Autochtones, à moins, bien sur, qu'il ne s'agisse de cessions inconditionnelles de territoires convoités et d'une reconnaissance active, irrévocable et non équivoque du droit à l'autodétermination gouvernementale. La chose est improbable : il n'y a qu'à constater l'obstination avec laquelle les élites politiques tiennent à l'intégrité territoriale du Québec pour s'en rendre compte. Le bras de fer politique, juridique et médiatique auquel se livrent certaines communautés autochtones et l'État québécois depuis quelques années témoigne bien de l'impasse à laquelle mène le conflit des identités. Impasse dont la québécitude sort amoindrie. L'État québécois est acculé, souvent déconfit, dans l'obligation de justifier le projet hégémonique et sa réticence à accommoder l'hétérogène.


Identité, citoyenneté et démocratie

Ainsi, donc, dans la mesure où le Canada participe du cadre global des transformations sociétales qui opèrent à l'échelle mondiale, la québécitude semble carrément n'avoir plus la dragée haute dans la course à l'affirmation identitaire. Ni au Canada ni même sur le territoire du Québec. Les Québécois de la communauté imaginée sont maintenant en compétition constante avec des identités parallèles et concurrentes qui s'affirment sur l'échiquier politique et qui revendiquent le même espace de reconnaissance identitaire que le leur. En fait, les prétentions identitaires qui les ont caractérisés historiquement font aujourd'hui face à une crise de légitimité qui laissera des traces profondes.

[120]

L’identité québécoise a deux choix. Elle peut, bien sûr, s'adapter pour inclure les identités nouvelles et polymorphes qui cherchent à s'exprimer et à investir le territoire de l'imaginaire social québécois pour le transformer inévitablement. Certains y travaillent déjà de l'intérieur et de l'extérieur de la québécitude. On peut penser que la rhétorique officielle et même certaines politiques gouvernementales s'inscrivent dans cette vision (Juteau et McAndrew, 1992 : 166-167). Cela suppose cependant que de nouveaux paramètres sociopolitiques soient élaborés et, à terme, que les concepts totalisants et universalisants comme l'État-nation soient complètement abandonnés. (L'inclusion de l'hétérogène en contexte de mondialisation semble devoir se faire à ce prix ou alors, elle ne se fera pas. N'est-ce pas justement ce que préconisait Tassinari un peu plus haut ?) La chose apparaît hautement improbable et irréaliste. Aucune nation ne saurait se saborder avant même d'avoir fait l'expérience de l'État-nation, puisque c'est en quelque sorte l'aboutissement ultime de l'affirmation identitaire, ce vers quoi toute nation, toute communauté imaginée, tend naturellement.

L'autre choix, plus troublant mais certes pas moins inimaginable, pourrait bien s'objectiver dans le refus par la québécitude de l'altérité et de l'hétérogène. Bien que le Québec semble avoir opté pour un modèle pluraliste de société, « [l]e danger de différencier pour exclure, de vouloir distinguer entre les vrais et les autres demeure présent », nous disent deux spécialistes de la question des relations interculturelles. « La tentation de redéfinir de manière étroite et exclusive les frontières de la nation nous guette, et ce, d'autant plus que la nation en question se construit par l'incorporation d'éléments ethniques préexistants » (Juteau et McAndrew, 1992 : 179).

La tentation de l'exclusivisme dont parlent Juteau et McAndrew, on en voit déjà les signes. Que l'on pense simplement à la hargne exprimée par l'opinion publique québécoise contre les Mohawks au moment de la crise d'Oka, au front commun des milieux d'affaires et nationalistes contre les aspirations identitaires des Cris dans le dossier Grande Baleine (Fontaine, 1991 : A1) ou encore à la désinvolture avec laquelle Jacques Parizeau devait affirmer, l'hiver dernier, que nul n'était besoin des Anglo-Québécois et des communautés culturelles pour réaliser le désir de souveraineté des Québécois [5].

Par les procès de transformations sociétales qu'elle induit dans les sociétés nationales, la mondialisation impose, à l'évidence, un défi de taille aux Québécois et à la perception qu'ils ont de leur être collectif. Ce défi, c'est celui de la citoyenneté et, par extension, celui de la démocratie. De quel type de citoyenneté le Québec doit-il se réclamer ? D'une citoyenneté généreuse et ouverte à toutes les dimensions de l'hétérogénéité ou d'une citoyenneté formelle, totalisante, définie d'abord en fonction d'une québécitude limitée surtout à la communauté imaginée ? Certes, le discours officiel, dans toute sa rectitude obligée, laisse généralement entendre que c'est à la première forme de citoyenneté qu'il adhère. En fait, tout en semblant affirmer la reconnaissance de l'Autre, il camoufle bien souvent une reconnaissance forcée qui ne [121] vise rien de moins que la mise en place de formes d'intégration équivalentes en bout de piste à un déni pur et simple de l'hétérogène (Latouche, 1989 : 13).

La construction de la québécitude appelle nécessairement à la vigilance. À regarder le processus de redéfinition socio-institutionnelle amorcé au Québec depuis un peu moins d'une dizaine d'années, rien n'est moins clair que la volonté d'inclure l'hétérogène à ce processus (Maillé et Salée, 1994). Dans le cadre actuel des choses, il est presque inévitable qu'un groupe national dont les aspirations identitaires sont menacées ou remises en question, comme c'est le cas des Québécois, définisse de manière plus restreinte et plus limitée les paramètres de son être collectif. La question se pose donc d'emblée : quelles chances un nouvel imaginaire social – une nouvelle québécitude – fondé sur une vision large et englobante de la citoyenneté et de la démocratie a-t-il de prendre racine au Québec ?

À pareille question, on voudrait répondre avec optimisme et croire que le Québec de demain sera forcément ouvert et généreux, capable de vivre le pluralisme dans l'harmonie sociale et institutionnelle la plus parfaite. Malheureusement, personne ne peut affirmer avec certitude que tel sera le cas. Telle qu'elle se vit en ce moment, la problématique identitaire pose en fait un questionnement plus large qui, sans être unique au Québec, n'est pas non plus sans l'interpeller : est-ce que l'identité – est-ce que l'affirmation identitaire – est réalisable de façon démocratique dans un contexte non seulement de mondialisation, mais de métissage des populations ? Peut-on concevoir la démocratie, simplement, comme juxtaposition d'identités ?

Toute la problématique identitaire est d'abord, irrémédiablement, question de pouvoir : question de création et d'obtention du pouvoir pour soi-même et l'identité dont on participe (empowerment), question de contrôle et de domination de ressources territoriales, économiques et institutionnelles sur lesquelles pourra s'appuyer l'identité et grâce auxquelles on possédera les moyens de l'affirmer librement et de la faire reconnaître avec succès par le reste du monde. C'est là le nœud du problème. La survie des identités ne s'alimente pas de vœux pieux et de bonnes intentions. Elle comporte un combat pour les moyens et les ressources nécessaires à l'affirmation et à la consolidation identitaire.

Que faut-il en conclure quant au questionnement plus large que pose la problématique identitaire pour le Québec ? Il semble être devenu de plus en plus difficile, voire impossible, pour nos sociétés d'articuler positivement les prétentions identitaires singulières, individuelles ou collectives, à une conception large et unanimiste de la communauté politique – ce à quoi tend inévitablement l'État-nation. En fait, le libéralisme est arrivé à un point de non-retour. La logique individualiste qui l'informe atteint son ultime limite d'expression dans les sociétés modernes. Elle est essentiellement responsable du polymorphisme identitaire qui en marque – et définit même de plus en plus – la dynamique sociopolitique. Ce n'est pas nécessairement mauvais : d'aucuns diront que la célébration du sujet, de l'identité singulière, a permis la réalisation de [122] progrès indéniables dans la pratique démocratique au cours des dernières années. Il faut voir, cependant, que plus se développe l'hétérogène, plus on s'éloigne d'un projet social susceptible de rallier le plus grand nombre, plus il devient difficile de constituer une communauté politique qui satisfasse tout le monde. Nos récents échecs constitutionnels en sont l'illustration.

Tant que le libéralisme n'a fait qu'articuler des notions vagues et générales de citoyenneté, cela ne posait pas de problème. Mais dans la mesure où les progrès de la démocratie ont commencé à comprendre l'élargissement de la sphère privée comme critère obligé de la formulation des politiques publiques, une multitude de particularismes ont commencé à comprendre une attention ou une reconnaissance spécifique dans la distribution des ressources collectives. Tous les particularismes s'équivalent et chacun doit bénéficier de la même écoute de la part de l'État. Résultat : le jeu politique actuel est hautement compétitif et ressemble plus souvent à une « foire d'empoigne » d'identités particulières (Simard, 1990 : 134 ; Létourneau, 1991 : 31) qui tentent d'obtenir le plus possible de l'État, soit en termes concrets, soit en termes de reconnaissance morale, pour satisfaire les exigences propres de leur actualisation sur la place publique.

On aura beau reconnaître la « profonde diversité » de nos sociétés à l'instar des philosophes communautaristes et chercher à en accommoder les multiples composantes, il semble improbable de déboucher sur un projet collectif qui rencontre et fasse la synthèse des objectifs particuliers des identités singulières, et ce, pour au moins trois raisons. La première est simple et s'impose d'évidence : le fossé qui sépare certaines identités singulières tout à fait contradictoires est parfois tellement large qu'il est difficile d'imaginer qu'il puisse jamais être comblé. Que l'on pense seulement aux deux mondes conceptuels, idéologiques et culturels qui opposent Autochtones et Allochtones au Canada. Dans un contexte où toutes les identités s'équivalent, se créent des positions souvent inflexibles qui rendent ardue la recherche du juste milieu. Deuxièmement, le libéralisme est contradictoire en son principe même. Il glorifie l'individualité d'une part, mais cherche d'autre part à en aplanir l'expression par sa tendance inhérente à « l'identicité » et à affirmer l'égalité formelle des individus. Bien que le projet libéral reconnaisse l'individualité, il la noie le plus souvent dans des pratiques sociopolitiques uniformisantes et homogénéisantes. Enfin, pour arriver à réaliser une quelconque synthèse d'identités singulières dans le respect de la profonde diversité de la société, il faudrait un nouveau sens moral, une nouvelle éthique des relations sociales qui fait défaut au libéralisme.

C'est dans la recherche de cette nouvelle éthique des relations sociales que se situe le véritable défi de la quête identitaire au Québec. Certes, cela exige rien de moins qu'un changement de paradigme qui doit tendre vers le refus de cette tendance improductive à penser les modalités de notre insertion personnelle dans la société en fonction de priorités individuelles étroitement définies – bref, vers le rejet du libéralisme comme balise principale de la [123] sociétalité. La survie de la québécitude, de la communauté imaginée, par-delà les défis de la mondialisation pourrait bien n'être qu'à ce prix.


RÉFÉRENCES

Anderson, B. (1991), Imagined Communities (2e édition), Londres : Verso.

Appadurai, A. (1990), « Disjuncture and Difference in the Global Cultural Economy », Theory, Culture and Society, II, 2 : 1-24.

Arnason, J.P. (1990), « Nationalism, Globalisation and Modernity », Theory, Culture and Society, VII, 2-3 : 207-236.

Breton, G. et J. Jenson (1991), « La nouvelle dualité canadienne : l'entente de libre-échange et l'après-Meech » : 77-92, dans Louis Balthazar, Guy Laforest et Vincent Lemieux (dir.), Le Québec et la restructuration du Canada, 1980-1992, Sillery : Septentrion.

[124]

Caccia, F. et L. Tassinari (1987), « Kerouac ou le Survenant de l'Amérique », Vice Versa, 17 (décembre-janvier) : 27-28.

Cauchon, P. (1992), « Le brouillage des identités », Le Devoir, 7 octobre : B1.

Charron, F. (1982), « La passion d'autonomie : littérature et nationalisme », Les herbes rouges, 99-100 : 3-68.

Drache, D. et M. Gertler (dir.) (1991), The New Era of Global Competition. State Policy and Market Power, Montréal : McGill-Queen's.

Dubuc, A. (1993), « Québec Inc., un frein à nos défis », La Presse, 24 avril : B3.

Featherstone, M. (dir.) (1990), Global Culture. Nationalism, Globalisation and Modernity, Londres : Sage ; (1991), Consumer Culture and Postmodernism. Londres : Sage.

Fontaine, M. (1991), « Grande Baleine : foncer malgré les Indiens », La Presse, 23 novembre : A1.

Freitag, M. (1992), « L’identité, l'altérité et le politique. Essai exploratoire de reconstruction conceptuelle-historique », Société, 9 : 1-55.

Hamel, P. et L. Jalbert (1991), « Local Power in Canada : Stakes and Challenges in the Structuring of the State » : 88-102, dans C. Pickvance et E. Preteceille (dir.), State Restructuring and Local Power. A Comparative Perspective, Londres : Pinter Publications.

Juteau, D. et M. McAndrew (1992), « Projet national, immigration et intégration dans un Québec souverain », Sociologie et sociétés, XXIV, 2 : 161-180.

Laforest, G. (1992), Trudeau et la fin d'un rêve canadien, Sillery : Septentrion.

LaRue, R. et J. Létourneau (1993), « De l'unité et de l'identité au Canada. Essai sur l'éclatement d'un pays », Revue internationale d'études canadiennes, 78 : 81-94.

Latouche, D. (1989), « Le pluralisme ethnique et l'agenda public au Québec », Revue internationale d'action communautaire, 21/61 : 11-23.

Legault, J. (1992), L'invention d'une minorité. Les Anglo-Québécois, Montréal : Boréal.

Létourneau, J. (1991), « La nouvelle figure identitaire du Québécois. Essai sur la dimension symbolique d'un consensus social en voie d'émergence », British Journal of Canadian Studies, VI, 1 : 17-38.

Létourneau, J. (1992), « Le "Québec moderne" : un chapitre du grand récit collectif des Québécois », Revue française de science politique, XLII, 5 : 765785.

Leys, C. et M. Mendell (dir.) (1992), Culture and Social Change, Montréal : Black Rose.

L’Hérault, P. (1991), « Pour une cartographie de l'hétérogène : dérives identitaires des années 1980 » : 53-114, dans Sherry Simon et al., Fictions de l'identitaire au Québec, Montréal : XYZ éditeur.

Lipovetsky, G. (1983), L'ère du vide, Paris : Gallimard (coll. Folio essais).

Luke, T. (1992), The Political Economy of Globalism. Leaving the Leviathan, Moving to Lilliput, communication présentée au quatrième congrès international de l'Institut d'économie politique Karl Polanyi, Montréal, inédit.

[125]

Maillé, C. et D. Salée (1994), « De la démocratie au Québec : enjeux et perspectives » : 52 73, dans G. Breton, J.-M. Fecteau et J. Létourneau (dir.), La condition québécoise : enjeux et horizons d'une société en devenir, Montréal : VLB éditeur.

Morin, M. (1982), L'Amérique du Nord et la culture, Montréal : Hurtubise HMH.

Morin, M. et C. Bertrand (1979), Le territoire imaginaire de la culture. Montréal : Hurtubise HMH.

Nemni, M. (1993), « La Commission Bélanger-Campeau et la construction de l'idée de sécession au Québec », Revue internationale d'études canadiennes, 7-8 : 285-312.

Renaud, G. (1984), À l'ombre du rationalisme, Montréal : Éditions coopératives Albert Saint-Martin. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

Robertson, R. (1992), Globalization. Social Theory and Global Culture. Londres : Sage.

Rocher, E (1993), « Continental Strategy : Quebec in North America » : 450-468, dans Alain G. Gagnon (dir.), Quebec : State and Society (2e édition), Scarborough : Nelson.

Salée, D. (1986), « Pour une autopsie de l'imaginaire québécois : regards sur la morosité postmoderne », Revue canadienne de théorie politique et sociale, X, 3 : 114-123.

Simard, J.-J. (1990), « La culture québécoise : question de nous », Cahiers de recherche sociologique, 14 : 131-141.

Tassinari, L. (1989), « La ville continue. Montréal et l'expérience transculturelle de Vice Versa », Revue internationale d'action communautaire, 21/61 : 5762.

Touraine, A. (1989), « Commentaire » : 117-122, dans M. Lesage et E Tardif (dir.), Trente ans de révolution tranquille, Montréal : Bellarmin.

Vincent, S. (1992), « La révélation d'une force politique : les Autochtones » : 749-790, dans G. Daigle (dir.) avec la collaboration de G. Rocher, Le Québec enjeu. Comprendre les grands défis, Montréal : Presses de l'Université de Montréal.

Fin du texte


Notice biographique

[370]

DANIEL SALÉE

Daniel Salée est présentement directeur adjoint de l'École des affaires publiques et communautaires de l'Université Concordia. Il est coauteur de Entre l'ordre et la liberté : colonialisme, pouvoir et la transition vers le capitalisme dans le Québec du 19e siècle (1995) et de The Quebec Democracy : Structures, Processes and Policies (1993). Il a aussi codirigé Artful Practices : The Political Economy of Everyday Life (1994) et The Legacy of Karl Polanyi : Market, [371] State and Society at the End of the 20th Century (1991). Ses travaux récents l'ont amené à s'intéresser à la dynamique des rapports politiques entre groupes ethniques et à la question autochtone au Québec.



* L'auteur tient à remercier Diane Lamoureux, Gilles Breton et Guy Laforest pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce texte.

[1] Cette section emprunte aux travaux et analyses développés par Létourneau (1991, 1992).

[2] C'est l'usage qu'en fait Létourneau. Le mot « Homme » renvoie à l'idée d'un être collectif générique, déstigmatisé du point de vue du genre. Létourneau fait remarquer combien le débat public au Québec se déroule presque exclusivement au masculin et évacue les questions féministes (Létourneau, 1991 : 35, note 1). Il est intéressant de noter au passage – c'est Diane Lamoureux qui m'en faisait la remarque – combien l'identité collective moderne au Québec est exprimée toujours plus volontiers au masculin, comme pour signifier la robustesse et la détermination de la volonté identitaire des Québécois et Québécoises. Il semble que l'identité définie en fonction de l'oppression a tendance à se situer dans un registre métaphorique féminin, alors que l'identité conquérante – et c'est l'image que projette le Québec moderne – tend à s'exprimer dans un registre métaphorique plus viriliste.

[3] Peut-être parce que c'est la plus visible, la plus choquante dans l'homogénéité ambiante. Ce qui ne veut pas dire que les autres paroles identitaires n'ont pas également le même effet disjoncteur sur l'identité québécoise. C'est dans un même concert que les paroles identitaires qui se situent à la marge de l'identité québécoise agissent pour la remettre en question. L’hétérogène « est le lieu de croisements de différents discours : ethnicité et féminisme, postmodernité et questionnements identitaires, etc. Il s'énonce de différents lieux intellectuels, idéologiques, de diverses appartenances à la réalité québécoise. Il est le fait de "groupes ethniques" comme de "Québécois de vieille souche". Il s'articule à l'intérieur de différents courants de pensée » (L’Hérault, 1991 : 104-105).

[4] Ce qui est normal, la québécitude n'est pas sans s'exprimer de quelques réticences inavouables et inavouées quant à leur inclusion inconditionnelle dans le projet identitaire québécois.

[5] Monsieur Parizeau ne faisait que constater un fait incontournable de la réalité politique québécoise. L’option souverainiste rallie, selon les sondages, une majorité ou une quasi-majorité de francophones québécois. Si la décision de faire du Québec un État indépendant n'appartenait qu'aux seuls francophones, le Parti québécois aurait sans doute de bonnes chances de convaincre une majorité suffisante d'entre eux que C'est là un choix constitutionnel avantageux. L’observation de monsieur Parizeau a paru indélicate et a été interprétée par la plupart des groupes et lobbies ethnoculturels comme la preuve que la vision qu'ont les souverainistes du Québec exclut les non-francophones.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 8 janvier 2011 14:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref