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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel Salée, “L’État québécois et la question autochtone.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome II, chapitre 5, pp. 117-147. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par Alain G. Gagnon, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[117]

Daniel SALÉE

politologue, professeur titulaire,
École des affaires publiques et communautaires,
Université Concordia, Montréal

L’État québécois
et la question autochtone
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome II, première partie: “Le Québec, aujourd'hui”, chapitre 5, pp. 117-147. Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS.


Le paradoxe caractérise le plus vieux problème de l'Amérique du Nord. Alors que des formules de grande amplitude, tels la Convention québécoise de 1975 et le Nunavut canadien en 1999, ont été implantées, des problèmes fondamentaux ne semblent pas réglés. Il est tout autant désolant de constater qu’après tant d'années de contact, autochtones et non-autochtones n'ont guère développé de vues communes, rapprochées, voire dialogiques.
Louis-Edmond Hamelin [1]


INTRODUCTION

Malgré les bonnes intentions des gouvernements québécois à l'égard des Premières Nations, malgré un train de mesures économiques et administratives destinées à améliorer leur sort [2] et malgré, enfin, des indicateurs socioéconomiques qui permettent de supposer que la situation des peuples autochtones est, comparativement, moins désolante au Québec que dans la plupart des autres provinces canadiennes [3], les rapports entre l'État québécois et [118] ces derniers n'ont guère été aisés depuis la désormais célèbre crise d'Oka de 1990. La décennie qui s'est écoulée depuis a été jalonnée de moments forts, souvent marqués de coups d'éclat et de déclarations acrimonieuses et hostiles de la part du leadership autochtone. Rappelons pour mémoire l'offensive politique soutenue de la nation eeyou (crie) [4] sur la scène internationale contre le projet de développement hydroélectrique de Grande Baleine. On se souviendra que les démarches extrêmement médiatisées entreprises par ses leaders, notamment auprès de l'ONU, devaient éventuellement amener le gouvernement québécois à abandonner un projet dans lequel il fondait pourtant de nombreux espoirs de relance économique pour la province. Rappelons également les débats acerbes entre les représentants du gouvernement souverainiste du Parti québécois et plusieurs leaders autochtones au moment du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, les uns affirmant l'indivisibilité du territoire québécois actuel, les autres proclamant leur droit inhérent à l'autodétermination et, ce faisant, leur droit d'exclure des frontières d'un Québec souverain leurs territoires ancestraux. On se souviendra aussi des accusations directes de discrimination raciale, de xénophobie et de colonialisme formulées à l'endroit du Québec par des leaders eeyouch et innus sur des tribunes internationales, en réaction à des négociations territoriales qui n'aboutissaient pas ou à des mésententes quant à la gestion de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Rappelons enfin les confrontations virulentes entre les autorités gouvernementales, la population mi'k mak et la population allogène des environs dans le conflit des droits de sciage à Listuguj (Restigouche) au cours de l'été 1998.

On pourrait allonger la liste. D'aucuns prétendront qu'il s'agit d'incidents plus ou moins graves, résultats de tactiques ou de postures politiciennes qui s'inscrivent, au fond, dans l'ordre normal d'une dynamique nécessairement conflictuelle et inévitable entre, d'une part, un groupe minoritaire, revendicateur et politiquement actif, qui cherche à maximiser ses gains, et, d'autre part, un État qui contrôle en 'partie des ressources convoitées par le groupe [119] minoritaire. En fait, nonobstant une certaine tendance à minimiser l'ampleur politique du fossé entre l'État québécois et les peuples autochtones du Québec, nonobstant également quelques développements positifs récents qui semblent annoncer une certaine harmonisation des rapports, l'opposition entre l'État québécois et les Premières Nations est réelle et constitue aujourd'hui un trait permanent, voire inéluctable, de la réalité politique québécoise. Elle n'est pas sans soulever une question fondamentale qui renvoie à la nature de la démocratie au Québec et aux paramètres de son exercice : Pourquoi, malgré la volonté d'inclusion et l'esprit d'ouverture de l'État québécois à l'égard de la question autochtone, ce dernier semble-t-il rester incapable de convaincre de sa bonne foi et de régler à la satisfaction de tous sa rivalité apparente avec les peuples autochtones ?

Le présent texte tente principalement de répondre à cette interrogation. Après un rappel de l'évolution des positions officielles de l'État québécois à l'égard des peuples autochtones, la démarche examine une à une trois grandes catégories de facteurs susceptibles d'éclairer la question : les facteurs imputables à la dynamique politique interne de la société québécoise, à la question nationale notamment ; les facteurs liés à la nature de la vie politique au sein des communautés autochtones ; et les facteurs qui participent du cadre normatif libéral-démocratique qui informe la société et l’État québécois.


LA POLITIQUE DE L’ÉTAT QUÉBÉCOIS
À L’ÉGARD DES PEUPLES AUTOCHTONES :
CONTEXTE ET ÉVOLUTION 
[5]

On s'accorde généralement pour situer au début des années 1960 le point de départ de la construction de la politique étatique québécoise à l'égard des peuples autochtones. La compétence exclusive exercée en ce domaine par le gouvernement fédéral en vertu des dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique explique en grande partie l'absence du gouvernement québécois [120] dans ce dossier jusque-là. L'intérêt grandissant pour l’exploration et l'exploitation minière dans le Nord québécois devait par la suite amener le Québec à se doter de balises pour réglementer en quelque sorte le développement dans cette région de la province. Les premières tentatives d'élaboration d'une politique, formulées sous le gouvernement Lesage, prévoyaient associer les Inuit au développement local tout en assurant surtout que l'État québécois prendrait finalement pied dans un espace juridictionnel qu'il n'avait pour ainsi dire jamais occupé.

C'est d'abord l'intérêt pour le développement des capacités hydroélectrique du bassin hydrographique de la Baie James qui incita l'État québécois à s'impliquer davantage dans la gestion des affaires autochtones. Sa volonté d'endiguer à son profit les retombées de l'exploitation des richesses hydroélectriques le confronta nécessairement à la présence de nations autochtones dans la région (Inuit, Eeyouch, Naskapis) et aux exigences des conditions stipulées dans l'Acte de transfert de 1912 qui ajouta aux frontières québécoises tout le territoire au nord du 53e parallèle. En vertu de cet acte, la présence active de l'État québécois sur ce territoire ne pouvait se concrétiser sans que les nations autochtones qui y résident consentent au préalable à céder leurs droits territoriaux à l'État québécois. Ce dernier fut donc contraint – à la suite d'une décision clé de la Cour supérieure de 1973, connue sous le nom de jugement Malouf – de négocier une entente avec les Autochtones avant d'entamer quelque projet de développement que ce soit. Deux ententes seront conclues dans la foulée, de concert avec l'État canadien : l'une, en 1975, avec les Eeyouch et les Inuit, la Convention de la Baie James et du Nord québécois, l'autre, trois ans plus tard, avec les Naskapis, la Convention du Nord-Est québécois. Avec ces ententes, l’État québécois obtenait la cession par les Autochtones de leurs droits territoriaux. Il leur reconnaissait en retour, dans ses domaines propres de compétence, des droits précis au maintien des activités traditionnelles de chasse, pêche et piégeage, leur participation à la gestion du territoire, un droit de regard sur toute activité qui pourrait menacer l'intégrité de l'environnement biophysique et social, en plus d'octroyer 225 millions de dollars en indemnités.

La signature de ces deux ententes constitue un moment charnière dans l'élaboration de la politique officielle du Québec en matière autochtone, un jalon qui module pour la suite de l'histoire la nature et la dynamique des rapports entre l'État québécois et les peuples autochtones. En effet, ainsi que l'a noté un ancien haut fonctionnaire chargé des affaires autochtones pour le gouvernement du Québec au cours des années 1970, ces ententes établissaient deux axiomes que l'État québécois ne saurait désormais ignorer :

« ... premièrement, l'intérêt du Québec pour les populations autochtones de son territoire ne doit pas attendre, pour s'exprimer, que des développements en soient l'élément déclencheur ; deuxièmement, le Québec ne peut se donner une véritable [121] politique à l'égard des autochtones sans que son contenu ait fait l'objet d'ententes négociées [6] ».

En 1983, le Conseil des ministres du gouvernement québécois entérinait un énoncé de principes sur la base duquel, deux ans plus tard, l’État québécois allait baliser le cadre général de son action future à l'égard des peuples autochtones par le biais d'une résolution adoptée le 20 mars 1985 par l'Assemblée nationale. Cette résolution, puis une autre adoptée en 1989, reconnaissent l'existence de 11 nations autochtones distinctes [7] sur le territoire du Québec ainsi que leurs droits ancestraux et ceux inscrits dans les Conventions de la Baie James et du Nord québécois et du Nord-Est québécois. La résolution de 1985 stipule également que ces conventions et toute autre entente de même nature ont valeur de traités. Elle proclame en outre l'importance d'établir avec les Autochtones des rapports harmonieux fondés sur le respect des droits et la confiance mutuelle tout en encourageant le gouvernement à conclure avec les nations qui le désirent (ou l'une ou l'autre des communautés les constituant) des ententes leur garantissant le droit à l'autonomie au sein du Québec, le droit d'exprimer leur culture, leur langue, leurs traditions, le droit de posséder et de contrôler des terres, le droit de chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques, de façon à leur permettre de se développer en tant que nations distinctes ayant leur identité propre et exerçant leurs droits au sein du Québec. Enfin, ladite résolution affirme la volonté de protéger dans les lois fondamentales du Québec les droits inscrits dans les ententes conclues avec les nations autochtones, suggère que soit établi un forum parlementaire permanent permettant aux Autochtones de faire connaître leurs droits, leurs aspirations et leurs besoins et établit que les droits autochtones s'appliquent également aux hommes et aux femmes. L'esprit de cette résolution – la première du genre à être énoncée par des autorités gouvernementales canadiennes – anime depuis l'approche globale de l'État québécois à l'égard des peuples autochtones et sert de toile de fond à ses politiques en la matière. (Le forum parlementaire permanent n'a toutefois jamais été mis sur pied.)

Puis il y eut Oka. Au cours de l'été 1990, une dispute entre les autorités municipales et Kanesatake, la communauté kanien'kehaka (mohawk) voisine, à propos d'un terrain de golf dont l'agrandissement prévu par la municipalité aurait empiété sur des terres considérées sacrées par la population autochtone allait se solder par mort d'homme et 78 jours d'affrontements armés, de [122] manifestations hostiles, de tractations et de négociations tendues entre les gouvernements canadien et québécois, les trois communautés kanien'kehaka du Haut Saint-Laurent (Kanesatake, Kahnawake et Akwesasne) et la population allogène des environs [8]. Soixante-dix-huit jours qui laissèrent une marque indélébile dans la mémoire collective tant du côté autochtone que chez les non-Autochtones.

Avec le recul, la crise d'Oka représente en quelque sorte le coup d'envoi d'une décennie à la fois agitée et pleine de promesses en ce qui concerne la question autochtone. Oka inspira la radicalisation et la mobilisation politique d'autres communautés autochtones à travers le Canada. Après Oka, il y aura encore, en 1995, Gustafsen Lake en Colombie-Britannique et Ipperwash en Ontario (où il y eut aussi mort d'homme), Listuguj au Québec, en 1998 et Esgenoôpetitj (Burnt Church) au Nouveau-Brunswick, en 2000 et 2001. Autant de noms de lieux associés à des affrontements directs et violents qui viendront rappeler à l'État et à la société canadienne en général les frustrations, l'insatisfaction et le malaise profond que ressentent les populations autochtones à l'égard du sort socioéconomique qui leur a été réservé. Au Québec, il y aura aussi les dénonciations publiques de certains leaders autochtones contre l'État québécois, les démarches politiques sur la scène internationale contre les projets de développement hydroélectrique, le contentieux trouble autour du commerce de cigarettes mené par certains résidents des communautés kanien'kehaka et jugé illicite par l'État, les attaques contre les visées souverainistes du gouvernement québécois, le déni de l'existence comme nation du peuple québécois sans oublier les accusations de racisme et de colonialisme.

Pressés par les événements et divers arrêts de la Cour suprême qui changent la donne dans les rapports entre l'État et les peuples autochtones [9], les gouvernements canadien et québécois prennent forcément conscience de ce qui apparaît alors comme le « problème » autochtone au cours des années 1990. Ils commencent à réaliser l'importance d'en modifier la dynamique de manière tangible, [123] en accord avec les impératifs moraux et politiques d'une société qui se prétend libérale, démocratique, plurielle et respectueuse des différences culturelles. Le gouvernement fédéral mettra sur pied la Commission royale sur les peuples autochtones, dont le volumineux rapport final soumis en novembre 1996 propose quelque 440 recommandations invitant l'État à apporter des modifications fondamentales aux relations entre les Autochtones et les populations allogènes et entre les Autochtones et les autorités gouvernementales au Canada [10]. En janvier 1998, le gouvernement répond au rapport de la Commission avec un plan d'action intitulé Rassembler nos forces, qui, en plus de reconnaître les injustices historiques subies par les peuples autochtones et d'établir un Fonds de guérison de 350 millions de dollars, s'engage, entre autres, à préserver et à promouvoir les langues autochtones, à inclure les partenaires autochtones dans la conception, l'élaboration et la prestation des programmes, à favoriser le développement de la capacité des peuples autochtones de négocier et de mettre en œuvre l'autonomie gouvernementale, à faciliter l'accroissement de leur autonomie financière, à améliorer le niveau de vie et la qualité des installations sociosanitaires au sein des communautés autochtones et à développer des stratégies de création d'emplois, de réforme de l'éducation et d'accès aux capitaux [11].

Le gouvernement québécois, pour sa part, ne sera pas en reste et dévoile au printemps 1998 ses nouvelles orientations en matière de politique autochtone dans un document intitulé Partenariat, développement, actions. Ces orientations mettent à jour la résolution du 20 mars 1985 de l'Assemblée nationale et s'inscrivent en droite ligne dans l'esprit qui l'animait. Elles se situent dans une perspective globale d'équité et traduisent le souci que dit avoir le gouvernement québécois d'assurer aux populations autochtone et allogène du Québec « ... un accès aux mêmes conditions de vie, aux mêmes conditions générales de développement ainsi qu'à une part juste de la richesse collective, tout en permettant aux autochtones de préserver et de développer leur identité [12] ». Ces orientations guident aujourd'hui la démarche de l'État québécois à l'égard des populations autochtones du Québec et engagent le gouvernement :

[124]

– à favoriser la participation des Autochtones au développement économique en facilitant notamment leur accès à certaines ressources clés à l'extérieur des réserves, en promouvant leur participation à la mise en valeur de ces ressources et en les intégrant dans la gestion d'activités économiques sur des territoires déterminés ;

– à reconnaître les institutions autochtones et l'exercice de compétences contractuelles par le biais d'ententes permettant que s'exprime l'autonomie gouvernementale autochtone en harmonie avec les responsabilités du gouvernement du Québec ;

– à développer la flexibilité législative et réglementaire en modifiant, s'il y a lieu, les lois et règlements en accord avec les ententes de responsabilisation et de développement, et afin d'assurer l'exercice de compétences contractuelles reconnues aux Autochtones ;

– à développer des rapports harmonieux avec les Autochtones par l'information et la sensibilisation (enseignement de l'histoire, mise en valeur des cultures autochtones, initiatives d'échanges interculturels), par l'accroissement des liens entre le milieu autochtone et les instances régionales non autochtones, par la mise sur pied de partenariats entre les instances et les entreprises locales autochtones et allogènes sur le plan des affaires, du développement communautaire et de services publics ;

– à assurer la cohérence et la convergence des actions gouvernementales en milieu autochtone.

Les actions envisagées par le gouvernement pour la réalisation de ces orientations comprennent la création d'un lieu politique de débats, d'échanges et de concertation entre élus autochtones et non autochtones, la signature d'ententes cadres et sectorielles (dites de responsabilisation et de développement) destinées à accroître l'autonomie des communautés autochtones et à favoriser leur développement économique, la mise sur pied d'un fonds de développement pour les Autochtones pour une période de cinq ans afin de soutenir les initiatives autochtones en matière de développement économique et de création d'emplois et la réalisation de projets d'infrastructures communautaires, l'adoption de modèles et de mesures susceptibles de rehausser la participation autochtone au développement économique et à la mise en valeur des ressources et, finalement, la conclusion d'ententes fiscales permettant aux gouvernements autochtones d'obtenir leurs propres sources de revenus. Le gouvernement entend réaliser ce plan d'action de manière adaptée selon qu'il s'applique à des nations autochtones qui n’ont pas signé de conventions ou qui ne participent pas à un processus de négociation territoriale, à des nations signataires de conventions, à [125] des nations en négociation territoriale globale ou à des Autochtones vivant hors réserve.

Depuis la publication de son plan stratégique, en plus de s'impliquer dans une grande variété d'initiatives susceptibles de contribuer à l'avancement socioéconomique des autochtones, le gouvernement québécois a déjà conclu plus d'une cinquantaine d'ententes globales et sectorielles avec toutes les nations autochtones du Québec (ou des communautés les composant), allant de déclarations de respect mutuel à des protocoles précis d'interaction et d'échange sur des dossiers particuliers (gestion forestière, développement communautaire, installations sociosanitaires, etc.). Près des deux tiers de l'enveloppe de 125 millions de dollars constituant le Fonds de développement autochtone ont été engagés pour financer plus de 80 projets de développement économique et d'infrastructures communautaires. Enfin, en février 2002, le gouvernement et le Grand Conseil des Cris du Québec (Eeyou Itschee) ont paraphé une entente finale, dite la Paix des Braves, dont il fut fait grand cas et qui prévoit que l’État québécois versera aux Eeyouch plus de 3,5 milliards de dollars au cours des 50 prochaines années. En échange, ceux-ci acceptent d'abandonner les poursuites judiciaires en cours, s'engagent à ne pas intenter d'autres recours relatifs à l'application passée de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et à ne pas s'opposer aux projets de développement hydroélectrique du gouvernement québécois dans la région. Le gouvernement promet en plus d'intégrer les Eeyouch comme partenaires actifs dans l'élaboration et la réalisation des plans d'exploitation des ressources naturelles de la région et de faciliter la prise en charge par ces derniers de leur développement économique et communautaire. Le gouvernement québécois présente volontiers cette entente comme un modèle de réconciliation qui « ouvre la voie à une nouvelle ère de collaboration et à une véritable relation de nation à nation entre les Cris et le Québec [13] ». Elle pourrait bien, dit-on espérer, en inspirer d'autres du même genre avec diverses nations autochtones.

De fait, deux mois après la Paix des Braves, le 9 avril 2002, le gouvernement du Québec signait avec les Inuit du Nunavik une entente similaire à celle passée avec les Eeyouch. Assortie de redevances financières de plus de 360 millions de dollars que l'État québécois devra acquitter en vingt-cinq ans, elle repose sur les mêmes fondements d'autodétermination et de prise en charge du territoire ainsi que sur l'abandon des poursuites judiciaires en cours contre le gouvernement du Québec et Hydro-Québec. Dans la foulée, il y a eu aussi le projet d'entente avec [126] les Innus de Mamuitun (qui comprend les communautés de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, et Essipit, Betsiamites et Natashquan, sur la Côte Nord). Baptisé « Approche commune », et annoncé à la fin du printemps 2002, le projet a fait l'objet d'une négociation tripartite (Québec-Innus-Ottawa) qui aurait pour effet de doubler la superficie du territoire reconnu en pleine propriété aux communautés parties à l'entente et de faire passer sous leur gestion quelque 14,000 kms carrés supplémentaires, essentiellement des parcs et des sites patrimoniaux. L'entente de principe prévoit également un transfert de capital de 377 millions de dollars (275 millions du fédéral et 102 millions de Québec) en retour de quoi les Innus renonceraient à la poursuite de 500 millions de dollars de Betsiamites contre Hydro-Québec. Elle se fonde enfin sur la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Innus, avec plein pouvoir de faire des lois, et sur la validation du titre aborigène et de leurs droits ancestraux.

La présentation qui précède de la politique québécoise à l'égard des peuples autochtones reflète en grande partie le discours officiel et la perception qu'en ont certains de ses artisans. Il s'en dégage forcément une image positive, empreinte de générosité et d'ouverture étatique. Rares sont les États libéraux modernes qui n'assument pas initialement une position théorique de bienveillance et de largesse idéologique à l'égard de leurs commettants. Au cours des deux dernières décennies, il est vrai, l'État québécois s'est souvent trouvé à l'avant-garde des autres administrations provinciales, et même de l'État fédéral, dans son approche à l'égard de la question autochtone. Il semble s'être effectivement doté avec le temps d'une politique qui, en apparence, aborde maintenant la relation avec les peuples autochtones d'égal à égal et offre à ces derniers les leviers de leur émancipation économique et politique. Faut-il croire pour autant que les rapports entre le Québec et les Autochtones empruntent finalement une voie pacifique, marqués pour toujours au coin de l'harmonie et de la bonne entente ? que le contentieux politique qui les a longuement opposés est sur le point de s'estomper et que les choses ne vont désormais aller qu'en s'améliorant pour les Autochtones ? que le nouveau cadre d'action de l'État québécois va vraiment fournir les moyens de satisfaire leurs aspirations culturelles, communautaires ou nationalitaires ? que la société québécoise dans son ensemble y trouvera aussi son compte ?

En considérant ces questions, il est important de comprendre d'abord que la bienveillance de l'État, aussi authentique soit-elle, n'est ni automatique ni inhérente. Elle est acquise à la dure, imposée d'arrache-pied en quelque sorte, dans la réalité des rapports de force et de pouvoir qui règlent inévitablement les relations entre acteurs sociaux, à travers la résistance et l'opposition des exclus de la société qui n'ont de cesse de demander réparation et dont l'acharnement conduit éventuellement à la mise en place d'un environnement socio-idéologique plus ouvert à la création d'un équilibre sociopolitique plus juste entre [127] majoritaires et minoritaires. Un équilibre qui demeure toutefois nécessairement fragile et toujours à refaire. Si l'État paraît généreux et mieux intentionné que jamais à l'égard des peuples autochtones, cela ne découle pas d'un penchant naturel pour la vertu. C'est qu'il a été en partie forcé d'adopter cette ligne de conduite. Forcé par les tribunaux de négocier les Conventions de la Baie James et du Nord-Est québécois et de repenser ses plans de développement hydroélectrique dans le respect des populations que cela affectait ; forcé de respecter. la validité des droits ancestraux reconnus par la Cour suprême ; forcé d'assouplir ses positions politiques devant des mouvements d'opposition qui ne démordaient pas ; forcé enfin par les impératifs mêmes d'un certain horizon moral, car les écarts considérables de condition socioéconomique qui séparent l'ensemble des autochtones du reste de la population [14] représentent tout de même une aberration qu'une société moderne et bien nantie qui se veut libérale et démocratique ne saurait tolérer indéfiniment.

Dans sa formulation la plus récente, la politique de l'État québécois à l'égard des peuples autochtones participe d'une longue dynamique de pouvoir et de résistance dont l'aboutissement n'est jamais fixé ou prévisible. Aussi, même si la politique autochtone actuelle paraît sous un jour avantageux et s'appuie sur une volonté des autorités gouvernementales de bien faire – ou, à tout le moins, de bien paraître –, il n'est pas dit que la réalité des pratiques sur le terrain corresponde aux discours officiels [15]. Il n'est pas dit non plus que l'approche de l'État [128] québécois satisfasse d'emblée tous les intervenants autochtones. Au sein de la plupart des sociétés libérales, il est des complexités inhérentes à la nature des rapports entre majoritaires et minoritaires, entre dominants et exclus, que même les politiques les plus éclairées ne peuvent aisément transcender. Il est important d'en tenir compte pour mieux saisir la dynamique propre de la question autochtone au Québec. C'est ce à quoi s'attache le reste du texte.


LA QUESTION AUTOCHTONE
ET LES ALÉAS DE LA QUESTION
NATIONALE QUÉBÉCOISE


Au cours de la dernière décennie, particulièrement sous la houlette du Parti québécois, l'État québécois a déployé des efforts considérables pour transformer le nationalisme qui, depuis la Révolution tranquille, anime la démarche d'émancipation et d'affirmation nationale qui a profondément marqué la vie politique au Québec. Le gouvernement et ceux qui l'appuient n'ont de cesse d'insister sur toutes les tribunes publiques que l'autodétermination politique et la souveraineté du Québec doivent être décidées par l'ensemble des Québécois et non par la seule majorité francophone. Se voulant fondamentalement inclusif, le nouveau nationalisme québécois propose de la nation une vision essentiellement civique en vertu de laquelle tous les Québécois, indépendamment de leur origine ou de leurs antécédents ethnoculturels, sont conviés à travailler ensemble à l'élaboration d'une culture publique commune, fondée sur des valeurs universelles auxquelles tous peuvent adhérer d'emblée (démocratie, participation civique ouverte, égalité entre les hommes et les femmes, liberté de parole, solidarité socioéconomique, etc.) et pour lesquelles la langue française agit comme principal vecteur de reproduction et de transmission [16]. Ce nationalisme québécois [129] nouvelle manière se distingue nettement du nationalisme ethnocentrique des années 1960 et 1970, qui était articulé principalement en fonction des aspirations nationalitaires de la majorité francophone du Québec [17].

Malgré tout, l'image ethniciste du nationalisme québécois et du projet souverainiste qu'il alimente a la vie dure, surtout à l'extérieur du Québec et parmi les Québécois qui s'y opposent. Quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, les nationalistes québécois restent largement perçus comme des gens qui cherchent à imposer la prédominance de l'État québécois – et, par extension, la logique culturelle et institutionnelle de la majorité francophone – sur l'ensemble des minorités ethnoculturelles qui résident au Québec [18]. Cette image prend un tour encore plus négatif quand il s'agit des peuples autochtones, d'emblée présentés comme de grandes victimes de l'histoire : l'État québécois apparaît dès lors animé d'ambitions colonialistes et racistes. C'est à tout le moins le discours qu'ont tenu, par exemple, différents leaders eeyouch et innus pendant plusieurs années, en termes à peine voilés, sur les tribunes nationales et internationales. De façon générale, ils reprochent au gouvernement de minimiser systématiquement, par ses actions, le statut de peuple aux Autochtones et de nier leurs droits garantis par traités et par la constitution [19]. Dans un mémoire présenté à la Commission des institutions de l'Assemblée nationale en février 2000 [20], le Grand Conseil des Cris du Québec soutenait qu'en créant la catégorie englobante et « fictive » de « peuple québécois » qu'elle équipe du droit à l'autodétermination, la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (loi 99, adoptée en décembre 2000) confère au gouvernement du Québec et à l'Assemblée nationale le pouvoir de contrôler ce droit, mais refuse du même coup aux peuples autochtones la possibilité d'affirmer leur propre droit à l'autodétermination et à l'auto-identification. [130] L'État québécois serait seul représentant suprême des personnes qui résident sur le territoire du Québec ; une prétention que les Eeyouch récusent et considèrent comme une violation de leurs droits humains. L'intellectuel kanien'kehaka Taiaiake Alfred, abonde en ce sens et estime que les gouvernements qui se sont succédé à Québec depuis trois décennies ont toujours cherché, dans le but détourné de consolider la souveraineté de l'État québécois, à imposer leur autorité sur les peuples autochtones et à limiter davantage le peu d'autonomie politique et administrative durement acquise au fil du temps. Alfred juge cette démarche comme une entreprise non équivoque de recolonisation [21].

Bien que renouvelé et désormais plus ouvert à l'autre, le discours nationaliste québécois continue de paraître menaçant, voire inacceptable, pour les Autochtones. Il heurte de front leur propre sensibilité nationalitaire, leur propre volonté de souveraineté [22].

À l'origine, le concept moderne de souveraineté et l'idée de pouvoir qui lui est concomitante étaient étrangers à la philosophie politique autochtone traditionnelle, mais ils ont pénétré l'univers politique autochtone par la force des choses, c'est-à-dire par conséquence de l'influence incontournable et obligée de l'imaginaire politique occidental et allogène. La négation de facto de la présence autochtone à travers les tentatives répétées des gouvernements non autochtones d'accaparer les territoires ancestraux et l'usufruit des ressources naturelles qui s'y trouvent a inévitablement amené la plupart des peuples autochtones à réagir en proclamant leur identité propre et leur droit d'exister selon les critères politiques et culturels qui leur conviennent – à utiliser, en d'autres mots, la grammaire politique et les revendications typiques du nationalisme. Ainsi, par exemple, bien que les premières mobilisations eeyouch au début des années 1970 aient d'abord eu simplement pour objectif de s'opposer à la construction des barrages d'Hydro-Québec, leur lutte s'est graduellement transformée en mouvement d'affirmation politique articulé par un discours identitaire fondé sur l'appartenance nationale [23]. Dans la mesure où les peuples autochtones peuvent aujourd'hui se percevoir d'emblée comme nations – et qui les en blâmerait au Québec, puisque l'État leur reconnaît déjà ce statut, ils s'attendent à ce que l'on ait pour eux les mêmes égards que l'on réserve normalement [131] aux nations dûment constituées. Toute atteinte, réelle ou symbolique, à l'expression de leur existence nationale, toute pratique qui en bout de piste limiterait le plein exercice de leur statut de nation devient dans cette optique forcément répréhensible. Puisant également dans le lexique de la nation, les revendications autochtones entrent forcément en confrontation directe avec les aspirations nationalitaires, toutes civiques qu'elles soient, de l'État québécois, qui convoite le même territoire et le même espace politique.

Dans ce contexte, même si la dernière mouture de la politique de l'État québécois à l'égard des peuples autochtones peut paraître empreinte d'ouverture, de générosité et d'un désir authentique de favoriser l'épanouissement socioéconomique de ces derniers, elle n'est pas sans poser problème aux yeux de plusieurs au sein des communautés autochtones [24]. D'aucuns déplorent qu'elle s'inscrive dans une structure d'autorité et de compétences administratives que ne contrôlent pas les Autochtones et qui émane essentiellement de l'État québécois. On fait valoir que la politique n'a été élaborée ni en collaboration ni en consultation avec les peuples autochtones et n'a pas fait l'objet d'entente négociée d'égal à égal avec eux. En dépit des prétentions partenariales du gouvernement, on considère que la politique repose sur l'imposition unilatérale des compétences de l'État québécois, postule la souveraineté de l'Assemblée nationale et pose la question de l'efficacité législative et réglementaire de celle-ci : la chose est inacceptable pour les Premières Nations, qui n'entendent pas être subjuguées ou subordonnées à un ordre de gouvernement qu'elles n'ont pas choisi et qui leur est extérieur. En ne reconnaissant pas de statut légal distinct aux peuples autochtones, l’État québécois nie en quelque sorte leur condition de peuple et leur droit à l'autodétermination. Par ailleurs, l'insistance que met l'État québécois à établir des ententes bipartites délégitimise le lien historique qu'entretiennent les autochtones du Québec avec l'État fédéral et diminue le droit des Premières Nations à choisir librement leurs partenaires politiques ; le Québec s'assure ainsi le contrôle effectif des Autochtones vivant sur son territoire. L'État québécois pratiquerait donc une politique du « deux poids deux mesures », proclamant sa souveraineté, son droit fondamental à déterminer son avenir politique et l'indivisibilité de son territoire, sans reconnaître en contrepartie les mêmes prérogatives aux nations autochtones. Pour toutes ces raisons, on estime en plusieurs quartiers que la politique actuelle de l'État québécois à l'égard des Autochtones ne constitue pas une base satisfaisante sur laquelle asseoir des rapports égalitaires entre l'État québécois et les peuples autochtones. [132] D'autres vont même plus loin et affirment que les nations autochtones ne pourront pleinement assumer leur essor politique qu'à l'extérieur des paramètres et des modèles euro-américains de gouvernance et en accord avec leurs propres philosophies politiques [25].

Bien que l'affrontement des nationalismes québécois et autochtones se nourrisse de sa logique propre, il faut admettre que le cadre politique canadien contribue à en façonner la dynamique. Du fait du partage particulier des compétences, consigné par la constitution canadienne, entre le gouvernement fédéral et les provinces, les rapports entre l'État québécois et les peuples autochtones du Québec sont nécessairement marqués par un système triangulaire qui inclut inévitablement le niveau fédéral de l'État canadien. L’État québécois n'est donc pas seul maître d'œuvre et ne peut négocier sa relation avec les Premières Nations sans tenir compte des impératifs politiques du cadre canadien, pas plus d'ailleurs que les Autochtones ne peuvent mettre de côté leur lien légal et administratif historique à l'égard du fédéral, en vertu de la Loi sur les Indiens (Indian Act). L'État fédéral s'interpose en réalité comme tierce partie entre l'État québécois et les peuples autochtones du Québec, tierce partie dont les pouvoirs politico-administratifs modulent la donne de leurs rapports, en lui permettant de jouer l'un contre l'autre, en fonction souvent de ses intérêts propres.

Ainsi, au moment du référendum québécois de 1995 sur la souveraineté du Québec, alors que plusieurs nations autochtones signifiaient de manière non équivoque leur volonté de ne pas se joindre à un Québec souverain [26] – au grand dam du gouvernement québécois, qui, lui, proclamait l'indivisibilité du territoire québécois – le gouvernement fédéral n'hésita pas à sympathiser avec les visées autodéterministes des peuples autochtones dans la mesure où elles semblaient mettre en relief les incohérences du discours et des volontés souverainistes de l'État québécois. Comment le Québec pouvait-il réclamer une totale autonomie territoriale et politique pour lui-même alors qu'il se refusait à reconnaître le même avantage aux Premières Nations ? Si le Canada est divisible aux yeux des souverainistes, pourquoi le Québec ne le serait-il pas aussi [27] ? Dans [133] les débats autour de cette question, il s'en trouvera pour affirmer la supériorité morale des revendications autochtones sur les aspirations nationalitaires des Québécois [28].

Par contre, l'État fédéral ne fait pas non plus le bonheur des peuples autochtones, pour des raisons qui tiennent en grande partie à leur relation historique foncièrement inégalitaire, mais aussi parce que depuis quelques décennies le gouvernement fédéral a tendance à se délester graduellement de certaines de ses obligations à l'égard des peuples autochtones vers les administrations provinciales – obligations financières notamment, pour des raisons de réduction du déficit et de la dette publique [29]. Or, les Autochtones tentent depuis longtemps de se soustraire à certaines lois provinciales qui limitent l'exercice de leurs droits ancestraux, notamment en matière de chasse et de pêche. Leurs démarches auprès de la Cour suprême (arrêt Sparrow, arrêt Sioui et quelques autres) en témoignent. Il s'agit certes pour eux d'affirmer en cela leur droit à 1) autodétermination, mais la déconcentration volontaire des pouvoirs du fédéral en matière autochtone au profit des provinces les indispose, d'une part, parce qu'elle limite leur droit de choisir avec quel palier de gouvernement ils entendent transiger et, d'autre part, parce qu'elle les force à composer avec un cadre administratif qui ne leur convient pas et qui ne satisfait aucunement leur volonté d'autodétermination. Bref, quel que soit le point de vue sous lequel on se place, le système politique et administratif canadien ne facilite pas le dialogue entre l'État québécois et les peuples autochtones. La logique qui l'anime dans le contexte du Québec ne contribue guère à rendre la politique autochtone québécoise plus acceptable à ces derniers.

Enfin, les politiques linguistiques du Québec, qui affirment la primauté du français dans tous les aspects de la vie publique, amplifient à l'occasion les tensions qui opposent les peuples autochtones et l'État québécois. Dans [134] l'ensemble, près des deux tiers de la population autochtone maîtrise d'abord l'anglais de préférence au français [30]. La prédominance officielle du français peut constituer pour plusieurs peuples autochtones du Québec un irritant qui s'ajoute à leurs doléances et les porte à la méfiance à l'égard du gouvernement québécois. L'insistance que met celui-ci à vouloir construire une communauté politique nationale autour de la langue française est perçue comme la manifestation essentiellement ethniciste du nationalisme québécois, qui, malgré les prétentions civiques qui l'enrobent, reste centré sur la préservation de la langue et de la culture françaises aux dépens de toutes les autres. Aussi, bien qu'il ne s'agisse pas nécessairement d'une pierre d'achoppement majeure pour toutes les nations autochtones du Québec, les politiques linguistiques apparaissent à plusieurs comme un obstacle au dialogue entre les peuples autochtones et l'État québécois [31] et peuvent compliquer le rapprochement souhaité par ce dernier.


LA POLITIQUE AUTOCHTONE
ET LES DÉFIS DES DYNAMIQUES INTERNES


L'État québécois, à l'instar de presque tous les États libéraux occidentaux, a tendance à réifier l'autre, comme si les porteurs d'altérité étaient tous semblables ou pouvaient tous être traités de la même manière. Cette réification passe par l'essentialisation de la différence. Dans le cas des peuples autochtones, cette [135] essentialisation est d'autant plus « naturelle » qu'elle repose sur la caution offerte par le cadre légal, administratif et réglementaire de la Loi sur les Indiens. Le système de réserves et les conseils de bande, de même que la différenciation administrative entre « Indiens avec statut » (inscrits au registre étatique des Indiens reconnus comme Autochtones habilités à vivre sur une réserve et donc à bénéficier des services et avantages que l'État y offre) et « Indiens sans statut » non reconnus comme Autochtones « authentiques », généralement en raison de mariages avec des non-Autochtones, et donc interdits de résidence dans une réserve et privés des bénéfices attenants) sont des créations de l'État canadien et de ses composantes et confinent les Autochtones à un véritable régime de tutelle [32].

Les règles de gouverne qui prévalent dans les réserves autochtones ont été imposées par l'État canadien, au nom de la démocratie élective, mais au détriment de systèmes et de cultures politiques locaux qui s'étaient développés bien avant l'occidentalisation forcée des peuples autochtones et qui, encore aujourd'hui, restent vivants et continuent d'informer la gestion des rapports sociaux dans nombre de communautés autochtones. Il n'est pas rare que des cadres juridiques ou institutionnels et des modes de gouverne différents, ancrés dans les pratiques ancestrales, coexistent à l'intérieur d'une même communauté [33] et s'opposent aux paramètres politico-administratifs fixés par l'État. Plus souvent qu'autrement, leurs adhérents ne reconnaissent aucune autorité, voire aucune légitimité au conseil de bande pour parler en leur nom. À cela s'ajoutent des rivalités, propres à toute société humaine, entre familles, clans, individus ou porteurs d'intérêts particuliers, qui peuvent, dans certaines circonstances, carrément neutraliser l'action d'un conseil de bande et invalider sa représentativité. Quels que soient la manière et le contexte, la délégitimisation du conseil de bande n'est pas sans poser problème pour l'État (tant fédéral que provincial), car c'est le conseil de bande qui représente son interlocuteur privilégié, le canal principal par lequel il mène ses interventions au sein de la communauté. Dans la plupart des cas, l'État ne traite avec les peuples autochtones que si ils s'inscrivent d'emblée à l'intérieur des règles et des institutions qu'il a fixées au préalable.

[136]

On a tort de croire que, parce que l’État élabore une politique qui se veut réformiste ou signe des ententes négociées avec le leadership autochtone « officiel », un contentieux qui opposait des communautés autochtones et l'État est désormais réglé. L'attitude des chefs eeyouch qui ont suivi les instigateurs de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en témoigne parfaitement. Tout au cours des deux dernières décennies, les leaders eeyouch n'ont pas cessé de remettre en question cet accord, récusant son contenu, prenant l’État québécois à partie et blâmant leurs prédécesseurs d'y avoir consenti [34]. Même aujourd'hui, le dernier accord signé entre le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) et le gouvernement québécois en février 2002 et qui doit supposément mettre un terme aux conflits et litiges opposant depuis longtemps les deux parties fait déjà l'objet de critiques de la part de certains leaders eeyouch [35].

Ce genre de dynamique interne n'est pas unique aux Eeyouch. Au moment de l'annonce du projet d'approche commune, une coalition d'opposants innus (Ukauimau aimu) s'est manifestée. Ses membres s'interrogent sur le bien-fondé du processus de négociation et ont en diverses occasions pris publiquement à partie les leaders innus qui y sont impliqués. Ils mettent en doute la représentativité et les intentions de ces derniers, contestent leur vision de la culture innue et des moyens nécessaires pour la protéger et craignent, de ce fait, que le leadership innu succombe aux impératifs politiques, socio-culturels et économiques de l'homme blanc pour une poignée de dollars, au détriment de l'intégrité territoriale et de l'autodétermination innues. Ils déplorent enfin que les négociations se fassent à la pièce et séparément, regroupant que quelques communautés à la fois (Mamuitun d'un côté et Mamit Innuat de l'autre), tout en en excluant d'autres par ailleurs, plutôt que de prendre place à l'intérieur d'un processus global qui intégrerait également toutes les communautés innues. Ils ont fait circuler une pétition, forte déjà de plusieurs centaines de signatures, qui réclame la suspension du processus de négociation jusqu'à ce que la population soit mieux informée de ses tenants et aboutissants.

On se souviendra, par ailleurs, des affrontements autour des droits de sciage et de coupe de bois au sein de la communauté mi'k mak de Listuguj [137] (Restigouche) au mois d'août 1998. Le conseil de bande, reconnu par l'État québécois, était alors à couteaux tirés avec un groupe adverse, composé de traditionalistes opposés à l'orientation des négociations que le gouvernement était prêt à mener exclusivement avec le conseil de bande. Rivalités personnelles, positions idéologiques divergentes et intérêts particuliers irréconciliables firent en sorte que le conseil de bande n'arriva pas à s'imposer comme seul interlocuteur autochtone, au grand déplaisir du gouvernement[36]. Plus loin dans le temps, la crise d'Oka constitue un autre exemple, encore plus célèbre, de situation où des groupes œuvrant en marge des autorités locales officiellement accréditées réussirent à prendre le contrôle du processus de mobilisation politique et à s'imposer comme interlocuteur obligé, damant le pion au chapitre de la légitimité politique interne aux conseils de bande des trois communautés kanien'kehaka impliquées dans le conflit. Chez les Kanien'kehaka, le système de Longhouse ainsi que le cadre normatif et les conceptions traditionnelles de gouverne qui y sont associées fonctionnent depuis longtemps comme site de pouvoir et pôle de gestion sociale parallèles qui, dans la réalité, peuvent à l'occasion marginaliser la portée des interventions du conseil de bande et réduire le champ d'application de son autorité effective [37].

Enfin, le combat que mènent depuis plusieurs années les femmes autochtones pour la reconnaissance de leurs droits humains et leur insertion d'égal à égal n'est pas sans créer des remous au sein de certaines communautés et constitue un autre exemple de turbulences intracommunautaires. La loi C-31, qui a modifié la Loi sur les Indiens en 1985, représente un dossier clé autour duquel les organisations de femmes autochtones font campagne depuis plusieurs années pour redresser les torts auxquels certains effets pervers de la loi ont donné lieu. Promulguée dans le but de satisfaire aux exigences du droit à l'égalité de l'article 15 de l'Acte constitutionnel de 1982, la loi C-31 corrige les dispositions discriminatoires (fondées sur le sexe) de la Loi sur les Indiens. Avant 1985, la loi accordait le statut d'Indien à toute personne mâle de sang indien réputée appartenir à une bande indienne particulière, aux enfants de cette personne et à toute femme légalement mariée à cette personne, mais, en contrepartie, [138] révoquait ce même statut à toute femme autochtone qui épousait un non-Autochtone ou un Indien sans statut et aux enfants nés de cette union. La loi C-31 redonne le statut et le droit d'appartenance à la bande aux personnes qui en avaient été dépouillées que à qui le privilège avait été interdit, donc essentiellement aux femmes autochtones mariées à un non-Autochtone ou à un Indien sans statut et à leur progéniture [38] . Elle confère de plus le droit aux bandes de décider de l'appartenance à leurs effectifs ou de fixer les règles d'appartenance à la bande. C'est en grande partie là que le bât blesse car le retour dans la bande d'origine des personnes qui ont réacquis le statut impose des pressions supplémentaires sur le parc d'habitations et les ressources déjà insuffisants de plusieurs réserves. En réaction, certains conseils de bande ont imposé des critères de réintégration difficiles, voire impossibles à satisfaire (pureté raciale basée sur le sang, autorisation de revenir dans la réserve accordée à la femme mais non au mari d'origine allogène ou aux enfants). Cette situation donne lieu dans plusieurs cas à un bras-de-fer politique entre les femmes autochtones et le leadership autochtone local et même national [39]. De plus en plus, bien qu'elles ne remettent pas en cause le droit des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale, les femmes autochtones hésitent à donner leur aval aux projets autonomistes et nationalitaires portés par le leadership autochtone, masculin pour l'essentiel, tant et aussi longtemps qu'elles n'auront pas de garanties suffisantes de leur inclusion sociale, économique et politique au sein de leurs communautés, en accord avec les principes fondamentaux de justice sociale et de respect des droits de la personne [40]. En ce sens, les revendications particulières des femmes autochtones ne sont pas sans déstabiliser la légitimité des visées politiques des dirigeants autochtones reconnus. Elles constituent une source d'oppositions et d'animosités intracommunautaires peut-être encore plus [139] fondamentales que les autres, car elles mettent en jeu les hiérarchies traditionnelles, les rapports de force entre les hommes et les femmes, les mécanismes de gouverne, voire les aspirations nationalitaires de certains peuples autochtones. Ce faisant, elles révoquent les fondements des approches favorisées par le leadership autochtone dans ses rapports à l'État.

Par-delà les dynamiques communautaires internes, l'État doit aussi composer avec la réalité sociale et culturelle polymorphe qui marque l'ensemble des peuples autochtones du Québec. Il est des situations et des enjeux particuliers dont l'État ne soupçonne pas toujours toute l'importance ou la signification et qui, ce faisant, limitent, aux yeux de certains, la légitimité de politiques qu'il veut d'application générale. La seule diversité des peuples autochtones occupant le territoire québécois, par exemple, suppose autant de problématiques socioéconomiques vécues ou abordées différemment, autant d'aspirations et d'objectifs politiques différents et peut-être contradictoires, autant de manières différentes de traiter avec la population allogène. L'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, tout comme son pendant à Ottawa (l'Assemblée des Premières Nations) et dans les autres provinces, ne représente que les Autochtones vivant dans des réserves et soumis à la Loi sur les Indiens, soit environ le quart seulement de toute la population autochtone. Tous les autres, vivant hors réserve et « Indiens sans statut » non inscrits au registre étatique, connaissent des conditions de vie socioéconomique et d'accès aux ressources étatiques disponibles qui diffèrent de celles de leurs congénères avec statut. Leurs problématiques sont différentes et leurs besoins s'expriment différemment. Les organes autochtones officiels, avec lesquels l'État tend plus volontiers à interagir, ne sont pas nécessairement aussi sensibles à leurs intérêts propres.

En l'absence de canaux formels de communication et de distribution des ressources entre l'État et les « sans statut » et les « hors réserve », ces derniers se sentent souvent négligés par l'État. Non sans raison : comme ils n'exercent pratiquement aucun contrôle direct sur des ressources naturelles convoitées par l'État – du fait surtout de leur éloignement géographique de ces mêmes ressources et du caractère non officiel de leur statut –, les gouvernements semblent ne pas ressentir à leur égard les mêmes obligations qu'ils éprouvent pour les Autochtones des réserves ni être animés du même empressement. Par ailleurs, leur dispersion sur l'ensemble du territoire québécois n'incite pas l'État à la prestation de services et de structures particularisés et adaptés comme dans les réserves, où la concentration de populations cibles rend la chose plus aisée. Aussi, les « sans statut » et les « hors réserve » n'ont pas des enjeux entourant la question autochtone la même perception que les Autochtones officiellement reconnus. Les urgences qui les confrontent sont différentes de celles auxquelles font face les Autochtones vivant dans les réserves ; les stratégies qui les animent [140] dans leur rapport à l’État le sont également [41]. Dans la mesure où les actions et politiques générales de l'État à l'égard des peuples autochtones tendent plus à s'arrimer aux impératifs des autochtones vivant dans les réserves et bénéficiant de la sanction officielle, celles-ci n'ont qu'un écho assez faible auprès des « sans statut » et des « hors réserve ». En ce sens, les démarches de l'État québécois à l'égard des autochtones ne rejoignent dans les faits qu'une partie seulement de la population qu'elles prétendent viser.

Il n'existe pas vraiment d'analyse soutenue des divisions politiques internes au sein des communautés autochtones du Québec. On en saisit encore mal la nature et l'ampleur, de sorte qu'il est difficile de bien jauger les conséquences qu'elles peuvent avoir dans la conduite des relations entre l'État québécois et les peuples autochtones du Québec. Il est toutefois loisible de penser que les rapports de force et de pouvoir intracommunautaires ne sont pas sans effet. Contrairement à ce que le personnel politique et bureaucratique aime croire, les accords et les ententes que peut signer le gouvernement avec des leaders autochtones « accrédités » ne reflètent pas nécessairement un consensus au sein des communautés que ces derniers disent représenter. On ne saurait s'étonner dès lors que des politiques ou des mesures que le gouvernement projette sur la place publique comme autant d'expressions de sa bonne volonté et de sa magnanimité à l'égard des Autochtones n'emportent pas l'assentiment escompté et fassent l'objet de contestations.


LA QUESTION AUTOCHTONE
ET LE CADRE NORMATIF LIBÉRAL
DÉMOCRATIQUE


Même en supposant qu'il n'y ait pas d'affrontements nationalitaires entre les peuples autochtones du Québec et l'État québécois, en supposant également que toutes les communautés autochtones s'expriment d'une seule voix, il n'est pas dit que la question autochtone serait, pour l’État, moins complexe ou plus facile à « gérer ». Toute société libérale comme le Québec est mue par une espèce de code politico-idéologique qui l'amène, malgré un discours général porté en apparence vers la reconnaissance de la différence et le respect des souverainetés individuelles, à poser comme universel le bagage de valeurs normatives qui la guide – qui l'amène, donc, à homogénéiser. Ce discours prétend protéger les [141] droits des minorités et célébrer l'altérité tant et aussi longtemps seulement que ces droits et les manifestations d'altérité s'inscrivent en conformité avec la volonté de la majorité et à l'intérieur du cadre politico-juridique dominant. Or, en ces temps où les revendications identitaires marquent avec insistance la dynamique politique des sociétés multiculturelles comme le Québec, l'éthique identitariste ne souffre pas que les demandes des minoritaires soient subsumées dans un grand tout universel et homogène. Elle suggère au contraire que soient déconstruites les traditions nationales consensuelles sur lesquelles s'appuie la communauté politique libérale et qu'elles soient exposées comme résultantes de rapports de pouvoir historiques qui opèrent au désavantage des groupes minoritaires [42]. La volonté de reconnaissance identitaire ne s'oppose pas à ce que soient éventuellement créés des espaces juridictionnels parallèles, voire séparés de l'unité politique centrale. Elle s'inscrit en contradiction flagrante au mythe fondateur et profondément ancré de toute société libérale selon lequel tous, indistinctement, doivent être rigoureusement considérés et traités sur un même pied d'égalité. Il y a là une tension sociopolitique fondamentale logée au cœur même des sociétés modernes et qui reste encore largement irrésolue.

Dans le cadre de la question autochtone québécoise, cette tension se manifeste au moins sur deux fronts : celui, presque épidermique, des rapports directs qu'entretiennent les populations allogènes avec les peuples autochtones et de l'entendement qu'elles ont des « privilèges » supposés dont bénéficieraient ces derniers ; et celui, plus subtil et à certains égards moins transparent, des pratiques étatiques à l'endroit des Autochtones.

On a vu au moment d'Oka et plus récemment à l'occasion des affrontements de Listuguj jusqu'à quel point l'impatience et la frustration des populations allogènes à l'égard des revendications et des actions politiques autochtones peuvent se manifester. Entre les tentatives de lapidation en règle des automobilistes autochtones sortant de la réserve de Kahnawake, les invectives racistes et les dénonciations incendiaires dans les émissions radiophoniques d'affaires publiques, le capital de sympathie des non-Autochtones à l'endroit de la cause autochtone peut s'effondrer rapidement pour peu que plane l'impression que les revendications et les actions qui la sous-tendent indisposent, modifient le rapport de force entre les deux groupes ou débouchent sur des avantages qui ne seraient pas également consentis aux membres de la population allogène. Dès que des groupes ou communautés autochtones cherchent à actualiser des droits qui leur sont théoriquement reconnus ou obtiennent effectivement des droits qui diffèrent de ce dont jouit le reste de la population canadienne, il n'est pas [142] rare que se mobilisent alors des citoyens pour en contester la légitimité. Que l'on pense au mouvement de protestation (et au référendum prévu) contre le traité qui accorde aux Nisga'as de la Colombie-Britannique l'autonomie gouvernementale sur un territoire important de la province, ou encore aux démarches des pêcheurs non autochtones pour faire interdire la pêche aux homards hors saison par les Mi'k Maks d'Esgenoôpetitj au Nouveau-Brunswick, ou bien aux diverses associations parapolitiques et aux groupes de pression un peu partout au Canada qui s'évertuent à critiquer ce qu'ils perçoivent comme des gains autochtones ou des manquements inadmissibles à l'égalitarisme formel qui devrait à leur avis présider aux rapports socioéconomiques [43]. Que l'on pense enfin aux intellectuels publics et autres commentateurs qui n'hésitent pas à clouer au pilori toute politique ou mesure gouvernementale résultant en un traitement différentiel qui semble à l'avantage des peuples autochtones [44].

Dans ce concert d'opposition citoyenne aux revendications autochtones, les Québécois ne vocifèrent peut-être pas avec le plus d'agitation, mais ils ne sont pas en reste. Il existe aussi au Québec des groupes plus ou moins organisés qui prennent ombrage des revendications autochtones et en remettent publiquement en question le bien-fondé [45]. Au Québec comme ailleurs, la plupart des [143] gens qui endossent les principes caractéristiques de l'égalitarisme libéral formel ne comprennent pas ou acceptent mal que l'on puisse admettre quelque légitimité politique à l'altérité culturelle ou identitaire et s'orienter vers la création d'espaces différenciés de citoyenneté pour les peuples autochtones. Ils ne tolèrent pas que l'État semble céder aux revendications particulières de ces derniers, surtout en matière territoriale ou de reconnaissance de droits ou de statuts spéciaux. Étant donné le caractère intrinsèquement particulariste des demandes autochtones (dans le contexte d'une société libérale homogénéisante s'entend), tant que persistera cet état d'esprit, la réconciliation espérée entre peuples autochtones et populations allogènes tardera sans doute à advenir.

L'État québécois ne partage pas a priori la vision égalitariste simpliste qui émane de certaines perceptions populaires. La reconnaissance des peuples autochtones comme nations distinctes, l'aide directe au développement économique des communautés, l'application de certaines mesures d'exception fiscale, l'octroi d'une autonomie gouvernementale relative (en matière de sécurité publique, de santé publique et d'éducation notamment) sont autant de politiques qui témoignent de la volonté manifeste de l'État de consentir aux peuples autochtones du Québec le bénéfice d'un statut spécial. Ceci dit, cela ne signifie pas que l'État soit nécessairement prêt à agréer dans son entier et à assumer jusqu'au bout la logique identitaire et particulariste qui anime les revendications autonomistes autochtones. Malgré l'ouverture apparente de ses positions officielles, l'État québécois n'accueille ces revendications avec une bienveillance relative que dans la mesure où il peut les intégrer dans les schémas politico-administratifs et institutionnels qu'il détermine et contrôle.

[144]

Diverses études ont démontré par exemple dans le cas de la Convention de la Baie James et du Nord québécois que les expériences de cogestion des ressources naturelles renouvelables entre l'État et les populations autochtones concernées sont généralement l'occasion de luttes de pouvoir entre les deux parties au terme desquelles l'État finit généralement par imposer sa propre vision de la gestion et par diminuer la latitude administrative et décisionnelle accordée aux Autochtones par la Convention [46]. À regarder de plus près les pratiques de l'État québécois à l'égard des peuples autochtones du Québec, on trouve nombre d'exemples de tentatives – certaines réussies, d'autres moins – de subsomption étatique de l'autochtonie québécoise dans un cadre de référence qui ne participe en rien des valeurs et des aspirations autodéterministes des premiers peuples. Ainsi, l'État québécois a déjà nié devant la Cour suprême en 1996 (R. c. Côté) que les peuples autochtones du Québec aient jamais eu de droits particuliers, cherchant par là à se soustraire à l'application de l'article 35 de l'Acte constitutionnel de 1982 au Québec et donc à ses obligations de reconnaître les droits autochtones ancestraux. On apprenait plus récemment que le gouvernement québécois et Hydro-Québec ont également commandé des études qui concluaient que les Autochtones n'ont pas de droits ancestraux sur les territoires où ils sont installés car ils ne les auraient pas occupé de façon continue, comme peuple ayant la même origine et la même langue, conformément à la définition des droits ancestraux établie par la Cour suprême du Canada [47]. De même, le programme politique du Parti québécois inclut les peuples autochtones sous la rubrique de « minorités historiques », au même titre que la communauté anglophone, sous-entendant ainsi que les Autochtones sont citoyens du Québec et font partie du peuple québécois, mais niant implicitement du même coup leur droit à l'auto-identification et à s'autodéterminer [145] en dehors des paramètres institutionnels de l'État québécois. Enfin, on l'a vu plus haut, la politique de 1998 à l'égard des peuples autochtones va clairement en ce sens et impose des balises fondamentales présentées comme incontournables sans lesquelles l'État québécois ne saurait consentir à transiger avec ces derniers : l'intégrité territoriale du Québec, la souveraineté de l'Assemblée nationale et la primauté législative et réglementaire de l'État québécois [48].

Bref, bien que l'État québécois ait assez clairement démontré son désir d'ouverture et sa volonté d'améliorer la situation objective des peuples autochtones du Québec, il entend bien rester maître du jeu. (Les dernières grandes ententes signées avec les Eeyouch et les Inuit avantagent le gouvernement et lui permettent d'aller de l'avant avec les projets de développement qu'il caressait depuis longtemps). Aussi l'État s'avère-t-il peut-être, à première vue, plus éclairé dans la formulation de ses politiques publiques que ce que projettent certains sentiments populaires à l'égard des Autochtones, mais il reste imbu, lui aussi, de la vision libérale et homogénéisante typique. Certaines nations autochtones pourraient décider de s'en accommoder. D'autres, et on peut penser ici aux Kanien'kehaka, aux Eyouch et même aux Innus, sont animées d'aspirations nationalitaires affirmationnistes qui ne se satisferont sans doute jamais du rôle d'appendice administratif auquel l'État tend à les confiner. Entre la logique étatique d'inclusion univoque et la logique autochtone d'émancipation autodéterministe, il y a un fossé assez considérable que la seule bonne volonté pourrait être insuffisante à combler.


CONCLUSION

D'Oka à la Paix des Braves, l'État québécois peut sembler à d'aucuns avoir parcouru un chemin considérable en un temps assez court, signe, pourrait-on croire, d'une évolution rapide des mentalités. L'entente de février 2002 avec les Eeyouch de la Baie James et celle, de même nature, paraphée deux mois plus tard avec les Inuit paraissent à prime abord sonner l'amorce d'une nouvelle ère de rapports égalitaires et partenariaux entre l'État québécois et les peuples autochtones du Québec. On ne peut que souhaiter qu'il en soit ainsi. Les considérations qui précèdent suggèrent toutefois une lecture plus prudente et moins optimiste de la réalité. Les derniers succès de la diplomatie québécoise dans le dossier autochtone ne sauraient faire oublier que subsistent quantité de [146] zones grises, de contentieux irrésolus, de problèmes latents encore innommés, voire aussi d'inimitiés pratiquement indélébiles qui séparent et éloignent les uns et les autres et pourraient bien forcer à constamment reprendre sur le métier un ouvrage peut-être inachevable. Comme l'a noté Jean-Jacques Simard, depuis Oka,

« ... on commence à réaliser que la “question” autochtone fait partie de la fibre ontologique, historique, de la société canadienne et québécoise, qu'elle n'est pas de celles qu'on saurait “résoudre”, au sens d'éliminer, mais qu'elle restera toujours incrustée dans la dynamique constitutive de notre pays, sujette à un débat permanent, contradictoire, pluraliste, appelant des bricolages pratiques et des ajustements institutionnels constamment à reprendre [49] ».

C'est qu'il reste encore beaucoup d'inconnues. En plus de celles évoquées dans le présent texte, il faut savoir que les changements rapides et essentiellement exogènes des dernières décennies ont bousculé les pratiques traditionnelles et gravement déstabilisé la dynamique coutumière des rapports sociaux au sein de plusieurs communautés autochtones. Dans bon nombre de localités, désœuvrement quasi généralisé, crise de leadership moral, perspectives d'emploi presque nulles, taux anormalement élevés de suicide se sont révélés être les effets pervers d'un accès incontrôlé à une modernité dont on ne voulait pas nécessairement et dont, dans la plupart des cas, on ne détenait pas les clés [50], avec pour résultat que l'urgence des revendications collectives se fait sentir avec encore plus d'intensité, particulièrement chez les jeunes, qui ont tout à perdre du blocage social auquel sont confrontées leurs collectivités. Il ne faudra pas se surprendre d'éventuelles radicalisations de la part de cette frange des populations autochtones ; c'est d'elle, en partie, qu'est venue l'opposition à l'entente de février 2002 entre l'État québécois et le Grand Conseil des Cris.

En ouvrant la porte, comme il le fit en particulier au cours des deux dernières décennies, à la reconnaissance institutionnelle et politique des Autochtones, même avec tous les bémols d'usage, l'État québécois a offert en quelque sorte aux Autochtones des outils pour leur propre prise en main. Il a déclenché chez eux un plus grand désir d'autonomie collective, la volonté d'assumer pleinement, sans dépendance, leur propre développement et la conviction ancrée de plus en plus profondément de ne pas faire partie de la société [147] québécoise. C'est là une réaction familière qui caractérise historiquement à peu près toutes les collectivités humaines qui ont tenté de s'émanciper de situations oppressives. Si l'État québécois et l'ensemble de la société québécoise ne sont pas prêts à accompagner les peuples autochtones sur cette voie, en toute connaissance de cause et selon les termes définis par eux, il n'est pas interdit de penser que les résistances ne s'effaceront pas de sitôt et que les efforts de réconciliation des dernières années tomberont à plat en bout de piste.


[20]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Daniel Salée est professeur titulaire de science politique et directeur de la School of Community and Public Affairs à l'Université Concordia. Il est membre du Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC). Il est l'auteur de plusieurs travaux d'analyse sur la vie politique et les rapports sociaux au Québec et au Canada. Ses recherches les plus récentes portent sur la dynamique des rapports interethniques au Québec, sur la question nationale et sur la citoyenneté au Canada et au Québec.



[1] Louis-Edmond Hamelin, Passer près d'une perdrix sans la voir ou Attitudes à l'égard des autochtones, Grande conférence Desjardins, Montréal, Programme d'études sur le Québec, Université McGill, 1999, p. 5.

[2] Sur les différentes ententes que signe régulièrement l'État québécois avec les nations autochtones du Québec, voir le site web du Secrétariat aux affaires autochtones du Québec, http ://www.mce.gouv.qc.ca/d/html/d0466001.html.

[3] Voir Daniel Beavon et Martin Cooke, Measuring the Well-Being of First Nation Peoples, Ottawa, Direction de la recherche et de l'analyse, ministère des Affaires indiennes et du Nord, 1998. Voir également Bradford Morse, « Comparative Assessment of the Position of Indigenous Peoples in Quebec, Canada and Abroad », étude préparée pour la Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté, édition mise à jour, Québec, ministère du Conseil exécutif, 2001.

[4] Les appellations couramment utilisées pour identifier les nations autochtones sont souvent le fait de noms imposés par les Européens au moment de l'appropriation par ceux-ci de l'Amérique. Elles ne correspondent pas dans plusieurs cas à la manière par laquelle les membres de ces nations se désignent eux-mêmes dans leur propre langue. Pour contrer le résultat de cette oblitération culturelle et sociale, de plus en plus d'autochtones s'identifient aujourd'hui dans les termes propres à leur culture. Toutes les fois que cela est possible dans ce texte, l'autoappellation est utilisée de préférence à la désignation courante. Cela s'applique surtout dans le cas de trois nations : les Mohawks (Kanien’kehaka), les Cris (Eeyouch) et les Montagnais (Innu).

[5] Cette section s'inspire de bilans produits par divers auteurs, dont notamment Pierre-Gerlier Forest, « Les relations politiques entre le Québec et les peuples autochtones depuis la Révolution tranquille », Zeitschrift für Kanada-Studien, vol. 16, no 1, 1996, p. 80-91 ; Éric Gourdeau, « Le Québec et la question autochtone » dans Québec : État et Société, Alain-G. Gagnon (dir.), Montréal, Québec Amérique, 1994, p. 329-355 ; Eric Gourdeau, « Autochtones : un tour de force », Le Devoir, 14 juillet 200 1 ; Sylvie Vincent, « La révélation d'une force politique : les autochtones », dans Le Québec en jeu, Gérard Daigle (dir.) (avec la collaboration de Guy Rocher), Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1992, p. 749-790 ; Sylvie Vincent, Les Relations entre le Québec et les autochtones : brève analyse d'un récit gouvernemental, Montréal, Programme d'études sur le Québec, Université McGill, 1995.

[6] Éric Gourdeau, « Autochtones : un tour de force », Le Devoir, 14 juillet 2001.

[7] Ce sont les Abénaquis, les Algonquins, les Attikamekw, les Eeyouch (Cris), les Hurons, les Mik'Mak, les Kanien'kehakas (Mohawks), les Innus (Montagnais), les Naskapis et les Inuit. À cette liste s'ajoutera la reconnaissance de la nation malécite par une résolution adoptée à l'Assemblée nationale le 30 mai 1989.

[8] Pour un historique précis et détaillé des événements entourant la crise d'Oka, voir Geoffrey York et Loreen Pindera, People of the Pines : The Warriors and the Legacy of Oka, Boston, Little, Brown, 1991.

[9] Au cours des années 1990 différentes causes portant sur les droits ancestraux de pratique d'activités traditionnelles et de subsistance ou sur les droits de propriété des peuples autochtones du Canada ont été entendues par la Cour suprême. Parmi les décisions les plus significatives rendues par la Cour, on note l'arrêt Sioui (1990), l'arrêt Sparrow (1990), l'arrêt Van der Peet (1996), l'arrêt Côté (1996), l'arrêt Delgamuukw (1997) et l'arrêt Marshall (1999). Bien que ces arrêts portent sur des aspects divers, ils constituent une jurisprudence qui reconnaît aux autochtones la préséance de leurs droits sur un certain nombre de politiques et de législations des gouvernements canadiens, du fait de l'antériorité de leur présence sur le territoire.

[10] Pour un résumé des principales recommandations de la Commission, voir Mary C. Hurley et Jill Wherrett, Jill, Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, document PRB 99-24F, 1999, p. 2-3.

[11] M. C. Hurley et J. Wherrett, Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, p. 3-4.

[12] Notes pour une allocution du ministre des Transports, ministre délégué aux Affaires autochtones et ministre responsable de la Faune et des Parcs, M. Guy Chevrette, à l'occasion d'une mission en Europe portant sur les affaires autochtones, du 30 janvier au 10 février 2001, site web du Secrétariat aux affaires autochtones du Québec, http ://www.mce.gouv. qc.ca/d/html/dl 16200 l.html. Consulté le 30 mars 2002.

[13] Notes pour une allocution du premier ministre du Québec, M. Bernard Landry, à l'occasion de la signature de l'entente finale entre le gouvernement du Québec et le Grand Conseil des Cris du Québec, site web du Secrétariat aux affaires autochtones du Québec, http : www.mce.gouv.qc.ca/d/html/d2057013.htmL Consulté le 30 mars 2002.

[14] À titre indicatif, et selon les données mêmes du gouvernement, le revenu moyen des ménages autochtones est de 20 % inférieur au revenu moyen des ménages non autochtones, ce, en dépit du fait que les ménages autochtones comprennent en moyenne 2 fois plus de personnes que les ménages non autochtones moyens. Les revenus dérivés d'un emploi constituent 42 % du revenu d'un ménage autochtone moyen, alors que 77 % du revenu d'un ménage non autochtone provient d'un emploi. Plus de 40 % des Autochtones vivant au Québec n'ont pas plus de 9 ans de scolarité, alors que c'est le cas de 20 % de la population allogène. (Secrétariat aux affaires autochtones, Partenariat, développement, actions, Québec, Secrétariat aux affaires autochtones, 1998, p. 9). D'autres données provenant de Statistique Canada font état de taux de chômage dépassant les 50 % dans certaines communautés et se situant à plus de 30 % pour l'ensemble des Premières Nations du Québec, de taux d'activité souvent inférieur à 50 % (il est de 62 % dans l'ensemble du Canada), du fait que le nombre de prestataires autochtones de l'aide sociale a doublé au Québec depuis 1980, que 65 % des Autochtones de plus de 15 ans n'ont pas complété leurs études secondaires (par rapport à 35 % au sein des populations allogènes du Québec) et que le revenu personnel moyen de la population autochtone atteint à peine les deux tiers du revenu moyen des Québécois (Carole Lévesque et Nadine Trudeau, « Femmes autochtones et développement économique ou la rencontre des modernités », dans La Tension tradition-modernité, sous la direction d'Andrea Martinez et Michèle Ollivier, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 2001, p. 15).

[15] Les nombreuses doléances des Eeyouch à l'égard de la gestion étatique de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en témoignent. Pour un bilan complet des enjeux, des difficultés et des conflits inhérents à la gestion des Conventions de la Baie James et du Nord-Est québécois, voir surtout Colin H. Scott (dir.), Aboriginal Autonomy and Development in Northern Quebec and Labrador, Vancouver, UBC Press, 2001. Voir également Marie-Anik Gagné, A Nation Within a Nation. Dependency and the Cree, Montréal, Black Rose Books, 1994 ; et Jean-Jacques Simard, « Développement et gouvernements autochtones : l'expérience de la Baie James », Politique et Sociétés, no 28, automne 1995, p. 71-86.

[16] Voir Parti québécois, Le Québec dans un monde nouveau, Montréal, VLB éditeur, 1993 ; Parti québécois, La Volonté de réussir, Montréal, Parti québécois, 1997, section B. Voir aussi Claude Bariteau, Québec 18 septembre 2001, Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 1998 ; Gérard Bouchard, La Nation québécoise au futur et au passé, Montréal, VLB éditeur, 1999 ; Anne Legaré, « La souveraineté : nation ou raison », dans Québec : État et Société, Alain-G. Gagnon (dir.), Montréal, Québec Amérique, 1994, p. 41-60 ; Michel Sarra-Bournet (dir.), Le Pays de tous les Québécois, Montréal, VLB éditeur, 1998 ; et Michel Seymour, La Nation en question, Montréal, L'Hexagone, 1999.

[17] Louis Balthazar, « Les nombreux visages du nationalisme au Québec », dans Québec : État et Société, Alain-G. Gagnon (dir.), Montréal, Québec Amérique, 1994, p. 23-40.

[18] Voir Diane Francis, Fighting for Canada. Ottawa : Key Porter Books, 1996 ; William Johnson, A Canadian Myth. Quebec, Between Canada and the Illusion of Utopia, Montréal, Robert Davies Publishing, 1994 ; Mordecai Richler, Oh Canada ! Oh Quebec ! Requiem for a Divided Country, Toronto, Penguin, 1992.

[19] La position officielle des Eeyouch est présentée en détail dans Sovereign Injustice. Forcible Inclusion of the James Bay Cree and Cree Territory into a Sovereign Quebec, Nemaska, Grand Conseil des Cris, 1995. La position des Innus rejoint celle défendue par les Eeyouch.

[20] Bill 99 : A Sovereign Act of Dispossession, Dishonour and Disgrace. Brief of the Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) to the Quebec National Assembly Committee on Institutions (http-//www.gcc.ca/political-issues/bill_99.htm). Consulté le 16 mars 2002.

[21] Taiaiake Alfred, « Sur le rétablissement du respect entre les peuples kanien'kehaka et québécois », Arguments, vol. 2, no 2, hiver 2000, p. 31-43.

[22] Gerald R. Alfred, « Les peuples autochtones et l'avenir du Québec », Choix (série Québec-Canada), vol. 1, no 10, juin 1995, p. 1-18.

[23] Martin Papillon, « Mouvements de protestation et représentation identitaire : l'émergence politique de la nation crie entre 1971 et 1995 », Revue internationale d'études canadiennes, no 20, 1999, p. 101-122.

[24] Rapport annuel du directeur Bill Namagoose au Grand Conseil des Cris, août 1998, site Web http ://www.gcc.ca/Overview/entities/gccei/annual_report_1998.htm. Consulté le 16 mars 2002. Voir également Campbell Clark, « Kahnawake Dispute is a Turf War », The Gazette, 20 juin 1998, p. A-1, A-15.

[25] T. Alfred, « Sur le rétablissement du respect entre les peuples kanien'kehaka et québécois » ; G. R. Alfred, « Les peuples autochtones et l'avenir du Québec », p. 7 ; Audra Simpson, « Paths Toward a Mohawk Nation : Narratives of Nationhood and Citizenship in Kahnawake », dans Political Theory and the Rights of Indigenous Peoples, Duncan Ivison, Paul Patton et Will Sanders (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 113-136.

[26] Par voie de référendums locaux, particulièrement dans les communautés eeyouch et innus, où dans des proportions dépassant souvent les 95 % les gens votèrent massivement en faveur du retrait du territoire québécois reconnu advenant la victoire des souverainistes.

[27] Jill Wherrett, Les Peuples autochtones et le Référendum de 1995 au Québec : les questions qui se posent, BP-412F, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, 1996, p. 8. Voir aussi « Irwin Guarantees Protection for Aboriginals », Ottawa Citizen, 28 octobre 1995 ; « Québec divisible, Chrétien says », The Globe and Mail, 30 janvier 1996 ; « Native Land, not Quebec's , Irwin says », The Globe and Mail, 14 février 1996.

[28] Reg Whitaker, « Quebec's Self-Determination and Aboriginal Self-Government : Conflict and Reconciliation », dans Is Quebec Nationalism Just ?, Joseph Carens (dir.), Montréal, McGill-Queen's University Press, 1995, p. 193-220.

[29] Daniel Salée, « Autodétermination autochtone, souveraineté du Québec et fédéralisme canadien », dans Bilan québécois du fédéralisme canadien, François Rocher (dir.), Montréal, VLB éditeur, 1992, p. 392-398, en particulier ; et Radha Jhappan, « The Federal-Provincial Power-Grid and Aboriginal Self-Government », dans New Trends in Canadian Federalism, François Rocher et Miriam Smith (dir.), Peterborough, Broadview Press, 1995, p. 155-184.

[30] Il s'agit là d'un chiffre approximatif obtenu par le croisement des données démographiques par nations et de la situation linguistique des communautés. Outre les Hurons, les Malécites et les Abénaquis, chez qui le français a remplacé la langue autochtone pour devenir la principale langue d'usage, voire la langue maternelle, de même que les Innus et les Attikamekws, qui ont réussi à préserver leur langue patrimoniale mais optent d'emblée pour le français dans leurs communications avec les populations allogènes qui les entourent, l'anglais est la langue d'usage et de transaction publique pour un très grand nombre d'Autochtones du Québec. C'est le cas, entre autres, chez les nations kanien'kehaka et eeyou, les plus populeuses et sans doute les plus politiquement actives, ainsi que chez les Inuit et les Naskapis. Les Kanien'kehakas ont ravivé depuis peu l'usage de leur lange patrimoniale, surtout parmi la jeune génération, mais l'anglais reste encore la langue maternelle et de socialisation de la très grande majorité d'entre eux. Quant aux Eeyouch et aux Inuit, l'usage de la langue patrimoniale y est très répandu et généralement en bonne santé ; ils ont toutefois adopté l'anglais comme langue seconde, qu'ils utilisent plus volontiers que le français, pratiquement absent au sein de leurs communautés. Pour ce qui est des autres nations, la fréquence de l'usage du français et de l'anglais varie selon les communautés locales et les individus.

[31] T. Alfred, « Sur le rétablissement du respect entre les peuples kanien'kehaka et québécois ».

[32] Pour une description claire et succincte du cadre de gestion administrative et politique auquel sont astreints les autochtones du Canada par l'État canadien, voir Renée Dupuis, La Question indienne au Canada, coll. « Boréal Express », Montréal, Boréal, 1991, p. 42-58. Dans un ouvrage plus récent, Renée Dupuis présente un plaidoyer rigoureux pour une reconfiguration des mécanismes politiques et administratifs régissant la vie des peuples autochtones au Canada. Voir Quel Canada pour les autochtones ?, Montréal, Boréal, 2001.

[33] Andrée Lajoie, Henry Quillinan, Rod MacDonald et Guy Rocher, « Pluralisme juridique à Kahnawake », Les Cahiers de droit, vol. 39, 1998, p. 681-716.

[34] Voir entre autres l'intervention de Ted Moses dans Sylvie Vincent et Garry Bowers (dir.), Baie James et Nord québécois : dix ans après, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 1988. Voir également les actes du colloque Regard sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois, Montréal, 25-26 octobre 2001, publiés en novembre 2002 chez Québec Amérique.

[35] Il n'est pas interdit de penser qu'avant longtemps cet accord, qui a pourtant obtenu l'appui important de la population eeyou par voie de référendums tenus dans toutes les localités eeyouch, sera aussi l'objet de remises en question par les leaders des générations à venir. Au moins trois chefs se sont prononcés publiquement contre l'accord. Voir le dossier préparé par Nation, magazine bihebdomadaire eeyou, sur le site web www.ottertooth.com. Consulté le 16 mars 2002.

[36] « Nous transigerons avec le pouvoir micmac légalement élu. Une société ne peut plus négocier sur des barricades », avait averti le ministre Chevrette au moment où les tensions faisaient rage. Voir André Pépin, « Blocus micmac : la population commence à s'impatienter », La Presse, 8 août 1998, p. A1.

[37] Sur cette question, voir A. Lajoie et al., « Pluralisme juridique à Kahnawake ? ». Voir également Robert Vachon, « La nation mohawk et ses communautés », chap. 1 (Quelques données sociologiques majeures), Interculture, vol. 24, no 4, automne 1991, cahier no 113 et chap. 2 (Cultures politiques occidentale et mohawk. Une mise en contraste), Interculture, vol. 25, no 1, hiver 1992, cahier no 114.

[38] Pour plus de détails sur les changements apportés par la loi C-31, voir Jill Wherret, Questions relatives au statut d’Indien et à l'appartenance à la bande, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, BP-410F, 1996 ; Harry W. Daniels, Bill C-31 : The Abocide Bill, site Internet du Congrès des peuples autochtones (http ://www.abo-peoples.org/programs/dnlcs-31.html). Consulté le 16 mars 2002.

[39] L'association Femmes autochtones du Québec a dressé à cet égard une liste de doléances à l'endroit du leadership autochtone et de l'État canadien dans un mémoire présenté au ministère des Affaires indiennes et du Nord sur les Changements proposés à la Loi sur les Indiens et à l'administration de la Loi sur les Indiens, Montréal, FAQ, 29 septembre 2000.

[40] Édith Garneau, « Les femmes autochtones partagent-elles le même projet national que les hommes autochtones ? », dans L’Individu et le citoyen dans la société moderne, Maryse Potvin, Bernard Fournier et Yves Couture (dir.), Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2000, p. 145-164 ; Édith Garneau, Perspective de femmes des premières nations au Québec sur les chevauchements identitaires : entre le genre et la nation, thèse de doctorat, science politique, Université du Québec à Montréal, 2002.

[41] Pour un tableau plus détaillé de la situation et des orientations politiques des Autochtones sans statut ou vivant hors réserve, voir les sites web du Congrès des peuples autochtones, http://www.abo-peoples.org  et de l'Alliance autochtone du Québec,
http://www.allianceautochtone.com.

[42] Anna Yeatman, Postmodern Revisionings of the Political, New York, Routledge, 1994, p. 90.

[43] Créée dans la foulée des événements d'Ipperwash en 1995, « ... dans la frustration et l'insatisfaction quant à la manière avec laquelle les gouvernements canadien et ontarien répondent aux revendications territoriales des autochtones », l'Ontario Federation for Individual Rights and Equality (ONFIRE) est un exemple éloquent de ce type de regroupement. Cet organisme œuvre surtout en Ontario, mais possède des antennes en Colombie-Britannique et dans les Prairies. ONFIRE estime que nombre de revendications territoriales autochtones sont abusives et que l'État ne montre pas assez de fermeté à leur égard. Son action est fondée sur la conviction selon laquelle « ... quiconque vit à l'intérieur des frontières du Canada jouit de droits égaux garantis par la Constitution canadienne, indépendamment de l'origine ethnoculturelle, de la race, de la foi ou de la religion et, de ce fait, personne ne peut disposer de droits qui ne sont pas également accessibles à tous ». Voir le site web de l'organisme www.onfire.ca. Consulté le 30 mars 2002. Parmi les organisations qui ont exprimé des points de vue ou des positions similaires, on trouve l'Ontario Federation of Anglers and Hunters, qui demande que les droits de pêche ancestraux des autochtones soient éteints, et la BC Real Estate Association.

[44] Voir Tom Flanagan, First Nations, Second Thoughts, Montréal, McGill-Queen's University Press, 2000 ; Melvin H. Smith, Our Home or Native Land ? What Governments Aboriginal Policy is Doing to Canada, Victoria, Crown Western, 1995.

[45] Les sorties fortement médiatisés du député bloquiste Ghislain Lebel et de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau contre l'Approche commune ne sont en fait que la pointe de l'iceberg. Voir à titre d'exemple le Mouvement estrien pour le français (MEF). Cette organisation régionale indépendante, vouée à première vue à la défense et à la promotion de la langue et de la culture françaises au Québec, entretient un site web qui comporte une rubrique importante sur « Les Indiens ». On y trouve entre autres plus d'une soixantaine de textes souvent cyniques, moqueurs et arrogants sur diverses facettes de la question autochtone en plus d'un dossier complet sur Oka et ses suites. Par ces textes, le MEF montre on ne peut plus clairement son exaspération à l'égard des « privilèges » et revendications autochtones, qu'il considère exagérés et non fondés car, selon ses propres mots, le mouvement « croit fermement que toutes les personnes habitant le Québec devraient être sur un pied d'égalité, peu importe leur race ou leur origine ethnique, et [...] s'oppose tout aussi fermement aux privilèges raciaux basés sur une soi-disant primauté ethnique ». Les mouvements d'opposition qui se sont constitués en réaction au projet d'approche commune avec les Innus (la Fondation équité territoriale et la Société du 14 juillet au Lac-Saint-Jean, l'Association pour la défense des droits des Blancs sur la Côte Nord), participent du même esprit. Voir le site web du MEF, http ://www.wefqc.ca. Consulté le 6 avril 2002. Voir également, Isabelle Labrie, « Le contenu de l'Approche commune rejeté », Le Quotidien, 21 juin 2002 ; Steeve Paradis, « Les Blancs demeurent tout aussi désemparés », Le Soleil, 12 juillet 2002 ; Stéphane Tremblay, « André Forbes, le premier défenseur des droits des Blancs », Le So1eil, 24 janvier 2002 ; Kevin Dougherty, « Non-Natives Slam Innu Pact », The Gazette, 19 octobre 2002.

[46] Le Québec n'est pas unique en ce sens et il s'agit là d'une dynamique que l'on trouve partout au Canada dans les rapports qu'entretient l'État avec les peuples autochtones. Voir Thierry Rodon, Coexistence ou domination ? L'expérience de cogestion des autochtones du Canada, thèse de doctorat, science politique, Université Laval, 1998, p. 151-173, en particulier pour une analyse succincte de la situation qui prévaut dans le cadre de la Convention de la Baie James. Voir également Lorraine Brooke, The James Bay and Northern Quebec Agreement : Experiences of the Nunavik Inuit with Wildlife Management, rapport de recherche, Commission royale sur les peuples autochtones, 1995 ; Harvey Feit, “James Bay Cree Self-Governance and Land Management”, dans We Are Here : Politics of Aboriginal Land Tenure, Edwin Wilmsen (dir.), Berkeley, University of California Press, 1989 ; et Ignatius La Rusic, La Négociation d'un mode de vie : la structure administrative découlant de la Convention de la Baie James. L'expérience initiale des Cris, Ottawa, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, 1983.

[47] Selon un reportage de Radio-Canada, 29 octobre 2002. Voir http://radio-canada.ca/nouvelles/Politique/nouvelles/200210/29/005-droits-chevrette-rb.sh.

[48] Paul Joffe, « Assessing the Delgamuukw Principles : National Implications and Potential Effects in Quebec », McGill Law journal, vol. 45, 2000, p. 155-208. (Voir p. 190-203 en particulier.)

[49] Jean-Jacques Simard, Le Problème autochtone, étude mise à jour présentée originellement à la Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté, Québec, 2001, p. 11. Italique dans le texte.

[50] Jean-Jacques Simard, Tendances nordiques. Les Changements sociaux, 1970-1990, chez les Cris et les Inuits du Québec. Une enquête statistique exploratoire, Québec, Université Laval, GÉTIC, 1996.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 2 janvier 2013 9:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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