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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Violences et enfantements inuit ou les noeuds de la vie dans le fil du temps.” (1980)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Saladin d’Anglure, “Violences et enfantements inuit ou les noeuds de la vie dans le fil du temps.” Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 4 no 2, 1980, pp. 65-99. Numéro intitulé : “L'usage social des enfants”. Numéro intitulé: “L'usage social des enfants.” [Autorisation formelle de l’auteur accordée le 14 août 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

L'étude de l'enfant inuit, que ce soit sur le plan du vécu social ou sur celui de l'imaginaire culturel, est peut-être celle qui a rencontré le plus de résistance de la part de son objet parmi les nombreuses tentatives de l'anthropologie occidentale d'analyser la société inuit par le biais de la « morphologie sociale »(Mauss et Beuchat 1906), de la « Culture intellectuelle » (Rasmussen 1929, 1931), du « système de parenté » (Damas 1963, Graburn 1964, Guemple 1972, 1979), de l'« Écologie culturelle » (Balikci 1964) ou de la « structure des émotions » (Briggs 1970), en ce qui concerne, du moins, les Inuit de l'Arctique central canadien [1]. 

Est-ce en raison de l'ambivalence et des contradictions exprimées par la plupart des données concernant l'enfant inuit, à la fois reflet du passé de son groupe et projection de son futur, à la fois être indivis et composite, unique et multiple ? 

Est-ce en raison d'une opposition fondamentale entre les deux cadres de pensée concernés, celui de l'observateur et celui de l'observé, et en particulier les conceptions de l'espace et du temps qui les sous-tendent ? 

Ce sont là des interrogations ambitieuses mais néanmoins nécessaires croyons-nous, pour surmonter ce que nous pensons être de sérieux obstacles épistémologiques à la connaissance d'un sujet pourtant simple à première vue. 

Nous essayerons dans cet article d'étayer ces interrogations à l'aide de données ethnographiques recueillies principalement dans la région d'Igloolik (Rasmussen 1929 ; G. Mary-Rousselière 1969 et 1980 ; B. Saladin d'Anglure 1971-1980) et d'amorcer quelques éléments de réponses. Pour ce faire nous utiliserons les témoignages de trois informateurs privilégiés : Aatuat morte à l'âge de 82 ans en 1976 [2], Ujaraq âgé d'environ 75 ans (en 1980) son frère cadet et Iqallijuq âgée d'à peu près le même âge (en 1980) cousine germaine des deux premiers. 

Tous les trois ont été les témoins des faits que nous allons décrire ou les compagnons de ceux qui les ont vécus. Tous les trois ont rencontré et connu Rasmussen dans les années 1920, Mary-Rousselière dans les années 1950 et 1960 et nous-mêmes dans les années 1970. Leurs témoignages ajoutés à ceux de leurs parents maintenant disparus, ou de leurs familles résidant à Igloolik se complètent ou parfois s'opposent et nous permettent d'aborder par plusieurs biais les questions étudiées. (Nous utiliserons les initiales G.M.R. pour citer les oeuvres du R.P. Guy Mary-Rousselière et B.S.A. pour les nôtres). 

Aatuat est notre témoin principal, par son âge d'abord, par le fait de son initiation au chamanisme, et par sa participation aux événements survenus en 1904-1905 que nous prendrons comme points de départ. Elle fut en 1968 longuement interrogée par le Père G. Mary-Rousselière (1969) qui dans un très intéressant article mit en parallèle son récit avec celui de sa mère adoptive rapporté par Rasmussen (1929). Nous la fîmes venir à Igloolik, son lieu d'origine, en 1974 et nous l'enregistrâmes et la filmâmes au cours de plusieurs séances. 

Ujaraq est le fils du chamane Ava, un des meilleurs informateurs de Rasmussen (1929), et sa date de naissance coïncide à peu près avec celle du drame que nous allons décrire ; comme c'est le cas aussi d'Iqaltijuq qui devint vers 1930 la bru de deux de ses principaux protagonistes.

Figure 1 : Aatuat photographiée à Igloolik (1974). Elle était en 1905 sur le traîneau qui découvrit Ataguttaaluk l'« anthropophage ». On remarque les tatouages de son visage. C'est une des dernières femmes de la région à en avoir portés (Photo B.S.A.). Cette évocation d'outre-tombe rend compte éloquemment de la lutte titanesque entreprise par les Inuit pour entretenir et penser la vie (les tatouages indélébiles sont une des expressions structurales du maintien de l'ordre social et cosmique), en dépit de la mort (les rides inscrivant concurremment leur dessin hasardeux comme la marque du temps inéluctable). Elle rend compte aussi de la ruse culturelle de ces chasseurs-collecteurs qui, à peine disparu ce témoin convainquant du succès de la vie (elle mourut à 82 ans), transmirent son identité à une dizaine de nouveaux-nés en qui elle revit maintenant.


[1]      Il ne s'agit évidemment pas d'une énumération exhaustive des travaux réalisés depuis près d'un siècle dans cette région mais plutôt d'un résumé des principaux courants de recherche reliés aux préoccupations théoriques et méthodologiques de leurs époques ; nous citerons dans la bibliographie de cet article quelques travaux récents les plus en rapport avec le sujet.

[2]      Aatuat était la fille aînée des chamanes Ava et Urulu ; elle fut adoptée très jeune par Tagurnaaq et Padluq et fut elle-même initiée au chamanisme. Elle n'eut jamais d'enfants autres qu'adoptifs ce qui l'exposa à des tabous sévères durant une bonne partie de sa vie. C'est lors de missions annuelles effectuées à Igloolik de 1971 à 1974 que nous entendîmes parier d'elle avec force détails et que nous eûmes l'idée de lui offrir un séjour dans son village natal. Par la suite de 1975 à1980 nous eûmes l'occasion de recueillir à Igloolik de nombreuses informations complémentaires. Nous remercions ici le Centre National de la Recherche Scientifique (Paris), et principalement le Professeur C. Lévi-Strauss du Laboratoire d'Anthropologie Sociale (collège de France) qui permit la réalisation de nos premières missions, puis le Conseil des Arts du Canada, la Fondation Killam, le Musée National de l'Homme (Ottawa), le Ministère fédéral des communications, l'Université Laval et le Ministère de l'Éducation du Québec (FCAC) qui contribuèrent aux suivantes et enfin les chercheurs de l'Association Inuksiutiit en particulier Sylvie Pharand, Rose Dufour, François Thérien, et Louis-Jacques Dorais, qui tous travaillèrent à Igloolik et nous aidèrent à bien des égards. Jimmy Mark, Bernadette Imaruittuq et Leah Idlaut d'Argencourt nous fournirent un précieux concours sur le terrain et à Québec pour les entrevues en langue inuit, leur transcription et leur traduction ; enfin nos remerciements vont aussi au R.P. Robert Lechat qui nous donna accès aux archives familiales de la mission d'Igloolik et lors de nombreuses discussions nous apporta des critiques fort appréciées.



Retour au texte de l'auteur: Bernard Saladin d'Anglure, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 2 mars 2008 14:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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