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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Saladin d’Anglure, “Mythe de la femme et pouvoir de l'homme chez les Inuit de l'Arctique central (Canada).” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 1 no 3, 1977, pp. 79-98. Québec: département d'anthropologie, Université Laval. Numéro intitulé: “Le rapport hommes-femmes.” [Autorisation formelle de l’auteur accordée le 14 août 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Bernard Saladin D’Anglure 

Mythe de la femme et pouvoir de l'homme chez les Inuit
de l'Arctique central (Canada).
 

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 1 no 3, 1977, pp. 79-98. Québec: département d'anthropologie, Université Laval.
 

Le rapport homme-femme dans l'organisation sociale inuit
Le rapport homme-femme dans les mythes d'origine inuit
 
Une première humanité "avortée"
Gestation de la deuxième humanité
L'humanité embryonnaire sauvée par le sacrifice d'une femme
L'humanité voit le jour
L'ordre culturel et cosmique naît des désordres humains
L'ordre écologique ou l'échec de l'autonomie féministe
Fin des métamorphoses, continuité retrouvée et aliénation de la femme
 
Le rapport homme-femme dans les pratiques religieuses inuit
 
 
Figure 1. “Une vie de chien”. La figure 1, dessinée par Taivitialuk Alasuaq de Povungnituk (Nouveau-Québec), illustre les mauvais traitements qu'un mari pouvait faire subir à sa femme.
 
Références

 

Le rapport homme-femme
dans l'organisation sociale inuit

 

La domination masculine dans la société inuit semble attestée par la plupart des auteurs qui en ont étudié l'organisation sociale tant au niveau des normes que des pratiques, encore qu'aucune étude, à notre connaissance, n'ait été expressément consacrée à ce sujet [1]. On préférait avoir des fils et on s'efforçait de les empêcher de se transformer en filles, de se fendre [2] comme l'atteste le témoignage de Mitiarjuk [3], femme inuit du Québec arctique : 

arnaqutinga / angutiummangaat / tatsiigiaqsuni / usuqarmangaat... / sipiqunagu / inuulituarmat / sipisuungummataguuq / tatsitaunngituaramik .... taitsumanili / anguti kisimi / sunauniqsaaluujurijaunnimat / Iariksuni / sunauvvali / tatsiigiaraluaqsukik / arnauvuq / uunniit / qunuinngituugaluaq / angutimilli/ sunaunnginiqsaujurijauvuq / sanngiituguluugami / pisitialuunngurami / suurluli / kipaluksaq / Inuit / isumajuviniit / taimanngat / angajuggaangugiaqanngituq / angutiminut / arnaugami
 
son accoucheuse / pour savoir si c'est un garçon / elle (le) tâte un peu / pour savoir s'il a un pénis... / (et) pour qu'il ne se fende pas / dès qu'il est né / car on dit qu'ils peuvent se fendre / si on ne les a pas tâtés aussitôt / autrefois / le garçon / seul / était tenu pour plus / véritablement / mais voici / qu'on a beau tâter / c'est une fille / tant pis / ce n'est cependant pas trop grave / mais par rapport au garçon / elle est tenue pour moindre / car elle est faible / et n'a pas beaucoup d'habileté / assurément/ elle est une future servante / les Inuit / pensaient / que jamais / elle ne devait avoir de l'autorité / sur son homme / car elle est femme 
Mitiarjuk, 1966 : 515-516 

L'infanticide féminin que quelques groupes pratiquaient assez systématiquement et les autres seulement dans les périodes de famine confirme cette préférence exprimée pour les garçons [4] ; la règle de résidence virilocale au mariage venait accentuer encore la subordination de la femme à un mari ordinairement plus âgé qu'elle (Kjellström 1973 : 30-32 et 101-106). Quand un homme voulait une épouse très soumise et qui ne manifesterait aucune velléité de le quitter pour retourner dans sa famille, il pouvait choisir une orpheline : 

taanna / ilaquanngituguluk / iliarjuk / aippasatsianguniqpauvuqtauq / anngaanguaqtuuqatalaarmat / pilaarialuulaanngimalli
 
celle-là ! qui n'a pas de parents,/ l'orpheline, ! est aussi la meilleure des fiancées ! car elle acquiescera facilement ! et elle ne sera pas prétentieuse
Mitiarjuk, 1966 :531

 

On faisait de toute façon peu de cas de l'avis d'une jeune fille pour la marier et si elle résistait on n'hésitait pas à employer la force pour la mâter : 

ilangilli... / angajuqqaaminut / angirutaugaluaqsutik / naqitarijautuinnasuuviniit / angajuqqaangik / angiqtilugik / arnaq / qunujupaaluugaluarami / ilirananngituq / upinnaranili / kipaluksatuinnaujurijaviniq / taitsumanialuk
 
certaines.. / par leurs parents / bien qu'ayant été accordées / devaient être ligotées sur le traîneau ses deux parents / en dépit de leur accord / la femme / bien qu'elle refusait / on ne s'en occupait pas / ce n'est pas étonnant / car elle était destinée à n'être qu'une servante / autrefois
Mitiarjuk, 1966 :540

 

Nous avons recueilli des commentaires masculins sur cette forme de violence infligée à la "fiancée", plus une jeune fille se refusait à son fiancé, meilleure épouse elle serait par la suite... La violence à l'égard des femmes pouvait aller parfois jusqu'à la mutilation [5] : 

taitsumanialuk / arnait / aippaminnut / kipalutuinnaviniit / suurlu / uumajuqtituuqtitautsutik / arnaruuq / sunaunngituguluummat / kipalutuinnaumat / ilangit / isumajuviniit / upinnaratik / arnait / uumigijauluaqattasutik / aippaminut / sakiminnulu / aullapattuviniit / ilangit / aullaruutuarmataguuq / arnait / kimmiqullutinga / nakatsugu / itiganginniituq / ivalu...
 
autrefois / les femmes / pour leur mari / n'étaient que des servantes / assurément / on les traitait comme des animaux / la femme disait‑on / était moins que rien ! étant juste une servante / certaines / ont pensé / ce n'est pas étonnant / des femmes / comme elles étaient trop souvent l'objet de la colère / de leur mari / et de leurs beaux‑parents / s'enfuyaient souvent / certaines / comme elles s'enfuyaient souvent / les femmes / leur tendon d'achille / on le coupait ! celui de leur pied ! le tendon...
Mitiarjuk, 1966 : 276 

 

La figure 1, dessinée par Taivitialuk Alasuaq de Povungnituk (Nouveau-Québec), illustre les mauvais traitements qu'un mari pouvait faire subir à sa femme [6]. 

Figure 1 : "Une vie de chien" 

d'après un dessin de Taivitialuk Alasuaq 

 

La jeune femme était en fait soumise à l'homme et aux femmes plus âgées jusqu'à ce qu'elle ait de grands enfants et qu'elle puisse à son tour contrôler ses brus. La polygynie, beaucoup plus fréquente que la polyandrie [7], l'échange des épouses, habituellement organisé par les hommes [8], et la plus grande liberté sexuelle extramaritale de l'homme (Kjellström 1973 : 174-175), étaient d'autres expressions de la domination masculine. 

Au niveau idéologique, enfin, les prescriptions et prohibitions étaient beaucoup moins nombreuses et astreignantes pour les hommes que pour les femmes qui, de leurs premières menstruations à leur ménopause, étaient astreintes à de longues périodes de confinement et à de nombreuses restrictions dans leur alimentation, leurs travaux et leurs déplacements (Giffen 1930 : 62). 

Les auteurs sont partagés sur l'interprétation de tous ces faits qu'ils reconnaissent cependant [9]. Nous laisserons pour le moment le débat ouvert pour aborder un autre niveau du rapport entre les sexes, celui de la mythologie et de certaines relations qu'elle entretient avec les pratiques sociales.

 

Le rapport homme-femme
dans les mythes d'origine inuit

 

La mythologie des Inuit, en dépit des nombreux ouvrages et articles qui lui sont consacrés a été peu analysée jusqu'à ce jour [10] On ne sera donc pas surpris que le problème du rapport homme-femme dans les mythes inuit ait été ignoré en dehors de quelques mentions dans des travaux centrés sur d'autres problèmes [11]. Nous essaierons donc, dans les lignes qui suivent, d'ouvrir la voie à cette approche en proposant la relecture de quelques mythes en provenance de la région d'lgloolik (TNO) dans l'Arctique central canadien, qui tous peuvent entrer dans la catégorie des mythes d'origine. 

C'est lors d'enquêtes poursuivies à Igloolik de 1971 à 1977 sur le symbolisme inuit [12] que notre attention se porta sur deux mythes qui semblaient en même temps refléter et fonder l'inégalité entre les sexes, observée par ailleurs dans la vie sociale. 

Le premier, recueilli dans cette localité par Knud Rasmussen en 1921 raconte comment, à l'origine des temps, la femme fut créée à partir d'un homme qu'un autre homme "fendit" par magie. Véritable mythe de la femme et de la reproduction de la vie, il renvoie aux croyances encore très vives chez les Inuit qu'un changement de sexe peut survenir au moment de la naissance d'un enfant (on appelle sipiniq le garçon changé en fille) [13]. 

Le second mythe nous a été raconté en 1972 à lgloolik par Michel Kupaq. Rasmussen en a publié également une variante qui diffère quelque peu. C'est le mythe d'Arnakpaktuq, "L'être qui fut conçu par plusieurs femmes" ; il raconte comment une épouse battue revécut en fils de son frère après transmigration de son âme à travers plusieurs espèces animales. Mythe d'origine des connaissances cynégétiques, il établit le pouvoir de l'homme et renvoie au système actuel de transmission des noms de personne conçu comme une transmigration des âmes-noms des défunts dans le corps des nouveaux-nés [14]. 

Entre ces deux mythes qui selon nous ouvrent l'histoire mythique par la transformation d'un homme en femme reproductrice et la ferment par la transformation d'une femme en homme producteur, nous ordonnerons huit autres mythes dans une chaîne qui nous parait développer une certaine logique du rapport entre les sexes.

 

Une première humanité "avortée"

 

Les Inuit de l'Arctique central pensent qu'avant l'humanité actuelle en existait une autre. La terre était un disque rond entouré d'eau et supportait la voûte céleste qui abritait un autre monde peuplé d'humains et d'animaux à l'image de la terre. Sous le disque terrestre se trouvait un monde exigu où l'on ne pouvait se tenir que couché, sous lequel, enfin, était le monde inférieur, lui aussi à l'image de la terre. 

Puis il advint que la terre bascula avec ses habitants ; une pluie diluvienne tomba du ciel et noya tout reste de vie. L'obscurité régnait alors en permanence sur la terre (Rasmussen 1929 :252, Saladin d'Anglure 1977).

 

Gestation de la deuxième humanité

 

Dans les temps qui suivirent apparurent deux petites buttes de terre d'où sortirent deux hommes, deux adultes, les premiers Inuit. Ils voulurent bientôt se reproduire et l'un d'eux prit l'autre pour épouse. L'homme-épouse devint enceinte et quand son terme arriva, son compagnon, anxieux de faire sortir le foetus composa un chant magique : 

Inuk una / usuk una / paatuluni / nirutuluni / pou pua pou
 
cet être humain ! ce pénis ! qu'une ouverture s'y forme/ assez spacieuse ! ouverture ouverture ouverture 

Quand ces mots furent prononcés, le pénis de l'homme se fendit avec bruit et l'homme devint une femme qui donna bientôt naissance à un entant. L'humanité est issue de ce premier couple, dont la descendance se multiplia (Rasmussen 1929 : 252). 

Ces premiers ancêtres des Inuit s'appelaient l'homme, uumarnituq, et la femme, aakuluujjusi [15]. Ils firent ressurgir les animaux soit en les créant soit en les ramenant des autres mondes (Saladin d'Anglure 1974). 

Tout était sombre alors : on ne distinguait ni les lieux ni les animaux. Il n'y avait pas d'astres dans le ciel, pas de glace sur la mer, pas de tempêtes ni d'orages ni d'éclairs ni de vents. 

Les Inuit étaient pauvres et ignorants, ils avaient peu d'instruments de chasse et ne connaissaient rien du gibier ; les seuls animaux qu'ils chassaient étaient quelques oiseaux comme le lagopède et quelques petits mammifères comme le lièvre arctique. 

Afin de voir leur proie, ils humectaient de salive leur index pour le rendre lumineux et le pointaient en l'air. Mais ils devaient souvent se contenter de gratter le sol pour y trouver de quoi manger. Pour leurs vêtements ils ne disposaient que de rares et fragiles peaux d'oiseaux ou de renards blancs. 

On comptait le corbeau, le renard blanc, le loup et l'ours parmi les premiers animaux de cette époque. Mais il y avait confusion entre le monde animal et le monde des humains. Les hommes pouvaient facilement se changer en animaux et les animaux se métamorphoser en hommes dont ils devenaient alors très proches, parlant la même langue, occupant des habitations de même type, et chassant de la même façon en dépit des différences de leurs habitudes respectives. 

Il n'y avait pas de mammifères marins, pas de gros gibiers et donc pas de tabous. La vie était sans grands dangers maïs aussi sans la véritable joie qui suit l'effort et la peine. 

Les hommes en ce temps‑là n'avaient pas de chamanes ; ils avaient peur de la maladie ; ils ignoraient les règles de la vie ainsi que la façon de se prémunir contre les dangers et la méchanceté. Ils découvrirent néanmoins le pouvoir protecteur des amulettes et d'abord celui de la coquille d'oursin itiujaq (qui ressemble à un anus), que l'on pointait vers la partie malade du patient en lâchant un pet pendant qu'une autre personne soufflait sur l'organe malade ; ces deux actions combinaient toute la force vitale émanant du corps humain. 

Parmi les premiers humains, il n'était pas rare que les femmes soient stériles, aussi allaient‑elles à la recherche des "enfants de la terre", de bébés que l'on trouvait dans le sol. Il fallait aller loin et chercher longtemps pour des garçons alors que les filles étaient plus faciles à trouver. La mort n'existait pas et le nombre des Inuit s'accrut progressivement (Rasmussen 1929 : 254, Saladin d'Anglure 1977). 

Ces récits font ressortir la place essentielle qu'occupe la terre (nuna) dans la pensée mythologique inuit [16] non seulement en tant que génitrice de l'espèce humaine mais aussi en tant que régulatrice de la reproduction sociale inuit dans ces premiers temps de l'humanité : sur le plan démographique, elle fournissait des bébés aux femmes stériles et sur le plan économique, l'essentiel de l'alimentation alors que le gibier était rare et peu accessible. Ils montrent aussi l'importance de la découverte par la nouvelle humanité de l'efficacité magique du souffle et de la parole. La différenciation sexuelle est créée par un chant et la première guérison par le souffle vital (associé à l'oursin). 

En face des nombreuses contraintes de la nature qui limitent les possibilités de l'homme, la création de la femme apparaît comme le premier moyen trouvé par celui‑ci pour se dégager de la dépendance où il est de la terre‑mère, grâce à la procréation humaine rendue possible ; mais la stérilité féminine reste élevée et on a besoin des enfants de la terre. La création des animaux et de techniques de chasse pour les capturer est un deuxième moyen de se dégager de la terre nourricière, en explorant une solution nouvelle au problème de l'alimentation, mais les espèces animales sont peu nombreuses et les techniques de production très rudimentaires en raison de l'obscurité permanente. La terre continue donc d'être la source principale de nourriture. L'émancipation de la terre que recherche l'homme - ignorant, pauvre et presque sédentaire en raison de son incapacité de chasser – passe nécessairement par une nouvelle dépendance, celle de la femme, qui joue un rôle essentiel pour l'expansion de l'humanité nouvelle soit en procréant soit en collectant les "bébés de la terre" lors de longs voyages de cueillette. 

 

L'humanité embryonnaire sauvée
par le sacrifice d'une femme

 

Les premiers Inuit vivaient concentrés sur une île, Millijuaq, dans le détroit d'Hudson (Boas 1907 : 173, Rasmussen 1929 : 92, Saladin d'Anglure 1977). Lorsque hommes et femmes atteignaient un âge avancé - la mort n'existant pas ils s'accroupissaient au bord de la plate-forme de leur habitation et se laissaient basculer, tête la première, sur le sol, ce qui avait pour effet de les rajeunir, de les ramener à l'état de jeunes adultes (Saladin d'Anglure 1977). Ainsi la population était composée en majorité d'adultes et augmentait sans cesse en nombre. Il advint alors que sous le poids croissant des Inuit 'l’île commença lentement à s'enfoncer dans la mer. Les gens s'affolèrent ; et parmi eux une vieille femme effrayée par le manque de place s'écria soudain : "Tuqu Tuqu" (La mort ! La mort !), "Unataa Unataa" (La guerre ! La guerre !). Un vieillard aussitôt sentant qu'il allait être atteint par la mort chercha sans succès à s'opposer à elle en criant : "Tuqujjuunnatiglu" (Que nous ne soyons pas atteints par la mort !), "Unataajjuunnatiglu" (Que nous ne soyons pas engagés dans la guerre !). La mort survint alors, la guerre aussi et les Inuit se dispersèrent au loin dans toutes les directions (Saladin d'Anglure 1977). 

L'humanité était sauvée, elle avait de justesse échappé à un nouvel "avortement", à un engloutissement du même type que celui qui l'avait précédé. L'homme avait joué à l'apprenti sorcier en créant la femme dont la capacité reproductrice avait entraîné peu à peu une démographie galopante. Au moment crucial où la menace d'engloutissement se fit sentir, deux choix étaient possibles : ou bien supprimer la reproduction humaine et donc la fonction prédominante de la femme et préserver les intérêts des humains déjà existants, c'est-à-dire des adultes qui pouvaient indéfiniment s'auto-entretenir par rajeunissement périodique, c'est‑à‑dire des hommes qui auraient tâché de récupérer une partie de leur pouvoir perdu mais en renonçant au rêve de la multiplication ; ou bien appeler la mort, c'est-à-dire instaurer la "vie brève" [17], avec pour effet de contrôler l'accroissement démographique mais cette fois, au détriment de la gérontocratie, de la stabilité des choses, au profit de la reproduction, au profit des femmes reproductrices, au profit du renouvellement. Ce fut le choix féminin qui s'imposa par sa spontanéité et sa rapidité choix d'une vieille femme qui en sacrifiant sa vie sauvegarda la fonction de ses semblables.

 

L'humanité voit le jour

 

La force magique des mots fut ainsi progressivement explorée et mise en oeuvre par les humains, ou leurs semblables, les animaux métamorphosés, pour tenter de surmonter les obstacles rencontrés par la nouvelle humanité. L'obscurité constituait en particulier une limitation majeure au développement de la chasse. 

Et voilà qu'un corbeau rencontrant un renard blanc dit qu'il voulait de la lumière pour mieux trouver sa nourriture. Le renard, lui, préférait l'obscurité pour mieux piller les caches de viande des Inuit. Le premier cria alors : 'Qau Qau" (lumière lumière), pendant que le second rétorquait : "Taaq Taaq" (obscurité obscurité). C'est depuis ce temps que le jour alterne avec la nuit (Rasmussen 1929 : 253, Saladin d'Anglure 1974). 

Une variante groenlandaise de ce mythe attribue l'origine du jour et celle de la mort à une même personne (Eggede, 1763 : 150). 

L'alternance du jour et de la nuit et l'apparition de la vie brève permirent aux humains de se dégager un peu plus de la tutelle de la terre caractérisée par une obscurité qu'on serait tenté de qualifier d'utérine et par la vie continue. On peut penser en tenant compte de la variante groenlandaise que la femme ou son substitut joue un rôle clé dans ce processus de différenciation et de discontinuité qui affermit sa fonction et marque l'aube de la culture, en assurant aux hommes survie et connaissance. Maintenant qu'ils avaient la lumière, les Inuit purent en effet acquérir des connaissances techniques et géographiques et développer 1a chasse. Qau, qui signifie lumière, veut dire aussi "le front" et "la connaissance". 

Ils ne connaissaient pas à cette époque la traction canine et avaient découvert que leurs maisons (de neige, de pierres ou de tourbe) étaient animées par des esprits et pouvaient se déplacer avec leurs occupants en glissant sur le sol, quand on prononçait certaines paroles magiques. Ils s'en servaient donc pour se rendre aux endroits où le gibier abondait. Cela dura jusqu'au jour où des gens se plaignirent de la mort de leurs enfants écrasés par les maisons après être tombés sur le sol pendant de tels voyages ; les maisons cessèrent alors de se mouvoir (Rasmussen 1929 : 255, Saladin d'Anglure 1974).

 

L'ordre culturel et cosmique
naît des désordres humains

 

L'avenir des humains était maintenant assuré, leur contrôle de la nature s'affermissait mais en même temps les antagonismes se développaient provoquant abus et désordre. 

Le soleil, la lune, les étoiles, le tonnerre, les éclairs, le vent froid du nord, le vent chaud du sud sont tous des humains que leur mauvaise conduite ou les mauvais traitements qu'ils subirent firent monter dans l'espace où ils participent au nouvel ordre du monde, l'ordre cosmique Sila. Sila c'est à la fois l'air, le mouvement ordonné, la périodicité cosmique, c'est aussi la rationalité de l'esprit, la compréhension et le respect de cet ordre. 

La lune et le soleil étaient un frère et une soeur. Le frère fut un jour trompé par sa mère : alors qu'il souffrait d'ophtalmie, elle le déposséda de son premier ours blanc qu'elle consomma en cachette, au lieu d'en faire l'objet d'un partage collectif comme c'est la règle pour les premiers gibiers [18] Quand il fut guéri de son mal par un plongeon qui le dota d'une grande puissance visuelle, il provoqua la mort de sa mère en harponnant un gros béluga alors qu'elle était attachée à la lanière de son harpon pour l'aider à chasser (Rasmussen 1929 : 78-79). 

Coupant symboliquement le cordon ombilical qui le rattachait à sa mère, il l'attacha au béluga par cet autre cordon qu'est la lanière du harpon, la sacrifiant ainsi au gibier (produit social), à la règle de répartition sociale des produits. 

Devenus orphelins, le frère et la soeur connurent de nombreuses aventures jusqu'au jour où, profitant de l'obscurité, il abusa d'elle sexuellement. Quand elle découvrit son identité après lui avoir noirci le visage avec de la suie, elle réagit violemment, se coupa un sein, et le lui lança en disant : "Si tu m'aimes tant, mange-le". Puis elle ramassa le sein qu'il refusait s'en fit une torche et s'enfuit dans le ciel où elle devint le soleil Siqiniq. Il la poursuivit avec une autre torche qui, elle, s'étint et devint la lune Taqqiq (Saladin d'Anglure 1974). 

Par sa mutilation volontaire et le sacrifice de sa fécondité, Siqiniq établit le fondement d'une autre règle de répartition : l'exogamie ou l'échange matrimonial. Incestueuse involontaire, abusée dans une obscurité qui rappelle la noirceur, la confusion et la continuité des premiers temps de la terre, Siqiniq (soleil) est maintenant placée dans une position céleste de luminosité et de mobilité, avec une trajectoire ordonnée et une périodicité saisonnière productive. 

Son sein tranché et sanglant, que son frère n'a pas osé consommer, n'allaitera pas non plus ; ce sein devenu torche enflammée et soleil, éclaire, réchauffe l'humanité. Mais aussi, à travers la lampe à l'huile, sa représentation symbolique, il éclaire ce microcosme que constitue la famille domestique et son nouvel ordre, la règle d'exogamie. Par la cuisson qu'il permet, il établit enfin une séparation définitive entre la femme saignante, de par ses propriétés reproductrices, et la viande saignante c'est-à-dire le gibier produit. Cette séparation, la femme la porte dorénavant marquée sur son visage sous la forme du tatouage facial rayonnant, sorte de cuisson symbolique qui s'effectue en introduisant sous la peau de la jeune fille nouvellement menstruée de la suie provenant de la flamme de la lampe. 

Son frère Taqqiq (lune) à la vision puissante et à la sexualité débordante, sort frustré et obscurci de l'aventure terrestre, il n'en devient pas moins, dans le ciel, l'instrument de cet ordre et de sa reproduction. Acteur principal du découpage calendaire, il a maintenant la charge de féconder les femmes stériles, d'apporter du gibier aux chasseurs malchanceux et de prendre la défense des orphelins maltraités et des défavorisés de la terre. 

C'est aussi un frère et une soeur qui furent à l'origine du tonnerre et des éclairs. Ils voulurent se venger des adultes qui les avaient réprimandés à cause de leurs jeux trop bruyants. Avec des pierres à feu et une peau séchée, ils produisent maintenant les éclairs et le tonnerre, et quand ils urinent la pluie tombe sur les humains (Saladin d'Anglure 1974). 

Les vents quant à eux sont contrôlés par un esprit masculin et un esprit féminin dont plusieurs récits épars racontent les attributs. 

Les parents du bébé Naarsuk furent assassinés ; c'était une famille de géants. Quand on trouva l'enfant il étonna par sa taille et par sa force : on pouvait faire tenir quatre femmes assises sur son pénis en érection (Rasmussen 1929 : 71-72 et 1931 : 230). Il fut abandonné avec, pour tout vêtement, une peau lacée et monta dans l'espace où il devint l'esprit-maître du vent froid du nord ; ce vent souffle lorsque la couche de l'enfant se délace. Un autre esprit du vent, féminin celui‑là, vit dans un iglou de neige et quand la chaleur de sa lampe fait des trous dans la paroi, le vent chaud du sud souffle sur la terre (Saladin d'Anglure 1974). 

D'autres données d'lgloolik situent le vent féminin comme soufflant de l'ouest, vent diurne, à l'image des activités féminines. Le vent masculin serait, lui, le vent d'Est, nocturne et violent (Saladin d'Anglure 1977). Tous ces esprits sidéraux ou atmosphériques, par leur agencement et l'ordre de leurs mouvements, constitueraient Sila : aller dans le sens du mouvement du soleil se dit "agir selon Sila[19]. La plupart sont conçus comme des couples homme-femme ; la femme étant associée à la lumière, au jour, à la chaleur, l'homme à la nuit, au froid, à la violence. A travers ce premier traitement des désordres humains et l'élaboration de l'ordre cosmique on voit s'organiser la culture. L'humanité prise entre le désordre social créé avec la mort et la nécessité de la reproduction sociale, sa seule chance de survie, commence à organiser sa reproduction.

 

L'ordre écologique
ou l'échec de l'autonomie féministe

 

Le couple primordial, ancêtre des Inuit, avait fait ressurgir sur terre un certain nombre d'animaux. 

Un jour Aakuluujjusi prit son pantalon et le transforma en caribou dont le pelage ressemble par ses coloris à un pantalon féminin. Elle dota l'animal de dents acérées et de grosses défenses. Puis, retirant sa veste, elle en fit un morse avec des cornes sur la tête. Mais les Inuit prirent peur devant ces animaux qui les attaquaient sur terre et sur l'eau ; elle décida donc d'intervertir cornes et défenses, et frappant du pied le front du caribou elle brisa une partie de ses dents pour le rendre inoffensif et fit ressortir les orbites de ses yeux pour affaiblir sa vue. Elle dit ensuite : "tenez‑vous loin, comme de vrais gibiers". Mais les caribous étaient maintenant trop rapides pour les chasseurs, aussi inversa-t-elle le sens des poils sur leur ventre ce qui freina leur vitesse (Saladin d'Anglure 1974, Rasmussen 1929 : 67-68). 

Ce furent là les premiers gros gibiers des Inuit, gibier terrestre et gibier marin, autour desquels allait s'organiser leur nouvelle vie socio‑économique. De nouveaux rapports commencèrent à s'établir parmi les humains et entre les animaux et eux ; ils remplacèrent la confusion primordiale. Il restait encore à circonscrire les limites de l'humanité et de l'animalité et à établir la nature de leurs rapports. Le mythe d'Uinigumasuittuq contribue à résoudre ces problèmes : 

Uinigumasuittuq (celle qui ne voulait pas se marier) vivait avec ses parents et leur chien Siarnaq. Elle refusait tous les prétendants. Un jour cependant elle accorda ses faveurs à un beau visiteur. C'était leur chien métamorphosé, que personne n'avait reconnu ; il revint souvent et elle devint enceinte. Le père découvrit alors l'identité de son hôte, et furieux, transporta le couple sur une lie. La fille envoya le chien, à la nage, chercher de la nourriture chez son père. Ce dernier les approvisionna plusieurs fois puis un jour il chargea le chien de pierres et provoqua ainsi sa noyade. La jeune fille accoucha peu après d'êtres mi‑hommes mi‑chiens. Sur le conseil de leur mère ils déchirèrent le kayak de leur grand-père quand il vint lui‑même leur apporter de la viande ; puis, accablée, Uinigumasuittuq se sépara de ses enfants afin qu'ils puissent survivre. Les premiers chiots furent envoyés au large, vers le sud, dans une semelle‑empeigne de botte ; ils disparurent dans la brume au milieu d'un vacarme métallique et devinrent les ancêtres des Blancs. Elle en envoya d'autres vers le continent, au sud, qui devinrent les ancêtres des Indiens ; un autre groupe devint les ancêtres des Tunit, peuple préhistorique et le dernier enfin, envoyé vers le nord, devint l'ancêtre des Ijirait, êtres invisibles qui vivent du caribou. 

Après la dispersion de ceux qui furent à l'origine des races humaines, elle retourna chez son père. Puis par deux fois encore, elle refusa des prétendants (un loup et un caribou métamorphosés) pour accepter finalement d'en suivre un troisième, un pétrel, qui avait pris forme humaine. Il l'emmena sur son kayak mais elle découvrit trop tard sa laideur et son rire sarcastique qui la dégoûtèrent. Elle réussit par la suite à s'enfuir avec la complicité de son père, dans un bateau de peau. Mais le pétrel découvrit la fuite et provoqua une terrible tempête ; le père affolé jeta sa fille à l'eau et comme elle s'agrippait aux bordages il lui trancha les doigts des deux mains et lui creva les yeux. Elle coula dans la mer et de ses mains tranchées naquirent les phoques barbus et les phoques annelés. Désespéré, le père se laissa recouvrir par la marée et rejoignit au fond de la mer sa fille et son chien, où ils vécurent depuis. Ils contrôlent les mouvements des gibiers marins, et punissent, après la mort, tous les coupables d'infractions sexuelles, de bestialité en particulier (Saladin d'Anglure 1974). 

Ce nouvel épisode de la lente émergence de la culture telle que conçue par les Inuit prête à plusieurs remarques. 

La première concerne ce qu'on pourrait appeler la tentative d'autonomie féministe de Uinigumasuittuq. Le tabou de l'inceste ayant donné à la femme toute sa valeur d'échange il était tentant pour elle de profiter de ce nouveau pouvoir, ce qu'elle essaie de faire en s'efforçant de garder le contrôle de sa vie sexuelle, en refusant d'abord les prétendants, en s'offrant ensuite au chien ou au pétrel. Deux expériences malheureuses qui se terminent par une double mutilation, morale d'abord, avec la privation de sa progéniture qui ne devra sa survie qu'à l'éloignement et à l'écart culturel, physique ensuite, avec la perte de ses yeux et de ses mains, qui la met à l'écart de la culture et de ses fonctions de productrice-reproductrice. 

Le rapprochement de la nature qu'entraînent sa cécité, son incapacité productive et son immobilisation au fond de l'eau n'est pas sans rappeler les temps primordiaux que nous avons déjà comparés à la vie foetale [20]. Son origine humaine lui donne cependant un rôle très important comme intermédiaire entre les humains et la nouvelle extension de la nature, que constituent les animaux marins, ses créatures, comme intermédiaires aussi entre les Inuit et la nouvelle extension de l'humanité que constituent les nouvelles races humaines, sa progéniture. Les ressources qu'elle apporte ainsi aux hommes et qui sont sa chair et son sang transformés en gibier lui donnent un statut qui la substitue à la terre ; il l'établit comme régulatrice de l'ordre écologique avec une lourde contrepartie : l'asservissement définitif des femmes aux règles sociales de l'échange matrimonial telles que déterminées par les hommes. Ils auront dorénavant libre accès aux femmes du groupe, dans les limites de l'interdit de l'inceste. 

La différenciation entre chasseurs et gibiers qui entraîne l'exclusion des animaux devenus gibiers, tant des alliances matrimoniales que des relations sexuelles (bestialité), fonde ce nouvel ordre. Mais parallèlement à cette différenciation et à l'éloignement de la femme vers la nature, se produit un rapprochement symétrique et inverse de la nature vers l'homme à travers la promotion du chien. Promotion au rang de moyen de production pour la chasse et les transports, promotion à la dénomination personnelle en plus d'une dénomination spécifique - privilège qu'il est le seul à partager avec les humains - promotion enfin à la domesticité et dans une certaine mesure à la commensalité, qui lui confèrent des pouvoirs quasi magiques. Lorsqu'un homme est gravement malade on peut lui sauver la vie en sacrifiant celle de son chien qui emporte ainsi le mal avec lui (Mitiarjuk 1966 : 431). 

L'acquisition du chien comme moyen de production correspond dans l'histoire mythique à celle du kayak. Tous deux étant très explicitement des symboles de virilité productrice, de l'épanouissement social de la sexualité masculine. Dans plusieurs régions de l'Arctique central le droit au mariage pour l'homme était assujetti à l'acquisition d'un kayak dont la proue est métaphoriquement désignée sous le nom d'Usuujaq ("qui ressemble à un pénis"), et la figure du chien est une des représentations symboliques du pénis dans les souvenirs intra-utérins (Saladin d'Anglure 1977 : 33-63) [21]. L'accès de l'homme à la mobilité productrice coïncide justement avec la perte de la mobilité par les maisons (et donc par les femmes qu'elles symbolisent), qui rempliront maintenant leurs destinées de contenants. 

Il est intéressant de constater d'ailleurs que dans un sursaut de révolte contre son père, après qu'il eut tué son amant-chien, Uinigumasuittuq tente de détruire cette suprématie masculine en lançant se progéniture canine à l'assaut du kayak paternel. 

 

Fin des métamorphoses, continuité retrouvée
et aliénation de la femme

 

L'apparition des grandes distinctions homme-femme, vie‑mort, obscurité-lumière, humains-gibiers, gibiers terrestres-gibiers marins, en plus de résoudre certains problèmes cruciaux des premiers Inuit, permit à la pensée mythique une prise de conscience des réalités de l'univers, et l'élaboration de nouveaux principes qui pourraient à la fois consolider l'ordre culturel et en garantir la reproduction. 

Avec la mort, la vie brève (inuusiq) devenait la règle. Ils pensèrent que chaque être vivant recevait à la naissance un temps déterminé de vie sur terre. Grâce à la lumière, ils découvrirent les ombres (tarraq), doubles ou reflets des êtres vivants, sans poids ni matérialité, et ils imaginèrent qu'elles survivaient au corps dans l'au-delà, sous forme d'âmes (tarniq). 

Enfin la différenciation des gibiers d'avec les humains et celle des humains morts d'avec les vivants nécessitèrent le classement des êtres vivants et de leurs espaces de vie. Il se fit par dénomination : au niveau des espèces pour les gibiers, au niveau des personnes pour les humains. Avec les noms spécifiques du gibier, on pensa chaque espèce comme ensemble multiple et renouvelable de ressources potentielles pour l'homme. Avec les noms personnels des humains on pensa chaque individu comme la somme de toutes les capacités et qualités de producteurs de ses homonymes défunts ; ces noms permirent aussi par leur absence de genre d'effacer la différenciation sexuelle et, partant, d'aider les femmes à surmonter les contradictions de leur dépendance. 

Ainsi donc, l'âme‑double (tarniq) et l'âme‑nom (atiq) redonnèrent, par‑delà le réel, une nouvelle continuité à la vie. La vie était devenue brève, sur terre, pour rendre possible la continuité de la société humaine, elle redevint continue au plan de l'ordre universel (sila). La culture pouvait maintenant se reproduire à travers la reproduction des facteurs et des rapports de production. Il restait à établir l'appropriation des espaces terrestres et marins, seules parties du réel à être restées continues et permanentes. Un double processus de dénomination y fut appliqué, le premier pour situer les ressources et les activités de production, le deuxième pour conserver la mémoire des hommes et des événements passés. 

Un autre mythe, Arnakpaktuq, illustre la recherche de la continuité de la vie ; il nous montre comment une femme insatisfaite de sa vie conjugale décide - après la recherche infructueuse d'une vie meilleure au sein de diverses espèces animales - de revivre comme le fils de son frère. 

Une femme subissait continuellement les mauvais traitements de son mari ; elle voulut mourir ; un jour qu'il la battait elle se glissa sous les couvertures du lit ; on y entendit des gémissements de chien... elle s'était transformée en chien. Il la prit dans son attelage mais elle ignorait tout de la traction canine et fut donc encore battue jusqu'à ce qu'elle apprenne des autres chiens comment se comporter. 

Tout allait bien, lorsqu'à nouveau elle commit une erreur et, rouée de coups, laissa échapper un cri humain. Il la tua et jeta son cadavre qui fut dévoré par les loups ; elle devint un loup ; ignorant tout de leur vie, elle dût apprendre d'eux comment chasser. Puis, étant loup, elle mourut et lorsqu'un caribou marcha sur son cadavre, elle pénétra en lui et devint un caribou. Un nouvel et long apprentissage commença pour elle. 

Elle fut enfin harponnée par un chasseur pendant qu'elle traversait un lac ; on la dépeça, on la mit en cache pour l'hiver, puis on la mangea et ses os furent rejetés sur le rivage près d'ossements de morse. Lorsque la marée les recouvrit elle passa dans un os de morse qui reprit vie et devint morse. Elle apprit à plonger et à se nourrir comme les morses mais elle n'aimait pas la façon dont ils se frottent le museau. 

Elle mourut une nouvelle fois, passa dans un corbeau venu se poser sur le cadavre du morse, fut tuée par un ours blanc et tomba sur la dépouille d'un phoque annelé en qui elle entra et devint phoque. Elle apprit à respirer l'hiver à travers les trous de respiration creusés dans la glace, et c'est là qu'elle sentit un jour "couler" sur sa tête une pointe de harpon. Elle fut harponnée par un chasseur qui n'était autre que son frère. 

Quand la femme de ce dernier la dépeça, elle pénétra en elle et devint foetus, alors que sa future mère (sa belle‑soeur) n'avait fait jusqu'à présent que des fausses couches. Le foetus se trouvait dans une petite maison, qui devint rapidement trop étroite. Le temps arriva d'en sortir. Elle aperçut alors près de la sortie un couteau de femme (ulu) et une pointe de harpon d'homme (savik) ; elle voulut d'abord prendre le couteau féminin mais elle se ravisa, saisit la pointe de harpon et sortit sous la forme d'un bébé garçon. Le choix qu'elle venait de faire avait changé son sexe. Plus tard le garçon devint un grand chasseur et raconta son histoire (Saladin d'Anglure 1974). 

Arnakpaktuk constitue en quelque sorte le mythe d'origine de la chasse ; en expliquant l'acquisition des connaissances cynégétiques par les Inuit il justifie la nouvelle relation chasseur/gibier qui exclut les métamorphoses entre humains et animaux. Il sert aussi de fondement aux croyances concernant l'identité liée au nom et à la réincarnation ou transmigration des âmes. Il aliène enfin définitivement la femme dans un statut de subordonnée à l'homme en lui faisant croire soit qu'elle peut avoir accès à la masculinité dans une vie future, soit qu'elle était un homme dans une vie antérieure, ce qui l'autorise à se penser trans-sexuée, à vivre travestie en garçon durant son enfance et à porter l'identité d'un éponyme masculin durant sa vie (Saladin d'Anglure 1977 : 33-63). 

 

Le rapport homme-femme
dans les pratiques religieuses inuit

 

L'ordre et la continuité furent ainsi restaurés dans l'univers mais la fragilité de leur maintien nécessita bientôt l'élaboration d'un système complexe de prescriptions et de prohibitions s'appliquant principalement aux articulations des grands cycles de production-reproduction : celui de la vie humaine (grossesse, accouchement, enfance et adolescence), celui des âmes (entrée dans le corps et sortie du corps), celui des gibiers (production et consommation). Cet ordre était maintenant régi par les grands esprits-maîtres, Sila (le temps), Taqqiq (la lune), Siqiniq (le soleil), Kannaaluk (la fille du fond de la mer), figures dominantes des mythes et des croyances religieuses inuit. 

Mais le respect de cet ordre, dans la vie quotidienne, était devenu trop complexe pour les profanes et trop important pour la survie socio-économique des groupes inuit où les femmes occupaient toujours un rôle dominant dans la reproduction de la vie. Il fallait transposer dans la vie pratique la domination masculine établie au niveau des mythes, il fallait confier à des spécialistes l'interprétation des mythes et de la réalité empirique, il fallait instaurer des médiateurs entre le visible et l'invisible, entre les morts et les vivants, entre les gibiers et les chasseurs, entre les hommes et les femmes... Ce sera la fonction de l'angakkuq (chamane), fonction principalement masculine (Weyer 1932 : 422) à laquelle les femmes auront difficilement accès, si ce n'est dans leur vieillesse. Les grands chamanes furent toujours des hommes. L'un d'eux, Piluqtuuti, sentant sa fin approcher, voulut assurer sa survie chez les siens et demanda à son fils d'avoir pour homonyme l'enfant qu'attendait sa femme. L'enfant naquit mais... c'était une fille... Le chamane furieux proféra aussitôt une malédiction [22] : "Aunaqtitautuinnarumanngilanga" (Je ne veux tout simplement pas être menstrué). Le vieillard mourut et, racontent les Inuit, sa petite‑fille homonyme ne fut jamais menstruée. Elle mourut à son tour, vers l'âge de trente ans, sans avoir pu devenir femme. 

Avec l'élaboration du chamanisme et de ses pratiques, le savoir et le pouvoir devinrent un privilège essentiellement masculin ‑un mythe d'lgloolik raconte comment survint le premier chamane, un homme, qui voulut sauver les siens de la famine et réussit le premier à visiter la "fille du fond de la mer" (Rasmussen 1929 : 110-111). L'attribut principal du chamane est la qaumaniq, la lumière, la vision, la connaissance profonde des choses et des êtres, et son agent est le tuurngaq, esprit auxiliaire qu'il acquiert souvent après une expérience solitaire de communication avec la terre-mère : visite d'une caverne ou séjour dans un lieu désert. Il s'ensuivit comme un obscurcissement progressif du savoir et du pouvoir des profanes, donc des femmes ; comme un retour aux sources chtoniennes de l'humanité, à la nuit originelle du giron maternel, au profit du chamane qui, se substituant à la femme comme elle s'était substituée à la terre, réussit à prendre, grâce à ses opérations imaginaires, le contrôle de la reproduction sociale et à assurer ainsi la domination masculine tout en récupérant métaphoriquement les principaux traits et processus féminins de la reproduction de la vie. 

Les séances chamaniques, surtout celles qui sont destinées à rétablir la communication avec le gibier, semblent toujours renvoyer à des scènes de grossesse et d'accouchement, soit empruntées aux mythes, comme l'obscurité primordiale rejouée à travers l'extinction des lampes, soit empruntées à la réalité, comme le dénouage des ceintures et lacets des spectateurs qui accompagne les accouchements, comme la posture accroupie sur la plateforme de l'habitation, posture proche de celle de la parturiente, comme aussi les cris saccadés et haletés qu'il pousse avant que son âme ne parvienne à passer par le passage étroit qui conduit à l'au-delà. 

Le chamane dans une première phase s'efforce de faire venir en lui son esprit auxiliaire puis, lorsqu'il y a réussi, il s'applique à faire sortir son âme de son propre corps et à la conduire à travers un étroit tunnel jusqu'à la lumière, la connaissance, qui lui permettra de réparer les désordres cosmiques, écologiques, sociaux et physiologiques provoqués par les humains. On pourrait ajouter que tous les rites chamaniques s'effectuent avec la main gauche, à l'inverse de la réalité où prédomine l'usage de la main droite ; or lorsque la latéralité est utilisée dans la culture inuit pour différencier les sexes, la droite est masculine et la gauche féminine. 

Allié et protecteur des hommes, le chamane devint le confesseur public des femmes, à qui la plupart des maux étaient attribués, ce qui leur valait de strictes prohibitions. Il eut aussi le privilège de traiter la stérilité des couples, en intervenant comme partenaire sexuel dans la reproduction. 

La femme était maintenant bien asservie et confinée dans les limites tracées par l'homme ; elle ne pouvait espérer en sortir qu'au plan de l'imaginaire grâce à la perméabilité, à ce niveau, de la frontière entre les sexes. 

 

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TAIVITIALIJK ALASUAQ 

1970  Cahier à dessins H, collection B. Saladin d'Anglure, 56 pages.

 

WEYER E.M. 

1932  The Eskimos, Their Environment and Folkways. New Haven : Yale University Press.


[1]    Citons néanmoins le travail de Giffen (1930) et l'intéressant article de Kleivan (1976).

[2]    Voir Dufour 1975 : 65-69 et 1977 ; Saladin d'Anglure 1977 : 33-63.

[3]    Nous utilisons, pour transcrire la langue inuit, la nouvelle orthographe normalisée adoptée par les Inuit du Canada (Dorais 1977 : 143-149). Les textes de Mitiarjuk cités dans cet article sont extraits d'une importante oeuvre ethnographique qu'elle a écrite en syllabique à notre demande en 1965-1966 lors d'un séjour de dix‑huit mois effectué à Mari court-Wakeham. Jimmy lnnaarulik Mark nous a aidé à faire la transcription du syllabique et le Père Lucien Schneider la traduction française.

[4]    Voir Weyer 1932 : 133-137 et les travaux récents de Balikci (1967) sur l'infanticide féminin chez les Inuit Netsilik.

[5]    Rasmussen (1929 : 84) présente le récit d'une femme contrainte par son mari de sortir nue dehors en plein hiver. Balikci (1960 : 13-14) parle du suicide d'épouses maltraitées ; voir aussi Kjellström 1973 : 90-92.

[6]    C'est l'histoire d'un chamane décédé qui revécut grâce à ses pouvoirs chamaniques pour torturer sa femme qu'il contraint ici, à coups de fouet, à marcher nue dans la neige avec les chiens, devant le traîneau (extrait du cahier H, page 48, de Taivitialuk Alasuaq, 1970 ; collection Saladin d'Anglure).

[7]    Kjellström (1973 : 115) montre que sur 578 mariages recensés dans l'Arctique central et l'est du Groenland, 55 sont polygyniques et 4 seulement polyandriques.

[8]    C'étaient les hommes qui décidaient de l'échange, parfois même à l'insu de leur femme (Kjellström 1973 : 157-158).

[9]    Kellström (1973 : 128-130) qui a compilé la plupart des publications sur le mariage inuit fait ressortir la diversité des points de vue sur ces faits qu'aucun auteur n'analyse cependant en profondeur, à l'exception de quelques études sur des sujets plus limités comme l'infanticide. Cet article était déjà écrit lorsque nous avons pris connaissance du très intéressant chapitre écrit par J.L. Briggs (1974) sur la femme inuit à partir de ses observations de première main dans l'Arctique central canadien. Très sensibilisée à l'ethno‑psychologie et avec un point de vue critique féminin, J.L. Briggs dénonce l'ethnocentrisme d'un certain nombre d'auteurs masculins qui affirment la présence chez les Inuit d'une domination masculine plus forte que chez les occidentaux, en faisant des généralisations rapides souvent basées sur des données de deuxième main. Bien qu'elle semble prendre le contre-pied de certaines positions que nous prenons ici, nous pensons qu'elle ouvre un passionnant débat auquel nous souhaitons participer.

[10]   Les travaux de Savard (1965, 1966, 1967 et 1970) font exception, dans leur essai d'application de la méthode structurale d'analyse des mythes, élaborée par C. Lévi-Strauss, à des mythes inuit, provenant surtout de la collection E. Holtved recueillie à Thulé, au Groenland. On doit la plus récente présentation de la mythologie de l'Arctique central à Arima (cf. Z. Nungak et E. Arima 1975). Mais c'est dans l'oeuvre de Rasmussen (1929, 1931 et 1932) que nous trouvons l'information la plus riche sur cette région. Sa connaissance parfaite de la langue et ses longs séjours sur le terrain donnent une valeur inestimable à ses écrits. Une partie des données sur les mythes que nous allons présenter ici ont fait l'objet d'un autre travail (Saladin d'Anglure 1978).

[11]   Lantis (1953) et Kjellström (1973) ne traitent du rapport homme‑femme dans les mythes sur le seul plan des relations interpersonnelles.

[12]   Enquêtes commencées dans le cadre du Centre national de la Recherche scientifique (Paris) sous la direction du professeur C. Lévi-Strauss (1971-1972) puis continuées grâce aux subventions du Conseil des Arts du Canada (1971-1974), du Musée national de l'Homme du Canada (1972-1974), du ministère de l'Éducation du Québec, programme des subventions d'équipes (1972-1977), du ministère des Communications du Canada (1974) et de la Fondation Killam du Canada (1974-1976), que nous remercions tous très vivement pour leur appui.

[13]   Voir note 2 supra.

[14]   Voir Saladin d'Anglure 1970 : 1013-1039 et 1977 : 33-63 ; et Dufour 1977.

[15]   Rasmussen ne mentionne pas les noms de ces premiers humains qui sont cependant bien connus par les Inuit d'Igloolik. Boas (1907 : 178) les cite avec une autre graphie mais en intervertissant leur sexe. Ni lui ni nos informateurs actuels d'Igloolik ne connaissent l'épisode de la création des deux premiers humains.

[16]   Voir l'intéressant article de Arima, "View on Land expressed in Inuit oral traditions", in M. Freeman 1976, vol. 2 : 217-222.

[17]   Nous empruntons l'expression à C. Lévi-Strauss.

[18]   Voir l'analyse qu'en fait Savard 1967 : 121.

[19]   Voir Petersen 1967 : 259-280 et Saladin d'Anglure 1974.

[20]   Nous remercions notre collègue Nicole Belmont pour d'intéressantes suggestions à ce sujet.

[21]   Une autre lecture du mythe ferait aisément ressortir le caractère incestueux de la relation de Uinigumasuittuq avec son père, à travers ces images du chien et du kayak du père.

[22]   Voir Saladin d'Anglure 1970 : 1028 ; Piluqtuuti vivait au début du siècle dans la région de Wakeham sur la rive sud du détroit d'Hudson.



Retour au texte de l'auteur: Bernard Saladin d'Anglure, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 2 mars 2008 13:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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