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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Saladin d’Anglure, “Mission chez les Esquimaux Tarramiut du Nouveau-Québec.” Un article publié dans la revue L’Homme, vol. 7, no 4, 1967, pp. 92-100. [Autorisation formelle de l’auteur accordée le 13 janvier 2010 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[92]

Bernard Saladin D’Anglure

Mission chez les Esquimaux
Tarramiut du Nouveau-Québec
.

Un article publié dans la revue L’Homme, vol. 7, no 4, 1967, pp. 92-100.

Introduction
Écologie
Démographie
Économie
Parenté
Organisation sociale
Croyances, rites et chamanisme
Cycle de vie


Introduction

Cette mission s'est déroulée sur la côte septentrionale du Nouveau-Québec habitée par le groupe esquimau tarramiut [1], qui comprend treize cents personnes réparties dans six villages [2] échelonnés sur plus de quinze cents kilomètres de côtes. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce groupe, qui depuis trois siècles voit passer chaque année au large de ses campements plusieurs navires marchands,, est l'un des moins connus de l'Arctique et, lors d'un bref séjour que j'y fis en 1956, il n'avait jamais encore fait l'objet d'une enquête ethnographique [3]. Beaucoup moins acculturé que les groupes plus méridionaux de la péninsule du Québec-Labrador, il a conservé de nombreux aspects traditionnels malgré les changements qui ont suivi l'implantation de commerçants il y a cinquante ans, et de missionnaires quelques années plus tard.

Grâce à une subvention du Centre National de la Recherche Scientifique, il m'a été possible de passer un peu plus d'un an chez les Tarramiut, du début septembre 1965 à la mi-octobre 1966. Auparavant, j'ai pu, avec la collaboration d'organismes canadiens, effectuer dans la même région une enquête préliminaire [93] de trois mois (de mai à août 1965), aidé dans mon travail par trois étudiants de l'Université de Montréal [4] : Mlle Guédon, MM. Dorais et Magnan.

Avant de partir sur le terrain je m'étais fixé plusieurs buts :

  • Le premier était de continuer une enquête sur la parenté et l'organisation sociale esquimaude, commencée au cours de l'été 1961 [5] dans le village de Kangirsujuaaq (Maricourt-Wakeham dans la nouvelle toponymie canadienne), de l'étendre aux autres villages et de la compléter par une enquête sur les croyances, les rites, la vie traditionnelle et l'histoire récente du groupe ;

  • Le second était de translittérer, traduire et commenter un manuscrit esquimau en caractères syllabiques [6] avec l'aide de son auteur, l'Esquimaude Mitiarjuk, qui résidait à Maricourt ;

  • Le troisième était de collaborer à l'enquête de ma femme, Geneviève Saladin d'Anglure, sur l'alimentation des Esquimaux de Maricourt [7] ;

  • Enfin, je voulais retourner sur un site de gravures rupestres découvert lors de mon séjour dans cette région en 1961 ; il est le seul exemple connu du genre, dans l'Arctique canadien ; je projetais d'y faire le moulage des gravures [8].

Ce programme a pu être réalisé dans ses grandes lignes, à partir du village de Maricourt qui nous a servi de base et où nous avons passé dix mois ; trois autres mois ont été passés dans les cinq villages restants. Fort du succès de l'expérience tentée avec Mitiarjuk qui m'écrivit quatre cents nouvelles pages de textes, j'encourageai une vingtaine d'informateurs à écrire en syllabique sur divers sujets déterminés avec eux et je récoltai de la sorte encore six cents pages.

Dans les lignes qui suivent j'exposerai brièvement les principales observations qui ressortent de l'enquête ou qui apparaissent dans les textes recueillis ; j'insisterai plus particulièrement sur les points qui, dans l'état actuel des connaissances sur la culture esquimaude, me semblent présenter quelque originalité, en raison soit de particularités propres au groupe étudié, soit de l'insuffisance de recherches récentes dans les autres groupes esquimaux.

[94]

Écologie

Trois formes distinctes d'adaptation écologique ont coexisté à l'époque traditionnelle chez les Esquimaux du Nouveau­Québec, et en particulier chez les Tarramiut

  • Des Esquimaux insulaires (Qikirtamiut : habitants des îles) vivaient toute l'année sur quelques-unes des grandes îles du détroit et de la baie d'Hudson ; notons l'habileté dont ils faisaient preuve pour la confection de vêtements en peaux d'oiseaux ou de poissons, afin de suppléer au manque de peaux de caribous ordinairement utilisées sur le continent

  • Des Esquimaux côtiers (Sinamiut habitants du bord de la glace littorale) [9], les plus nombreux, vivaient surtout de la chasse aux mammifères marins, principalement les morses. Périodiquement ils faisaient de brèves incursions dans l'arrière-pays à la poursuite des caribous ;

  • Enfin, à l'intérieur de la péninsule, nomadisaient quelques bandes esquimaudes (Nunamiut : habitants de l'intérieur du pays) qui partageaient leurs activités entre la pêche dans les lacs et la chasse aux caribous. À la différence des deux premiers groupes, ils n'utilisaient pas pour la cuisine des lampes à huile de mammifères marins, mais se servaient de feux de broussailles ; ils s'éclairaient cependant avec une petite lampe ronde alimentée de gras de caribou et pourvue d'une courte mèche.

Les Tarramiut ont récemment abandonné l'habitat continental et insulaire pour se cantonner sur le littoral. La présence d'Esquimaux vivant à longueur d'année à l'intérieur de la péninsule du Québec‑Labrador n'avait jamais, jusqu'à cette date, été établie avec certitude [10] ; elle pourrait jeter un éclairage nouveau sur la question du peuplement de l'Arctique nord‑américain, si controversée il y a quelques décennies.


Démographie

Si l'on examine les recensements sommaires effectués par les premiers voyageurs qui ont rencontré les Tarramiut, on constate l'équilibre fragile de la population à l'époque traditionnelle. Cet équilibre ne se maintenait qu'en l'absence de famines prolongées et d'épidémies. Pour compenser les limitations naturelles de leur volume, les familles esquimaudes avaient plusieurs remèdes socialement établis, tels l'échange temporaire des épouses, la polygynie et l'adoption ; en [95] situation inverse, lors des périodes de disette, des pratiques admises comme l'infanticide, l'abandon des vieillards et des infirmes, et le suicide « altruiste » permettaient la survie des membres les plus productifs au sein de la cellule familiale. Le contrôle progressif de la région par les Canadiens fut suivi de fortes pressions exercées sur les indigènes pour qu'ils abandonnent ces pratiques ; mais en même temps, la multiplication des contacts inter-ethniques entraîna de sévères épidémies qui décimèrent périodiquement les bandes esquimaudes [11]. Il fallut attendre l'organisation de services médicaux spécialisés et l'instauration d'un système de prestations sociales, au cours des vingt dernières années, pour enregistrer une diminution de la mortalité et un accroissement naturel appréciable. Les taux de mortalité oscillent actuellement entre 25% et 30% ; ceux de natalité, autour de 50 % pour le groupe étudié.

Économie

À côté de l'économie traditionnelle de subsistance fondée sur la chasse et la pêche, s'est développée depuis cinquante ans une économie monétaire reposant sur le commerce des fourrures. En 1910 s'ouvrait chez les Tarramiut le premier comptoir ; la peau de renard blanc se vendait alors 10 dollars en moyenne. Vingt ans plus tard, ce prix atteignait 50 dollars et on ne comptait pas moins de seize établissements commerciaux dans la région, pour à peine huit cents Esquimaux qui se trouvèrent entraînés par les changements technologiques que suscita la nouvelle économie. Mais les variations cycliques du nombre de renards, ajoutées aux fluctuations des prix, rendaient les profits irréguliers et aléatoires, et seuls les plus habiles trappeurs purent vivre de la trappe ; les bonnes années, plus d'un parmi ces derniers parvint à acheter son Peterhead ou sa baleinière. Par la suite les prix s'effritèrent pour retomber en 1940 en dessous de 10 dollars ; par voie de conséquence, la plupart des comptoirs fermèrent. Il n'en restait plus que cinq cette année-là. Les bons trappeurs émigrèrent avec leurs nouveaux bateaux vers les rares établissements commerciaux encore en activité, et la plupart des bandes tarramiut connurent des moments très difficiles. On se replia sur l'économie de chasse et de pêche dans des conditions cependant bien moins favorables qu'autrefois les ressources en gibier avaient fortement diminué par suite de l'usage intensif des armes à feu ; il fallait désormais aller loin dans l'arrière‑pays pour trouver quelques caribous, les morses chassés outre mesure à l'aide de la baleinière durant les années fastes n'abondaient plus l'hiver comme par le passé ; enfin de nombreuses techniques étaient tombées en désuétude et on avait perdu l'usage des umiaq (grandes embarcations de peaux), ce qui restreignait considérablement les déplacements. En 1946, le revenu monétaire annuel moyen n'était, par maisonnée, que de 140 dollars, à Maricourt, compte non tenu de l'autoconsommation ; c'était très peu si l'on pense aux armes et munitions dont les chasseurs [96] avaient maintenant besoin, à la farine et au tabac devenus biens de consommation vitaux et aux tissus rendus indispensables parla raréfaction des peaux de caribous.

Depuis une dizaine d'années la situation économique s'est peu à peu redressée sous l'effet de l'assistance gouvernementale : allocations familiales, pensions pour veuves, infirmes, vieillards et secours aux familles nécessiteuses. Puis, en même temps que des écoles, quelques emplois permanents furent créés dans chaque village et l'artisanat fut encouragé. Plus récemment enfin, la hausse du prix des peaux de phoques contribua pour une bonne part à l'élévation du revenu monétaire esquimau. En 1966, ce revenu annuel moyen par maisonnée s'élevait à 3 000 dollars, soit vingt fois plus qu'en 1946.


Parenté

Le système de parenté esquimau présente le paradoxe d'avoir été l'un des plus cités et l'un des moins bien étudiés depuis la première description qu'en fit Morgan en 1871 [12] :

  • L'un des plus cités, car plusieurs auteurs, dont Spier et Murdock [13], l'ont mis en évidence comme élément important de leur typologie des nomenclatures de parenté ; Murdock a même défini un « type esquimau » d'organisation sociale. Or des données récentes prouvent qu'il existe non pas un mais au moins trois types de nomenclatures de parenté dans l'aire esquimaude [14], si l'on étudie la nomenclature des cousins, principal critère de distinction retenu par Spier et Murdock ; ces auteurs définissent le type esquimau comme possédant un seul terme pour désigner les cousins, ce terme étant différent de ceux qui désignent les germains. La nomenclature de parenté tarramiut est assez proche du type dit « esquimau », mais elle en diffère en ce sens que cousins croisés et parallèles, patri- et matri-latéraux sont désignés par un terme dérivé de « germain » ;

  • L'un des moins bien étudiés, car d'une part les meilleures monographies écrites sur les Esquimaux traitent fort peu de la parenté ou n'en présentent que les nomenclatures ; d'autre part, en dépit des efforts tentés ces dernières années, par les Américains en particulier, pour rassembler des données nouvelles sur la parenté esquimaude, peu d'attention a été prêtée aux systèmes des attitudes et des conduites [15] et aucun intérêt ne s'est manifesté véritablement pour le système de l'adresse.

[97] Mes recherches ont donc été orientées principalement sur le système de l'adresse et celui des attitudes et conduites ; j'ai de plus étudié dans le détail certains aspects secondaires de la parenté comme les liens créés par l'adoption, l'échange temporaire des épouses, le remariage et l'homonymie. L'importance de ces liens secondaires, chez les Tarramiut, rend fort complexe l'étude des conduites et offre des possibilités presque illimitées de relations quasi parentales entre les individus.

Le mariage est habituellement arrangé par les parents des futurs conjoints ; les mariages par échange simple, deux familles échangeant leur fille afin d'obtenir une épouse pour un de leurs membres, sont assez fréquents et très prisés. Les prohibitions parentales atteignent tous les « parents secondaires » et les cousins au premier et second degré ; pour ces derniers cependant les cas d'infraction à la règle sont nombreux. La filiation est indifférenciée, avec certaines inflexions bilinéaires.

Organisation sociale

L'aire habitée par les Tarramiut est divisée en plusieurs grands territoires ; chacun d'eux, avant l'implantation canadienne, était exploité par plusieurs bandes formées de trois à six familles (15 à 30 personnes environ). À certaines époques de l'année les bandes avaient l'habitude de se rassembler en un point de leur territoire lors du solstice d'hiver on organisait des fêtes collectives dans de grands iglous construits à cet effet, les qaggiq [16], et l'automne on chassait collectivement les caribous. Le reste de l'année, chacune d'elle suivait son propre circuit migratoire. La bande était l'unité principale de co‑résidence et d'activité socio‑économique ; la préférence exprimée pour la résidence patrilocale ou virilocale et pour l'exogamie parentale tendait à faire coïncider les limites de la famille étendue patrilatérale avec celles de la bande ; mais la réalité était plus complexe les bandes, en effet, avaient peu de stabilité dans le temps, en raison, semble-t-il, du cycle de développement de la famille étendue dont les liens internes se nouaient et se dénouaient au fur et à mesure de la succession des générations ; des raisons économiques et des conflits de personnes pouvaient aussi motiver un changement de bande. Le noyau actif d'une bande était ordinairement constitué par un père et ses fils mariés ou un groupe de frères et de cousins, ou encore un groupe de beaux-frères. On donnait à la bande le nom du chef de famille le plus influent qui était souvent le meilleur chasseur ou le propriétaire d'un umiaq de peaux dont la bande était tributaire pour ses déplacements estivaux. Les hommes chassaient ensemble, ils partageaient leurs prises et beaucoup de repas étaient collectifs.

On ne pouvait parler de chefs véritables, dans une bande ou dans un territoire, que lorsqu'un même individu arrivait à posséder en plus d'une force physique [98] dépassant la moyenne, une autorité parentale étendue, une bonne réputation de chasseur et des pouvoirs chamaniques ou l'appui d'un chaman.

Avec l'installation de comptoirs commerciaux dans la région, les bandes d'un même territoire devinrent « clientèle » du magasin le plus proche et progressivement celui‑ci exerça un effet centripète sur les déplacements. Les chasseurs prirent l'habitude de venir régulièrement y apporter leurs fourrures et y chercher en échange des produits manufacturés importés. Les développements communautaires ultérieurs, suscités par le Gouvernement, et la création d'écoles dans le voisinage des anciens magasins ou des missions, incitèrent les Esquimaux à venir se fixer autour des établissements canadiens. Ainsi est-on peu à peu passé de l'organisation de bande à celle de village, et, à l'inverse de la situation précédente, les chasseurs doivent maintenant opérer un mouvement centrifuge pour se rendre dans leurs anciennes zones de chasse, leurs familles attendant impatiemment les vacances scolaires pour aller revivre avec eux quelques mois de vie nomade.


Croyances, rites et chamanisme

Le système traditionnel des rites et croyances tarramiut semble correspondre dans ses grandes lignes à celui des Esquimaux de la baie d'Hudson [17], mais après plus de trente ans de présence missionnaire [18], il a beaucoup perdu de son contenu et de sa cohérence. Il devient même difficile de l'étudier car plusieurs termes esquimaux qui recouvraient des notions essentielles, comme tarniq, l'âme qui survit au corps et peut le quitter, et anirniq, le souffle vital, ont été repris par les missionnaires pour désigner les notions chrétiennes correspondantes d'âme et d'esprit ; dans quelques cas le sens nouveau paraît même avoir été choisi pour dévaloriser l'ancien ; ainsi turngaq, esprit ambivalent, auxiliaire du chaman, est devenu Satan. Certaines croyances importantes, bien connues ailleurs dans l'Arctique, semblent étrangement faire défaut chez les Tarramiut : c'est le cas de la divinité-du-fond-de-la-mer, maîtresse des animaux marins. On croit à l'existence de nombreux esprits insatisfaits des morts qui viennent rôder et siffler autour des tombes, noyés au visage noir qui reviennent visiter les leurs, esprits succubes et incubes, dépourvus de nombril et qui de leurs rapports avec les humains engendrent des monstres, esprits malins qui égarent les voyageurs ou provoquent des mirages, etc.

Quelques grands thèmes mythiques comme le mythe d'origine de la lune et du soleil, dont je n'ai pu relever qu'une seule version, sont presque oubliés ; d'autres se sont conservés avec plus de détails que dans les autres régions et sont encore associés au cadre géographique local. Plusieurs mythes d'origine ont été recueillis, ainsi qu'une quinzaine de récits mythiques avec leurs variantes.

Les pratiques anciennes se retrouvent à des niveaux divers : certains individus [99] y sont restés plus fidèles que d'autres et parfois c'est dans les jeux d'enfants qu'il faut aller chercher ce qui, hier encore, était rite, charme ou divination. Les augures animaux sont craints et les songes ont gardé une grande importance dans la vie de tous les jours ; ils sont l'occasion de dialogues avec les morts, de choix de noms pour les enfants à naître, et de présages. L'oniromancie est pratiquée par quelques vieux. Un système rigoureux de prescriptions et de prohibitions réglementait autrefois les activités alimentaires, sexuelles et cynégétiques ; il en subsiste des éléments. Les derniers grands chamans (angakkuq) sont morts il y a trente ou quarante ans ; on en comptait en moyenne un par territoire. Leurs exploits sont souvent évoqués dans les veillées : guérisons quasi miraculeuses, pouvoir de communiquer avec les esprits-maîtres des espèces animales et des éléments naturels, voyages extatiques dans les autres mondes et capacité de réaliser des performances aussi extraordinaires que se faire transpercer d'un coup de harpon sans en ressentir de mal. Les chamans ordinaires étaient plus nombreux, un par bande environ ; ils soignaient les maux légers, pratiquaient le divination (Qilaniq) en soupesant la tête ou la jambe d'un patient avec une lanière ; certains avaient aussi des pouvoirs spéciaux sur le gibier. La sorcellerie ou magie noire passe actuellement encore pour être la cause de nombreux décès ; on cite et on craint les sorciers soupçonnés ; la vengeance et la jalousie sont les motifs ordinairement présumés.

Parmi les faits saillants qui ont marqué les débuts de la pénétration du christianisme dans la région, citons l'apparition sporadique, dans presque toutes les bandes, de mouvements messianiques et de syncrétismes religieux. L'un de ces mouvements, survenu en 1941 sur une île proche du Nouveau-Québec, provoqua trois meurtres et six suicides.

Cycle de vie

Les principales étapes de la vie individuelle sont l'objet de pratiques et croyances spéciales. Les observateurs semblent avoir méconnu jusqu'à présent le lien très particulier unissant le nouveau‑né à la matrone qui a noué son cordon ombilical. Considérée comme une seconde mère, c'est elle qui guide l'enfant depuis la naissance jusqu'à la maturité. A chaque étape de la socialisation de l'enfant, elle est avertie, consultée et récompensée par des cadeaux lors du premier sourire, de la première préhension manuelle, des premiers pas, premiers travaux, premiers succès à la chasse et à la pêche, etc., jusqu'à ce que l'individu ait passé par toutes les étapes de l'initiation aux activités des adultes, que le garçon ait tué un gibier de chaque espèce et que la fille soit parvenue à maîtriser l'art difficile de la couture et de la confection. Un système précis de nomenclature quasi parentale est associé à cette relation et comprend également la relation qui unit deux personnes ayant eu la même matrone. Une seconde catégorie de faits a été observée dans le détail ; c'est la fréquence de l'inversion des rôles masculins et féminins chez les enfants et adolescents esquimaux. Ces pratiques sont liées soit à l'homonymie : un garçon dont l'éponyme est une femme pourra être habillé en fille durant sa jeunesse, soit aux nécessités pratiques de la vie domestique : quand [100] un chasseur n'a que des filles, il peut décider d'initier l'une d'elles aux tâches masculines pour le seconder partout, y compris à la chasse ; inversement, on voit des jeunes gens habillés en femme et portant sur le dos un bébé lorsque leur mère n'a pas de fille pour remplir cette tâche.

*

À travers les données recueillies sur le terrain, j'ai essayé de montrer, dans ce bref et limité survol de la culture tarramiut et des changements récents qu'elle a subi, qu'en dépit de l'abondante littérature ethnographique publiée sur les Esquimaux, de nombreux problèmes restaient à étudier, en particulier dans le domaine de l'organisation et des structures sociales, tant du point de vue de la situation traditionnelle que dans une perspective de changement. L'étude systématique des autres groupes esquimaux du Nouveau-Québec et le dépouillement de l'importante collection de textes indigènes rapportés du terrain devraient faire suite à cette première recherche.



[1] Il n’y a pas de texte relié à cet appel de note de bas de page dans le fichier que M. Saladin d’Anglure m’a fait parvenir.

[2] Idem.

[3] Idem.

[4] L'Université de Montréal et le Centre d'Études Nordiques (Université Lavai, Québec) ont contribué pour une part importante à l'enquête préliminaire ; qu'ils en soient remerciés ici.

[5] Subventionnée alors par le ministère du Nord Canadien (NCRC), Ottawa.

[6] Récit d'imagination de 130 pages, qui décrit la vie quotidienne esquimaude au moment de l'arrivée des premiers commerçants. Qu'il me soit permis de remercier très vivement les missionnaires OMI du Nouveau‑Québec sans lesquels ce travail n'aurait pas été possible, et en particulier le R.P. J. Dion qui me prodigua de nombreux cours d'esquimau et de précieux conseils pour la traduction.

[7] Enquête préparée dans le cadre de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, et subventionnée par le Centre d'Études Nordiques, Université Laval, Québec.

[8] Avec l'aide et le matériel obligeamment fournis par le Musée National du Canada à qui vont mes remerciements.

[9] Sina en esquimau désigne la limite, sur la mer, de la glace littorale fixe ; c'est là que l'hiver l'on chasse les mammifères marins.

[10] F.G. SPECK avait pourtant dès 1936 attiré l'attention sur des sources anciennes qui mentionnaient une telle présence, au moins dans la partie sud‑est de la péninsule ; son article : « Inland Eskimo bands of Labrador », in Essays in anthropology in honor of A.L. Kroeber, 1936, ne semble pas avoir suscité de nouvelles recherches dans cette voie.

[11] En 1928 la population du territoire de Maricourt comptait 230 individus ; la même année, une épidémie d'influenza fit 32 morts. En 1952 sur un peu plus de 600 Esquimaux habitant les côtes de la baie d'Ungava, il y eut 65 décès après une épidémie de rougeole.

[12] L. H. MORGAN, Systems of consanguinity and affinity of the human family, Smithsonian Contributions to Knowledge, 1871, 17.

[13] L. Sputn, The distribution of kinship systems in North America, University of Washington, Publishings in Anthology, 1925, I ; G. P. MURDOCK, Social structure, New York, 1949.

[14] Cf. J. SPERRY. Eskimo kinship, M.A. Dissert., University of Columbia, 1952.

[15] En Alaska, d'intéressantes recherches ont été poursuivies par C.C. Hugues, sur quelques conduites parentales au Canada, D. DAMAS a analysé nomenclature et conduites d'un groupe d'Esquimaux « Igluligmiut kinship and local groupings », National Museum of Canada Bulletin, 1963, 196 ; et N. GRABURN a fait l'analyse componentielle de la terminologie parentale des Esquimaux de Salluit : Tarramiut Eskimo kinship terminology, Ottawa, Northern Coordination and Research Center, Department of Northern Affairs, 1964.

[16] Dans ces grands iglous de jeux avaient lieu, entre autres manifestations, les tournois de chants des illuriit (adversaires de chants).

[17] Si bien décrit par K. RASMUSSEN, dans les Rapports de la 5e expédition de Tlzulé.

[18] Dès le début du XXe siècle les Tarramiut eurent des contacts épisodiques avec des missionnaires anglicans de passage ; mais c'est en 1936 que furent établies les premières missions par des Pères OMI venus d'Europe.



Retour au texte de l'auteur: Bernard Saladin d'Anglure, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 juillet 2010 16:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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