RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Mme Céline Saint-Pierre, “Le Conseil supérieur de l'éducation: le projet initial du rapport Parent et sa mise en oeuvre depuis 1964”. Un article publié dans le Bulletin d'Histoire politique, vol. 12, no 2, hiver 2004, pp. 95-105. Numéro intitulé : “Le Rapport Parent 1963-2003. Une tranquille Révolution scolaire”. Montréal : L'Association québécoise d'histoire politique et Lux Éditeur. [Autorisation accordée par Mme Saint-Pierre le 14 juillet 2003 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Céline Saint-Pierre [1] 

Le Conseil supérieur de l'éducation :
le projet initial du rapport Parent
et sa mise en oeuvre depuis 1964
”.
 

Un article publié dans le Bulletin d'Histoire politique, vol. 12, no 2, hiver 2004, pp. 95-105. Numéro intitulé : “Le Rapport Parent 1963-2003. Une tranquille Révolution scolaire”. Montréal : L'Association québécoise d'histoire politique et Lux Éditeur.

Table des matières 
 
Introduction
 
Création du Conseil supérieur de l'éducation
 
Raison d'être du Conseil
 
Une première étape dans la séparation des pouvoirs entre l'Église et l'État en éducation - le pacte historique de 1964
 
Le Conseil, un organisme unique de participation démocratique
 
Le pouvoir et la place du Conseil dans la gouverne de l'éducation
 
Une mission qui s'est affirmée au cours de ces 40 ans

 

Introduction

 

La comparaison de la loi qui régit actuellement le Conseil supérieur de l'éducation et de la recommandation 27 du rapport Parent dans laquelle est défini le rôle de ce conseil fait ressortir la continuité qui a marqué la vie de cet organisme dans l'accomplissement de sa mission depuis sa fondation jusqu'à aujourd'hui. Le même constat s'applique à son mode de fonctionnement et à ses structures, aux formes de sa production et aux objets sur lesquels il intervient. Le Conseil a connu cependant une transformation majeure en l'an 2000 avec l'adoption de la loi 118 qui a conduit à sa déconfessionnalisation et à l'abolition des comités catholique et protestant qui lui étaient rattachés. Nous y reviendrons après avoir retracé ses origines et situé les objectifs qui ont présidé à sa création. Car si le Conseil a bien tenu la route durant toutes ces années, durant lesquelles il a produit 347 avis et rapports annuels, de nombreux mémoires et études, son histoire demeure trop peu connue même au sein du monde de l'éducation. 

 

CRÉATION
DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉDUCATION

 

Le Conseil supérieur de l'éducation fut créé en 1964 [2] en même temps que le ministère de l'Éducation. Il est issu d'une recommandation de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de commission Parent. Nous célébrons cette année le quarantième anniversaire de la parution du tome 1 du rapport de cette commission qui porte sur les structures supérieures du système scolaire [3]. La Commission y recommande la création d'un ministre de l'Éducation (recommandation 1) et la création d'un conseil supérieur de l'éducation dont la fonction « sera d'agir auprès du ministre à titre consultatif » (recommandation 2). Ce conseil devra fonctionner « de manière unifiée » (recommandation 3). Il est intéressant de noter ici que deux des trois premières recommandations de ce rapport concernent le Conseil. C'est là un indicateur qui situe, à notre avis, l'importance qui lui est attribuée dans la nouvelle organisation du système d'éducation proposée par les commissaires. Ainsi chacune de ces deux nouvelles instances fait l'objet d'un chapitre spécifique du premier tome. 

La structure du Conseil et la mission qui lui est assignée ne sont cependant pas tout à fait nouvelles au Québec, puisqu'en 1856 l'Assemblée législative du Bas-Canada approuvait la formation du Conseil de l'instruction publique. C'est le premier organisme de direction du système scolaire de la province et son premier conseil, formé en 1859, sera composé de 11 catholiques et de quatre protestants, dont trois sont membres du clergé catholique, deux appartiennent au clergé protestant et quatre sont députés. Il est chargé « de faire des règlements sur les écoles normales, sur la certification des maintes et sur l'organisation, la gouverne et la discipline des écoles communes, de choisir ou de faire publier les manuels à l'usage des commissaires d'écoles, sauf pour les livres de religion ou de morale devant être choisis par le curé ou le ministre le desservant » [4]. La commission Parent se référera directement à l'idée originale qui avait présidé à la mise sur pied du Conseil de l'instruction publique dans son argumentation en soutien à sa recommandation de création d'un conseil consultatif. La création « d'un conseil de l'enseignement n'est pas une innovation dans cette province et s'inscrit, dans une tradition vieille d'un siècle. [...] Pour lui redonner le prestige qu'on lui avait conféré lors de sa création en 1856 et à cause de l'ampleur de ses responsabilités, nous avons recommandé d'en changer le nom en celui plus approprié de Conseil supérieur de l'éducation » [5]. Son rôle devra cependant être modifié pour tenir compte d'une nouvelle réalité qui est celle de la mise sur pied du ministère de l'Éducation. 

RAISON D'ÊTRE DU CONSEIL

 

La commission Parent fait intervenir quatre considérants qui permettent de mieux comprendre l'esprit et les objectifs qui la guident dans sa recommandation de créer le Conseil supérieur de l'éducation et dans la définition de son rôle, de ses fonctions, de sa composition et de son fonctionnement. Le premier considérant concerne le fait que le ministre de l'Éducation étant élu, il est donc responsable devant la législature et devant le peuple. Cependant, pour les commissaires, la représentation démocratique ne peut être assurée uniquement par les élus chargés d'administrer les fonds publics au nom de la collectivité. Le second considérant fait état de la nécessité d'une structure qui soit représentative et consultative afin d'assurer le caractère démocratique de la planification nécessaire au système d'éducation. Le plan de développement du système d'éducation sera d'autant plus efficace qu'il tiendra compte des points de vue et des besoins de tous les groupes intéressés à l'éducation, que ceux qui seront responsables de son application auront aussi contribué à son élaboration et qu'il saura aussi gagner l'adhésion du public. 

Le troisième considérant découle des deux premiers. La planification démocratique nécessite une prise en compte des points de vue et des besoins de la société, ce que devra permettre le Conseil. Le quatrième considérant rappelle le défi majeur du ministre de l'Éducation qui devra assurer la cohérence et l'équilibre entre les composantes du système d'enseignement au Québec. 

Ces quatre considérants conduiront la commission Parent à recommander le maintien d'un organisme qui soit représentatif et consultatif et qui aura pour but de conseiller l'État sur tout ce qui concerne l'éducation, de la petite enfance à l'âge adulte. Cette mission ainsi définie sera maintenue jusqu'à aujourd'hui. La commission juge aussi opportun que le rôle de ce conseil auprès du ministre serve de contrepoids par rapport au ministère de l'Éducation créé au même moment. D'autres préoccupations guident la commission Parent dans leur élaboration de la mission du Conseil. Ainsi, elle lui confie la responsabilité de maintenir le système d'éducation en contact avec l'évolution de la société et d'indiquer les changements à opérer dans le court terme, mais aussi dans le long terme. Le Conseil devra jouer son rôle d'une manière tout à fait particulière en tant que structure démocratique axée sur la participation, ce qui lui donne un caractère unique dans la gouverne de l'éducation. En effet, pour être à même de remplir sa mission, il devra assurer le pont entre la population québécoise et le gouvernement. Cependant, tout en étant porteur des préoccupations des citoyens et citoyennes, il lui sera indispensable de maintenir la distance critique nécessaire pour être en mesure d'évaluer, d'analyser et de formuler des recommandations au ministre de l'Éducation dans une perspective systémique et avec une vision prospective. 

La Commission s'attend aussi à ce que le Conseil contribue à établir un climat de confiance entre les diverses instances et entre les ordres d'enseignement qui composent le système d'éducation : entre le secteur privé et le secteur public ; entre le secteur catholique et le secteur protestant ; entre l'enseignement primaire, secondaire et post-secondaire. À cette fin, le Conseil doit être un lieu de rencontre et de compréhension mutuelle pour contrer le fonctionnement en parallèle de toutes ces instances, un type de fonctionnement qui perdure depuis près de cent ans. La conjoncture des années 1960 semble favorable à un changement de cap vers un fonctionnement plus unifié du système d'éducation. 

Revenons à la mission première du Conseil, soit celle de conseiller le ministre de l'Éducation et de soutenir sa réflexion en vue de décisions qu'il sera appelé à prendre concernant les orientations du système d'éducation, son organisation et son financement. Pour jouer ce rôle en toute crédibilité, il est un principe de base essentiel qu'il se devra de respecter, soit celui de conserver une impartialité totale et une indépendance complète vis-à-vis des instances politiques et des milieux divers de la population dont il doit répercuter les préoccupations et faire état des besoins. Comme l'écrivent les commissaires, le Conseil ne doit pas être un rouage du ministère, ni ne doit-il commander au ministre ce qu'il doit faire. Cependant, afin de donner plus de poids à son rôle consultatif et s'assurer qu'il soit entendu et légitimé dans sa mission, la Loi prévoit l'obligation pour le ministre de le consulter sur certaines questions essentielles, tel que les programmes d'enseignement, les normes d'examens et les diplômes officiels, les normes de qualification du personnel enseignant, les plans d'organisation et d'aménagement des institutions d'enseignement [6]. S'y sont ajoutées plus tard, les modifications au régime d'études collégiales et la création de tout nouvel établissement collégial ou universitaire. 

La commission Parent proposait aussi que le Conseil ait toute liberté de soumettre au Ministre des avis et des recommandations sur tout sujet qu'il juge pertinent dans le cadre de son mandat. En contrepartie, le ministre ne sera aucunement lié par ces recommandations. Dans son premier rapport annuel sur l'état et les besoins de l'éducation remis au ministre de l'Éducation et à l'Assemblée nationale, le Conseil insiste sur son rôle d'organisme de participation démocratique [7]. 

Le débat qui a présidé à l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi créant le ministère de l'Éducation et le Conseil supérieur de l'éducation a donné lieu à un affrontement entre le premier ministre jean Lesage et le ministre de l'Éducation, Paul Gérin Lajoie d'une part, et le chef de l'opposition, Daniel Johnson, et Jean-Jacques Bertrand, député de l’Union nationale, d'autre part. Ces derniers craignaient la politisation du champ de l'éducation pouvant découler d'une gestion trop centralisatrice par l'État de toutes ses composantes. L'Union nationale aurait souhaité qu'un amendement soit apporté au projet de loi 60 dans le but spécifique de « renforcer les pouvoirs et l'autorité du Conseil » et d'éviter ainsi un trop grand monopole du ministère dans la gouverne de l'éducation [8]. Ces amendements ne furent pas adoptés, mais il est intéressant de s'y référer pour mieux comprendre le cadre dans lequel le Conseil sera appelé à jouer son rôle et à exercer sa mission. Cela oblige, d'une part, à évaluer son degré d'autonomie dans l'élaboration de sa réflexion et le type d'indépendance institutionnelle dont il jouit par rapport au pouvoir politique gouvernemental. D'autre part, cela nécessite d'analyser la nature de son pouvoir et de ses retombées sur les décisions politiques dans le champ de l'éducation. Nous y reviendrons lorsque nous traiterons du pouvoir du Conseil. 

 

UNE PREMIÈRE ÉTAPE DANS LA SÉPARATION
DES POUVOIRS ENTRE L'ÉGLISE ET L'ÉTAT
EN ÉDUCATION - LE PACTE HISTORIQUE DE 1964

 

La commission Parent effectue un choix politique fondamental en confiant à l'État et au pouvoir politique la responsabilité première de la définition des grandes orientations de l'éducation, de son organisation et de son financement. Une particularité du choix proposé, considérant ce qui se passe au même moment dans d'autres sociétés comparables, réside dans le fait d'avoir consacré, en partie seulement, la séparation de l'Église et de l'État en éducation en maintenant la confessionnalité du système d'éducation à tous les ordres d'enseignement. Étant donné le rôle important joué par les Églises en matière d'éducation depuis la fondation de la Nouvelle France, elle s'attend à ce qu'en contrepartie l'État reconnaisse aux autorités religieuses un droit réel « pour dispenser une partie de l'enseignement religieux » et qu'elles reçoivent, à cet effet, une aide financière provenant des fonds publics. En conséquence, la commission Parent propose que le ministre soit entouré d'un sous-ministre et d'un sous-ministre associé, l'un de foi catholique et l'autre de foi protestante, et qu'ils soient tous deux membres adjoints du Conseil supérieur de l'éducation sans droit de vote [9]. Elle recommande aussi « que les Églises puissent avoir la possibilité de s'exprimer au Conseil, en particulier pour tout ce qui concerne l'éducation morale et religieuse de l'enfant » [10]. 

D'où sa recommandation à l'effet que l'un des critères de nomination des membres du Conseil, soit l'appartenance à l'église catholique ou protestante. Une tradition s'est installée au cours de ces 40 ans voulant que le président soit de foi catholique et le vice-président, de foi protestante. Cela concordait aussi avec la représentation de la langue française et de la langue anglaise au sein du Conseil, la personne occupant le poste de président ayant toujours été de langue française. 

L'aspect le plus important de ce positionnement de la commission Parent est sa recommandation de maintenir les comités catholique et protestant, comités qui, depuis près de 100 ans, formaient le Conseil de l'instruction publique. Elle propose de les intégrer au nouveau conseil et leurs présidents seront membres à part entière du Conseil en tant qu'instance décisionnelle. Ces comités conserveront leur autorité exclusive, indépendante de celle du Conseil supérieur de l'éducation et du ministère de l'Éducation, en matière de réglementation sur l'enseignement religieux et moral et devront assurer le caractère religieux des écoles. « De tous les organismes publics, ces deux comités portent principalement et plus que tout autre la responsabilité de la formation religieuse et morale des jeunes ». Ainsi, pourront-ils conseiller le ministre directement sur toutes questions en lien avec la préservation et le développement des valeurs spirituelles et morales et exercer une fonction de surveillance et de recommandation sur les programmes d'enseignement religieux. Certains ont parlé de compromis historique entre l'Église et l'État, d'autres, « du pacte historique de 1964 », l'Église acceptant que l'État joue un rôle dans le champ de l'éducation à la condition que le caractère confessionnel des écoles soit conservé et demeure sous la juridiction des églises catholique et protestante. 

Le mode de nomination des membres de ces comités montre la place importante conservée par les groupes religieux dans le champ de l'éducation. Ainsi au comité catholique, l'Assemblée des évêques nomme ses représentants qui comptent pour le tiers des membres, les autres membres étant nommés suite à une consultation auprès des associations de parents et d'éducateurs. Il en est ainsi du comité protestant. Le rôle de ces comités et leur mode de fonctionnement prévaudront jusqu'en l'an 2000, année où le gouvernement amendera la loi sur l'Instruction publique en adoptant la loi 118, dans la foulée du rapport Laïcité et religion - Perspective nouvelle pour l'école québécois [11]. Cette loi consacre la déconfessionnalisation des structures du Conseil et de sa mission par l'abolition des comités catholique et protestant et le retrait du critère de l'appartenance religieuse dans le mode de nomination des membres du Conseil. Il s'agit, à notre avis, de la transformation majeure que le Conseil a connue durant cette période de quarante ans d'existence. L'examen de l'accomplissement de sa mission dénotera au cours de cette même période, un souci de s'inscrire dans la continuité tout en procédant à des adaptations mineures de sa structure et de son fonctionnement, comme nous le verrons maintenant. 

 

LE CONSEIL, UN ORGANISME UNIQUE
DE PARTICIPATION DÉMOCRATIQUE

 

La commission Parent, consciente de l'ampleur de la mission qu'elle propose de confier au Conseil supérieur de l'éducation et de l'importance de son caractère démocratique, propose une structure et des critères de composition de ses instances qui devraient lui permettre de bien les respecter [12]. Pour la Commission, le Conseil ne doit pas être composé de spécialistes mais plutôt refléter une pluralité d'horizons, de familles religieuses, de milieux sociaux et d'expériences en éducation. Il doit être polyvalent et en mesure de porter des jugements éclairés dans une perspective d'ensemble. Pour l'assister dans sa mission, la commission Parent propose qu'il soit entouré de trois commissions pédagogiques composées, quant à elles, de spécialistes d'un domaine particulier ou d'un secteur spécifique de l'enseignement, soit la commission de l'enseignement élémentaire et secondaire, la commission de l'enseignement technique et la commission de l'enseignement supérieur. Les membres seront nommés par le Conseil suite à une consultation auprès des milieux de l'éducation. 

Cette structure et le rôle des instances se sont maintenus jusqu'à aujourd'hui, si ce n'est que le nombre de commissions s'est modifié au cours des années. Elles sont en 2003 au nombre de cinq : la commission de l'enseignement primaire ; la commission de l'enseignement secondaire ; la commission de l'enseignement collégial ; la commission de l'enseignement et de la recherche universitaires et la commission de l'éducation des adultes. La création du Conseil des universités en 1969, celle du Conseil des collèges en 1978 ainsi que leur abolition au début des années 1990, n'ont pas eu d'effet direct sur la mission du Conseil et sa structure [13]. En 1999, le Gouvernement proposait d'y intégrer le Comité consultatif sur l'accessibilité financière aux études sur une base plutôt administrative, puisque ce comité répond de sa mission directement au ministre de l'Éducation. 

Tout en conservant son autonomie et son indépendance vis-à-vis du gouvernement, il n'en demeure pas moins essentiel qu'un climat de confiance soit établi entre le Conseil et le gouvernement et que le ministère de l'Éducation soutienne le Conseil dans l'accomplissement de sa mission de réflexion et de consultation. Depuis sa fondation, le sous-ministre est membre d'office du Conseil sans droit de vote. La tradition veut qu'il ne soit pas présent aux réunions du Conseil mais qu'il le rencontre sur une base régulière pour informer des travaux du ministère et être informé de ceux du Conseil. 

Le caractère démocratique de l'organisme exige aussi qu'il établisse des contacts étroits avec l'ensemble des structures du système d'éducation et qu'il soit attentif aux tendances qui se développent en éducation dans les sociétés contemporaines. Il doit pouvoir compter sur la capacité des membres du Conseil, de ses commissions à répercuter les préoccupations des milieux de l'éducation et à exercer un jugement éclairé sur les orientations à prendre. Il doit aussi pouvoir s'appuyer sur les résultats de la recherche en éducation et, à ce titre, l'équipe de recherche de la permanence du Conseil joue un rôle crucial pour soutenir sa réflexion de manière continue et rigoureuse. Il se doit d'accomplir son devoir de consultation très judicieusement et, pour ce faire, le Conseil doit rappeler au Ministère, aux citoyens et aux organismes et associations, qu'ils ont des responsabilités de participation et qu'ils doivent contribuer au développement de l'éducation, qu'il s'agisse de la définition de ses orientations, de son organisation, de son amélioration et de la réalisation des objectifs proposés [14]. 

Le Conseil s'est vu confier par la commission Parent, un rôle de représentation de l'intérêt général en éducation et non des intérêts de groupes particuliers dont il ne peut se faire le porte-parole. En ce sens, il se doit de conserver une distance par rapport à l'actualité et ne pas se mettre en situation de prise de position immédiate. Cette attitude lui est nécessaire pour conserver non seulement sa crédibilité, mais surtout pour jouer son rôle premier d'évaluation, de réflexion critique et de prospective en tant qu'organisme conseil auprès des décideurs politiques et auprès de la population et des divers groupes qui composent la société québécoise. Il lui faut pour cela bien connaître ce qui se passe dans la société québécoise et ailleurs dans le monde, tout en suivant l'évolution des idées et des courants de pensée avec une attention particulière à l'éducation. Il nous faut constater que, jusqu'à aujourd'hui, cette compréhension de la mission du Conseil et du rôle de ses instances a été maintenue et respectée par ceux et celles qui y ont siégé depuis sa fondation. Elle n'est cependant pas toujours bien comprise dans la population et notamment par les médias qui sollicitent souvent l'opinion du Conseil sur des événements de l'actualité en éducation.

 

LE POUVOIR ET LA PLACE DU CONSEIL
DANS LA GOUVERNE DE L'ÉDUCATION

 

Le mandat du Conseil lui confère un pouvoir d'influence. Il est en distance de l'État dans la production de sa pensée et dans la formulation de ses recommandations. Il est cependant à proximité de l'État par son financement qui provient de fonds publics alloués par le ministre de l'Éducation, suite à la défense des crédits en commission parlementaire [15] ; par la composition de son personnel permanent composé de membres de la fonction publique ; par le processus de nomination des membres de son conseil qui relève du ministre de l'Éducation et, en dernière instance, du Conseil des ministres. Cependant, cette proximité n'a pas donné lieu jusqu'à aujourd'hui à des interventions gouvernementales en vue d'influencer le Conseil de quelque manière que ce soit dans la conduite de ses travaux. Cela s'applique autant aux avis préparés de sa propre initiative qu'à ceux qui font suite à une demande du ministre. 

Le ministre n'étant pas lié par aucune recommandation provenant du Conseil, c'est donc ici que se joue et s'évalue son pouvoir d'influence. Ce pouvoir se fonde sur sa capacité de rendre compte, de manière éclairée, des préoccupations diversifiées de la population québécoise tout en anticipant les besoins en l'éducation pour l'ensemble des individus et pour la société québécoise. On attend du Conseil qu'il procède à des bilans critiques sans complaisance, à des diagnostics rigoureux, et qu'il formule des recommandations qui favorisent l'amélioration du système d'éducation en faisant prévaloir les intérêts généraux de la société québécoise. Pour y arriver, il doit pouvoir s'appuyer sur la qualité et la représentativité des membres qui composent ses instances, soit une centaine de personnes provenant de tous les ordres d'enseignement et de toutes les régions du Québec, occupant diverses fonctions en éducation et hors du champ de l'éducation. Son pouvoir d'influence provient de la pertinence des thèmes sur lesquels il choisit de faire porter ses avis, de la qualité de son analyse et de la cohérence des recommandations qui en découlent, de sa capacité à assurer le caractère démocratique de la planification en éducation lors de l'élaboration des politiques éducatives et de l'attribution des ressources financières au réseau de l'éducation par l'État. Il s'appuie aussi sur sa capacité de convaincre le ministre de l'Éducation et les décideurs politiques, de même que les acteurs du réseau de l'éducation, de la justesse de ses recommandations, sachant qu'il ne peut intervenir dans leur mise en œuvre. 

Ce pouvoir repose, par ailleurs, sur sa fonction de liaison entre le public et le gouvernement et sur sa fonction d'éducation du public. Celle-ci consiste à « informer, par l'entremise de ses membres, une opinion publique généralement mal renseignée sur les besoins de l'éducation et sur les structures du système. [...] Les contacts assidus du Conseil avec tous les milieux l'inciteront à mettre l'éducation, non pas au service de l'État ou d'un parti comme en régime totalitaire, mais au service de toute la population » [16]. La Commission confie ici au Conseil une responsabilité de circulation des idées en éducation et son rapport sur l'état et les besoins de l'éducation, déposé obligatoirement à chaque année à l'Assemblée nationale, constitue un excellent outil à cet effet. Apparaît ici, l'importance pour le Conseil de rendre publics tous ses avis et rapports annuels thématiques et accessibles à travers tout le réseau de l'éducation. 

Les retombées de ce pouvoir d'influence se vérifient moins dans le court terme, sauf pour les modifications aux règlements pédagogiques. Elles sont beaucoup plus importantes dans le moyen terme. À titre d'exemple, l'examen de la conjoncture en éducation depuis la Commission des états généraux sur l'éducation en 1995-1996, montre cette influence du Conseil. Les recommandations de cette commission ont trouvé leur ancrage dans les préoccupations soumises lors des audiences et dans les mémoires présentés, mais la réflexion qui a présidé au choix final de ses recommandations s'appuie principalement sur les avis produits par le Conseil dans les dix ans qui l'ont précédée. Et l'on sait que les chantiers proposés par cette Commission ont été retenus dans le Plan d'action « Prendre le virage du Succès » [17], dont la mise en oeuvre se poursuit actuellement à travers tout le système d'éducation. 

 

UNE MISSION QUI S'EST AFFIRMÉE
AU COURS DE CES 40 ANS

 

Mise à part la déconfessionnalisation, un changement majeur dont nous avons traitée spécifiquement, le Conseil aura donc connu peu de modifications d'envergure dans la définition de sa mission, dans son mode de fonctionnement et dans ses structures au cours de ces 40 ans d'existence. 

Le contenu de son Plan stratégique 2001-2003 [18] démontre clairement que la perspective qui le guide actuellement poursuit cette continuité dans l'esprit du rapport Parent. Ce plan propose trois orientations [19], en lien direct avec sa mission première de conseiller d'État. La première fait référence à une volonté de renforcement de son rôle de veille éducative et de prospective dont il se réclamait déjà dans son rapport-synthèse soumis à la Commission des états généraux en 1995 [20]. La seconde orientation renvoie à l'importance pour le Conseil de « communiquer au ministre un éclairage novateur sur des questions, des enjeux et des phénomènes qui émergent dans le cadre de l'implantation des réformes ou qui transcendent les réformes » [21]. La troisième, concerne un autre volet du rôle du Conseil qui consiste à soumettre au ministre, « une réflexion critique, des orientations et des balises pour soutenir la prise de décision sur des modifications réglementaires envisagées, des projets de politiques ou tout autre sujet au choix du ministre » [22]. 

L'élaboration de ce plan stratégique fait suite à une nouvelle orientation de l'État sur la responsabilisation des acteurs publics et sur une reddition de comptes axée sur les résultats obtenus. Cela marque sans aucun doute un tournant dans le fonctionnement du Conseil qui a dû, pour la première fois de son histoire, proposer des indicateurs qui permettront à l'État d'évaluer sa performance en tant qu'organisme consultatif. Comment se fera l'évaluation de « sa rentabilité » et quelles en seront les retombées sur l'avenir du Conseil ? C'est une nouvelle donne dont il est difficile, pour l'instant, d'évaluer les répercussions mais qui marque un tournant dans la gouverne de l'État. Cela rend difficile de prédire comment s'écrira, dans les vingt prochaines années, l'histoire de cet organisme qui, depuis sa fondation, a été marquée par une continuité dans l'accomplissement de sa mission en toute fidélité à l'esprit du rapport Parent qui en avait recommandé la création.


[1]    Directrice du développement, Chaire Fernand-Dumont, INRS Urbanisation, Culture et Société et présidente du Conseil supérieur de l'éducation de 1997 à août 2002.

[2]    Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation, L.R.Q., chap. C-60.

[3]    La première tranche de ce rapport fut déposée à son Excellence le lieutenant-gouverneur en conseil de la province de Québec, en avril 1963.

[4]    Rapport Parent, tome 1, p. 9, 1963, format de poche. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[5]    Ibid., p. 117.

[6]    Rapport Parent, tome 1, article 185, recommandation 27, p. 132.

[7]    Conseil supérieur de l'éducation, Le participation au plan scolaire, Rapport annuel sur l'état et les besoins de l'éducation, Québec, 1965.

[8]    Voir à ce sujet l'article de Marc Chevrier, « Le Chantier abandonné de 1964 : les onze propositions de Daniel Johnson sur l'éducation », dans Les Cahiers d'histoire du Québec au XXe siècle, no. 7, printemps 1997, p. 164-178, édités par les Publications du Québec.

[9]    Op. cit., recommandation 19, p. 131.

[10]   Op. cit., article 181, p. 121.

[11]   Rapport du groupe de travail sur la place de la religion à l'école, Québec, 2000 ; voir aussi une publication conjointe des comités catholique et protestant, Une nouvelle place pour la religion à l'école, Conseil supérieur de l'éducation, Québec, 2000.

[12]   Rapport Parent, tome 1, article 199, p. 129.

[13]   CSE, L'avenir du Conseil supérieur de l'éducation, Avis au ministre de l'Éducation, adopté le 11 octobre 1979. Dans cet avis, le Conseil fait part de sa réflexion sur la présence et le rôle de conseils consultatifs en éducation, suite à la création d'un Conseil des collèges, et à propos duquel le ministre de l'Éducation souhaitait obtenir l'avis du Conseil. Son rapport annuel 1978-1979 porte aussi sur cette question.

[14]   Voir à ce sujet Arthur Tremblay, Le ministère de l'Éducation et le Conseil supérieur de l'éducation, 1867-1964, PUL., 1989, 426 p.

[15]   Son budget et sa gestion sont complètement distincts du budget du ministère de l'Éducation et de sa gestion.

[16]   Rapport Parent, tome 1, articles 178 et 179, p. 120.

[17]   Prendre le virage du succès, Plan d'action ministériel pour la réforme de l'éducation, MEQ, Québec, 1997.

[18]   CSE, Observer, consulter et approfondir, Plan stratégique 2001-2003, Chaque organisme public et ministère est tenu par là Loi sur l'administration publique (L.Q. 2000, c. 8, art. 8), de produire un plan stratégique et leur évaluation portera sur les résultats obtenus au regard du plan proposé.

[19]   Op. cit., p. 15.

[20]   CSE, Pour la réforme du système éducatif - dix années de consultation, Québec, 1995.

[21]   Op. cit., p. 16.

[22]   Op. cit., p. 16.



Retour au texte de l'auteur: Céline Saint-Pierre, sociologue Dernière mise à jour de cette page le jeudi 6 décembre 2007 19:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref