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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre Saint-Arnaud, “Sur le concept de « classe sociale » dans la sociologie américaine des deux premières générations”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Simon Langlois et Yves Martin, L'horizon de la culture. Hommage à Fernand Dumont, chapitre 21, pp. 345-360. Québec: Les Presses de l'Université Laval et l'Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, 556 pp. [Autorisation de diffuser cet article accordée par M. Pierre Saint-Arnaud le 9 août 2004].

[345]

L’horizon de la culture.
Hommage à Fernand Dumont.

Cinquième partie : La culture comme milieu
Chapitre 21

Sur le concept de «classe sociale»
dans la sociologie américaine
des deux premières générations
.”

Pierre SAINT-ARNAUD

La profonde admiration de Fernand Dumont pour Gaston Bachelard est chose bien connue, puisque lui-même l'a déjà confessée [1]. Ce sentiment authentique n'a cependant pas empêché Dumont de garder quelque distance vis-à-vis de son maître à penser en épistémologie. J'ai eu souvent le privilège d'échanger avec lui sur ce sujet. Autant Bachelard affichait, me répétait Dumont, un don incomparable pour faire comprendre le processus de construction de l'objet scientifique, autant il était peu sensible à ce qui se situait hors du rationalisme strict : selon lui, une sociologie de la connaissance ne pouvait prétendre à beaucoup de légitimité. Je redécouvre ce jugement de Fernand Dumont dans son ouvrage Les idéologies :

Mieux que personne, Bachelard aura montré que l'objet scientifique se dégage de corrections successives. Mais les illustrations de la dialectique de l'imaginaire et du construit qu'il nous a fournies économisaient un peu les discours sociaux de commencements et de ruptures. L'imaginaire est collectif tout autant que les systèmes qui en procèdent et le récusent [2].

Ce n'est certes pas trahir Dumont que d'affirmer ceci : son œuvre épistémologique s'inscrit en continuité directe avec celle de Gaston Bachelard, mais la corrige par élargissement et approfondissement de ses perspectives premières. Pour Dumont, toute épistémologie – toute démarche qui interroge les fondements de la pensée scientifique – passe nécessairement par une sociologie de la connaissance. Elle n'en fait jamais l'économie. Or, le détour par la sociologie de la connaissance implique le débat obligé avec l'idéologie :

S'il fallait ramener à un seul thème le problème des fondements des sciences qui se préoccupent de l'homme, on commencerait et on conclurait par un débat avec [346] l'idéologie. [...] L'idéologie est une pensée qui combat et qui parle pour combattre ; une pensée qui se veut davantage soucieuse de ses fondements et de ses visées, qui cherche à se donner un destin théorique, n'a d'autre recours que d'interroger la parole intempérante des idéologies et de reconnaître franchement sa terrible puissance de suggestion [3].

Je viens, après ce préambule, à mes propres intentions. Je me propose de faire usage de l'épistémologie de Fernand Dumont pour discuter le sujet suivant : le traitement du concept de « classe sociale », l'un des plus importants concepts sociologiques, par les sociologues américains des deux premières générations, soit entre 1880 et 1940 approximativement. Voici pourquoi ce sujet mérite d'être examiné de près sous l'angle épistémologique :

La sociologie américaine est entrée dans sa seconde génération d'existence au milieu des années 1920 avec la « classe » fixée comme concept nécessaire d'analyse de la stratification économique et de ses possibles corrélats psychologiques, mais avec peu de recherche en cours sur les classes effectives, un minimum de considération théorique du sens exact attribué au concept, et pratiquement aucune reconnaissance de la structure des classes en tant que domaine majeur d'investigation par la discipline sociologique.

Ce « temps d'arrêt » dans l'attention accordée à la classe par la sociologie américaine fait surgir un important problème d'interprétation [4].

Afin de mieux attaquer le problème en lui-même, je rappellerai d'abord la manière dont s'est produit le surgissement de la notion de classe dans le discours sociologique premier. En reprenant le modèle tracé par Fernand Dumont, je vais chercher des éléments explicatifs surtout du côté des idéologies. L'exercice demeurera forcément sommaire et schématique à cause des limites qui me sont ici imparties. J'espère néanmoins pouvoir faire ressortir l'exceptionnelle faculté inspiratrice de celui à qui nous rendons, par le présent livre, un hommage fort justifié.

I

Rappelons, à l'orée de cette étude, comment Fernand Dumont formalise la relation pour lui fondamentale entre la science et le contexte socioculturel. La science, écrit-il, « exprime les cultures où elle naît. [...] Elle profite [...], pour définir ses propres visées, des suggestions et des ouvertures que lui suggèrent les polémiques quotidiennes ». Mais en même temps, « la science se constitue et se reconstitue en délimitant, par des discours idéologiques, son aire d'exercice [5] ». En d'autres termes, la science est toujours compromise à l'idéologie, que ce soit au moment de sa genèse ou lors de ses poussées successives. Abordons notre problème.

Depuis la fin de la Guerre civile, la sécularisation des idées va bon train dans la société américaine. Mouvements politiques et sociaux se déploient sur un continuum comprenant le conservatisme libéral, le réformisme populiste ou socialiste, quelques philosophies radicales indigènes (anarchisme) et étrangères (marxisme [347] révolutionnaire). À cause de la reprise économique, l'écart se creuse entre les couches sociales aisées et le prolétariat des villes industrielles en rapide expansion. Dans les milieux intellectuels et universitaires, trois auteurs européens suscitent un intérêt de plus en plus vif : Darwin, Spencer et Comte – le naturalisme, l'évolutionnisme social, le positivisme. Dans la société en général, une croyance semble solidement ancrée. Elle puise à l'égalitarisme démocratique et à l'exceptionnalisme [6] au coeur de la plus ancienne tradition : il n'existe pas de frontière étanche entre les diverses couches sociales, la société américaine est fluide et permet aisément la mobilité d'une classe à l'autre. Leonard Reissman associe les facteurs suivants à la ténacité de cette croyance dans la mentalité populaire de la fin du XIXe siècle : l'héritage anti-aristocratique, un anti-radicalisme naturel, la psychologie de la Frontière, l'éthique protestante sécularisée, l'industrialisation rapide, la croissance urbaine, l'immigration massive, l'absence d'une tradition féodale [7].

Les premiers sociologues à la fois dénient et endossent l'exceptionnalisme dont nous venons de parler. Selon eux, les classes existent de toute évidence, il faut les étudier scientifiquement mais dans une société ayant hérité par ses origines d'un caractère historique unique. C'est dans la double matrice de l'idéologie positiviste et de l'évolutionnisme social que prennent consistance leurs conceptions particulières de la classe sociale. L'accent s'y trouve mis d'emblée sur l'origine des classes, leur lien à des forces sociales fondamentales commandées par le grand processus évolutionnaire. Sumner, par exemple, explique les classes et leurs conflits comme un produit normal de la compétition universelle, processus sur lequel l'être humain n'aurait aucun contrôle [8]. De son côté, Ward relie aussi l'origine des classes à la compétition et au conflit primitif entre groupes humains, phénomène de différenciation qu'il systématise par la loi dite de « karyokinèse sociale », dérivée de la biologie. Mais, contrairement à Sumner, il croit que l'homme peut harmoniser les conflits entre classes sociales distinctes grâce à l'institution étatique [9]. Frank Giddings rattache l'émergence et le développement des classes à ce qu'il appelle la « conscience de l'espèce », force psychosociale aussi pressante que l'instinct de survie dans le monde organique [10]. Selon Charles Cooley, la différenciation en classes est un processus naturel détectable dans toute société. Elle donne fondamentalement naissance à deux grands systèmes de stratification : des classes « fermées » (ou castes), des classes « ouvertes », c'est-à-dire fondées non sur le statut héréditaire mais sur le mérite en termes de revenu, d'occupation, de pouvoir ou autre distinction similaire [11].

Moulée dans la très influente idéologie de l'évolutionnisme social, la notion primitive de classe s'avère générale et dogmatique ; elle est une fidèle reproduction de l'ensemble des doctrines sociologiques des Pères fondateurs. En outre, parce qu'ils copient presque tous le modèle abstrait de science gravé dans le positivisme comtien, les pionniers n'effectuent pas de recherche empirique véritable dans leur société : leur méthode dite d'analyse consiste essentiellement à dégager de grandes [348] tendances historiques en fouillant dans les documents écrits. En conséquence, on ne trouve pas dans leurs œuvres une mise à l'épreuve rigoureuse du concept de classe pour tester sa valeur explicative (son potentiel théorique) à propos de certains phénomènes caractéristiques de la structure sociale américaine de l'époque. Nous nous situons à un âge bien rudimentaire encore de la science sociale aux États-Unis.

Est tout de même posée, dans l'aire délimitée par l'évolutionnisme et le positivisme, la nécessité de retenir la classe sociale dès qu'on aborde la structure et le développement de la société comme une totalité. Un spécialiste américain interprète ainsi ce qu'il voit dans l'œuvre des pionniers sur la classe sociale :

Percent à travers leurs écrits, même si elles ne sont pas toujours clairement exprimées, deux approches assez distinctes. Chacun d'eux, à un moment où l'autre, a utilisé la « classe » au sens généralement accepté de groupe démarqué par des facteurs économiques : le revenu, la fonction économique ou encore la relation à un système de production. Cette conception débouche sur une catégorie de questions d'importance secondaire portant sur la cohésion de groupe, la « conscience de l'espèce » ou la conscience de classe. Or, ces derniers phénomènes s'avèrent d'un intérêt primordial pour ces sociologues qui, tels Giddings et Cooley, ont découvert l'essence même de leur matériau sociologique dans les réseaux d'attitudes en société. Voici donc qu'une seconde conception de la classe sociale a émergé, fondée sur les éléments « subjectifs » de la conscience de groupe. [...] Les écrits de cet ensemble d'auteurs se présentent comme une illustration majeure de la dualité du concept de classe [12].

À part sa source dans l'idéologie évolutionniste, hégémonique à l'époque sous la forme de deux grandes versions concurrentes [13], la sociologie pionnière des classes sociales est compromise à l'idéologie d'une autre façon. Tous les premiers sociologues cherchent, en effet, à brosser le portrait d'une société idéale – portrait général, il va sans dire – et les classes y occupent une importante place. Américain de la Nouvelle-Angleterre et partisan du statu quo, Sumner mise sur un darwinisme rigide pour prédire le succès et la suprématie des classes économiques dirigeantes dans la nouvelle ère du capitalisme monopolistique. En contraste, Ward, Cooley et Ross prophétisent une évolution sociale marquée par une réduction sensible du vieux conflit entre la bourgeoisie et les masses. Originaires à la fois du Middle West et des classes moyennes, ils prônent un réformisme démocratique, anticipant, de manière idéalisée et utopique, une sorte de nouvelle république dans laquelle les classes ouvrières verront leur condition socio-économique transformée grâce à une éducation plus rationnelle et étendue ainsi qu'à une législation gouvernementale plus éclairée. On apercevra ici la célèbre « sociocratie » de Lester Ward.

Par l'amont comme par l'aval, la sociologie pionnière des classes sociales fait donc étroitement corps avec l'idéologie. La contamination s'avère complète. Dumont exprime cette idée ainsi dans son épistémologie : « Ce n'est pas seulement, répétons-le, par ses commencements que la science est discours ou pratique idéologique mais par l'ensemble de son parcours et la totalité de son dire [14]. » [349] Davantage que les sociologues à l'époque, un économiste est réputé poser un regard particulièrement pénétrant sur la structure et la dynamique des classes sociales : Thorstein Veblen. Trouve-t-on vraiment plus dans son œuvre ? Oui et non. Jouant sur la dualité économique et psychosociologique, Veblen va plus loin que quiconque dans l'étude de la ploutocratie et ses stratégies de contrôle dans l'Amérique capitaliste industrielle. Par l'essai polémique et ironique, il dégage bien le conflit entre ce qu'il appelle les classes « prédatrices » et les classes « industrielles ». Le progrès technologique le retient en tant que cause la plus importante de la scission des classes. Parue en 1899, sa Theory of Leisure Class est un féroce réquisitoire contre les habitudes de vie et les appétits de consommation des classes opulentes du temps. Mais à l'instar de ses collègues sociologues, Veblen adhère aussi sans équivoque à l'idéologie évolutionniste et il s'applique à bâtir sa « preuve » scientifique en prenant en bloc des pans d'histoire très considérables. Ses analyses s'en trouvent inévitablement alourdies. Même si elle est appuyée sur une érudition remarquable, la pensée de Veblen au sujet des classes n'est pas moins dogmatique que la philosophie sociale imprégnant les doctrines sociologiques de sa génération.

À quoi se ramène sur le plan épistémologique la pensée des Pères fondateurs sur les classes sociales ? À un faisceau d'idées directrices susceptibles d'une certaine efficacité heuristique. Nous ne sommes pas du tout devant un concept de classe scientifiquement construit. Issu de la pure spéculation historique, il s'incorpore à une laborieuse entreprise intellectuelle pour affirmer la positivité de la science sociale en la conquérant sur la vieille tradition du common sense profondément ancrée dans les valeurs protestantes. C'est ce que l'idéologie évolutionniste cherche fondamentalement à déraciner dans la culture intellectuelle américaine de l'époque pour mieux s'y substituer [15]. S'ils avaient été des esprits davantage tournés vers la pratique et s'ils avaient effectué de rigoureuses recherches dans leur milieu, les pionniers auraient sans doute élaboré une conception plus nuancée de la classe sociale. Par exemple, ils auraient discuté d'autre chose que de la stratification économique, ils auraient observé d'autres hiérarchies liées soit au pouvoir, soit au prestige, à l'appartenance ethnique, etc. Ce ne fut pas le cas.

Faisons place ici à une thèse suggestive même si elle n'est pas directement liée aux idéologies. Inspirée par Bourdieu, elle soutient l'idée que voici : c'est par stratégie délibérée, pour mieux s'assurer le monopole de l'autorité cognitive et du prestige devant les nombreux enquêteurs sociaux amateurs de la fin du siècle, que les premiers sociologues universitaires auraient pratiqué l'abstention empirique. Ils auraient tenté d'imposer leur « distinction » au moyen d'un savoir sociologique général et spéculatif, une compétence exclusive fondée sur la connaissance de la totalité sociale d'où ils pouvaient ensuite normer l'intervention sociale et ses objets. Cette « relation distante à la pratique, que les universitaires avaient transformée en vertu épistémologique [16] », était d'autant plus praticable qu'ils pouvaient compter sur le prestige de l'idéologie évolutionniste à titre de support « savant » de leur distanciation. L'anti-empirisme des Pères fondateurs, s'il fut cultivé comme une [350] « vertu épistémologique » pour obtenir un gain institutionnel et politique, leur coûta en revanche la connaissance fine non seulement des divisions sociales effectives mais aussi de plusieurs traits profonds de la structure sociale américaine au tournant du siècle.

Nous venons d'évoquer le premier moment d'une genèse. Même si elle reste une vue à vol d'oiseau, notre esquisse dégage l'essentiel du contexte idéologique ayant présidé à la fixation du concept de classe sociale dans le discours sociologique initial. Nous sommes à pied d'œuvre maintenant pour aborder ce qui ressemble, au premier regard, à un curieux paradoxe : les sociologues américains de l'après-guerre feraient l'impasse sur l'une des plus importantes notions introduites par leurs devanciers. Pourquoi ce rejet par, semble-t-il, toute une génération ? Notre discussion se poursuivra selon la logique du modèle de Fernand Dumont : dégager les continuités, les ruptures et les remaniements du savoir dans son incessant face-à-face avec l'idéologie.

II

Au moment où s'amorce la décennie 1920-1930, la Frontière et ses imageries de conquête appartiennent définitivement au passé. Les plus importants processus générateurs de changement socio-économique s'avèrent ceux de l'industrialisation et de l'urbanisation. La population naturelle croît rapidement, l'immigration étrangère aussi. À mesure que la prospérité augmente, elle entraîne une hausse du niveau de vie de larges fractions de population et elle stimule ainsi la mobilité verticale. Comme à la fin du siècle dernier, les apparences nourrissent le credo populaire que la mobilité sociale est virtuellement illimitée et que les divisions en classes s'avèrent, à toutes fins utiles, inexistantes en Amérique. Voyons de quoi se trouve constitué l'essentiel du corpus sociologique à l'époque.

Le paradigme dominant après la Première Guerre mondiale comprend deux pôles : l'un est méthodologique, l'autre théorique. Les normes relatives à la méthode s'avèrent en rupture complète avec l'idéal prôné par les Pères fondateurs : la sociologie constitue naturellement une entreprise empirique tout en visant des objectifs théoriques. La nouvelle génération, Robert Ezra Park [17] en tête, illustre cette conception révolutionnaire de la pratique sociologique. Influencée en grande partie par certains courants allemands du tournant du siècle, ceux surtout représentés par Georg Simmel et Wilhelm Wundt, elle entend répudier la spéculation abstraite sur la totalité sociale et la remplacer par une analyse directe de la société américaine en tant que structure historique particulière. Cette mutation s'opérant, il est bien normal que la sociologie pionnière soit reléguée à l'arrière-plan et tombe dans un certain anachronisme. Tout n'est pas nécessairement rejeté – Park exprime, par exemple, du respect pour plusieurs idées et méthodes de ses devanciers Sumner, Thomas et Znaniecki –mais une forte distance se trouve prise. Certains thèmes sont davantage touchés que d'autres par le scepticisme des « fils » vis-à-vis de leurs [351] « pères ». Il semble bien que ce fut le cas de la classe sociale : « Les écrits des "Pères" sociologiques ainsi que de Veblen sur la classe, même s'ils ont laissé leur trace dans les manuels et les traités généraux de sociologie, n'ont conduit directement à aucune école majeure de recherche ou de théorie sur la classe [18]. »

Cette explication ne suffit évidemment pas. Elle peut sans doute éclairer le fait que la relève ait jugé l'effort des Pères fondateurs comme une sorte d'acte scientifique manqué parce que trop peu empirique, mais elle passe complètement sous silence le fait que la classe sociale ne semble pas, en soi, intéresser la seconde génération des sociologues. Déplaçons-nous vers le pôle théorique du paradigme sociologique de Chicago, loin devant les autres à ce moment en Amérique. Deux grands foyers de conceptualisation s'y discernent : l'écologie humaine, l'interactionnalisme. Nous allons les examiner à tour de rôle.

L'approche écologique se présente comme un rejeton direct de l'idéologie évolutionniste du siècle antérieur. Elle en est aussi une version remaniée pour coller de près à certains traits empiriques de l'Amérique contemporaine, en particulier la spectaculaire croissance des villes. Ses principaux architectes sont Robert Park, Ernest Burgess et Roderick McKenzie :

Au plan théorique, ils ont proposé d'étudier la ville avec l'idée écologique centrale, empruntée à la biologie, de patrons naturels de distribution spatiale. On croyait que différents patrons d'usage du sol résultaient de la lutte darwinienne pour la survie entre unités concurrentes, le tout dans un environnement aux ressources limitées et avec une capacité adaptative inégale chez les compétiteurs [19].

Park et ses collègues emploient bien sûr l'écologie, venue originellement de la botanique, comme une analogie ou encore une métaphore. La loi naturelle de la compétition occupe une place centrale dans leur vision écologique de la société : « La société humaine, distinguée de celle des plantes et des animaux est organisée en deux niveaux : biotique et culturel. Il y a une société symbiotique qui repose sur la compétition et une société culturelle qui repose sur la communication et le consensus [20]. »

La « communauté » et non la société globale forme l'objet spécifique de l'écologie humaine. Il y a ici décrochage avec le holisme au coeur de la première sociologie américaine, de sa « théorie » plus exactement : « L'étude de la communauté en tant que produit naturel du processus compétitif définit le champ de l'écologie humaine. L'étude de la société en tant que résultat des processus culturels est représentée par le champ de la psychologie sociale [21]. »

L'exemple par excellence d'une communauté écologique se découvre dans la grande ville industrielle. Elle est susceptible d'une définition naturaliste :

La communauté urbaine se présente comme quelque chose de plus qu'un simple complément de populations et d'institutions. Au contraire, ses éléments composants, institutions et personnes sont si étroitement liés que l'ensemble tend à [352] prendre les caractéristiques d'un organisme ou, pour utiliser le terme de Herbert Spencer, d'un super-organisme [22].

Toute ville se développe selon un patron qui aboutit invariablement à des aires typiques et naturelles :

Partout, la communauté urbaine tend à se conformer à un modèle et ce modèle se présente invariablement comme une constellation d'aires urbaines typiques, chacune étant géographiquement localisée et spatialement définie [23]. [...] La ville forme de fait une constellation d'aires naturelles, chacune définissant un milieu caractéristique et remplissant une fonction spécifique au sein de l'économie urbaine globale [24].

Une aire naturelle au sein de l'espace urbain correspond à une communauté écologique particulière, à une sous-communauté. L'ensemble configure un ordre social naturel. Il est commandé par cette forme singulière de la loi de la compétition qui s'appelle la « compétition coopérative », intervenant dès que des populations humaines différentes doivent interagir dans un même milieu d'habitat : « La conception écologique de la société est celle d'une société créée par la compétition coopérative [25]. »

Il serait superflu d'ajouter d'autres extraits. Nous disposons, en effet, d'une matière suffisante pour dégager ce qui caractérise le noyau de la « théorie » écologique : l'accent s'y trouve systématiquement placé sur des processus, des formes, des aires plutôt que sur les diverses composantes de la structure sociale. Or, les classes sociales, comme tout ce qui illustre les multiples hiérarchies en société, relèvent avant tout des structures et non des processus. Par conséquent, l'écologie humaine tend à refouler les classes à la marge en tant qu'objet spécifique d'analyse scientifique. Le fait se trouve confirmé de maintes façons dans les publications des sociologues de Chicago. Par exemple, dans leur volumineux manuel paru pour la première fois en 1921, Introduction to the Science of Sociology, Park et Burgess réservent une place insignifiante au concept de classe. Ils ne procèdent à aucune définition rigoureuse, se contentant simplement d'exprimer un voeu :

L'étude comparative des classes sociales et des groupes professionnels demeure un champ non exploité. La différenciation des types sociaux, spécialement en milieu urbain, la complexité et la subtilité des distinctions séparant les classes sociales et professionnelles ouvrent des perspectives prometteuses pour l'investigation [26].

Tous deux n'entreprendront jamais de telles investigations empiriques. La preuve la plus concluante se trouve cependant dans les nombreuses monographies et les études de cas réalisées entre 1920 et 1935 environ à Chicago. Nous ne pouvons ici le démontrer, faute d'espace, mais les meilleurs travaux inspirés par l'écologie humaine (Delinquency Areas de Clifford Shaw ; The Gang de Frederic Thrasher ; The Hobo de Nels Anderson ; Suicide de Ruth Cavan ; The Gold Coast and the Slum de Harvey Zorbaugh ; The Ghetto de Louis Wirth, etc.) affichent tous un même trait. Plusieurs concepts y sont utilisés dont la connotation les apparente à la classe [353] sociale (élite, strate supérieure, cols blancs, pauvres, ouvriers, couches moyennes, etc.), mais ils sont très mal définis, comme si leur signification était en soi évidente. Ces auteurs amassent aussi des données empiriques intéressantes sur l'existence à Chicago de conflits entre classes différentes, mais ils ne les exploitent pas beaucoup, par manque d'intérêt scientifique. La mode favorise l'étude des processus et du changement, non celle des structures sociales. Elle semble généralisée : n'est- ce pas en 1922 que paraît le célèbre Social Change de William Ogburn, professeur à l'Université Columbia de New York ?

Considérons le second foyer théorique au coeur du paradigme de Chicago : l'interactionnalisme. Il équilibre en principe l'approche écologique centrée, par définition, sur le déterminisme des forces naturelles censées intervenir à la dimension de toute la société. Il fait porter l'accent sur l'acteur social et ses rapports à l'environnement, légitimant ainsi une analyse microsociologique de la société. Les principaux concepts illustrant ce foyer théorique sont ceux de socialisation, d'identité, de symbole, de personnalité, de rôle, de statut. Ce dernier concept est logiquement compatible avec la stratification et il pourrait mener virtuellement à l'étude du phénomène de hiérarchisation sociale en classes. En pratique, il n'en est rien. Tel que forgé par la théorie interactionnaliste, le concept de statut renvoie à des positions strictement individuelles en liaison avec l'appartenance à des groupes sociaux, sans référence directe et encore moins nécessaire à des échelles ou à des hiérarchies. Voici un morceau révélateur prélevé dans le manuel de Park et Burgess :

Nous venons au monde comme individus. Nous acquérons un statut et devenons des personnes. Le statut marque une position dans la société. L'individu détient inévitablement un statut au sein de chaque groupe social dont il est membre. Dans un groupe donné, le statut de chaque membre est déterminé par sa relation à chacun des autres membres de ce groupe [27].

Cette conception particulière a entraîné l'observation suivante de la part du plus complet des analystes qui se sont, à ce jour, penchés sur l'œuvre de Robert Park :

Le concept de statut chez Park, tout comme sa préoccupation écologique pour la localisation dans l'« espace social », peuvent être vus comme un aspect de la recherche américaine libérale, pluraliste, d'une théorie non marxienne – et plus important peut-être, non rigide et non réductrice – de la position sociale. Le concept de statut admet le phénomène de la stratification sociale mais il tend à retrancher de la stratification son étude en termes de classe [28].

Il semble que nous ayons mis le doigt sur une explication assez intéressante au coeur même de la théorie. Deux voies s'offrent, à vrai dire. D'une part, la rationalité écologique tend très nettement à exclure le concept de classe sociale de son champ de considération. D'autre part, l'important concept de statut reçoit de l'interactionnalisme une définition trop étroitement individualiste pour permettre de déboucher sur l'analyse des classes sociales. Un lien nous paraît posé entre ces deux voies : la représentation parkienne du statut ressemble beaucoup, en effet, à [354] de la microécologie – une lutte de chaque individu pour la meilleure position possible dans l'espace compétitif et sélectif du groupe. Elle ressemble à une transposition microsociale de l'autre schéma explicatif enraciné, comme il a été noté plus haut, dans l'évolutionnisme darwinien :

La fonction de la compétition personnelle, envisagée comme un élément du système social, consiste à assigner à chaque individu sa place dans ce système [29].

Tout individu est en compétition pour son statut, en lutte pour maintenir son prestige personnel, son point de vue et l'estime de soi. [...] Aucune philosophie de la vie n'a réussi jusqu'ici à se mettre à l'abri d'une telle lutte pour le statut. [...] Le statut se révèle être finalement affaire de distance – de distance sociale [30].

Voilà un étrange renversement de situation : l'idéologie scientifique ayant somme toute catalysé la naissance de la sociologie comme le surgissement du concept de classe au siècle antérieur travaille maintenant dans le sens d'un effacement de ce dernier concept. Pourquoi la référence explicite à l'évolutionnisme chez Park et les autres écologistes de son groupe ? Sans doute pour démontrer de manière « scientifique », c'est-à-dire comme résultat d'une évolution sélective naturelle, le caractère exceptionnellement libéral de l'Amérique parmi toutes les démocraties occidentales. Ce caractère serait tel que, entre autres conséquences, il éliminerait la classe sociale à titre de catégorie analytique nécessaire [31]. L'évolutionnisme ne nous paraît pas précéder, mais plutôt suivre la conviction exceptionnaliste libérale, laquelle serait ainsi la matrice idéologique première de la pensée de Park. Or, cela confine au mythe : celui d'une Amérique qui serait différente et unique parce qu'affichant des traits tels qu'un gouvernement républicain, des chances inégalées de succès économique pour tous et chacun, etc. Ne trouve-t-on pas profondément inscrite dans la mémoire nationale, depuis l'époque lointaine des immigrants fondateurs, cette grandiose idée que « l'Amérique recommence l'histoire de l'humanité [32] » ? Voilà, d'après nous, le terreau premier dans lequel s'enracine l'extrême réticence de Park à reconnaître la classe sociale comme un concept sociologique pertinent, voilà pourquoi il s'applique à nier son utilité, voire à refuser les classes comme phénomène ou réalité empirique.

On découvre aussi que l'homme profite de ses débats et engagements pour resouligner au passage le peu d'intérêt, à ses yeux, de la question des classes. Très absorbé en effet par le phénomène de l'immigration raciale, des contacts interethniques et de la délicate assimilation aux valeurs américaines, Park oppose un plaidoyer réformiste à ceux de son pays qui redoutent un appauvrissement du « patrimoine » anglo-saxon par suite de la fusion culturelle s'opérant dans les prétendus « creusets urbains » – l'une des expressions fétiches des écologistes sociaux. La polémique idéologique l'amène à magnifier la fluidité et la supposée ouverture de la société américaine et à taire réciproquement les divisions et tensions entre les classes ; à prêcher aussi la tolérance envers l'étranger et non l'inverse :

[355]

L'observateur désintéressé pourra trouver un peu étrange qu'en Amérique, où, humainement parlant, il n'existe pas de distinctions de classe, subsistent encore tellement de préjugés raciaux [33].

Chaque grande cité compte parmi ses habitants des représentants de toutes les races et d'à peu près tous les peuples du globe. [...] Partout s'impose l'évidence de l'intégration et de l'interpénétration des peuples et des cultures [34].

Considérés à travers leurs conséquences ultimes, les efforts des groupes minoritaires pour s'affirmer et s'intégrer en réaction aux préjugés auxquels inévitablement ils se heurtent en terre étrangère peuvent, au total, être vus comme bénéfiques voire avantageux. Tout compte fait, la tendance des peuples immigrants à s'intégrer [...] n'est pas en soi une chose qu'il faut déplorer, au contraire [35].


Mon explication est en somme la suivante : individualisme libéral, exceptionnalisme et évolutionnisme se combinent pour amener Park à se représenter la société d'abord comme une multitude de groupements fluides et susceptibles de générer sélectivement du changement social, très peu comme un assemblage de classes. Dans son modèle de société, le processus se voit nettement préféré à la structure ; toute structure sociale donne même l'impression d'être tournée, par la « subtilité » idéologique, en processus [36]. Ce texte ne l'a pas démontré mais il y a beaucoup à parier, à cause de l'énorme prestige intellectuel de Park après la Première Grande Guerre, que ses collègues lui emboîtent spontanément le pas sur cette question précise de la classe sociale. D'où le problème conceptuel relevé par Milton Gordon et dont je suis moi-même parti pour effectuer cette brève analyse.

III

Avec le recul du temps, on sait bien que le concept de classe sociale a fini par pénétrer dans le répertoire théorique et analytique de la sociologie américaine. L'année 1927 aurait pu être ce moment décisif lors de la parution de Social Mobility de Pitirim Sorokin, sociologue russe émigré à Harvard. Mais les suggestions que ce livre renferme sur les rapports entre la mobilité sociale et divers types de stratification s'accompagnent de généralisations spatio-temporelles si vastes qu'elles bloquent la construction rigoureuse de la classe comme concept scientifique. Les tout premiers exemples d'analyse méthodique des classes sociales américaines comme éléments de structure viennent, non de la sociologie, mais de l'anthropologie culturelle : ce sont les deux monographies Middletown (1929) et Middletown in Transition (1937) de Robert et Helen Lynd, à quoi s'ajoute Yankee City de W. Lloyd Warner, recherche commencée au début des années 1930 et publiée au cours de la décennie suivante seulement.

Ce sera, à vrai dire, le fonctionnalisme qui le premier réussira à conférer au concept de classe un statut scientifique légitime dans l'espace de la sociologie. Le résultat viendra des efforts de plusieurs auteurs mais surtout de Talcott Parsons, théoricien par excellence du nouveau courant de pensée [37]. Nous sommes alors dans [356] les années 1950 et la conjoncture américaine a beaucoup changé depuis l'époque glorieuse de Chicago. La Grande Dépression de la décennie 1930-1940 a rendu la mobilité sociale plus difficile et favorisé l'émergence dans la société de systèmes de stratification sociale plus rigides qu'autrefois. L'immigration étrangère est maintenant contrôlée par des quotas. Sur la scène intellectuelle, la littérature sociologique se trouve fortement envahie par des auteurs européens et on lit beaucoup plus que jadis ceux qui traitent des classes sociales, à commencer par Marx et Weber. Fait révélateur : procédant à la conceptualisation théorique de la classe, Talcott Parsons et ses collègues Bendix, Lipset, Davis, Moore et d'autres ne recourent pas à l'idéologie évolutionniste comme à une référence nécessaire. Simple hasard ? Pas du tout. Les fonctionnalistes opèrent une rupture décisive, au sens de Dumont et de Bachelard, qui aurait sûrement fait bondir leurs illustres prédécesseurs s'ils en avaient été les témoins. Cette rupture marque le second moment, fort loin derrière le premier, dans la genèse du concept de classe sociale au coeur de la sociologie américaine : moment cette fois déterminant sur le plan épistémologique. L'imaginaire évolutionniste ainsi évacué [38], doit-on comprendre que la sociologie américaine aurait enfin réussi à s'affranchir tout court de l'idéologie ? Ne commettons pas l'erreur de le penser. Le fonctionnalisme émergent ramène vite à l'idéologie lorsqu'il postule la nécessité de l'adaptation fonctionnelle de toute structure dans la société globale, pour ne nommer que cette seule idée-force du nouveau paradigme. Voilà une autre étude qui pourrait être poursuivie à la lumière de l'épistémologie de Fernand Dumont.

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[1] Dans : Fernand Dumont, « La culture savante : reconnaissance du terrain », Questions de culture, I, Institut québécois de recherche sur la culture, 1981, p. 17-34.

[2] Fernand Dumont, Les idéologies, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 97.

[3] Ibid., p. 7.

[4] Milton M. Gordon, Social Class in American Sociology, Durham, Duke University Press, 1958 (1re édition : 1950), p. 8. Cet auteur résume bien le diagnostic de léthargie que posent tous les spécialistes américains des classes sociales sur une période pourtant importante de croissance touchant l'ensemble de la discipline sociologique.

[5] Fernand Dumont, Les idéologies, p. 21, 97.

[6] Fort bien rendu dans les propos suivants : « L'Amérique du Nord n'a pas d'idéologies ; elle est à elle-même sa propre idéologie. Autrement dit, elle s'éprouve comme une aventure privilégiée, dans des conditions géographiques et historiques exceptionnelles » (Jean-Marie Domenach, « Le modèle américain II », Esprit, septembre 1960, p. 1361-1362). Domenach reconnaît s'être ici inspiré du jugement suivant de l'éminent historien américain Richard Hofstadter : « Ç'a été notre destin, comme nation, de ne pas avoir d'idéologies, mais d'en être une. »

[7] Leonard Reissman, Class in American Society, Glencoe, The Free Press, 1959, p. 30.

[8] En particulier dans : What Social Classes Owe to Each Other, New York, Harper and Brothers, 1883 ; Folkways, Boston, Ginn, 1906.

[9] Dans : Pure Sociology, New York, Macmillan, 1903 ; Applied Sociology, Boston, Ginn, 1906.

[10] Dans : The Principles of Sociology, New York, Macmillan, 1896 ; The Elements of Sociology, New York, Macmillan, 1898.

[11] Dans : Human Nature and the Social Order, New York, Scribners, 1902 ; Social Organization, New York, Scribners, 1909.

[12] Charles H. Page, Class and American Sociology : From Ward to Ross, New York, The Dial Press, 1940, p. 252-253.

[13] Sur la version non darwiniste, voir : William F. Fine, Progressive Evolutionism and American Sociology, 1890-1920, Ann Arbor, UMI Research Press, 1976. Sur la version darwiniste, voir : Richard Hofstadter, Social Darwinism in American Thought, 1860-1915, Boston, Beacon Press, 1944 ; Pierre Saint-Arnaud, William Graham Sumner et les débuts de la sociologie américaine, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1984.

[14] Fernand Dumont, Les idéologies, p. 100.

[15] Sur cet enjeu idéologique crucial que nous n'analyserons pas ici, nous renvoyons à : Susan Henking, Protestantism and the Rise of American Sociology, 1890-1920, thèse de doctorat, Divinity School, University of Chicago, 1988 ; Arthur J. Vidich et Stanford M. Lyman, American Sociology : Worldly Rejections of Religion and Their Directions, New Haven, Yale University Press, 1985.

[16] Daniel Breslau, « Robert Park et l'écologie humaine », Actes de la recherche en science sociale, 74, septembre 1988, p. 58.

[17] L'espace restreint m'oblige ici à un choix : je consacrerai donc la plus large part de ma discussion à Robert Park en sa qualité de chef de file intellectuel pendant l'entre- deux-guerres.

[18] Milton Gordon, op. cit., p. 7-8.

[19] Robert C. Bealer, « Ontology in American sociology : Whence and whither ? », dans : William E. Snizek, Ellsworth R. Fuhrman et Robert K. Miller (sous la direction de), Contemporary Issues in Theory and Research. A Metasociological Perspective, Westport, Londres, Greenwood Press, 1979, p. 92.

[20] Robert E. Park, « Human ecology » (1936). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, Glencoe, Free Press, 1952, p. 157.

[21] Ernest W. Burgess, article non publié sur Park. Cité par Milton Gordon, op. cit., p. 24.

[22] Robert E. Park, « The city as a natural phenomenon » (1939). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, p. 118.

[23] Robert E. Park, « The urban community as a spatial pattern and moral order » (1926). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, p. 172.

[24] Robert E. Park, « The city as a social laboratory » (1929). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, p. 79.

[25] Robert E. Park et Ernest W. Burgess, Introduction to the Science of Sociology, Chicago, The University of Chicago Press, 2e édition, 1924, p. 559.

[26] Robert E. Park, Ernest W. Burgess, op. cit., p. 722. Park évoque la classe dès 1915 dans son célèbre programme de recherche sur la ville (American Journal of Sociology, 20, mars 1915, p. 577-612), mais c'est pour mieux lui préférer le « type professionnel » – le vendeur, le policier, le colporteur, le chauffeur de taxi, etc. – en tant que meilleur concept pour étudier les effets de la division du travail : « Les différents commerces et professions tendent, semble-t-il, à se regrouper en classes : artisans, hommes d'affaires et professions libérales. Mais, dans l'État démocratique moderne, les classes ne sont pas parvenues à s'organiser effectivement. Le socialisme, fondé sur un effort pour créer une organisation s'appuyant sur la « conscience de classe », n'a jamais réussi, sauf peut-être en Russie, qu'à créer un parti politique. C'est donc dans les types professionnels qu'elle a produits qu'on peut le mieux étudier les effets de la division du travail comme discipline, c'est-à-dire comme moyen de forger un caractère » (p. 586).

[27] Robert E. Park et Ernest W. Burgess, op. cit., p. 709.

[28] Fred H. Matthews, Quest for an American Sociology : Robert E. Park and the Chicago School, Montréal et Londres, McGill-Queen's University Press, 1977, p. 151-152.

[29] Robert E. Park et Ernest W. Burgess, op. cit., p. 708. Cette phrase ouvre une section coiffée du titre suivant, bien significatif : « Personal Competition, Social Selection, and Status » (p. 708-712).

[30] Robert E. Park, « The urban community as a spatial pattern and moral order » (1926). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, p. 165-177. Notre italique : pour mieux relever le « parfum » écologique enveloppant le concept parkien de statut.

[31] Dans un récent ouvrage, l'historienne américaine Dorothy Ross cite au complet l'énumération que dresse Park, dans son protocole de recherche urbaine paru en 1915, des types professionnels méritant selon lui l'investigation empirique : « Parmi les types qu'il serait intéressant d'étudier, il y a : la vendeuse, le policier, le colporteur, le chauffeur de taxi, le veilleur de nuit, la voyante, l'acteur de music-hall, le charlatan, le barman, le gardien chef, le jaune, l'agitateur ouvrier, l'instituteur, le reporter, l'agent de change, le prêteur sur gages ; tous ces personnages sont des produits caractéristiques de la vie urbaine ; chacun, avec son expérience et son intuition propres, son point de vue particulier, détermine la spécificité d'un groupe professionnel et de la ville dans son ensemble. » Dorothy Ross ajoute, tout de suite après, cette remarque : « Il est difficile d'imaginer une meilleure manière de dissoudre les liens de classe que cet étalage particulariste et éclectique. L'intérêt de Park pour la diversité urbaine fut réel mais il a été incontestablement placé ici au service d'une fonction exceptionnaliste libérale » (The Origins of American Social Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 362-363).

[32] Élise Marienstrass, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Paris, Maspéro, p. 78.

[33] Robert E. Park, « The bases of race prejudice » (1928). Reproduit dans : R.E. Park, Race and Culture, Glencoe, Free Press, 1950, p. 233.

[34] Robert E. Park, « The city and civilization » (1936). Reproduit dans : R.E. Park, Human Communities, p. 134.

[35] Robert E. Park, « Personality and cultural conflict » (1931). Reproduit dans : R.E. Park, Race and Culture, p. 357-371. Citation : p. 368.

[36] Alvin Gouldner, sociologue contemporain bien connu par son ouvrage The Coming Crisis of Western Sociology (New York, Basic Books, 1970), associe étroitement une telle représentation de la société globale à du « romantisme », l'une des deux structures profondes inscrites selon lui au coeur même de la théorie sociologique moderne, l'autre étant le « classicisme ». Dans For Sociology (New York, Basic Books, 1973), Gouldner développe l'argument selon lequel le romantisme, à la fois vision générale du monde et grand foyer d'imageries de toutes sortes, pousse à suspecter les systèmes formels et clos, les hiérarchies conventionnelles de nature sociale, intellectuelle ou morale et invite à penser en termes de processus, de fluidité et de pluralité, plutôt que de structure, de fixité et d'unanimité. Encore plus intéressant, l'auteur retient toute l'École de Chicago comme formant la « veine romantique » la plus pure au sein de la sociologie américaine. Son appréciation se lit ainsi : « Dans la position intellectuelle de Chicago se dissimule une espèce toute particulière de romantisme naturaliste : s'y trouve privilégié l'inusité c'est-à-dire le cas extrême à la place du cas familier ou ordinaire ; le détail ethnographique évocateur au lieu de la taxonomie terne et froide ; ce qui est sensuellement expressif à la place de l'analyse sèche et formelle ; l'observation directe, informelle, au lieu des questionnaires officiels et des expériences rigoureuses de laboratoire » (p. 344-345). L'expression « romantisme naturaliste » dans cette citation suggère peut-être l'idée que si romantisme il y a au sein du groupe de Chicago, c'est parce que s'y trouve d'abord le naturalisme évolutionniste envisageant la société comme une totalité concrète, unique et en perpétuel mouvement, grandement attrayante pour cette raison.

[37] Dans cet article en particulier : « A revised analytical approach to the theory of social stratification », dans : Reinhard Bendix et Seymour M. Lipset (sous la direction de), Class, Status and Power, Glencoe, The Free Press, 1953, p. 92-128.

[38] Pour l'heure seulement : on sait aujourd'hui qu'il devait réapparaître en force vers la fin des années 1960, sous des habits remaniés, dans la sociologie parsonienne elle-même.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 1 mai 2017 19:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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