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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Francine Saillant, “Situation des femmes et stéréotypes chez les soignants: perspectives féministes”. Un article publié dans LES FEMMES ET LA FOLIE, 5e colloque sur la santé mentale. Montréal: 30-31 mai 1980, pp. 74-76. Montréal: Corporation du Centre de santé mentale communautaire de Montréal. [Autorisation formelle accordée par l’auteure le 4 novembre 2005 et autorisation reconfirmée le 14 août 2007 de diffuser tous ses travaux dans Les Classiques des sciences sociales.]

Maria De Koninck et Francine Saillant

Mme Saillant est anthropologue à École des sciences infirmières
et chercheure au Centre de recherche
sur les services communautaires Université Laval.

Situation des femmes et stéréotypes
chez les soignants :
perspectives féministes
”.

Un article publié dans LES FEMMES ET LA FOLIE, 5e colloque sur la santé mentale. Montréal: 30-31 mai 1980, pp. 74-76. Montréal: Corporation du Centre de santé mentale communautaire de Montréal.


SUMMARY

The authors give their perception of the role of therapists. They denounce the prejudices that the latter entertain with regard to women and the sexist nature of the training of professionals. They also denounce the clinical and freudian conceptions of feminine problems and point out the limitations of individual approaches.

*  *  *  *

Pour bien situer notre approche sur la santé mentale des femmes ainsi que sur le rôle des intervenants, il nous semble important d'apporter quelques explications sur notre démarche. Nous nous sommes intéressées à la santé mentale des femmes dans le contexte global d'une réflexion sur leur santé en général. C'est en effet par le biais de la consommation de services médicaux que nous avons été amenées à nous interroger sur le recours des femmes aux services d'ordre psychiatrique. L'importance de ce recours nous a d'abord alertées. Cette information, à laquelle se sont ajoutées des données relatives aux diagnostics et aux traitements (que nous avons rendues publiques dans Égalité et Indépendance), nous a amenées à poser l'hypothèse que la situation collective que vivent les femmes expliquerait leurs nombreux recours individuels à différents services, pour des problèmes identifiés d'ordre psychologique.

Une réflexion sur les conditions socio-économiques des femmes, en terme d'ouverture proposée aux jeunes, de possibilités ou de conditions de réalisation, nous ont confirmé que les femmes sont stigmatisées dès leur enfance comme des personnes dépendantes et promues à un rôle social de second plan. Cette stigmatisation nous est apparue comme ayant des conséquences importantes sur l'équilibre personnel des femmes.

Nous ne voulons pas aujourd'hui nous attarder à définir la situation des femmes sous toutes ses facettes, mais bien plutôt préciser notre perception du rôle des intervenantes et intervenants directement impliqués.

L'étude désormais célèbre de madame Broverman (1970) et de ses collègues nous paraît très importante. On y démontrait que des psychiatres, psychologues, travailleuses et travailleurs sociaux assimilaient l'adulte sain à un homme sain et qu'ils évaluaient comme souhaitable pour un homme d'être indépendant, agressif, etc., alors que pour une femme, il était préférable d'être plutôt dépendante, etc.

Cette étude a en effet pointé du doigt la similitude des définitions véhiculées par les professionnels(es) de la santé mentale avec les modèles proposés par les agents de socialisation, modèles et définitions que nous qualifions depuis déjà quelques années de stéréotypes sexistes.

Nous croyons que de retrouver ces définitions chez ceux qui interviennent au niveau de la santé mentale revêt une importance particulière, car n'est-ce pas là que l'on retrouve la sanction de ce qui est normal par rapport à ce qui est anormal ?

Certaines femmes ont apporté des critiques relativement à ce qui est véhiculé dans la formation des professionnels de la santé. Ainsi, Mary C. Howell (1974) soulignait que dans la plupart des cours donnés en médecine, on référait au patient avec un pronom masculin. Toutefois, lorsqu'il s'agissait de maladie dont l'origine était psychologique, on utilisait un pronom féminin. Serait-ce ce type de formation qui expliquerait le recours fréquent à l'interprétation psychogénique pour les problèmes physiques vécus par les femmes ? Aux États-Unis en 1972, pour certaines maladies, on a évalué que 20% de la population féminine adulte avaient reçu des tranquillisants, tandis que les hommes recevaient d'autres médicaments pour les mêmes maladies (Weiss, 1978).

Dans une revue des livres utilisés pour la formation des gynécologues et obstétriciens aux États-Unis, Kay Weiss releva une multitude d'exemples, où les femmes sont présentées comme cherchant la douleur, puériles, éprouvant des difficultés sur le plan de la sexualité et ayant besoin plus souvent qu'à leur tour d'être référées en psychiatrie. De leur côté, Diane Scully et Pauline Bart (1973), dans une étude de 27 volumes en gynécologie, ont constaté qu'il semblait y avoir un plus grand souci pour le mari de la patiente que pour la patiente elle-même. La description du rôle des femmes s'y limitait à celui de mère et d'épouse.

Ces critiques, toutes américaines qu'elles soient, méritent une réflexion de notre part. Nous ne reprendrons pas ici la lutte que mènent depuis longtemps les femmes contre les stéréotypes des manuels scolaires et, plus récemment, contre ceux retrouvés dans la publicité. Nous sommes donc relativement surprises d'apprendre que ceux-ci se retrouvent dans les textes utilisés lors de la formation des médecins. En tout état de cause, nous n'insisterons jamais assez sur la cohérence qui existe entre d'une part les modèles de la féminité observables chez les agents de socialisation, que ce soit dans la famille, à l'école, dans les média et, d'autre part, la définition que donnent les professionnels de la santé du pathologique et du normal chez la femme. Cette cohérence idéologique entre en contradiction avec les conditions de vie concrètes des femmes, le plus souvent qu'autrement en rupture avec les stéréotypes de la féminité.

Où se retrouve aujourd'hui une femme douce, aimante, soumise et dépendante ? Les défis de la vie quotidienne n'exigent-ils pas de la femme qu'elle soit autonome et indépendante ? Cette rupture n'est-elle pas une hypothèse d'explication aux données publiées par la R.A.M.Q. en 1978, lesquelles indiquent que 66,9% des traitements psychiatriques rémunérés ont été donnés à des femmes.

Si nous poussons plus loin, nous savons, comme le Conseil du statut de la femme l'a déjà souligné, qu'on décèle une concentration marquée des femmes qui font appel aux soins médicaux sous le diagnostic névrose. Cette classification ne parle-t-elle pas en soi ? Ne vient-elle pas confirmer nos avancés à savoir que la rupture des femmes avec les attributs qu'on leur assigne les place dans une situation aliénante. La porte de sortie serait alors d'exacerber cette situation. La dépression n'est-elle pas l'expression limite de la féminité, celle que notre société cautionne, soit l'absence de contrôle et de réaction face à sa propre vie ?

Si notre hypothèse est exacte, s'il est vrai comme l'ont dit Broverman et ses collègues que dans le monde de la santé mentale, être sain c'est être homme, on peut imaginer que les réponses que trouveront les femmes à la recherche d'une aide pourront consolider leur aliénation. Simplifions par un exemple. Une femme qui n'arrive pas à répondre aux attentes et qui exprime son incapacité par la dépendance extrême qu'est la dépression, que recevra-t-elle comme secours ? Lui donnera-t-on la possibilité d'exprimer la rupture entre les attentes sociales et sa réalité, ou lui donnera-t-on des renforcements pour mieux répondre aux attentes ?

Du côté de la formation plus particulière des psychiatres et des psychologues, nous ne reprendrons pas toutes les critiques qui ont été formulées à l'égard des conceptions de la femme, si ce n'est pour souligner une fois de plus que la théorie freudienne et son utilisation ont causé quelques dégâts. Ainsi, l'importance prépondérante accordée à la biologie et au freudisme dans l'explication des problèmes d'ordre psychologique nous apparaît comme négative pour les femmes. Ainsi, dans la plupart des cas où l'on observe de tels problèmes chez un individu, on identifiera un désordre soit organique (endogène) soit intra-psychique (psychonévrose). Cette approche dénote donc une conception individualiste des soins et laisse peu de place à une analyse des problèmes collectifs.

Si, comme nous le croyons, de nombreux problèmes surgissent chez les femmes en raison de leur situation collective, comment ceux-ci seront-ils mis a jour avec une telle approche ? Il nous semble également que l'influence de la biologie et de la médecine sur l'analyse des problèmes identifiés comme d'ordre mental, amène les cliniciens à insister sur le traitement biologique, lequel n'agira que sur les symptômes. (Rappelons que les différences biologiques peuvent justifier certaines inégalités sociales si un être est considéré biologiquement inférieur à un autre.) Notre critique du discours psychiatrique et psychologique se résume donc à cette interrogation. comment, avec les conceptions actuelles, pouvons-nous être en mesure d'analyser l'aspect collectif des difficultés que vivent les femmes et y remédier ?

C'est en réaction au traitement donné aux femmes qu'est née la thérapie féministe (Carter and Rawlings, 1977). Les thérapeutes féministes ont en effet la profonde conviction que les femmes vivent une situation d'inégalité sociale et que la démarche en thérapie doit se faire en agissant sur la situation des femmes, plutôt que par une adaptation des femmes à leur situation. La thérapie féministe est politique. Elle vise un changement individuel et social. Le rapport thérapeute-cliente s'inspire de cette philosophie et se situe à un niveau égalitaire. Cette thérapie est de préférence une thérapie de groupe, avec une mise en commun et une démarche collective.

Une autre forme de thérapie s'est également développée en réaction à la thérapie traditionnelle, mais elle représente une alternative moins radicale : c'est la thérapie non sexiste. La base de cette dernière est le rejet des stéréotypes et de ce qui en découle, à savoir les traits de caractère et les râles sexués. Tout en refusant d'amener les femmes à s'adapter à leur situation, la thérapie non-sexiste ne situe pas les problèmes vécus par les femmes à un niveau politique et ne vise pas prioritairement un changement social.

Le développement de ces thérapies nous apparaît comme un grand pas en avant dans la remise en question de la condition des femmes.

Nous souhaitons toutefois proposer un objectif aux personnes qui travaillent dans cette voie. Puisque nous reconnaissons l'urgence de travailler à un changement social, ne doit-on pas viser, à long terme, la transformation de la thérapie en une action sociale ? L'analyse mise de l'avant par les thérapeutes féministes ne doit-elle pas conduire à un changement du milieu ? En ce sens, ne pouvons-nous pas souhaiter la création de réseaux dans le milieu d'appartenance, réseaux qui pourraient répondre aux personnes dans le besoin ?

Cette voie nous paraît intéressante en ce qu'elle nous permettrait d'éviter une trop grande normalisation quant aux « attentes », et elle favoriserait une abolition graduelle du rapport de pouvoir, qui risque toujours de s'installer dans la relation expert-client.

Cette approche, nous le savons, peut paraître utopique à certaines personnes et dangereuse à d'autres, en ce qu'elle remet en question la professionnalisation. Nous croyons malgré tout qu'il s'agit d'une voie à explorer et qu'une critique formulée au cours du développement de nouvelles thérapies ne peut que favoriser le maintien de l'analyse qui leur a donné naissance, et ainsi permettre que la pratique demeure étroitement liée à celle-ci.

Avant de terminer, il y a un problème que nous voulons soulever, si troublant soit-il pour nous. Tout le travail et la remise en question qui se fait dans le domaine de la santé mentale des femmes, dans le sens de la thérapie féministe, n'a pas encore abordé de front les problèmes de ceux que l'on diagnostique comme désorganisés : les psychotiques. Ne devons-nous pas de façon prioritaire amorcer, pour ces personnes, une recherche et une analyse ? Sinon comment pourrions-nous prétendre que nous avons réellement progressé ?

RÉFÉRENCES

BROVERMAN et al., 1970, Sex role stereotypes and clinical judgments on mental health, in Journal of consulting and Clinical Psychology, vol. 34, no 1, p. 1-7.

HOWELL, M., 1974, What Medical Schools teach about women, in New England, Journal of Medecine, vol. 291, no 6, p. 304-307.

RAWLINGS, E.I. et D.K. CARTER, 1977, Psychotherapy for Women, Charles Thomas Publisher, Springfield, Illinois, 477 p.

SCULLY, D. et P. BART, 1973, A Funny Thing happened on the way to the orifice : Women in gynecology text books, in American Journal of Sociology, no 78, p. 1045-1050.

WEISS, K., 1978, What Medical Students learn about Women, in Dreifus, Claudia, Seizing our Bodies, Vintage Books, New York, p. 212-222.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 15 février 2011 12:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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