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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jude Sahaï, “De l'immigration tamoule à la Guyane”. Un article publié dans la revue CARBET, no 9, 1989, pp. 101-108.

 JUDE SAHAÏ

JOURNALISTE ET CHEF D’ANTENNE À RCI GUEDELOUPE 

DE L’IMMIGRATION TAMOULE
À LA GUYANE
”. 

Un article publié dans la revue CARBET, no 9, 1989, pp. 101-108.

 

La Guyane française, pays à faible densité humaine, a toujours nécessité une main d’œuvre abondante pour sa mise en valeur. Dès 1762, envisageant la fin de la guerre de sept ans opposant la France et l’Angleterre, Choiseul, Ministre de la Marine et des Colonies, envoyait une mission étudier le pays pour voir si on pouvait y planter du coton « afin d’en fournir la France en qualité assez supérieure pour y remplacer les mousselines qu’on tire des Indes dont on ferait venir des ouvriers pour en montrer la fabrication ». Ce projet n’eut pas de suite. On fit bien une tentative de colonisation blanche de la Guyane, mais elle se solda par un échec total (1763-1764). 

En 1771, le Ministre de la Marine ordonnait à Pierre Poivre d’envoyer au gouverneur de Cayenne « une certaine quantité de graines fraîches et de plants de girofliers, canneliers et muscadiers, avec un mémoire instructif sur la manière de les cultiver et sur le choix du terrain qui leur convient ». Les épices arrivèrent en Guyane en février 1773, et le succès immédiat laissa à penser que ce pays allait changer de face. Mais les vicissitudes de l’Histoire allaient bouleverser l’économie de la Colonie. 

On espéra alors trouver des travailleurs aux Indes, « où les malabars sont au faîte de la culture et de la préparation des épiceries », et le 3 février 1821, le Ministre de la Marine demandait au Comte Dupuy, Gouverneur des Etablissements français des Indes « …si on peut compter qu’une certaine quantité de familles de la côte de Malabar et de Ceylan consente à venir s’établir à la Guyane sur des terres qui, après avoir été mises en valeur par leur soins, leur appartiendraient en toute propriété ».Le Gouverneur répondit que « le projet d’introduire les hindous en Guyane est simple et facile, à condition d’employer des gens étrangers à l’ Administration ». La situation économique se détériorant, l’idée, là encore, n’eut pas de suite. 

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, la question de la main d’ œuvre se posa de façon cruciale dans toutes les colonies. Le Gouvernement envisagea l’immigration de travailleurs libres, et les décrets-loi des13 février 1852 et 27 mars de la même année fixèrent leurs conditions d’introduction. 

Pourtant, c’est une circonstance fortuite qui permit à la Guyane de recevoir des immigrants tamouls. En effet, le 9 juin 1855 au petit matin, le trois-mâts français « Sigisbert-Cézard » se trouve en difficulté au large des côtes de la Guyane, avec 800 personnes à bord, et est contraint de débarquer des travailleurs tamouls destinés à la Guadeloupe. Une fois à Cayenne, ils furent répartis sur différentes plantations. Félix Coüy, l’un des grands prospecteurs de l’endroit, en récupérera douze des plus valides. 

À partir de cette date, des contrats furent passés pour introduire en Guyane 1 000 coolies par an. Des principaux ports d’embarquements – Karikal, Pondichéry, Madras – les navires font route vers la pointe sud de Madagascar, longent les terres de l’Afrique australe, contournent le Cap de Bonne Esperance avant de relâcher à l’île de Sainte-Hélène pour y embarquer des vivres frais, voire y déposer des malades. De là, passés les calmes équatoriaux, l’alizé les mène directement vers les Antilles et la Guyane. Pour que la traversée soit la plus aisée possible, les capitaines de voiliers faisant le « coolie-trade » doivent tenir compte d’un impondérable météorologique essentiel : la mousson du sud-ouest. L’émigration à partir des côtes indiennes n’est donc possible que des premiers jours d’octobre à la mi-mars. 

Pour affronter une aussi longue traversée, le navire de l’émigration doit être reconnu en parfait état de navigabilité, à la suite de trois visites successives auxquelles prend part un médecin. Le bâtiment est donc préalablement visité par une commission composée du Capitaine de port, du Commissaire à l’émigration, du Consul d’Angleterre, du Commissaire de l’ Inscription Maritime, d’un Capitaine expert, d’un charpentier de marine et d’un médecin. 

La seconde visite, celle de la commission sanitaire proprement dite, a pour but de contrôler l’aménagement du bateau, l’hôpital, la cuisine, les lits de camp, etc. La place allouée à bord à chaque engagé est de un mètre carré soixante-dix par adulte, et il interdit d’emporter plus d’une personne par tonne et demie de jauge brute. 

En une troisième visite, la commission passe en revue les réserves d’eau et les vivres frais ainsi que les conserves, cela sous la responsabilité du médecin qui partira accompagner le convoi d émigrants. 

Les capitaines ne doivent embarquer aucun travailleur volontaire sans un certificat du médecin du dépôt où demeurent obligatoirement les émigrants dans une sorte de quarantaine en attendant l' appareillage. Ce certificat doit attester qu'il n 'existe dans le « Bazar » aucun cas de dysenterie, de choléra ou de toute autre maladie épidémique. Alors, le chirurgien-navigant du navire en partance se rend lui même dans ce dépôt pour une ultime vérification de l'état de santé de chacun des partants. Il peut encore refuser le départ de ceux qui lui paraissent inaptes au service pour lequel ils s'engagent. 

L'assistant du chirurgien-navigant est le lieutenant chargé de la nourriture et de la cambuse. Il est responsable de l'arrimage et de la conservation des vivres, et a directement sous ses ordres le mécanicien chargé du bon fonctionnement du « condensateur », appareil permettant la distillation de l'eau nécessaire à la consommation journalière de l'équipage et des futurs immigrants. Le médecin dispose également d'un interprète. Des chefs de groupe (mestry, sirdar) assurent la distribution des vivres et de l'eau. Des travailleurs de basse caste, les « topazes », s'occupent de la salubrité générale. 

Les contacts réguliers du médecin avec les émigrants lui permettent d'être au courant de bien des choses sur l'état psychologique des passagers, et ses avis, en dehors de ses préoccupations médicales, sont souvent de précieuses informations pour le capitaine (appréciation, par exemple, des risques de mutinerie). 

Le chirurgien-navigant de l 'émigration perçoit une solde fixe égale à celle du premier lieutenant. Mais il reçoit, en plus, une prime de bonne arrivée, basée sur l'état sanitaire du bord au débarquement. Cette prime varie de douze à vingt-cinq francs par coolie débarquant en bonne santé. 

Moins stricte que sur les navires négriers, la discipline à bord des navires de l'émigration tamoule n'en est pas moins sévère. Les passagers dorment dans des lits de camp, sur des nattes ou parfois sur de la toile de jute grossière; mais certains navires fournissent toutefois « un petit rondin de sapin en guise d'oreiller »... 

L'évacuation des pièces où les coolies ont dormi est obligatoire dès que le pont est sec, c'est-à-dire environ deux heures après le lever du soleil. Les volontaires ayant participé au lavage du pont reçoivent chacun six centilitres d'alcool. 

Le déjeuner est sonné à onze heures du matin, et le dîner à seize heures. La durée des repas est de 35 minutes, au bout desquelles les passagers vont boire l'eau distillée qui est acidulée pendant les heures chaudes de la journée avec du jus de citron, pour les prémunir du béri-béri et du scorbut. Pour tuer le temps, les uns prennent part à la bonne marche du navire, organisent des jeux, célèbrent des mariages ou des naissances, chantent les louanges de ceux qui meurent ou se révoltent contre les exactions de certains capitaines. Les premiers bateaux utilisés pour le transport des coolies sont des voiliers. Ils sont en teck (bois imputrescible), ce qui leur assure une durée d'utilisation remarquable. Construits vers 1815 pour certains, ils naviguent encore à la fin du siècle. C'est le cas du « Thomas Sandbach ». Plus tard, seront conçus des navires à vapeur munis d'installations assurant un meilleur confort aux passagers. 

Un équipement indispensable sur ces « coolies-ships » destinés à assurer de longues tra-versées pour plusieurs centaines de personnes, est l'appareil à distiller l'eau, évoqué précédemment. Il fut mis au point en 1840. Confié au mécanicien, allumé jour et nuit, il noircit la grand-voile mais peut fournir de 1200 à 1500 litres d'eau potable par vingt-quatre heures. 

Le « Réaumur », trois mâts de 555 tonneaux qualifié de bateau « en très bon état,...où l'air circule bien » qui appartenait à la C.G.M de Bordeaux, et le « Parmentier » de 575 tonneaux pour 522 personnes et qui pouvait distiller 1400 litres d'eau de mer par jour (soit de quoi assurer une ration de deux litres d'eau douce par jour et par personne), furent spécialement aménagés pour le « coolie-trade ». 

Pour permettre l'introduction des immigrants à Cayenne, le gouvernement payait à la compagnie de navigation 385 francs pour le frais de transport d'un adulte et 185 francs pour ceux d'un enfant. De plus, le capitaine du navire percevait à titre de prime, 129 francs par adulte et 103 francs par enfant de dix ans et moins. Notons que cette prime ne devait être payée qu'à Cayenne, après le débarquement; probablement dans le but d'inciter le capitaine à bien traiter ses passagers. 

À l'individu accepté comme immigrant en Guyane, on offrait un contrat en vertu duquel il aurait droit à une prime d'engagement de 300 francs pour sept années, de 250 francs pour six années, et de trente francs pour un an seulement. Les garçons de dix à seize ans et les filles de dix et onze ans recevaient la moitié de la prime de l'adulte. De plus, le transport de rapatriement était gratuit, et une avance de 50 francs était faite. Arrivée à Cayenne, il serait nourri, logé, habillé et percevrait un salaire mensuel de 12,50 francs... 

L'immigrant enrôlé voyait s'éloigner les côtes de l'Inde pour atteindre les rivages des Amériques, après une traversée de 90 jours en moyenne. En 1872, le navire anglais « Inverllan » put relier Pondichéry à Cayenne en 76 jours, alors que, quelques années auparavant, il avait fallu 111 jours au « Parmentier » pour faire le même trajet. 

Sur les « navires à coolies », le taux moyen de mortalité était de 2,7%, mais les statistiques variaient parfois considérablement d'un navire à l'autre. Parmi les 550 passagers du « Réaumur »- 364 hommes, 117 femmes et 69 enfants - , il y eut 12 décès : 6 hommes, 3 femmes et 3 enfants en bas age. Ce navire est arrivé à Cayenne le 3 novembre 1860, après une traversée de 97 jours. Il n'obtint la « libre pratique » que le 19 novembre, quand on se fut assuré qu'aucun de ces passagers n'était atteint de variole. Le directeur de l'Intérieur, après avoir reçu le rapport « Commissaire spécial de l'immigration », était chargé de pourvoir à tout ce qui était nécessaire aux immigrants-logement, habillement, nourriture.De plus, il devait les placer chez les propriétaires de la Colonie. 

N'était cessionnaire que le propriétaire agréé par l'administration, qui pouvait fournir bonne et valable caution, et qui était capable de rembourser en trois annuités la somme comptée à l 'immigrant comme avance, c'est-à-dire 260 francs. Il était remis également à l'immigrant, un livret côté et paraphé par le chef du bureau des domaines, et sur lequel était inscrit l'habillement auquel l'intéressé avait droit pour une année, soit pour les hommes: 

- une chemise de laine et deux chemises d'étoffe légère,
- deux pantalons en toile bleue,
- un bonnet de travail et un chapeau de feutre. 

Aux femmes, on donnait : deux jupes et deux mouchoirs de coton. Pour le couchage, les engagés recevaient : une couverture en laine qui devait durer trois ans, une moustiquaire quatre ans et quatre nattes par an. Les effets détériorés ou perdus par le fait des « coolies » étaient remplacés à leur frais, s'ils en faisaient la demande. 

Sur le domaine de « la Gabrielle » où on cultivait les épices, le coolie engagé devait percevoir un salaire augmenté de 3%, et le mestry chargé de la conduite d'une escouade de travailleurs recevait un supplément de 3 à 5 francs par mois. 

Dans un premier temps, seule la moitié du salaire était payée mensuellement. Le reliquat était réglé six mois après. L' engagé recevait ensuite des mensualités complètes. Il est à noter que le coolie avait déjà droit- théoriquement du moins- à une forme de sécurité sociale. En cas de maladie, il devait être traité aux frais du Gouvernement, soit sur le domaine ( c' était le cas de « la Gabrielle » où il y avait un dépôt de médicaments courants), soit dans les hôpitaux de la Colonie. Par contre, il n'avait droit à aucun salaire pendant ses jours de maladie. 

En réalité, la condition des coolies n'était guère enviable. 

Malgré tous les soins prodigués en partance pour la Guyane, tous les encouragements pécuniaires, l'immigration indienne connut un échec lamentable. Si en 1864 le « Nicolas Poussin » ne débarquait que 5 malades sur 250 hommes et femmes, six mois plus tard, 80 d'entre eux étaient envoyés à l'hôpital de la plantation « La Jamaïque », et une dizaine furent transférés à Cayenne pour des soins urgents. Dès leur arrivée, ils étaient acheminés vers les différents chantiers au lieu d'être affectés aux travaux agricoles comme le stipulait le contrat. Trompés, travaillant sous un climat malsain, mal nourris, atteints par la malaria, certains osèrent se révolter contre la condition qui leur était faite. Mais les plaintes des Indiens se heurtèrent à l'indifférence, à la sévérité des syndics, des officiers de police et des magistrats à leur égard. 

Le « Journal d' Outre-Mer », dans son numéro du 13 juillet 1875, décrit la triste condition des indiens employés dans les mines d'or de Guyane. A la suite de la parution de cet article, lord Lyons est chargé d'émettre «  a strong remonstrance » auprès du gouvernement français. Le sous-secrétaire du gouvernement britannique de l'Inde, George Hamilton, fait pour sa part savoir qu' à moins d'une amélioration de la situation des Indiens en Guyane française, les autorités de l'Inde suspendront l'émigration à destination de cette colonie. Auparavant, le 31 décembre 1874, le consul britannique avait adressé au « foreign office » le récit d'un voyageur qui a « ...watched a whole string of the wretched creature huddled up together in rags, the sores of their bodies visible throught the rents, many of them with upon them and chewing raw salt-fish ». En 1875, Victor Schoelcher affirmait que la mortalité des Indiens s'élevait à 50%. Les anglais contraignirent alors les Français à sauvegarder la vie des contractuels. La mortalité tomba aussitôt à 8% environ, taux double de celui du Surinam, colonie hollandaise voisine. 

Pourtant, à Cayenne, existait à l'époque un syndicat protecteur des immigrants, composé du Procureur, d'un homme de loi, d'un conseiller municipal, et chargé de recevoir leurs dolé-ances. Lorsqu'en 1877, la Chambre de Commerce de Cayenne demande la suppression des tournés d'inspection effectuées chaque année par un inspecteur, un médecin, un officier de gendarmerie et un interprète, le consul anglais Wooldrige fit remarquer que l'adoption d'une telle mesure permettrait aux planteurs et aux industriels de traiter les coolies comme de véritables esclaves sans qu'on ne le sache jamais. Le Gouvernement de la Guyane le rassura alors en ordonnant le maintien des tournées d'inspection. 

Alors que le contrat stipulait qu'ils seraient exclusivement employés aux travaux agricoles, beaucoup d 'Indiens furent en fait astreints aux rudes labeurs de l'exploitation des mines d'or, où de temps à autre, comme en 1890, les éboulements de tunnels mal étayés les ensevelissaient. Au terme de son contrat, le coolie fut souvent réengagé contre son gré, l'administration de Cayenne n'organisant qu' occasionnellement des convois de rapatriement. Leurs conditions ne s'améliorant pas, les travailleurs résistèrent. Ils participèrent aux grèves, se révoltèrent et se suicidèrent, affaiblis par la malnutrition, le manque de soins, les sévices. Le suicide, rappelons-le, est une arme pour l'hindou qui y voit non un acte négatif d'auto-destruction mais un geste positif accompli en vue de l'obtention d'un fruit. Dans son ouvrage sur le suicide, E. Durkheim voit en Inde la terre du suicide altruiste : le sujet répond, non à une exigence intérieure, mais à un devoir que la société lui impose en certaines circonstances, engageant l'honneur du groupe auquel il appartient. Cette utilisation de l'auto-sacrifice comme moyen de pression contre l'exploiteur en Guyane est typique de l'état psychologique de l'immigrant : extrême dévalorisation de l'existence, jointe au désir pour ces hindous de se délivrer du cycle des renaissances, parce que ne pouvant plus pratiquer sereinement leur religion. Les documents officiels font état d'un véritable génocide. 

De 1855 à 1877, il a été introduit en Guyane, en vingt convois, 8472 Indiens des deux sexes. En 1885, le nombre total des rapatriés s'élevait à 1368 ( 1184 rentrés aux Indes et 184 transférés à la Guadeloupe). Au 1er janvier de la même année, il ne restait plus en Guyane que 2931 coolies des deux sexes, 2483 immigrés et 448 nés dans la colonie. Donc 4621 Indiens immigrants étaient morts en Guyane en l'espace de vingt ans, ce qui représente plus de la moitié de ceux qui avaient débarqué. Fernand Hue a recherché les raisons de cette hécatombe, et dans son livre « La Guyane Française » paru en 1886, il souligne le comportement des Indiens : 

« Dès leur arrivée en Guyane, ils étaient acheminés vers les « placers ». Trompés, ils ne pouvaient plus repartir. Beaucoup d'entre eux, découragés, avec le mépris de la vie et de la douleur qui caractérise les hindous, se suicidaient facilement. Pour éviter de travailler dans des conditions d'exploitation aussi atroces, ils se faisaient souvent des écorchures sur lesquelles ils appliquaient pendant plusieurs heures une pièce de monnaie, trempée dans de l'eau salée. Avec un éclat de bois, ils élargissaient encore la plaie qui en forêt s'infecte rapidement ; ou bien ils se rendaient aveugles en s'introduisant une solution de chaux sous la paupière. Dans de telles conditions, dysenterie et fièvres diverses faisaient aisément des ravages ». 

En janvier 1875, la « Compagnie du Matarony », envoya le docteur François pour visiter les infirmeries des placers. Il protesta auprès de la Direction contre le fait que seules quatre infirmières étaient chargées de 330 coolies répartis sur deux placers éloignés du « central » de quinze kilomètres. Il n'est guère tendre envers ces femmes qui, selon lui, « ne connaissent rien aux malades, ni aux maladies et se contentent de vendre à des prix exorbitants des objets de pacotille, ne soignant pas les plaies et ne changeant pas le linge » 

Sur les plaies elles versent du baume de copahu, du tafia camphré et de l'infusion de quelques plantes du pays. La vermine et la pourriture s'installaient rapidement.Le docteur François fut obligé d'effectuer vingt amputations qui auraient bien pu être évitées si les malades avaient été correctement soignés. Il fit construire des hôpitaux propres, nettoyer et aseptiser les plaies cautérisées et changer fréquemment les pansements. Ses résultats furent spectaculaires : 103 décès au cours du premier trimestre 1875, 10 le suivant et aucun au cours du troisième trimestre. 

Sur les chantiers, les Indiens s'efforçaient de perpétuer les cultes de leur pays d'origine, mais leur isolement par petits groupes en zone de forêt et les déplacements fréquents que nécessitait la recherche de l'or, gênaient l'organisation de la vie religieuse. Ainsi, à l'opposé des travailleurs des plantations antillaises, l'édification des temples, de sanctuaires – lieux de fixation du sacré s'avérait problématique. 

Devant l'importance du taux de mortalité, le Gouvernement de Madras interdit l'émigration indienne en octobre 1876. Cette décision fut confirmée par le Gouvernement de l'Inde le 12 juillet 1877. Cette mesure provoqua l'indignation de nombreux planteurs et chercheurs d'or. Mais elle fut bien accueillie par les adversaires de l'immigration indienne et notamment par Victor Schoelcher qui déclara à ce sujet : « Est-on vraiment bien venu à reprocher à l'Angleterre ses ruineuses tracasseries et à se plaindre qu'elle ait fini par interdire l'immigration de ses sujets Indiens vers une colonie qui s'inquiète si peu des diverses clauses de la convention qu'elle a souscrite pour les obtenir? » 

Ainsi, pressentis comme ouvriers spécialisés dans la culture du coton après la guerre de sept ans, engagés agricoles après l'abolition de l'esclavage, les immigrants tamouls furent en définitive affectés essentiellement dans les mines d'or où ils furent décimés dans la plus totale indifférence des autorités coloniales. Les registres de décès, les rapports médicaux révèlent que syphilis, paludisme, dysenterie et béri-béri ont été les causes principales de la mortalité.

Surexploités par les engagistes, les travailleurs Indiens n'intégraient l'hôpital que quand ils n'étaient plus d'aucun rendement, c'est-à-dire le plus souvent pour y mourir. 

La politique coloniale française, liée aux intérêts du puissant lobby sucrier, et, pour le cas de la Guyane, à ceux des exploitants de concessions aurifères, ne faisait guère cas du sort des immigrants. 

Cette attitude française, conjuguée aux contradictions d'intérêt entre la France et l'Angleterre, aboutit à l'interdiction par le gouvernement britannique de l'immigration indienne. 

Aujourd'hui, les descendants des survivants de l'immigration tamoule à la Guyane se sont fondus, par le biais du métissage et du fait de l'acculturation, dans l'ensemble de la population guyanaise. Ne persistent de cet apport que quelques traces qui affleurent parfois, ça et là, dans les phénotypes, la culture ou la toponymie. En témoignage cette « crique-à-coolie » où l'on découvrit une pépite d'or de onze kilos...

 

Jude SAHAÏ

Rédacteur en chef du magazine guadeloupéen « SOLEIL INDIEN »  

 

Bibliographie

 

Archives de la France d' Outre-mer / Guyane C56 F4. 

Archives Nationales / Colonies C14 Rég.40. 

Archives Nationales / Marine « Faits et décisions de l'administration des colonies depuis 1757 ». 

J. CHAÏA, « À propos de l'immigration tamoule en Guyane française » dans « Bulletin de l' Ecole Française d' Extrême Orient » tome LX, pp. 49-54, 1973. 

E. DURKHEIM, Le suicide, P.U.F. Paris, rééd. 1979. 

S.W. MINTZ « Indiens de l'Inde aux Antilles », "L'Homme" 1973 Volume 13 Numéro 4 pp. 142-146 

J. PETOT, « L'or de la Guyane », Editions Caribéennes, Paris, 1988. 

SINGARAVELOU, «  La politique coloniale française et les minorités indiennes dans la Caraïbe », dans «  Asie du sud, traditions et changements », C.N.R.S., 7P., Paris 1978. 

J. WEBER, « Les établissements Français en Inde au XIX siècle, (1816-1914) », Librairie de l'Inde, 5 tomes, Paris, 1988.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 2 septembre 2008 20:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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