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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Droit des minorités et des peuples autochtones. (1996)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Norbert Rouland, Stéphane Pierré-Caps et Jacques Poumarède, Droit des minorités et des peuples autochtones. Paris: Les Presses universitaires de France, 1996. Une édition numérique en préparation par Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 janvier 2011 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]


[9]

Introduction

L'archipel planétaire *

« L'un des plus grands et peut-être le principal fondement des Républiques est d'accommoder l'estat au naturel des citoyens, et les édits et les ordonnances à la nature des lieux, des personnes et du temps [...] qui fait aussi qu'on doit diversifier l'estat de la République à la diversité des lieux, à l'exemple du bon architecte qui accommode son bâtiment à la matière qu'il trouve sur les lieux. »
J. Bodin, La République, V- I, (1576).


1 LA LONGUE QUÊTE DU SENS. – Qui sommes-nous ? Le juriste se trouve aujourd'hui confronté à cette question, jadis réservée aux philosophes. Jaillie de la conscience réflexive de l'homme et de la quête d'un sens à son existence, elle a suscité diverses réponses, façonnées par l'histoire. Les sociétés chères aux ethnologues se définissaient volontiers comme « les hommes par excellence, les bons, les complets » (Inuit, Yanomami), et traçaient souvent au plus près les frontières de l'humanité. En résultaient des conflits, parfois celés par les ethnologues [1], et fréquemment exagérés par les propagandistes de la « paix blanche ». Mais ces sociétés savaient aussi passer outre leur propre ethnocentrisme : échanges de dieux, de conjoints et de biens les projetaient hors d'elles-mêmes, dans le grand jeu de l'alliance. Vint le temps des monothéismes : l'homme trouvait sa source en un Dieu créateur, et son destin dans la Révélation (pour les chrétiens, il était même fait à son image). Mais la croyance en un Dieu unique peut tout autant exclure qu'universaliser : les Juifs étaient le « peuple élu » ; longtemps l'Église catholique enseigna qu'hors d'elle le salut était impossible ; l'islam hiérarchise les hommes en fonction de leurs croyances religieuses.

Aujourd'hui, les droits de l'Homme font figure de nouvel univer-[p. 10] salisme : certains droits se retrouvent en tout homme, ce qui fonde partout l'obligation des États à les respecter et permettre leur épanouissement. Cette auto-limitation de la puissance souveraine caractériserait particulièrement les États de droit. Nourrie par la tradition française, cette aspiration se heurte à plusieurs obstacles. Tout d'abord le constat d'une autre universalité : celle du mal que l'homme peut infliger à ses semblables. Longtemps on voulut tout expliquer par la démesure de l'Occident et les méfaits du colonialisme. Mais en notre siècle, nous savons depuis les génocides du Cambodge et du Rwanda que l'horreur (au Rwanda, on crucifia des enfants) est possible partout, et en dépit de religions et philosophies basées sur l'amour du prochain (le Rwanda est majoritairement chrétien) et la compassion (le Cambodge est bouddhiste). Ensuite, cette idéologie universaliste n'est pas universelle. Passe encore que dictatures et régimes autoritaires invoquent la différence « culturelle » pour tenir à distance les droits de leurs peuples : cette fausse monnaie intellectuelle pèse peu de poids. Mais il y a plus sérieux [2]. Comme l'écrit C. Lévi-Strauss : « Les grandes déclarations des droits de l'homme ont, elles aussi, cette force et cette faiblesse d'annoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l'homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s'expliquent eux-mêmes en fonction d'une situation strictement définie dans le temps et l'espace » [3]. L'unité de l'homme, en laquelle croira volontiers tout anthropologue s'il est fidèle à la qualification de sa discipline (anthropologie signifie discours sur l'Homme dans sa généralité), ne peut apparaître qu'au prix d'une navigation difficile entre deux écueils. Celui de l'uniformité : reconnaître que tous les hommes sont égaux ne postule pas qu'ils soient partout identiques ; l'assimilation peut provoquer les fermetures identitaires qu'elle cherche à éviter (nous verrons que l'État-nation est une matrice de minorités). Celui de l'hétérogénéité : l'autonomie reconnue aux spécificités culturelles ne peut être que relative, surtout dans un monde vibrant des flux migratoires. Exacerbée, elle conduit aux conflits, et réintroduit l'iné-[p. 11] galité et l'oppression sous le masque du droit à la différence. Le monde n'est pas devenu le village global cher à Mac Luhan. À sa place apparaît un archipel planétaire : qui veut y naviguer doit en suivre les détroits. Le présent ouvrage convie à ce voyage. Car les revendications actuelles des minorités et des autochtones invitent à définir l'équilibre entre l'unité de l'homme et la diversité des expressions de ses droits et devoirs. Plus encore, elles nous incitent à approfondir des notions que nous croyions acquises. La démocratie ne se résume-t-elle qu'en la souveraineté du nombre ? Dans ce cas, il faut admettre que le processus électif peut conduire à la dictature (les nazis sont arrivés au pouvoir avec la majorité relative des suffrages, et c'est encore le cas aujourd'hui de nombreux régimes autoritaires). On préférera penser qu'elle consiste surtout dans des valeurs de tolérance et de dialogue, dont le sort réservé aux minoritaires peut être une aune. La démocratie est-elle liée au développement économique ? Pour bien des peuples autochtones, le développement fut le vecteur de leurs ethnocides, et de leur prolétarisation. Pour mieux valoriser l'individu, la démocratie doit-elle toujours en faire un être sans appartenances ? La vie quotidienne nous montre que, sauf pour notre malheur, nous ne sommes jamais complètement isolés. Chacun de nous possède plusieurs groupes d'appartenance (famille, métier, associations volontaires, région, nation, etc.). L'exercice de notre liberté comme la protection de nos droits peuvent résulter de nos utilisations de ces solidarités multiples, voire de leur rupture : c'est une des hypothèses les plus fécondes des théories du pluralisme juridique. L'histoire politique nous montre par ailleurs que la démocratie suppose non seulement que l'individu soit représenté, mais représentable. La démocratie est advenue lorsque les individus ont pu fonder leurs revendications sur l'existence et l'action de puissants acteurs sociaux organisés de façon autonome. Au contraire elle est faible ou inexistante quand l'État les constitue ou contrôle [4]. Enfin, on notera que contrairement à une présentation médiatique qui, surtout en France, assimile mouvements identitaires et conflits, minorités et autochtones traduisent en termes juridiques leurs revendications politiques. Si l'appel au droit signifie l'accès à un langage commun, si le droit lui-[p. 12] même vise fort souvent à établir des armistices sociaux, le juriste ne peut se voiler la face et les rejeter dans le silence des lois, au risque de réveils fort difficiles.

C'est pourquoi nous avons entrepris de rédiger ce manuel : une tâche apparemment impossible.

2 L’IMPOSSIBLE MANUEL. – Un manuel de droit des minorités et des peuples autochtones était jusqu'ici peu concevable [5]. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, on se souvient que les minorités ont servi de prétexte au déclenchement du conflit. Mais surtout on croit que les droits de l'Homme et le développement économique vont homogénéiser les sociétés. De plus, la généralisation de l'économie de marché ajustera la standardisation de la demande à celle de l'offre. Du côté du bloc socialiste, la construction de l'homme nouveau balaiera la poussière des particularismes archaïques. Dès le début de l'époque stalinienne, les peuples autochtones de l'URSS subissent une politique déterminée d'effacement de leurs structures sociales et croyances religieuses, dont on constate aujourd'hui l'efficacité. Cependant, les rares propositions de reconnaissance des droits des minorités en ces années viendront après la guerre de ce côté-là du rideau de fer, notamment – ironie du sort – de Yougoslavie. Mais les pratiques seront autres, et le socialisme réel ne fera guère de cadeaux aux minorités et autochtones. Ainsi ceux-ci devraient-ils s'incliner devant l'inexorable progression du marché, ou de l'Histoire, évidemment pour leur plus grand bien. Nous savons que cet avenir radieux ne fut pas le leur et que ni les multinationales, ni les dictatures communistes ne les ont balayés. On verra dans ce livre comment depuis [p. 13] vingt ans le droit international et plus récemment le droit européen ont commencé à se faire l'écho de ces résistances.

Mais la France n'est pas l'ONU, et la tradition républicaine se refuse à accorder aux minorités et autochtones le visa d'entrée dans la cité du droit. Les mots célèbres du comte de Clermont Tonnerre prononcés il y a deux siècles devant la Constituante résonnent encore : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus [...] il faut qu'ils ne fassent plus dans l'État ni corps politique, ni ordre ; il faut qu'ils soient individuellement citoyens. » Dès lors n'y a-t-il pas scandale à parler pour la France d'un droit des minorités ? Pour beaucoup certainement : nous avons pris le risque de déplaire. Mais la France est affrontée à des problèmes nouveaux, jaillis des brassages migratoires, ou formés dans ses collectivités périphériques (Corse et outre-mer). Et l'on peut se demander si le flamboiement des principes républicains ne dissimule pas des évolutions profondes de sa tradition [6] : l'hypothèse vaut d'être vérifiée, sans romantisme ni rigidité.

Un tel manuel est donc devenu possible, et en tout cas souhaitable. Celui que nous avons réalisé n'en présente pas moins de sérieuses lacunes, que d'autres combleront.

L'Occident se trouve ici privilégié, non sans excuses, alors que minorités et autochtones parsèment le monde entier. Nous avons étudié l'histoire des minorités dans les civilisations de l'Antiquité et essentiellement en Europe, nous efforçant cependant de faire route au-delà, vers l'Islam et la Chine. D'autres pensées de l'altérité existent, mais une synthèse ne nous a pas paru encore possible, peut-être à tort. Quant au droit positif, nous avons considéré, conformément à l'unanimité des avis, que les immigrés ne bénéficiant pas de la nationalité du pays d'accueil n'étaient pas justifiables d'un droit des minorités : les sociologues nous le reprocheront, peut-être à juste titre. Quant aux peuples autochtones, on parlera beaucoup de ceux des pays développés (Amérindiens d'Amérique du Nord, Aborigènes [p. 14] d'Australie, Maoris de Nouvelle-Zélande, Lapons [Saame] de Scandinavie), qui représentent seulement 1,4% des trois cents millions d'autochtones aujourd'hui dénombrés. Non par ethnocentrisme. Mais c'est à eux que la cause autochtone doit jusqu'ici ses percées les plus profondes là où s'élabore le droit international. Enfin, cet ouvrage souffre d'une grande absence : celle de l'Afrique.

3 L'ÉNIGME AFRICAINE. – Si l'on se réfère à un ouvrage récent sur les peuples autochtones [7], l'Afrique compterait 14 300 000 autochtones : 8 millions en Afrique du Nord et de l'Ouest (dont les Touareg), 6 en Afrique du Nord et de l'Est (dont les Masaï) ; 200 000 en Afrique centrale (Pygmées), 100 000 en Afrique du Sud (San). La plupart sont des pasteurs nomades. Mais nombre d'entre eux sont devenus des réfugiés, en butte à la politique agressive d'États désireux de les fixer pour mieux pouvoir les contrôler, et de les sédentariser, condition jugée nécessaire au développement économique.

En tout cas, le silence des États africains sur ces populations est énigmatique. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (1981) ne souffle mot des minorités, et encore moins des autochtones, semblant vouloir confondre minorités et majorités dans la notion de peuple. Même silence lors de la préparation de la Convention 169 de l’OIT (1989) sur les peuples indigènes et tribaux. Dans l'étude commanditée par l'ONU sur les discriminations à l'encontre des populations autochtones dans le monde, le Rapporteur J. R. Martinez Cobo a dû écarter ce continent faute de renseignements suffisants, tout en pensant qu'il abritait bien des autochtones. L'explication politique est ici évidente : les États africains sont fermement déterminés à éviter toute consécration juridique de revendications qu'ils jugent dangereuses [p. 15] pour leur unité territoriale, et répriment avec rigueur les activités des groupes qui pourraient les exprimer.

Mais il y a des causes plus profondes, de nature historique, rendant difficile l'utilisation de nos grilles de lecture habituelles. Nous verrons plus loin que l'Afrique des ethnies est en partie un placage colonial. Mais il se pourrait que la notion d'autochtone lui soit difficilement applicable. Dans les États du Premier Monde, la distinction entre autochtones et société dominante est relativement claire : il y a des peuples fondateurs, et les Européens. Mais en Afrique, cultures et peuplements sont beaucoup plus imbriqués. Comme le suggère J.-L. Amselle [8], mieux vaudrait distinguer à l'époque précoloniale entre sociétés englobantes et englobées. Les premières sont les États, empires, royaumes et chefferies qui ont la maîtrise la plus assurée de l'espace. Les autres sont les sociétés d'agriculteurs, qui ne se reproduisent qu'à l'intérieur des territoires qu'ont bien voulu leur concéder les États, au prix de divisions internes ou de migrations (Dogons réfugiés sur la falaise de Bandiagara). Lors de la colonisation, de nouvelles répartitions s'opèrent. Et après les indépendances, le recrutement du personnel politique reproduit assez souvent les anciens clivages précoloniaux, et les sociétés englobées deviennent des minorités. Un autre critère s'ajoute à ce dernier, sans y correspondre nécessairement : celui du genre de vie et des valeurs culturelles. Les aristocraties urbaines sont souvent issues des populations rurales, avec lesquelles elles n'oublient pas de privilégier certains liens.

Mais ces notables ont pour le moins une double culture, et leur occidentalisation est importante.

Il existe donc un particularisme africain qui nécessiterait sans doute une réorganisation des outils conceptuels que nous utiliserons dans cet ouvrage. C'est pourquoi nous avons préféré ne faire allusion à l'Afrique que de façon liminaire, avec une prudence peut-être excessive.

Cet exemple – auquel on pourrait ajouter celui du Proche-Orient – illustre une des difficultés majeures de notre entreprise. Parler d'un droit des minorités et des peuples autochtones constitue une gageure. Car les foyers normatifs d'où émanent les réglementations [p. 16] qui les concernent sont multiples, et situés à divers niveaux de la hiérarchie des normes. D'autre part, comme nous le verrons, les définitions des minorités et des autochtones sont soit inexistantes, soit trop nombreuses, suivant le rang des institutions qui s'y intéressent : aucun accord n'existe sur le plan international, et les États font à leur gré au niveau interne. Complexité qui reflète celle des situations de ces groupes sur notre planète. Pourtant, il nous faut tendre sur ce monde chatoyant les mailles du filet du droit. Comment le lancerons-nous ? Le moment est venu de dire quel droit est le nôtre ; de donner notre sentiment sur le mécanisme identitaire, à la base des revendications des minorités et autochtones ; de justifier la distinction opérée par le titre de ce manuel entre ces derniers.

4 DE QUEL DROIT ? – Le droit n'est pas une science exacte : tant pis pour les croyants. Il y a plusieurs demeures dans sa cité, et nous devons indiquer celles que nous habitons.

Première entrée : une conception matérielle du droit. Nous pensons que, juste ou injuste, le droit correspond aux normes produites par les institutions, étatiques ou non, détenant le pouvoir de le dire et de le sanctionner. Minorités et autochtones le savent bien, pour lesquels la reconnaissance juridique par les États et les institutions internationales est un combat. Mais nous ne sommes pas positivistes pour autant. Car nous ne rejetons pas les théories du pluralisme juridique, pour lesquelles le droit produit par l'État n'est pas le seul. Certains groupes – dont les minorités et autochtones – peuvent produire leurs propres systèmes juridiques. Au Canada par exemple, les autochtones tentent de les faire reconnaître par la jurisprudence ou les traités, anciens ou actuels. Cette conception matérielle n'est pas matérialiste, car nous croyons à l'autonomie du culturel : les succès remportés actuellement par certains autochtones ne peuvent s'expliquer par leur maîtrise des moyens de production. Au contraire, comme nous le verrons, minoritaires, ils étaient jusqu'ici condamnés à disparaître. Que les territoires des Amérindiens recèlent des richesses convoitées par les gouvernements ne suffit pas à expliquer leurs récents succès : ailleurs, des peuples autochtones nantis par la nature de ces trésors en sont brutalement dépossédés (déforestation de Bornéo, de l'Amazonie et de certains versants himalayens), ou se trouvent même déportés ou asservis (Papous d'Irian Jaya, la partie indonésienne de la Nouvelle-[p. 17] Guinée), leur localisation stratégique pouvant aussi motiver leur sujétion (Tibétains de Chine). Il faudra donc chercher ailleurs, notamment dans l'aptitude au maniement de l'arme du droit, là où ce recours est ouvert [9].

Seconde entrée : une conception anthropologique du droit. Si le droit n'est pas tout entier contenu dans les seules normes, où faut-il aussi le chercher ? Dans les pratiques, tout d'abord : les modèles juridiques deviennent ce que les hommes en font. Nous nous demanderons si la justiciabilité des droits reconnus aux minorités et autochtones correspond bien à la longueur de leur énumération dans les Déclarations et autres instruments. De plus on envisagera les stratégies juridiques qu'ils déploient pour faire reconnaître leurs droits. Le juriste ne peut plus en effet se détourner des processus d'engendrement et d'application des normes, et le temps est fini où Georges Ripert, l'un des plus grands d'entre eux, osait écrire, pour justifier la nécessité d'étudier « objectivement » le droit national-socialiste : « L'homme de science a le droit de se désintéresser des conséquences pratiques de ses études. » [10].

Mais normes et pratiques ne constituent pas tout le paysage du droit : en ses cieux se déplacent les représentations, où systèmes de valeurs et de croyances contribuent à former des images mentales d'un objet donné. Les membres d'une même culture tendent à produire des représentations semblables. Pour les autochtones, leur lien à la terre, sa sacralisation sont des éléments primordiaux de leur identité. On peut également parler de mythologies juridiques. Pour les anthropologues, les mythes sont des récits fondateurs que les membres d'une société se transmettent de génération en génération, non sans les altérer. Ils servent à donner un sens au monde existant par l'évocation de ses origines, et peuvent voir leur contenu évoluer si les circonstances l'exigent : le mythe est sensible aux frottements de l'histoire. La tradition républicaine française s'appuie largement sur de tels récits qui mettent en scène l'État, la Nation et les individus. Les visions prophétiques interviennent aussi, comme le montre le rêve de [p. 18] Sieyès : « Je me figure la loi au centre d'un globe immense ; tous les citoyens, sans exception, sont à la même distance sur la circonférence, et n'y occupent que des places égales » [11]. La représentation kelsenienne du droit, à laquelle adhère la majorité des constitutionnalistes français, fait aussi partie de ces visions cosmogoniques : le principe de la hiérarchie des normes se prête mal à une vision pluraliste du droit, a priori favorable aux minorités et autochtones. Comme l'écrit D. de Béchillon : « Un ordre est donné, puis répliqué, amplifié et concrétisé par une autorité assujettie. Tout vise ici à supprimer la moindre velléité d'écart. Or, nous ne savons – en Occident pour le moins – produire le juridique qu'en cette forme-là [...]. Tout, dans la décision hiérarchique, doit pouvoir se ramener au principe d'une autorité suprême presque transcendante ; univoque en tout cas. D'où notre apaisement... » [12] On est dès lors tenté de croire que structurellement, cette vision du droit emprunte beaucoup au monothéisme et à la Révélation. À chacun son surnaturel : mais les juristes les plus positivistes ont aussi le leur [13].

Le droit auquel nous croyons est sans doute plus polychrome. La notion d'identité offre-t-elle davantage de certitudes ?

5 UNE CONCEPTION INSTRUMENTALE DE L'IDENTITÉ. – Si les autochtones se distinguent des minorités par un lien privilégié au territoire et à l'histoire, ils revendiquent tout comme elles la reconnaissance de leur identité. Les textes internationaux récents les concernant s'accordent d'ailleurs sur le principe de la préservation de leurs spécificités culturelles... sans dire grand-chose de leur contenu. Cette réticence a pour cause le souci des États de ne pas s'engager outre mesure. Mais elle correspond aussi à un constat : c'est aux minorités et autochtones eux-mêmes de définir leur particularité en notre temps. Deux approches sont possibles, qui reflètent le débat sur la nature de l'identité.

[p. 19]

Soit l'identité est substantielle et primordiale. Elle correspond à un legs historique de certains traits culturels objectifs qui servent de référents obligés : c'est l'identité telle que la vivent les militants.

Soit l'identité est instrumentale et subjective. Elle correspond à des réinterprétations du passé, aux sélections de séquences chronologiques opérées à l'époque présente en vue d'objectifs futurs : c'est l'identité telle que la conçoivent la majorité des scientifiques [14]. Nous retiendrons pour notre part cette définition. Ce choix a d'importantes conséquences. Il signifie que les cultures sont mortelles, et que leur survie dépend des croisements et intermariages qu'elles sont capables d'opérer. Il éclaire aussi ce qu'est pour nous la fonction d'un droit des minorités et des autochtones. Non pas, comme beaucoup le croient à tort, une justification juridique du repli sur soi, l'ouverture de la boîte de Pandore qui conduirait à un nouvel apartheid et aux affrontements « ethniques ». Mais au contraire la recherche de solutions juridiques permettant à des groupes que l'histoire a déchirés et placés en situation d'infériorité de se redéfinir en fonction des nécessités du présent et de trouver les moyens d'une coexistence pacifique construite par les divers mécanismes de l'alliance [15]. À la trilogie des sociétés traditionnelles qui pouvaient échanger dieux, conjoints et biens, il faut substituer une autre trinité, consistant dans la libre association des individus, le partage de valeurs et celui des ressources. Vaste programme : c'est pourtant le but de ce manuel que d'y contribuer. Et l'on aura compris que le conflit yougoslave, qui se situe à l'inverse de ce projet, est l'exacte illustration de ce à quoi conduit l'absence d'un droit des minorités.

Pour être pleinement efficace, celui-ci doit d'ailleurs distinguer le cas des minorités de celui des autochtones.

[p. 20]

6 MINORITÉS ET AUTOCHTONES. – La colonisation et la conquête ont fait d'un certain nombre de peuples des autochtones. Trois cents millions d'individus en font aujourd'hui partie, dont des doyens du monde, comme les Aborigènes d'Australie. Au lendemain du second conflit mondial, ils ne concentraient pas sur eux les représentations idylliques du Bon Sauvage. On y voyait surtout des « primitifs » attardés, tout juste bons à faire les délices des ethnologues. De telles conceptions ne sont pas surannées. En Irian Jaya, les Papous ne sont guère que des « sauvages » pour beaucoup de colons indonésiens [16]. En Bolivie, peuplée à 90% d’Indiens et de métis, la télévision ne montre que des présentateurs et journalistes blancs et souvent blonds, et l'enseignement de l'anthropologie y était interdit jusqu'à une date récente [17]. Mais les temps ont changé. L'ONU a fait de 1993 l'Année internationale des peuples autochtones (Indigenous Peoples) ; elle a ouvert en janvier 1995 leur décennie ; elle étudie une Déclaration universelle des droits des peuples autochtones. Nous verrons plus loin les raisons pour lesquelles les autochtones entendent de plus en plus être distingués des minorités [18]. Précisons seulement que cette volonté commence à se traduire dans le droit. Même s'ils peuvent se réclamer des instruments garantissant les droits de l'Homme et ceux des minorités, d'autres textes et institutions les concernant de façon spécifique se multiplient. Il était donc impossible dans ce manuel de ne pas tenir compte de cette évolution. D'autre part, le cas des peuples autochtones présente d'autres singularités, susceptibles de remettre en cause certains lieux communs. Le développement économique n'a pas été pour eux synonyme de progrès, sauf a contrario. Dans bien des régions du monde, les « nécessités » de ce développement sont les causes de leur dévastation. Et dans les pays développés, la promotion de leurs droits est en grande partie le fruit des combats juridiques et politiques qu'ils mènent contre des projets de développement dont ils n'auraient autrement aucun contrôle. Par ailleurs la carte actuelle de leur asservissement montre que l'Occident [p. 21] n’en a plus le privilège. Ce sont des États africains qui tuent et enferment les Touareg dans les camps et les prisons ; c'est le gouvernement islamiste du Soudan qui décime les populations négroïdes du sud du pays ; ce sont les autorités irakiennes qui oppriment les Kurdes ; ce sont les Indonésiens qui, en Irian Jaya, déportent les Papous et répriment leurs révoltes dans le sang ; ce sont les Chinois qui, au Tibet, commettent les pires exactions (1 million de Tibétains ont péri du fait de la répression chinoise entre 1950 et 1980) ; ce sont des Bangladais qui, au Bangladesh, répriment violemment la résistance des autochtones de la région de Chittagong Hills et y installent des colonies de peuplement ; c'est la dictature du Président Marcos qui, aux Philippines, engagea en 1972 la lutte contre les Bangsa Moro, population autochtone du sud du pays, qui aboutit à la liquidation physique d'environ 90 000 d'entre eux ; ce sont des Birmans qui luttent avec leurs forces armées contre les Karen (300 000 d'entre eux ont péri depuis 1948, beaucoup se sont réfugiés en Thaïlande). Cette liste n'est pas exhaustive. Elle conduit au constat que d'autres cultures ont su prendre le relais des pires heures de l'Occident, qui accorde aujourd'hui aux autochtones des garanties que ceux-ci jugent souvent insuffisantes, mais qui constituent un statut que leur envieraient beaucoup d'autres autochtones dans le monde.

Mais les pays occidentaux eux-mêmes ne partagent pas la même attitude vis-à-vis de leurs minorités et autochtones. Parmi eux, la France a opéré un choix qui paraît de plus en plus singulier.

7 L'EXCEPTION FRANÇAISE. – Tendue vers l'universalisme, la tradition française n'est pas universelle. On ne la retrouve guère que dans certains États d'Europe du Sud, tandis que des composantes essentielles du monde occidental – Amérique du Nord et Allemagne – sont différentialistes [19]. Cet isolement peut expliquer certaines crispations... identitaires, dont les médias se font largement l'écho. Ainsi a-t-on pu lire à propos de la convention-cadre sur les minorités nationales proposée à la signature des États européens à la fin de l'année 1994 par le Conseil de l'Europe : « Chacun [en France] dispose donc des mêmes droits, est assujetti aux mêmes devoirs [...] [p. 22] Sans doute bien des pays gagneraient-ils à importer et à respecter ces principes. Au lieu de quoi, la France se résigne à signer un texte qui marque la défaite de ce qu'elle peut apporter de meilleur [...]. Plus fondamentalement encore, la France admettrait l'existence d’"ethnies", et accepterait d'en tirer les conséquences » [20]. Ces déclarations de principe s'accompagnent en général de l'opposition canonique entre le ius soli français, éminemment démocratique, et le ius sanguinis allemand, fondamentalement suspect, sans oublier les inévitables références à l'épouvantail yougoslave et aux « ghettos ethniques » nord-américains. Or les idées simples ne sont pas toujours les plus éclairantes. Le ius soli n'est pas le faire-valoir chthonien d'une conception génétique de la nationalité, dont le nazisme aurait constitué l'extrême aboutissement. Il veut seulement dire que la socialisation d'un individu ne s'effectue pas seulement par l'éducation parentale, mais aussi au contact des éléments humains environnants, dans le cadre du voisinage. Le ius sanguinis ne signifie pas que l'appartenance culturelle se transmet par les globules sanguins, mais qu'elle se forme principalement au sein de la famille. De même, on observera que la conception française de la nation est souvent présentée, après Renan (« Elle [la nation] suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune »), comme l'expression de la liberté individuelle, et opposée au déterminisme aliénant du Volksgeist. Cette adhésion est-elle aussi libre qu'on le dit ? En fait, elle repose largement sur l'inculcation et l'apprentissage d'un modèle qui postule la supériorité de l'uniformité sur le multiple (la politique linguistique de la République, jusqu'au milieu du XXe siècle, en est un bon exemple).

Par ailleurs le drame yougoslave n'est pas consubstantiel aux minorités, mais résulte de l'impuissance d'un État à organiser leur coexistence ; la « purification ethnique » n'est que la pire mise en œuvre du principe d'uniformité. D'ailleurs, il est frappant de constater que le cas yougoslave est utilisé trop facilement comme repoussoir. Il faudrait aussi citer les exemples d'États qui pour reconnaître l'existence de minorités ou d'autochtones sur leur sol, en faire l'objet de discriminations positives, n'en sont pas moins d'incontesta-[p. 23] bles démocraties et États de droit. Qui pourrait refuser ces qualificatifs à des pays comme le Canada, la Grande-Bretagne, la Suisse, les Pays-Bas, la Scandinavie ? Même aux États-Unis, où l'urbanisme des grandes villes traduit des phénomènes de ségrégation ethnique, on notera que le multiculturalisme n'a pas abouti à des revendications de séparatisme noir ou hispanique sur le plan territorial, et que les intermariages, indicateur d'intégration particulièrement fiable, ont beaucoup progressé (de 310 000 en 1970 à 827 000 en 1986) [21].

Par ailleurs, il est étrange de constater que, soucieux de l'universel, les Français sont volontiers ethnocentristes. Durkheim l'avait déjà noté : « ... Nous [les Français] faisons abstraction de toute différence nationale, nous nous montrons souvent d'un amour-propre collectif ombrageux à l'excès, nous nous fermons volontiers aux idées étrangères et aux étrangers eux-mêmes, nous ne laissons que difficilement pénétrer notre vie intérieure et nous n'éprouvons que peu le besoin, au moins jusqu'à des temps récents, de nous mêler de la vie du dehors. » [22] On sait par ailleurs les difficultés qu'éprouvent les Français à l'égard des langues étrangères et de la géographie ; on connaît le peu d'intérêt de leurs juristes vis-à-vis du droit comparé. La propension à l'universalisme ne serait-elle pas d'autant plus facile lorsqu'elle s'accompagne de la volontaire ignorance des différences ?

L'emploi de certains termes, comme celui d'« ethnie » suscite aussi quelques réserves quant à sa facilité.

8 L'ETHNIE DES AUTRES. – L'ethnie apparaît surtout en droit positif sous des qualifications négatives, qui prohibent les distinctions qu'elle fonderait, et la plupart des médias renchérissent sur cette acception. En fait, l'ethnie ne serait qu'un euphémisme de la race. De plus l'identification ethnique conduirait inévitablement à la ségrégation et aux affrontements. Implicitement, l'ethnie est devenue synonyme de sauvagerie. Ne s'étonne-t-on pas du conflit yougoslave, qui se déroule « à seulement trois heures d'avion de Paris », comme on l'a répété à satiété, alors qu'on l'admet plus facilement, même si c'est avec tristesse, pour le Rwanda ou la Somalie, où ces clivages [p. 24] « ethniques » seraient pour ainsi dire dans la nature des choses ? Là encore, ces habitudes de pensée ne vont pas sans simplisme [23].

Dans la Grèce ancienne, le terme ethnos est dépourvu de connotation raciale et désigne les peuples qui n'ont pas adopté le modèle politique et social de la cité-État. L'ethnie n'apparaît qu'à la fin du XIXe dans la langue française, à une époque où domine l'évolutionnisme, et où la France légitime la colonisation par sa « mission civilisatrice ». Il fallait donc employer des termes (on songe également à tribu) qui spécifient les sociétés amérindiennes, africaines et asiatiques en les séparant des formes nobles réservées aux seules sociétés civilisées, telles que la nation. Parallèlement, l'ethnologie est désignée comme la science des sociétés « primitives », la sociologie s'assignant celles de la modernité. Autre avantage, l'identification ethnique permettait de figer des groupements humains à l'intérieur de territoires coloniaux découpés par les États européens. Mais les groupes soumis à ces carcans ethniques étaient cependant fluides et pouvaient fort bien développer des mécanismes d'alliance, fondés sur la parenté ou la territorialisation [24]. En fait, la colonisation a souvent réemployé à son profit des identités préexistantes en utilisant l'outil ethnique (comme au Rwanda, au Burundi et en Somalie). Dans les sciences sociales, l'ethnicity apparaît au XXe siècle dans la littérature anglophone, vers les années quarante, pour désigner les groupes non anglo-américains. Vingt ans plus tard, les auteurs l'identifient aux sentiments communautaires plus qu'à une réalité objective. L'ethnie est en revanche très tardive en France, où elle n'apparaît qu'au cours des années quatre-vingt, en raison de la méfiance qu'elle suscite.

Celle-ci n'est guère justifiée sur le plan scientifique. Max Weber distinguait déjà la race de l'ethnie en fondant cette dernière sur la croyance subjective à une communauté d'origine, indépendamment de l'existence ou de l'inexistence objective d'une communauté de sang. Par ailleurs, la plupart des définitions de l'ethnie insistent davantage sur les éléments culturels (notamment la langue et la reli-[p. 25] gion) que biologiques. De plus, la majorité des auteurs admet aujourd'hui que l'ethnicité ne se définit pas à partir de caractères objectifs – ne fussent-ils même que culturels – mais par la construction politique et sociale des différences. Même s'ils heurtent des idées reçues actuellement en France sur le sujet, plusieurs faits l'attestent. Les sentiments ethniques peuvent s'accommoder de contenus culturels changeants (exemple des Noirs américains s'islamisant). L'ethnie n'est pas nécessairement fondée sur l'homogénéité : une même ethnie peut connaître d'importantes variations culturelles en son sein. Elle n'est pas non plus ancrée dans l'isolement géographique et social. Au contraire, elle ne prend forme qu'au sein d'un tissu de relations entre des groupes qui s'interpénètrent, ainsi que l'ont montré de nombreux travaux anthropologiques. D'ailleurs, dans le monde moderne, le développement des contacts n'a pas produit majoritairement l'uniformisation prédite par les théories assimilationnistes, mais bien souvent le renouveau des phénomènes identitaires.

Cette nécessaire déconstruction de la perception française de l'ethnie n'implique pas pour autant la fluidité totale du concept. Comme le note M. Martiniello, la formation de l'ethnicité dépend aussi au niveau macrosocial de contraintes objectives : la division sociale du travail et le marché du travail (ils peuvent affecter prioritairement certaines catégories ethniques à certaines tâches) ; les politiques étatiques (la définition de groupes cibles pour l'allocation de ressources peut prendre en compte l'appartenance ethnique des individus) ; l'influence des médias et des intellectuels, qui peut contribuer à l'importance de l'ethnicité en en faisant un outil d'analyse. Enfin on notera que l'identification ethnique ne conduit pas fatalement au conflit. Le drame yougoslave ne doit pas faire oublier des exemples plus positifs de coexistence ethnique tels que la vivent des États comme la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, les États scandinaves, l'île Maurice, la Polynésie française, etc. De même, on remarquera que le communautarisme n'est pas nécessairement l'antithèse de l'intégration : une communauté n'est pas toujours fermée par rapport à la société englobante et peut au contraire faire office d'instrument médiateur (comme le montre l'exemple des Asiatiques en France). L'appartenance communautaire n'opère pas non plus obligatoirement l'incarcération de l'individu en son sein. Au contraire, les théories de la « nouvelle ethnicité », comme celles du [p. 26] pluralisme juridique [25] insistent sur le fait que tout individu possède des appartenances multiples et les combine de façon changeante en fonction de ses intérêts.

Ces quelques remarques ont pour but de montrer le caractère excessivement négatif de l'ethnie dans la culture française, à la fois intellectuelle et populaire : l'ethnie, c'est les autres. On ne dissimulera pas pour autant qu'elle peut aussi conduire au pire, comme en témoigne l'accroissement des conflits ethniques dans notre monde (ils auraient fait 20 millions de victimes depuis le second conflit mondial et concerneraient la moitié des États ; 10% des États seulement seraient ethniquement homogènes). Véritable Janus, l'ethnie ne peut contribuer à la pacification sociale et à l'enrichissement culturel qu'à certaines conditions. Un régime politique démocratique, juste régulateur des différences ; la réduction des inégalités sociales et économiques, dont l'ampleur peut conduire au repliement identitaire et à la haine de l'Autre ; la croyance que, si des valeurs universalisables à valeur de pacte entre groupes culturellement différents sont envisageables, celles-ci ne tomberont pas du ciel et ne pourront résulter que d'un travail commun de reconstruction opéré à partir des différences culturelles, et non de leur négation.

On conclura donc à la nécessité de se tenir à distance des positions extrêmes [26]. Car l'ethnicité peut servir de référent à des situations et politiques très différentes.

Soit elle consiste dans une stigmatisation négative imposée de l'extérieur à des individus ou à des groupes (législations antisémites). Contraire aux droits de l'Homme comme au principe républicain d'égalité civique, cette perversion doit être sans hésitation condamnée. Soit elle consiste dans une légitime auto-affirmation du sujet qui demande que soit reconnu et protégé son droit à des spécificités culturelles, dans le cadre des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, soit à titre individuel, mais éventuellement aussi au titre de droits collectifs. L'ethnie n'existe alors que dans la mesure où elle est dite et vécue comme telle. Deux hypothèses sont dès lors possibles. En raison de circonstances historiques propres, de l'attitude des [p. 27] autres groupes minoritaires ou de la société dominante, ou de l'influence de mouvements dont l'idéologie est contraire aux exigences minimales de la démocratie, l'ethnicité peut dégénérer dans la fermeture et le repli identitaires, et engendrer ou renforcer le racisme en réaction. Là encore, il s'agit d'une perversion condamnable. Ou bien, ce que l'on souhaite, elle est utilisée par ceux qui la vivent et ceux qui la pensent comme un outil de conjugaison entre démocratie et pluralisme, d'équilibrage entre différences et unité.

Rendre compte de l'élaboration du droit des minorités et des autochtones n'est donc pas chose facile : beaucoup de définitions sont absentes ou peu sûres, l'emploi de certains concepts est tronqué, les positions des acteurs sont souvent divergentes et parfois conflictuelles. Les anthropologues de la parenté connaissent ce vertige : il leur arrive de l'éprouver face à la variété des agencements qu'ont su concevoir les sociétés humaines. Cette diversité ne traduit-elle qu'un état chaotique, ou un ordre subtil mais efficace ? Tout l'effort de C. Lévi-Strauss a consisté à mettre à nu des structures au sein de l'enchevêtrement des modes d'alliance et de filiation. Notre objet peut-il lui aussi être rationalisé ?

9 LES HYPOTHÈSES GLOBALES. – Aux moments d'interrogation sur le présent, la tentation est grande de se retourner vers l'histoire, ce silo d'expériences. L'historien ne peut se contenter d'être le copiste du passé. Comme le disait Polybe il y a plus de deux mille ans : « L'objet propre de l'histoire est premièrement de connaître les discours véritables, dans leur teneur réelle, secondement de se demander pour quelle cause a échoué ou réussi ce qui a été dit ou ce qui a été fait, puisque la narration brute des événements est quelque chose de séduisant, mais d'inutile, et le commerce de l'histoire ne devient fructueux que si l'on y joint l'étude des causes... » [27] Pourtant, à la différence du sociologue et de l'anthropologue, l'historien répugne à théoriser les résultats de ses enquêtes. Sans doute parce que l'établissement attentif des faits auquel l'oblige sa discipline l'incline à croire en l'extrême difficulté de la méthode comparative. Pour dégager des lois, il faut constater des phénomènes répétitifs en partant de condi-[p. 28] tions initiales identiques, situation fort rare en histoire. La prudence est d'autant plus nécessaire lorsqu'on envisage d'inciser le passé avec des instruments modernes : le concept de minorité n'est pas tel quel facilement transposable dans des époques lointaines [28]. Il nous faudra cependant tenter de répondre à cette question dans le premier chapitre de cet ouvrage : minorités et autochtones font si souvent référence à l'histoire que celle-ci doit être sollicitée. Observons seulement de façon liminaire que parmi les ensembles politiques les plus vastes et les plus durables, beaucoup étaient fondés sur la reconnaissance des particularismes. Rome édifia un empire pluriculturel ; après la chute de l'Empire d'Occident, ce fut l'instauration d'un pluralisme juridique ethnique (la personnalité des lois) qui, en fait, et à long terme, permit l'intégration de populations d'origines et de cultures différentes. Une des raisons de l'extraordinaire expansion de l'islam après la mort du Prophète tient sans doute au fait qu'il sut se plier aux conditions locales quand c'était nécessaire. En sens inverse, on opposera que l'empire hellénistique d'Alexandre, pourtant fondé sur le mélange des cultures, a échoué, et que la France s'est construite par la victoire de l'État central sur les cultures périphériques. Ces constats ne sont qu'apparemment contradictoires. Aucun phénomène complexe ne peut s'expliquer par l'action d'un seul facteur. C'est pourquoi le multiculturalisme, pas plus que l'assimilation, pris isolément, ne sont des élixirs de longue vie. Ils s'intègrent à d'autres données dont seul l'assemblage est significatif. Une théorie générale de cette complexité reste à faire. On se bornera à signaler ici quelques pistes.

La première, ouverte par M. Alliot [29], est celle du parallélisme entre les façons de se représenter l'univers et le droit : penser Dieu ou son absence, c'est penser aussi le droit et son rôle. Les sociétés monothéistes sont habituées à l'idée d'un Dieu tout-puissant, tirant l'homme et l'univers du néant, et lui faisant connaître sa volonté par une Révélation, accompagnée ou non de son incarnation. En découle une conception non seulement unitaire, mais uniformisante et hiérar-[p. 29] chisée de la vie sociale, et la confiance en des règles de droit imposées par une autorité extérieure. Dans les pensées animistes, le dieu créateur se démultiplie en des forces plurielles, et le droit n'est conçu que comme un mode de régulation social parmi d'autres, au sein de sociétés constituées de groupes différents mais complémentaires. Dans les philosophies asiatiques inspirées du confucianisme, il n'y a ni dieu, ni création, et le recours au droit et au juge est infamant. Tout doit être accompli suivant les rites inculqués par l'éducation ; le règlement des conflits doit être négocié plutôt que dicté. Les modèles monothéistes partageraient donc une vision du monde moins favorable que les autres aux minorités, dans la mesure où ils seraient moins pluralistes. Bien entendu, l'histoire intervient pour affecter plusieurs déclinaisons au même modèle. La France concentre des traits monothéistes en raison de l'influence de l'État, dans sa construction ; les pays anglo-saxons, largement gagnés par le protestantisme, beaucoup moins monolithique que le catholicisme, cèdent à l'État moins de pouvoirs et s'affirment différentialistes ; l'islam ne connaît qu'un pluralisme... hiérarchisé, où les croyants l'emportent sur les « protégés » et les païens.

Plus récemment, E. Todd a indiqué une autre voie [30] : celle du parallélisme entre l'agencement des structures familiales et le choix d'un type de rapports entre les groupes humains. Les hiérarchies parentales inégalitaires favoriseraient des comportements différentialistes, tolérants (monde anglo-saxon) ou non (Allemagne). Les hiérarchies parentales égalitaires feraient pencher en faveur de l'assimilation (cas de la France). L'explication est séduisante, elle peut cependant être réductrice. D'autres facteurs, dus à la contingence historique, interviennent également. La France connaissait sous l'Ancien Régime des systèmes familiaux égalitaires au centre (et sur une fraction du littoral méditerranéen), et inégalitaires sur ses périphéries : l'issue n'était donc pas sûre. Le fait que sa construction politique se soit opérée à partir du centre et le contenu des idéaux révolutionnaires ont puissamment joué.

Une autre direction est signalée par J.-W. Lapierre [31]. Celui-ci s'inscrit en faux contre les théories de P. Clastres, pour lequel l'invention [p. 30] de l'État est une des pires régressions qu'ait connues l'humanité : elle serait le signe d'une division de la société entre dominants et dominés. J.-W. Lapierre mène une minutieuse enquête de type comparatif pour essayer de comprendre les raisons de l'apparition de l'État. Son explication est de type complexe : aucun facteur pris isolément n'y suffit. Mais l'un est déterminant, et réside dans le degré d'hétérogénéité qu'atteint une société sous l'effet de phénomènes externes (guerres, migrations) ou purement internes. L'invention de l'État serait une réponse à la menace de dislocation qu'engendrerait la montée de l'hétérogénéité : a contrario, les sociétés qui n'ont pas opéré cette mutation ont souvent disparu. L'État serait donc une formulation du principe d'unité, opérée sous la pression des circonstances. Observons seulement que si la théorie est avérée, elle ne signifie pas que l'État doive nécessairement engendrer l'uniformité, ni qu'il soit l'ultime réponse à l'hétérogénéité dont soit pour toujours capable l'humanité.

Citons enfin les théories du pluralisme juridique [32]. Bien que diverses, elles s'accordent sur le fait que l'État n'est pas la seule source du droit. Certains groupes sociaux peuvent engendrer d'authentiques systèmes juridiques ; chaque individu étant affilié à plusieurs groupes peut ainsi jouer de plusieurs de ces systèmes. Ces théories sont évidemment favorables aux minorités et autochtones. Les résistances que peuvent leur opposer les États au nom du droit deviennent en fait celles d'un droit, fût-il officiel. Les coutumes et autres « usages » (termes affectés traditionnellement d'un coefficient juridique beaucoup plus faible que celui de la loi) de ces groupes apparaissent alors comme tout aussi juridiques que les codes et les constitutions. Les revendications politiques des minorités et autochtones sont dès lors lestées du poids juridique qui pouvait leur faire défaut. D'autres conséquences sont non moins importantes. L'affirmation éventuelle par les États des particularismes des minorités et autochtones a un effet recognitif beaucoup plus que déclaratoire : leurs droits existaient avant même d'être officiellement constatés. D'autre part, en cas de conflit entre les normes des autochtones ou des minorités et celles du droit de l'État, la position des premiers s'en trouve renforcée, même si de façon ultime l'établissement d'une hié-[p. 31] rarchie des normes, plus ou moins souple (même le droit français connaît la notion d'ordre public atténué), paraît inévitable.

Enfin, le pluralisme juridique permet aux minorités et autochtones de revendiquer plus facilement une double appartenance : à leur système juridique propre, et à celui de l'État. Cette inscription duale est pour eux vitale. Elle leur permet à la fois de réinterpréter et d'inventer leur identité, de participer à l'élaboration des décisions les concernant, et de s'inscrire dans l’'ensemble plus vaste de l'État au sein duquel l'histoire les a placés. Elle est la meilleure garantie contre l'apartheid et la ségrégation, et préfigure un droit qui ne devrait plus être seulement celui des minorités, mais des interactions entre minorités et majorités.

Au cours de l'histoire, plusieurs sociétés se sont plus ou moins rapprochées de cet idéal pacifique qui pourrait être une nouvelle dimension de la démocratie. À vingt siècles de distance, les mots de Cicéron provoquent encore en nous l'émotion et incitent à l'espoir : « Je pense qu'il y avait pour lui [Caton] comme pour tous les gens des municipes [33], deux patries : une patrie de nature, une patrie de citoyenneté [...] nous considérons comme patrie celle où nous sommes nés aussi bien que celle qui nous a accueillis. Mais il est nécessaire que celle-là l'emporte dans notre affection par laquelle le nom de "République" est le bien commun de la cité entière. C'est pour elle que nous devons mourir, c'est à elle qu'il faut nous donner tout entiers, en elle qu'il faut déposer et pour ainsi dire sanctifier tout cg qui nous appartient. Mais la patrie qui nous a enfantés ne nous est guère moins douce que celle qui nous a accueillis. C'est pourquoi, jamais je n'en viendrai à lui dénier absolument le nom de ma patrie, encore que l'une soit plus grande et que l'autre soit renfermée dans la première – étant bien entendu que tout homme, quel que soit l'endroit où il est né, participe à la cité et la conçoit comme unique. » [34]

10 PLAN DE L'OUVRAGE. – L'antique message nous incite à d'abord nous pencher avec J. Poumarède sur l'histoire du droit des minorités, saisie dans l'ampleur des statuts accordés par les [p. 32] cités, empires et États de l'Occident aux messagers de l'altérité, des métèques aux aubains en passant par l'irréductible peuple juif. Ce dernier mis à part, la religion n'est souvent qu'un marqueur identitaire parmi d'autres, avant de devenir un facteur primordial du fait minoritaire dans l'Europe des nations. En Islam la croyance au Dieu unique est d'emblée l'axe qui entraîne le monde et le stratifie, tandis qu'en Chine se déroulent d'autres expériences.

Puis nous aborderons le monde contemporain. S. Pierré-Caps étudiera le droit international actuel après avoir mis à jour ses fondements historiques. Il nous ramènera ensuite en Europe où, dit-on, d'anciens clivages s'abolissent : un ordre juridique nouveau concernant les minorités s'y élabore-t-il ? La même question sera posée à propos de la France, a priori rebelle à cette idée, mais moins intransigeante qu'il n'y paraît.

Puis nous consacrerons [35] une dernière partie au droit des peuples autochtones. Après en avoir retracé l'émergence historique, nous l'envisagerons sur le plan international, en Europe, et dans le cadre de la France d'outre-mer. Il nous reviendra alors de conclure en nous demandant si Montesquieu, cher à la pensée française et aux constitutionnalistes, avait raison d'écrire : « Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits [...] mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu'ils reconnaissent, parce qu'il est impossible de ne pas découvrir les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l'État, la même religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours à propos sans exception ? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir ? et la grandeur du génie ne consisterait-elle pas à savoir dans quels cas il faut l'uniformité, et dans quels cas il faut des différences ? [...]. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ? » [36]


* Cette introduction a été rédigée par N. Rouland. L'ensemble de l'ouvrage a été terminé au mois de juin 1995 : il ne peut donc rendre compte des développements intervenus postérieurement à cette date dans l'ensemble des problèmes qu’il aborde.

[1] Cf. P. Clastres, Recherches d’anthropologie politique, Paris, Le Seuil, 1980, p. 171-207.

[2] Cf. N. Rouland, Les fondements anthropologiques des droits de l'Homme, Revue générale de droit, Faculté de droit d'Ottawa, 25 (1994), p. 5-47.

[3] C. Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, rééd. 1982, p. 23.

[4] En ce sens, cf. A. Touraine, Un nouvel âge de la politique ? Le Magazine littéraire, 264 (avril 1989), p. 24.

[5] Le monde anglo-saxon, beaucoup plus réceptif aux problèmes envisagés ici, a d'ailleurs produit nombre d'ouvrages auxquels le lecteur devra se reporter. Quelques exemples : R. Stavenhagen, The Ethnie Question, Tokyo, UN Univ. Press, 1990 ; C. Bröhnann, R. Lefeber, M. Zieck, Peoples and Minorities in International Law, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993 ; R. Moody (ed.), The Indigenous Voice, 2 vol., Londres, Zed Books, 1989 (recueil de textes émanant des autochtones et de leurs associations) ; H. Hannum, (ed.), Documents on Autonomy and Minority Rights, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993, 912 p. (un instrument bibliographique extrêmement utile, qui regroupe de très nombreux textes relatifs aux divers statuts des minorités dans le monde). Notons enfin quelques heureuses exceptions au silence de la littérature francophone : A. Fenet, G. Soulier (dir.), Les minorités et leurs droits depuis 1789, Paris, L'Harmattan, 1989 ; I. O. Bokatola, L'organisation des Nations Unies et la protection des minorités, Bruxelles, Bruylant, 1992 ; S. Pierré-Caps, La Multination, Paris, Odile Jacob, 1995 ; A. Fenet (dir.), Le droit et les minorités. Analyses et textes, Bruxelles, Bruylant, 1995 ; J. Yacoub, Les minorités : quelle protection ? Desclée de Brouwer, 1995.

[6] Cf., en ce sens, N. Rouland, La tradition juridique française et la diversité culturelle, Droit et société, 27 (1994), p. 381-419 ; Trois ancrages culturels de l'identité française, Libération, 3 avril 1995, 6. Dans un ouvrage récent (L’État français et le pluralisme. Histoire politique des institutions publiques de 476 à 1792, Paris, Odile Jacob, 1995), nous avons essayé de montrer comment s'est historiquement accomplie la tradition française d'uniformisation des institutions et du droit, contre les forces issues du pluralisme social et juridique.

[7] Cf. P R. Gerber (ed.), 500 Jahre danach, Zürich, Volksmuseum Univ. Zürich, 1993, 336. Cf. également J. Burger, Report from the Frontier, Londres, Zed Books, 1987, p. 162-177. Par ailleurs, le département de l'information de l'ONU a publié une carte localisant des peuples autochtones en Afrique : cf. infra, p. 440, n. 4. On peut d'autre part citer le rapport Cobo : « Le Rapporteur spécial a toujours estimé que certains groupes de populations dans plusieurs pays ou régions d'Afrique devaient être considérés comme des groupes autochtones dans ces pays ou régions. Il n'a toutefois pas pu en tenir compte dans la présente étude faute de renseignements suffisants sur les populations qui pouvaient être considérées comme autochtones dans les pays concernés. Il lui a été d'autant plus impossible de faire autrement qu'en réponse à ses demandes d'information les dits pays ont nié l'existence de telles populations et/ou indiqué que tous leurs groupes de populations étaient autochtones » (José R. Martinez Cobo, Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones, vol. V : Conclusions, propositions et recommandations, Doc. E/CN. 4/Sub. 2/1986/7/Add. 4, p. 5, §20.

[8] Cf. J.-L. Amselle, E. M'Bokolo, Au cœur de l'ethnie, Paris, La Découverte, 1985, p. 29-30. Cf. également W. T. Bauer, Einleitung, Law and Anthropology, 4 (1989), p. 1- 13.

[9] Cf. infra, p. 491-496.

[10] Préface de G. Ripert à l'ouvrage collectif : Études de droit allemand, Paris, LGDJ, 1943, cité par D. Lochak, La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme, dans Les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, p. 268. Sur le thème des juristes français face au droit antisémite, cf. également les Actes du Colloque L'encadrement juridique de l'antisémitisme sous Le régime de Vichy, Dijon, 19-20 décembre 1994, à paraître au Seuil, 1995.

[11] Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers État ? Paris, PUF, rééd. 1982, p. 44.

[12] D. de Béchillon, L'ordre juridique est-il complexe ?, Egdikia, Revue du centre international de philosophie et de théorie du droit (Athènes), 2 (1992), p. 40-41. Cf. également, du même auteur, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'État, thèse droit Pau, 1993 ; sur la conception française de la hiérarchie des normes, Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 32, 1994, p. 85 sq.

[13] En ce sens, cf. infra 28-29, la théorie de M. Alliot ; G. Cahin, Apport du concept de mythification aux méthodes d'analyse du droit international, dans Mél. C Chaumont, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Paris, Pedone, 1984, 88-115.

[14] Cf. les travaux de « déconstruction » de l'ethnie opérés par l'école dynamiste, et notamment : F. Barth, Les groupes ethniques et leurs frontières, Paris, PUF, 1995 ; P. Brass, Ethnie Group and the State, Londres, Croom Hehn, 1985 Cf. également C. Lévi-Strauss, L'identité, Paris, Grasset, 1977.

[15] Cette conception d'un droit des minorités se retrouve d'ailleurs dans les définitions données par le Haut Conseil à l'intégration, qu'on ne peut par ailleurs suspecter de trahison vis-à-vis de la tradition française : « Il n'y a pas lieu de concevoir celles-ci [les cultures] comme des entités achevées [...]. C'est avant tout un processus continu à effets réciproques, par lequel les individus réinterprètent leurs traditions, leurs croyances, leurs valeurs en fonction de leur environnement social et de leur histoire personnelle [...] les émigrés participent aussi à l’élaboration de la culture nationale » (L'intégration à la française, Paris, La Documentation française-UGE, 1993, p. 88-89).

[16] C'est ainsi qu'on les a qualifiés devant nous.

[17] Cf. infra, p. 434-437.

[18] Le récent rapport du Centre des sociétés transnationales (E/CN. 4/Sub. 2/1994/40) montre comment l'exploitation abusive des ressources autochtones entraîne des conséquences négatives pour ces peuples.

[19] Cf. E. Todd, Le destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Paris, Le Seuil, 1994, p. 386-388.

[20] G. Carcassonne, La laïcité en péril, Le Point, 19 novembre 1994, p. 20.

[21] Cf. P. Noblet, L'Amérique des minorités, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 311.

[22] E. Durkheim, L'éducation morale, Paris, PUF, rééd. 1974, p. 238.

[23] À Propos des discussions possibles autour du concept d'ethnie, cf. également infra, p. 514-516, 541-546, et : P. Poutignat, J. Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité, Paris, PUF, 1995 ; M. Martiniello, L'ethnicité dans les sciences sociales contemporaines, Paris, PUF, 1995 ; R. Breton, L’ethnopolitique, Paris, PUF, 1995.

[24] Cf. J.-L. Amselle, Ethnies et espaces : pour une anthropologie topologique, in J.-L. Amselle, J.L, Amselle C. M'Bokolo, Au cœur de l’ethnie, Paris, La Découverte, 1985, p. 14.

[25] Cf. J. Vanderlinden, Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique, RRJ, 1993-2, 573-583.

[26] L'analyse de l’ethnicité opérée par M. Wieviorka est à ce titre exemplaire (cf. M. Wieviorka, La démocratie à l'épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité, Paris, La Découverte, 1993, p. 97-156).

[27] Polybe, Histoire, XII, 25 b, p. 1-4.

[28] G. Duby s'est posé la même question en abordant l'histoire sur une longue période de la « vie privée » concept né au XIXe dans quelques régions d'Europe, et n'a cependant pas jugé la tâche impossible (CE G. Duby, Préface à P. Aries, G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, I, Paris, Le Seuil, 1985.

[29] Cf. M. Alliot, L'anthropologie juridique et le droit des manuels, Archiv für Rechts und Sozialphilosophie, 24 (1983), p. 81 sq. Pour un résumé, voir N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, 1988, p. 401-407.

[30] Cf. E. Todd, Le destin des immigrés, Paris, Le Seuil, 1994.

[31] Cf. J.-W. Lapierre, Vivre sans État ? Paris, Le Seuil, 1977.

[32] Pour un résumé, voir N. Rouland, op. cit., p. 74-98.

[33] Les municipes sont les cités conquises par Rome, qui bénéficient d'un statut d'autonomie. Moyennant une participation aux charges militaires et financières communes, elles gardent leurs magistrats, leurs assemblées, leurs cultes, et parfois leur langue propre.

[34] Cicéron, Les lois, II, 5.

[35] Dans cet ensemble, N. Rouland a rédigé les développements relatifs au statut des autochtones (troisième partie), ainsi que ce chapitre introductif et la conclusion générale.

[36] Montesquieu, L’Esprit des lois, XXIX, 18.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 14 novembre 2011 15:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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