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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques ROUILLARD, “Pourquoi fêter le premier mai ?” Un article publié sous le titre : “Pourquoi célébrer ?” in La Presse, Montréal, le 1er mai 2008; et aussi sous le titre “Y a-t-il de quoi fêter ?” in Le Devoir, Montréal, le 1er mai 2008, page A7. [Texte intégral de l’article proposé au journal.] [Autorisation accordée par l'auteur le 4 octobre 2008 de publier cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jacques Rouillard [1]

Pourquoi fêter le premier mai ?

Un article publié sous le titre: “Pourquoi célébrer ?” in La Presse, Montréal, le 1er mai 2008; et aussi sous le titre “Y a-t-il de quoi fêter ?” in Le Devoir, Montréal, le 1er mai 2008, page A7.


On pourrait se demander s’il est encore de mise pour les centrales syndicales de célébrer une fête consacrée aux travailleurs et travailleuses le premier mai. Elle rappelle la lutte des salariés nord-américains en 1886 en faveur de la journée normale de travail de huit heures et les événements sanglants qui ont eu lieu à Chicago à cette occasion. La célébration de cette journée par un défilé dans les rues s’est répandue en Europe à la fin du XIXe siècle et elle est devenue de nos jours une fête internationale commémorée partout dans le monde. Les organisations syndicales en Amérique du Nord n’ont pas suivi ce mouvement sauf au Québec où les centrales syndicales ont joint la tendance internationale depuis 1970.

À l’origine et pendant longtemps, cette manifestation des travailleurs salariés visait à montrer de manière symbolique par un défilé sur la place publique la solidarité des ouvriers salariés et leur identité comme classe sociale. Comme l’autre fête du travail célébrée le premier lundi de septembre et propre aux travailleurs nord-américains (elle est marquée par un défilé à Montréal de 1886 à 1952), elle est le reflet de la montée de la classe ouvrière dans les sociétés industrielles. Cette volonté d’affirmation a-t-elle encore sa place de nos jours ?

En effet, la notion de classe ouvrière est disparue du vocabulaire et de l’analyse de la société contemporaine. Elle est largement remplacée par la notion de classe moyenne qui s’étend bien au-delà des travailleurs salariés. Cette dernière appellation basée uniquement sur l’échelle de revenus présente un contour très vague ce qui permet aux analystes, aux partis politiques et aux groupes d’intérêt de définir à leur façon et de manière bien contradictoire les intérêts et les aspirations de cette classe moyenne.  Au cours des dernières années, elle signifierait pour plusieurs des réductions d’impôt et un repli de l’interventionnisme étatique.

Mais la classe des travailleurs salariés est-elle vraiment disparue ? Les statistiques sur la population active (qui participe au marché du travail) montrent qu’au contraire les travailleurs salariés sont une catégorie sociale en voie d’expansion. Les personnes qui échangent leur force de travail pour un salaire forment de nos jours pas moins de 90% de la population active contre 71% en 1961. Bien sûr, la structure occupationnelle de ces salariés a changé, la proportion des cols bleus ayant diminué et celle de cols blancs augmenté. Mais cela n’empêche pas qu’une proportion de plus en plus importante de personnes touchent une rémunération pour leur travail.

La théorie économique néoclassique voudrait que la croissance de la richesse dans une société permette «d’améliorer le niveau de vie, réduire la pauvreté et enrichir la classe moyenne» comme le défend le dernier rapport du groupe de travail sur l’investissement des entreprises présidé par Pierre Fortin et remis dernièrement au gouvernement du Québec. Le rapport plaide pour une hausse de la productivité des entreprises, source de croissance de la richesse collective, en favorisant l’investissement. Pour ce faire, il recommande, entre autres, de réduire les impôts des entreprises et de taxer davantage la consommation afin de «rendre le Québec encore plus concurrentiel et ouvert sur le monde». Cette stratégie permettrait finalement «d’augmenter le confort matériel de la classe moyenne», de diminuer la pauvreté et d’assurer le financement des services publics.

Cette approche est suivie par nos gouvernements depuis le milieu des années 1980. Elle repose sur le postulat qu’il faut respecter les forces du marché et créer un environnement favorable à l’offre de biens plutôt que de stimuler la consommation. Il en résulterait un enrichissement collectif bénéfique pour tout le monde.

Mais ce n’est pas ce que montre l’expérience des vingt-cinq dernières années. Les travailleurs salariés qui forment la majeure partie de la population active n’ont pas vu leur pouvoir d’achat augmenter pendant cette période. En effet, le salaire réel hebdomadaire ou horaire moyens dans l’ensemble des industries a même légèrement diminué depuis 1983 au Québec comme dans l’ensemble du Canada. Même les travailleurs salariés de la grande entreprise régis par des conventions collectives n’ont pas vu leur rémunération augmenter au-delà de la hausse des prix pendant cette période. C’est unique dans l’histoire du Québec et du Canada que les salariés ne puissent bénéficier d’une hausse de leur rémunération réelle. En effet, depuis que Statistique Canada relève des données sur les salaires et les prix (depuis 1900), l’inflation a été très rarement supérieure à l’augmentation moyenne des salaires horaires et hebdomadaires jusqu’à la fin des années 1970.

Le gel salarial depuis le début des années 1980 s’accompagne également d’une semaine de travail qui n’a guère bougé depuis les années 1960. Elle a perdu un maigre deux heures (de 40 à 38,3 heures) pour les employés à plein temps (emploi principal) sur près de quarante ans. Encore une fois, c’est un raccourcissement du temps de travail beaucoup moins marqué que les décennies antérieures où, par exemple la semaine moyenne de travail est passée en général de 48 à 40 heures dans les deux décennies d’après-guerre. Quant aux avantages sociaux qu’on peut mesurer dans les conventions collectives, il y a statu quo depuis le début des années 1980. Pendant cette période, fleurit également plus que jamais le travail précaire (temps partiel, intérimaire, autonome) qui passe de 16,7% de la main-d’œuvre en 1976 à 31,3% en 2001. Pas étonnant que les Québécois ne puissent plus épargner, que l’endettement des ménages atteigne des sommets et qu’il faille deux revenus par famille pour avoir un niveau de vie convenable.

Ces constatations sont d’autant plus singulières que la croissance économique est au rendez-vous au Québec comme au Canada au cours des dernières années. Le produit intérieur brut mesuré en dollars constants s’est accru de 2,3% par année au Québec de 1981 à 2006 et la productivité du travail a augmenté de 1,2% par année pendant la même période. La richesse se crée, mais les travailleurs salariés qui forment 90% de la population active n'améliorent pas leur niveau de vie. C’est unique depuis plus de cent ans de vie en société industrielle au Québec et au Canada.

Une stratégie de croissance économique qui ne privilégie que le fonctionnement des lois du marché (déréglementation, libre échange, recul de l’interventionnisme étatique) sans se soucier d’en mesurer les effets sociaux se traduit par une concentration des richesses au sommet de la pyramide et laisse pour compte la majorité de la population. Il est certainement souhaitable d’établir une économique forte et de s’enrichir collectivement afin de pourvoir, comme le veut le rapport Fortin, «diminuer la pauvreté, se procurer un plus grand confort matériel, s’accorder plus de temps libre, augmenter la quantité et la qualité des services publics». Mais le chemin suivi depuis plus de vingt-cinq ans ne s’oriente pas dans cette direction. C’est le contraire qui prévaut. Et constamment, on entend répéter qu’il faut créer de la richesse afin de pouvoir la redistribuer. Elle se crée, mais la redistribution est toujours reportée à plus tard. A-t-on oublié que l’objectif de la croissance industrielle est d’améliorer le sort des humains et non de l’avilir.

La célébration du premier mai a encore toute sa signification pour montrer que les travailleurs salariés sont toujours une force sociale et que le discours néolibéral ne permet pas une distribution équitable de la richesse. Son application depuis 25 ans engendre une dégradation de la condition des salariés et une inégalité croissante du revenu des familles.



[1] Jacques Rouillard est professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal et auteur de l’ouvrage Le syndicalisme québécois. Deux siècles d’histoire (2004).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 19 mai 2009 15:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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