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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Rouillard, “De l'importance du syndicalisme international au Québec (1900-1957).” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier, La FTQ, ses syndicats et la société québécoise, pp. 11-24. Montréal: Comeau et Nadeau, Éditeurs, 2001, 258 pp. [Texte revu par l’auteur le 22 février 2008.] [Autorisation de M. Rouillard de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales accordée le 22 février 2008.]

 Jacques Rouillard 

De l'importance du syndicalisme international
au Québec (1900-1957).
” 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier, La FTQ, ses syndicats et la société québécoise, pp. 11-24. Montréal : Comeau et Nadeau, Éditeurs, 2001, 258 pp. [Texte revu par l’auteur le 22 février 2008.]

Table des matières 
 
Introduction
 
Des effectifs imposants
Étapes de syndicalisation
Pour une société social-démocrate
 
Tableau 1. Nombre, effectifs et proportion des effectifs des syndicats internationaux au Québec
Tableau 2. Niveaux de syndicalisation au Québec, en Ontario et aux États-Unis

 

Introduction

 

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) tire son origine de l'affiliation de deux groupes syndicaux principaux rattachés au Congrès du travail du Canada, les sections locales de syndicats nationaux (pancanadiens) et d'unions internationales (nord-américaines). C'est ce dernier groupe qui nous intéresse ici car il est à l'origine de la centrale et a façonné son développement pendant un certain temps. Lorsque la FTQ est née en 1957, les sections locales des unions internationales représentent la presque totalité de ses effectifs tout comme pour les deux fédérations qui lui ont donné naissance, la Fédération provinciale du travail du Québec (FPTQ) en 1937 et la Fédération des unions industrielles du Québec (FUIQ) en 1952. À leur fondation, ces trois fédérations reprennent les objectifs des centrales canadiennes dont elles dépendent juridiquement, soit notamment celui de défendre au Québec les principes du syndicalisme international. 

Signe tangible de leur dépendance envers le syndicalisme international, la FPTQ et la FUIQ pendant toute leur existence peuvent très difficilement affilier des syndicats canadiens ou québécois qui font concurrence à des unions internationales [1]. Elles suivent en cela les orientations établies par les centrales canadiennes auxquelles elles sont rattachées, le Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) et le Congrès canadien du travail (CCT) [2]. À sa naissance, la FTQ doit également adhérer à la ligne de conduite tracée par le Congrès du travail du Canada (CTC) dont elle est une création. L'article premier de la constitution de la FTQ précise qu'elle est une fédération composée des organisations affiliées au CTC [3]. Quoique cette dernière soit moins liée au syndicalisme international que les deux centrales qui lui ont donné naissance en 1955 (le CMTC et le CCT), le CTC ne peut émettre de chartes d'affiliation à des syndicats dans des secteurs de métier ou industriels où œuvrent déjà des unions nationales ou internationales, à moins d'obtenir leur consentement écrit [4]. Et comme les syndicats internationaux sont largement majoritaires au sein du CTC (81,6% en 1961 [5]), ils détiennent à toute fin pratique un droit de veto sur l'affiliation de tout syndicat leur faisant concurrence. Ce pouvoir a fait avorter le projet d'intégration de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) au CTC après d'intenses pourparlers de 1955 à 1961 [6]. Les négociations échouent sur la difficulté de réconcilier le désir de la CSN de conserver son intégrité à l'intérieur du CTC et l'exigence des unions internationales de préserver leur exclusivité juridictionnelle. 

Au début des années 1960, les syndicats internationaux regroupent environ 200 000 membres au Québec, ce qui en fait la famille syndicale la plus importante devançant les syndicats affiliés à la CSN qui compte alors 90 733 membres [7]. Leurs sections locales sont pour la plupart rattachées au CTC, mais relativement peu encore font partie de la FTQ, environ 40% sur un total de 101 811 membres [8]. Les principales unions internationales qui lui ont affilié leurs syndicats sont les Métallurgistes-unis d'Amérique, l'Association internationale des machinistes, la Fraternité internationale des travailleurs des industries des pâtes et papiers et l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames.

 

DES EFFECTIFS IMPOSANTS

 

Les syndicats internationaux ont une longue et riche tradition en sol québécois. Mieux que toute autre institution, ils incarnent l'américanité du Québec et l'influence exercée par les États-Unis sur la société francophone. Leur expansion au Québec remonte fort loin dans le temps alors qu'ils s'implantent parmi les ouvriers de métier dans la région montréalaise dès la fin du 19e siècle et se répandent en région peu avant la Première Guerre mondiale. Cette dernière poussée détermine le clergé à fonder des syndicats catholiques qui ne se propagent qu'avec beaucoup de difficultés. Peu de syndiqués internationaux changent d'allégeance et les unions internationales ont poursuivi leur progression. Selon nos estimations, les «internationaux» représentent environ les deux tiers des syndiqués québécois jusqu’aux années 1930 et la moitié durant les années 1940 et 1950 (tableau 1). Ils devancent sensiblement le nombre de syndiqués catholiques dont les effectifs fluctuent entre le quart et le tiers des syndiqués québécois [9].

 

Tableau 1

Nombre, effectifs et proportion des effectifs
des syndicats internationaux au Québec 

 

Nombre
de syndicats

Estimation
des effectifs

En pourcentage du total
des syndiqués québécois

1901

74

6 000

60%

1911

190

20 000

79%

1921

334

55 000

56%

1931

286

55 000

76%

1940

306

70 000

50%

1951

459

150 000

53%

1961

725

200 000

50%

1971

1000

311 446

42,7%

1981

 

308 396

35%

1991

 

240 300

21,9%

Source: Comme il n’y a pas de données sur les effectifs des syndicats internationaux par provinces jusqu'en 1971, nous extrapolons à partir de plusieurs sources. Nos estimations ne représentent donc qu’un ordre de grandeur. Voir Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 1989, p. 74, 88, 131, 201, 210. De 1901 à 1940, nos évaluations proviennent du recoupement de plusieurs données tirées de Organisation des travailleurs au Canada, principalement celles qui portent sur le nombre de syndiqués que représentent les conseils centraux internationaux des villes, et celles qui permettent une estimation du nombre de syndiqués appartenant aux unions internationales de cheminots (pour ces derniers, nous établissons leur membership québécois à 20% du total canadien). Pour 1951, nos estimés sont basés sur les effectifs au Québec du Congrès des métiers et du travail et du Congrès canadien du travail auxquels nous avons ajouté un estimé des syndiqués cheminots (Louis-Marie Tremblay, Idéologies de la CSN et de la FTQ 1940-1970, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1972, p. 127,130). En 1961, nous tenons compte des effectifs internationaux du CTC/FTQ en ajoutant les cheminots (Ministère du Travail et de la Main d’oeuvre, Taux du syndicalisme au Québec, Québec, 1971, p. 13). Pour les années ultérieures, nous détenons des données assez précises sur les effectifs internationaux (Statistique Canada, Loi sur les déclarations des corporations et des syndicats ouvriers, Partie II- Syndicats ouvriers (CALURA) (Cat. 71-202), 1971, 1981, 1991; ministère du Travail du Canada, Organisations de travailleurs au Canada, 1971, p. 1-98).

 

Il ne faudrait pas croire que les syndiqués internationaux sont composés en majorité de travailleurs anglophones et allophones. Au contraire, plusieurs sources confirment que, pendant la période qui nous intéresse, les francophones constituent entre 70 et 75% de leurs effectifs pour l'ensemble de la province [10]. Ils sont très présents dans les syndicats de métiers de la construction, l'imprimerie, la chaussure, les pâtes et papiers et parmi les cheminots. Les anglophones sont sur représentés parmi les syndicats de machinistes et de la métallurgie à Montréal tandis que les syndiqués juifs sont très nombreux dans les syndicats de la confection. On ne saurait donc assimiler le syndicalisme international à une institution étrangère à la société francophone. 

Comme on peut le noter au tableau 1, les effectifs des syndicats internationaux sont déjà imposants bien avant la Deuxième Guerre mondiale et ils jouent un rôle significatif dans l'évolution socio-politique du Québec. Comme nous l'avons fait remarquer, ils constituent la composante la plus importante des syndicats québécois qui, au total, comptent des effectifs voisins à ceux de l'Ontario et des États-Unis. En effet, les niveaux de syndicalisation au Québec se comparent à ceux de l'Ontario et des États-Unis depuis le début du siècle (tableau 2). À remarquer également que le militantisme des travailleurs québécois, à tout le moins évalué en terme de propension à la grève, est semblable à celui de l'Ontario pendant toute cette période [11]. Les syndicats internationaux sont évidemment responsables de bon nombre des arrêts de travail. Les données sur les taux de syndicalisation et l'activité de grève démentent l'interprétation voulant que les travailleurs québécois soient des modèles de docilité avant la Deuxième Guerre mondiale [12]. Il n'y a pas de retard des travailleurs québécois à comprendre la nécessité de se solidariser et à recourir à la grève à l'occasion.

 

Tableau 2

Niveaux de syndicalisation au Québec,
en Ontario et aux États-Unis 

 

Québec

Ontario

États-Unis

1911

5,6%

8,4%

10,0%

1921

17,4%

12,1%

17,8%

1931

9,0%

8,2%

11,8%

1941

20,7%

15,3%

 

1946

29,3%

23,4%

31,1%

1951

26,5%

27,5%

31,7%

1956

28,1%

32,6%

31,4%

1961

30,5%

32,1%

28,5%

 

Source: Pour 1911 et 1921, le rapport est établi avec la population active non agricole et avec la population salariée par la suite. Il est essentiel d'ajuster les effectifs syndicaux déclarés par le ministère car plusieurs syndicats ne font pas de déclarations d'effectifs au Québec comme en Ontario (30 à 40% des syndicats en 1911 et 1921, 20% en 1931 et 1941, 10% en 1961). Pour les sources et la méthodologie, voir Jacques Rouillard, «Le militantisme des travailleurs au Québec et en Ontario: niveau de syndicalisation et mouvement de grèves (1900-1980)», Revue d'histoire de l'Amérique française, 37, 2 (septembre 1983), p. 201-225. Les données pour les États-Unis proviennent de Leo Troy et L. Sheflin, US Union Sourcebook: Membership, Finances. Structure Directory, West Orange, Industrial Relations Data and Information Services, 1985.

 

ÉTAPES DE SYNDICALISATION

 

L'implantation des syndicats internationaux au Québec s'est faite par vague à l'exemple du reste du continent nord-américain. Ce sont d'abord les ouvriers de métier qui ont joint les unions internationales en apportant un modèle de relations de travail qui en vient à s'imposer au Québec, même chez les syndicats catholiques (acceptation du système de libre entreprise, unité de négociation par métiers, processus de négociation collective, clauses des contrats de travail, droit de grève, etc.). Si les travailleurs québécois joignent très majoritairement ces syndicats, c'est que ce modèle leur apparaît le plus susceptible d'améliorer leurs conditions de travail, et ce d'autant plus qu'ils peuvent compter sur l'appui des ressources humaines et financières importantes venant de nos voisins du Sud. Il faut rappeler que l'expansion internationale est facilitée par la grande mobilité de la main-d’œuvre en Amérique du Nord jusqu'aux années 1930. Les travailleurs traversent facilement la frontière à la recherche d'emploi si bien que des liens organisationnels se tissent dans l'axe Nord-Sud bien avant qu'ils ne s'établissent entre les provinces canadiennes. 

À cette époque, les critiques adressées aux syndicats internationaux qui reviennent le plus souvent consistent à leur reprocher d'être subordonnés à des organisations étrangères et de faire abstraction des convictions religieuses de leurs membres. À cela, leurs dirigeants répliquent qu'ils poursuivent uniquement des objectifs économiques sans se préoccuper de questions religieuses ou nationales. Le dollar n'a pas d'odeur clamait Gustave Francq, éditeur du Monde Ouvrier : « Que les ouvriers réalisent donc une fois pour toutes que dans la lutte économique il n'y a pas de place pour des querelles de clocher ou des questions de race ou de religion. Le dollar n'a pas d'odeur pour les patrons, pourquoi en aurait-il pour les ouvriers [13] ?» Les unions internationales au Québec situent donc leur action dans une perspective strictement économique, minimisant l'appartenance nationale, qu'elle soit canadienne ou canadienne-française, et faisant de la religion une question de conviction individuelle. 

Dans un milieu encore largement hostile au syndicalisme et où la législation leur est défavorable, les syndicats internationaux cherchent d'abord à regrouper les travailleurs en syndicats de métier. Ce mode d'organisation leur apparaît la meilleure façon d'imposer la négociation collective aux employeurs, car les ouvriers de métier ne se remplacent pas facilement. Avant les années 1930, ils recrutent surtout leurs membres parmi les cheminots, les ouvriers de la construction et certains groupes d'ouvriers qualifiés dans l'industrie manufacturière (machinistes, mouleurs, typographes, tailleurs, etc.). Bien que les études soient encore rares, il est certain que la négociation de conventions collectives permet d'améliorer substantiellement leurs salaires et leurs conditions de travail. 

Mais la structure organisationnelle des syndicats de métier a tôt fait de les handicaper à mesure que se développe la grande industrie manufacturière (textile, vêtement, métallurgie, bois, alimentation, etc.) qui emploie en grande partie une main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. Dans ces vastes usines, le sentiment de solidarité des travailleurs et travailleuses ne passe plus par leur qualification, si faible soit-elle, mais par leur appartenance à l'entreprise. Certaines unions internationales aux États-Unis le réalisent et assouplissent leur structure, ce qui entraîne un schisme à l'intérieur de la centrale syndicale American Federation of Labour (AFL) et la formation en 1938 d'une centrale rivale, le Congress of Industrial Organizations (CIO). Les unions industrielles connaissent un succès rapide, aidées par de nouvelles lois du travail en 1933 et 1935 (loi Wagner) qui facilitent la syndicalisation des travailleurs non qualifiés et semi qualifiés de la grande industrie. 

Leurs syndicats se répandent au Canada et au Québec surtout pendant la Deuxième Guerre mondiale, notamment autour des Métallurgistes unis d'Amérique, de l'Association internationale de machinistes et des Travailleurs unis des salaisons d'Amérique. Leur expansion au Canada a pour effet de doubler les structures internationales avec la création du Congrès canadien du travail en 1940 et de la Fédération des unions industrielles du Québec en 1952. En revanche, leur progression a pour effet de donner un nouveau souffle à la syndicalisation surtout que plusieurs unions internationales affiliées à l'AFL se transforment pour élargir leur base de recrutement. Les effectifs internationaux, qui doublent de 1940 à 1951, sont pour une bonne part responsable de la hausse du taux de syndicalisation de 20 à 26% pendant cette période (tableau 2). Il va de soir que leur action se traduit par une amélioration sensible de la condition des travailleurs et travailleuses de la grande industrie manufacturière qui obtiennent des avantages comparables à ceux des syndiqués du reste de l'Amérique du Nord [14]. 

Les unions industrielles régénèrent la philosophie du syndicalisme international, notamment en se débarrassant des réticences qu'il porte envers l'action de l'État surtout dans le champ des relations de travail. On se rend compte que les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle clé dans le relèvement du sort de la classe ouvrière et devenir des alliés précieux dans l'extension du syndicalisme. C'est pourquoi, ces syndicats portent un intérêt nouveau pour l'action électorale en appuyant activement le Commonwealth Cooperative Federation à partir de 1943 et en provoquant la création du Nouveau parti démocratique (NPD) en 1961. Au Québec, le congrès de la Fédération des unions industrielles adopte un manifeste politique en 1955, mais refuse cependant de former un nouveau parti œuvrant sur la scène provinciale à la fin des années 1950. L'objectif est repris en 1963, mais la question nationale vient diviser les militants syndicaux. La FTQ se tient à l'écart du projet, mais suggère à ses syndicats de s'affilier au NPD et supporte activement ses candidats à chaque élection fédérale jusqu'en 1971. 

Comme dans le reste du Canada, les effectifs des « internatio­naux » stagnent dans les années 1970 et régressent dans la décennie suivante, principalement parce que la composition de la main-d’œuvre se transforme [15]. La création d'emplois se fait rare dans les secteurs qu'ils syndiquent traditionnellement comme les métiers de la construction et l'industrie manufacturière alors que les nouveaux emplois se retrouvent surtout dans les services, privés et publics, où les travailleurs et travailleuses ont tendance à s'organiser dans des syndicats canadiens. En outre, l'affirmation du nationalisme au Canada anglais dans les années 1970 touche le mouvement syndical, faisant ressortir l'incongruité du lien de dépendance envers les syndicats états-uniens. De là la formation de syndicats canadiens puissants comme le Syndicat canadien de fonction publique qui ne ressentent pas le besoin comme d'établir des liens au Sud de la frontière. La fièvre autonomiste touche également les syndicats internationaux existants dont plusieurs manifestent la volonté de canadianiser leur structure ou encore carrément, pour certains, de briser leur lien international. Le mouvement de désaffiliation touche des syndicats importants, tels les Travailleurs unis du papier en 1974, les Ouvriers unis des brasseries la même année et les Travailleurs unis de l'auto en 1984. Comme on pourra le noter au tableau 1, le recul du syndicalisme international s'accentue dans les années 1990 tant au Québec que dans le reste du Canada. 

 

POUR UNE SOCIÉTÉ
SOCIAL-DÉMOCRATE

 

Les unions internationales ont souvent été accusées de pratiquer un syndicalisme d'affaires, absorbées à négocier de bonnes conventions collectives pour leurs membres et négligeant le sort de l'ensemble de la classe ouvrière. Cette interprétation ne nous apparaît pas juste car ces syndicats se dotent très tôt de structures d'intervention auprès des pouvoirs publics pour favoriser l'adoption de lois et règlements favorables à l'ensemble des travailleurs. En effet, dès 1886, elles participent à la fondation du Conseil central des métiers et du travail de Montréal dont le rôle principal est de défendre les intérêts de la classe ouvrière auprès du conseil de ville. Les organismes qui vont lui succéder, le Conseil des métiers et du travail de Montréal (fondé en 1897) et le Conseil du travail de Montréal (né en 1940), jouent un rôle équivalent à celui de la FTQ jusque dans les années 1950 à cause de la forte concentration des syndicats internationaux à Montréal et de l'intérêt porté à la politique municipale. Des conseils du même genre sont formés, d’abord à Québec en 1891, puis graduellement, au début du 20e siècle, à Saint-Jean, Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Trois-Rivières, Thetford Mines et Shawinigan. L'intérêt de porter les revendications des travailleurs auprès du gouvernement du Québec se manifeste à travers la formation en 1889 du Comité exécutif du Québec (dépendant du CTC) qui présente chaque année un mémoire au Cabinet. La même démarche est accomplie par la suite par la Fédération provinciale du travail du Québec (FPTQ) fondé en 1937 et la Fédération des unions industrielles du Québec né en 1952. 

Ces instances, qui se posent sans ambiguïté en défenseur de la classe ouvrière, proposent un projet de société qu'on caractériserait de nos jours de social-démocrate. Son inspiration ne vient pas des États-Unis, mais largement du Labour Party britannique dont les idées sont acheminées au Québec à travers les instances canadiennes du syndicalisme international (CMTC, CCT, CTC). Leurs réclamations auprès des pouvoirs publics laissent voir un programme réformiste dont les principes animent toujours la FTQ, tels l'acceptation du régime d'entreprise privée, le soutien aux institutions démocratiques et l’élargissement du rôle de l’État. Leur appui au régime capitaliste est fondé sur l'idée qu'il représente le système le mieux en mesure de générer de la richesse avec l'espoir que la négociation collective en redistribue les fruits aux travailleurs. Le système démocratique de gouvernement reçoit aussi leur aval car il garantit les libertés individuelles et laisse la faculté aux travailleurs de former des syndicats. C'est pour cette raison que les syndicats internationaux appuient le gouvernement canadien au cours des deux grandes guerres, militent pour l'adoption d'une charte des droits et libertés et combattent tout autant les groupes socialistes, communistes que fascistes. À cet égard, la FPTQ est fondée en 1937 pour faire contrepoids aux tendances fascistes qu'on croit déceler au Québec [16]. 

Contrairement au libéralisme classique, les «internationaux» réservent une place importante à l'action de l'État pour réduire les inégalités sociales et éviter la constitution de monopoles économiques. C'est pourquoi, ils proposent depuis le début du siècle la nationalisation ou la municipalisation des entreprises de services publics (chemins de fer, tramways, gaz, électricité, etc.) et aussi de celles aussi qui œuvrent dans le secteur des ressources naturelles. Du coté des mesures sociales, ils se font les avocats de mesures qui vont bien au-delà du seul secteur du travail (salaire minimum, accidents de travail, travail des enfants), défendant l'instauration d'un système public d'instruction gratuite et obligatoire et l'adoption des grandes politiques de sécurité sociale comme les pensions de vieillesse, l’assurance-chômage, l'aide aux mères «nécessiteuses» et l’assurance-maladie [17]. C'est bien davantage cependant du gouvernement fédéral qu'ils attendent ces dernières mesures car le gouvernement québécois demeure moins intéressé à se commettre jusqu'à la Révolution tranquille (sauf le gouvernement libéral d’Adélard Godbout). Sur de nombreux dossiers, les « internatio­naux » ont influencé le législateur et infléchi l'évolution générale de la société québécoise en faisant notamment contrepoids aux influences conservatrices. 

Pour mettre de l’avant leurs revendications, les syndicats internationaux sont tentés à divers moments de former au Canada un parti semblable au Labour Party britannique. Le CMTC est touché par ce projet au début du siècle (1900, 1906, 1917) et, au Québec, des dirigeants de syndicats internationaux forment un Parti ouvrier en 1899 qui est fort actif jusqu'à la Première Guerre mondiale [18]. Il présente plusieurs candidats dans la région montréalaise et en fait élire un, Alphonse Verville, en 1906. La volonté politique des internationaux se concrétise finalement dans l'appui accordé par le Congrès canadien du travail au CCF en 1943 et dans la fondation du NPD en 1961 où le CTC est partie prenante. Comme nous l'avons fait remarquer, la FTQ porte le flambeau du NPD au Québec dans les années 1960.

 

*******************************

 

Une interprétation toujours répandue veut que la société franco-québécoise n'ait, jusqu'à la Révolution tranquille, évolué à peu près uniquement que sous l'emprise de courants conservateurs. On imagine cette société largement agricole, dominée par des élites traditionnelles et où les travailleurs salariés sont un groupe marginal. Mais cette image, largement caricaturale, ne reflète pas la réalité comme l'ont montrée, depuis une trentaine d’années, de nombreux travaux sur l'histoire du Québec contemporain. Quoique l'emprise du pouvoir clérical et du conservatisme soit importante au Québec pendant la période qui nous occupe, il ne faut pas oublier que d'autres forces sociales exercent leur influence sur la société francophone. Parmi elles, il y a notamment les quotidiens à grand tirage, le Parti libéral, ouvert au progrès économique, et le milieu francophone des affaires, dont l'action se fait sentir sur la société [19]. Les syndicats internationaux font partie de ces forces qui, avec un membership important, travaillent non seulement à négocier des conventions collectives dans les entreprises, mais aussi, comme nous l'avons vu, influencent les pouvoirs publics. Ils reflètent l'appartenance du Québec au continent nord-américain et la vigueur de sa classe ouvrière qui est loin être silencieuse devant le processus d'industrialisation.


[1] Constitution de la Fédération provinciale du travail, Le Monde Ouvrier, 30 juillet 1938, p. 4 ; Constitution du CMTC, dans ministère fédéral du Travail, Le mouvement syndical ouvrier au Canada, 1936, p. 24. Voir H. A. Logan, Trade Unions in Canada. Their Development and Functioning, Toronto, Macmilland, 1948, p. 366-369.

[2] À sa fondation en 1940, le Congrès canadien du travail qui comprenait plusieurs syndicats purement canadiens se voulait plus indépendant des unions internationales que le CMTC et ouvert à l'affiliation de tous les syndicats. Mais après la Deuxième Guerre mondiale, la plus forte présence de sections locales d'unions internationales dans ses rangs rend plutôt illusoire l'affiliation de syndicats qui leur font concurrence. En 1946, le directeur régionale du CCT au Québec, Paul-Émile Marquette démissionne parce qu'on l'oblige à affilier à des unions internationales des syndicats qu'il a contribué à organiser au Québec (Irving Abella, Nationalism, Communism and Canadian Labour, University of Toronto Press, 1973, chap. 9 et 10; Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, p. 211-214).

[3] Constitution et règlements de la FTQ, dans Relations industrielles, 12, 1-2 (janvier 1957), p. 158.

[4] Constitution du Congrès du travail du Canada, dans Relations industrielles, 12, 1-2 (janvier 1957), p. 142.

[5] Canada, Department of Labour, Report on Labour Organizations in Canada, 1961, p. XII.

[6] Jacques Rouillard,op. cit., p. 247-250.

[7] Québec, Taux du syndicalisme au Québec, ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre, 1971, p. 13.

[8] Le Monde Ouvrier, octobre 1967.

[9] Jacques Rouillard, op. cit., p.131, 210, 471-473.

[10] Pour la seule ville de Montréal, Alfred Charpentier estime la proportion de francophones dans les syndicats internationaux à 68% en 1918 et le procès-verbal du Conseil des métiers et du travail de Montréal à 75% en 1931 (Archives de la CSN, Compte rendu d’une journée sociale à la Villa Saint-Martin, avril 1918, p. 15; Le Monde Ouvrier, 17 janvier 1931, p. 1). Pour sa part, Gustave Francq répartit ainsi en 1913 la proportion de francophones dans les syndicats internationaux montréalais: 75% dans les métiers de la construction, 90% dans la chaussure, l'imprimerie et le cigare, 50% parmi les cheminots, 25% dans la métallurgie et parmi les machinistes, 80% parmi les musiciens et autres. Dans les villes de Québec, Trois-Rivières, Grand-Mère, Saint-Hyacinthe, Valleyfield et autres, il estime à plus de 90%, parfois à 100% les effectifs francophones (Report of Fraternal Delegate of the Trades and Labor Congress of Canada, 1913, Report of Proceedings of the AFL, 1913, p. 199-200, dans Éric Leroux, Gustave Francq, Textes choisis, Montréal, RCHTQ, 2001, p. 14). Pour sa part, l'historien Bernard Dionne évalue à 60% la proportion des francophones parmi les dirigeants des syndicats internationaux montréalais de 1937 à 1957 (Bernard Dionne, «Les Canadiens français et les syndicats internationaux. Le cas de la direction du Conseil des métiers et du travail de Montréal (1938-1958)», Revue d’histoire de l’Amérique française, 43, 1 (été 1989), p. 53). Quand on prend en compte l’ensemble des syndiqués internationaux de la province, il devient plausible qu'ils comptent des effectifs francophones entre 70 et 75%.

[11] Jacques Rouillard, «Le militantisme des travailleurs au Québec et en Ontario: niveau de syndicalisation et mouvement de grèves (1900-1980)», Revue d'histoire de l'Amérique française, 37, 2 (septembre 1983), p. 213-222.

[12] C'est l'interprétation que les artisans de la Révolution tranquille ont véhiculée à la suite de la parution en 1956 du volume édité par Pierre-Elliott Trudeau, La grève de l'amiante; une étape vers la révolution industrielle au Québec, Montréal, Cité libre, 1956.

[13] Le Monde Ouvrier, 7 juillet 1926, p. 1.

[14] Voir notamment Jean Gérin-Lajoie, Les Métallos, 1936-1981, Montréal, Boréal Express, 1982.

[15] Sur ce sujet, voir Colin Jonathan Dawes, The Relative Decline of International Unionism in Canada Since 1970, Kingston, Industrial Relations Centre, Queen's University, 1987, 80p. et Pradeep Kumar, «La croissance des syndicats au Canada; rétrospective et prospective», dans W. Craig Riddell, Les relations de travail au Canada, Étude no 16 de la Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, 1986, p. 133-138.

[16] Voir notre article «Haro sur le fascisme: La fondation de la FPTQ, 1938», Canadian Historical Review, LXII, 3 (septembre 1990), p. 346-374.

[17] Voir notamment à ce propos, Éric Leroux, Gustave Francq, Figure marquante du syndicalisme et précurseur de la FTQ, Montréal, vlb éditeur, 2001, p. 53-91, 209-249; Bernard Dansereau, Le mouvement ouvrier montréalais, 1918-1929: structure et conjoncture, thèse de doctorat en histoire, Université de Montréal, 2000 ; Louis-Marie Tremblay, Idéologies de la CSN et de la FTQ 1940-1970, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1972, p. 125-253.

[18] Voir notre article « L'action politique ouvrière au début du 20e siècle », dans Fernand Harvey, Le mouvement ouvrier au Québec, Montréal, Boréal, 1980, p. 185-213.

[19] Voir notre texte « La Révolution tranquille : rupture ou tournant ? », Journal of Canadian Studies/Revue d'études canadiennes, vol. 32, 4 (hiver 1998), p. 23‑51.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 23 février 2008 18:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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