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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LES YEUX DE MA CHÈVRE.
Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun)
. (1981)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Père Éric de Rosny, s.j., LES YEUX DE MA CHÈVRE. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun). Avec 27 documents in texte 36 photographies hors texte et un index. Paris: Plon, 1981, 474 pp. Collection: Terre humaine. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée de débats et critiques. Une édition numérique réalisée conjointement par Gemma Paquet (bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi) et Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Le 20 décembre 2011, le Père Éric de Rosny, jésuite, accordait aux Classiques des sciences sociales, son autorisation de diffuser tous ses livres. Cette autorisation nous a été retransmise, le 27 décembre 2011 par Jean Benoist, un ami personnel du Père de Rosny.]

[9]

Avant-propos


Ce livre a été écrit à la manière dont certains Douala des îles du Wouri bâtissent leur nouvelle habitation. Ils ne la construisent pas à côté de l'ancienne, mais bel et bien par-dessus. Quand la première maison aux murs de planches et au toit de chaume ne suffit plus à contenir toute la famille ou menace de s'effondrer, ils l'encadrent en plantant des poteaux tout autour. Puis, sans démolir l'ancienne structure, ils posent sur ces poteaux une charpente et un toit qui domine les précédents mais ne les touchent pas. Les propriétaires continuent de vivre dans leur première demeure, le temps d'élever des murs en parpaing, de ménager des portes et des fenêtres ; à vrai dire ils ne la quittent jamais. Cette période de mue peut durer des mois, quelquefois des années, si rien ne presse ou que l'argent manque. L'opération a l'avantage d'éviter un déménagement et d'imprégner les nouveaux murs de l'ancienne odeur familière.

Pendant dix ans, entre 1970 et 1980, j'ai, pour ainsi dire, vécu dans ce livre comme dans une maison, lui donnant des proportions de plus en plus vastes. Dès ma première rencontre avec ceux que l'on appelle en français - faute de mieux - les « guérisseurs traditionnels africains », les « nganga » du pays douala, j'ai mis sur papier mes observations, avec la conviction que j'aurais à les communiquer. Au début, ce furent des notes, des comptes rendus de séances nocturnes, la transcription des enregistrements. Mon premier texte décrit une cérémonie qui s'est déroulée à Douala, près du quartier où j'habitais, sans que je puisse y assister : « La lutte contre le choléra ; liturgie de l'Esa [10] à Douala [1]. » Je l'ai reconstituée à force d'interviews. Depuis, je n'ai rapporté que des événements dont j'ai été le témoin. Quand je croyais avoir cerné un cas d'envoûtement, par exemple, et compris le comportement du nganga, j'écrivais un récit aussi complet que possible. Ces dossiers confidentiels étaient ensuite soumis à mon plus proche entourage - amis africains et européens, universitaires, prêtres -, ou envoyés à des membres de ma famille. Mon souci de discrétion s'explique : les textes mettaient en cause des personnes que nous côtoyions. Mais je ne pouvais m'empêcher de les communiquer.

En 1974, persuadé que l’œuvre de ces maîtres de la nuit devait venir au jour, je pris le risque de publier les premiers récits aux Éditions CLE [2]. Les personnes concernées ont-elles su qu'elles apparaissaient dans un livre, sous d'autres noms ? En tout cas, elles se sont tues. De leur côté, les chefs traditionnels douala ont bien accueilli le document, et je tiens à les remercier  publiquement dans ce nouveau livre de leur rare esprit d'ouverture. J'avais choisi une maison d'édition camerounaise, pour convaincre d'abord leurs compatriotes « évolués » de la grandeur et de la compétence des nganga. Le livre se voulait objectif, et je me livrais moi-même avec parcimonie.

Deux arguments m'incitèrent à construire sur mes essais précédents un nouveau livre. Plus je voyais agir les nganga, jusqu'à me faire « ouvrir les yeux » par l'un d'entre eux, et plus j'étais pris du désir de les faire connaître au plus large public possible. En même temps, j'étais sommé par mon entourage, et plus particulièrement par un ami douala, de me manifester davantage : « Et vous-même, me dit-il un jour, que pensez-vous de tout cela ? »

En 1976 j’adressais un nouveau manuscrit à Jean Malaurie, pour la collection « Terre humaine », qui a la vocation de révéler la mystérieuse parenté d'hommes vivant à des antipodes culturels. « Celui qui vous a ouvert les yeux vous interpelle au-delà de la mort », me souffla Jean Malaurie. Cette invitation à rentrer en moi-même, faite par un homme qui avait, lui aussi, partagé la vie d'un peuple à l'autre bout du monde, emporta ma décision. Il devint clair que je devais me dévoiler en décrivant les nganga, si je voulais les rendre aussi présents que je les voyais. Je compris, grâce à l'impitoyable éclairage de l'écriture, que mon expérience à leur contact faisait corps avec celle de ma vie religieuse, et [11] qu'il était nécessaire de faire apparaître cette unité pour rendre fidèlement les faits.

Comme les constructions des îles du Wouri, j'ai voulu respecter, sous la nouvelle architecture, les documents de base qui détiennent l'essentiel de ce que je veux livrer, en particulier les enregistrements. Mises à part quelques phrases courtes retenues de mémoire, les paroles rapportées et traduites le plus fidèlement possible viennent de ces enregistrements. Cette dernière rédaction repose donc toujours sur les matériaux d'origine qui m'avaient fasciné et inspiré lors de ma première découverte [3].



[1] Revue Abbia, n° 29-30, Yaoundé 1975.

[2] Ndimsi : Ceux qui soignent dans la nuit. CLE, Yaoundé, 1974.

[3] Je remercie vivement les Éditions Plon des soins apportés à la préparation et à la mise au point définitive du manuscrit de ce livre.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 9 juin 2013 15:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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