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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Père Éric de Rosny, s.j., Justice et Sorcellerie.
Colloque international de Yaoundé (17-19 mars 2005) (2006)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Père Éric de Rosny, s.j., Justice et Sorcellerie. Colloque international de Yaoundé (17-19 mars 2005). Cet ouvrage a été publié en 2005 en édition séparée dans le cahier no 8-10 de l'Université catholique d'Afrique centrale (UCAC), édité par les Presses de l'UCAC. Paris: Les Éditions KARTHALA; Yaoundé: Les Presses de l'Université catholique d'Afrique centrale, 2006, 383 pp. Collection: Hommes et sociétés. Une édition numérique réalisée conjointement par Gemma Paquet (bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi) et Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Le 20 décembre 2011, le Père Éric de Rosny, jésuite, accordait aux Classiques des sciences sociales, son autorisation de diffuser tous ses livres. Cette autorisation nous a été retransmise, le 27 décembre 2011 par Jean Benoist, un ami personnel du Père de Rosny.]

[5]

Justice et sorcellerie.
Colloque international de Yaoundé (17-19 mars 2005)

Introduction

L’idée de tenir un colloque sur Justice et sorcellerie est ancienne. Elle remonte aux années 70 quand je commençais mes recherches sur la médecine traditionnelle à Douala et le long du littoral du Cameroun. J'ai très vite mesuré le danger et l'injustice d'opérer un amalgame entre les nganga - à traduire par « tradipraticiens », comme le propose l'oms, plutôt que par « guérisseurs » - et les sorciers maléfiques. Un jour, j'appris que mon principal informateur et maître, que j'appelle Din, avait été arrêté et jeté en prison pour pratiques de sorcellerie, sur dénonciation d'un petit charlatan de quartier. Persuadé qu'il s'agissait d'une injustice ou, pour le moins, d'une méprise, je me suis porté témoin au procès et je réussis à convaincre le juge de l'innocence de mon maître [1]. Comment ? En déposant sur la table du magistrat les notes que j'avais prises au jour le jour où il apparaissait clairement que Din soignait et guérissait. Le magistrat reconnut qu'un sorcier ne pouvait pas logiquement faire œuvre de guérison, ce qui innocentait Din ! Un jugement basé sur la sagesse coutumière et non explicitement sur la loi ! J'apprenais que, selon la tradition, un nganga qui est coupable de la maladie ou de la mort d'une personne (sauf s'il est en état de légitime défense) perd son pouvoir de guérir [2]. Je dus reconnaître par la suite que, dans la pratique, la frontière entre les deux personnages n'était pas aussi étanche.

Alerté par ce premier procès, je me suis rendu compte que, loin d'être unique, il était un cas parmi d'autres. Loin d'être un apanage de Douala, les procès pour pratiques de sorcellerie avaient cours dans d'autres régions du Cameroun, non pas partout ni en grand nombre, mais qu'ils étaient plutôt en augmentation. Je fus invité à Bangui par les évêques de la Centrafrique pour les aider à réfléchir sur la multiplication de ces procès : « le manque de définition de la sorcellerie dans le Droit, et le manque de preuves objectives pour soutenir l'accusation, nous posent à nous, évêques et pasteurs, de graves problèmes, car on ne peut condamner des gens sur des impressions, où chacun [10] consciemment ou non peut fabuler à sa manière » [3]. Étant appelé à voyager dans d'autres pays jusqu'au Mozambique et en Afrique du Sud, j'ai réalisé que nos préoccupations étaient partagées presque partout devant une croissance générale des phénomènes dits de « sorcellerie » : une inadaptation des législations pour y faire face, la prolifération de réactions populaires violentes pour pallier les défaillances de la Justice. J'ai échangé sur ce grave problème de société avec des médecins, des tradipraticiens, des juristes, des sociologues de Douala et nous avons envoyé une lettre dûment argumentée au Ministre de la Justice, avec une proposition de modification de l'article du code pénal concerné (art. 351) [4]. Pas de réponse jusqu'à ce jour ! L’idée de tenir un colloque sur ce sujet brûlant à l'Université catholique d'Afrique centrale, sise à Yaoundé, a rencontré un grand intérêt de la part des autorités, des professeurs et des magistrats. Le P. Jacques Fédry, doyen de la faculté des Sciences sociales et de gestion, en a assumé la responsabilité et a pris part activement à sa conception. Chacun estimait que d'alerter la conscience sociale sur un pareil problème de société, qui demande recul et hauteur de vue, revenait à une université.

Les Actes du colloque, que voici, rapportent non seulement les dix-sept conférences qui y ont été données mais un certain nombre de débats jugés caractéristiques ou de réponses aux questions d'une assistance nombreuse. Leur transcription a été rendue possible grâce aux enregistrements assurés par une équipe compétente d'étudiants. Nous présentâmes un film intitulé Un œil dans les ténèbres, dont le scénario et le script sont reproduits ici. Il s'agit d'un cas de sorcellerie dénoncé dans un commissariat de police des environs de Yaoundé. Le groupe de recherche de Douala et les auteurs du film apportent leur point de vue sur le cas. Le Professeur Jean Benoist, de l'Université Paul Cézanne d'Aix-Marseille, intervient par deux fois pour donner un large éclairage sur l'avancée du colloque. Une synthèse finale est assurée par le R.P. Ferdinand Guillén Preckler. Un débat d'après colloque, rassemblant en particulier les intervenants étrangers, permet de prendre déjà une certaine hauteur par rapport au déroulement des travaux. J'en recommande la lecture. En annexe, je tente une analyse de pas moins de 662 questions posées par écrit aux conférenciers par les quelques centaines de participants, et laissées pour la plupart sans réponse du fait de leur grand [11] nombre. On y trouve également un premier compte rendu du colloque de la revue AMADES. Les Médias locales ont couvert le colloque consciencieusement mais leurs reportages sont trop abondants pour être reproduits ici. Bref, ces Actes essaient de rendre compte, autant que le genre littéraire le permet, de l'intérêt et même, parfois, de la passion que le sujet a provoqués dans l'assistance.

Les trois journées de travail, correspondant aux trois parties des Actes, ont été prévues pour obéir à une certaine dynamique. Il a paru logique, le premier jour, de donner la parole aux anthropologues pour assurer une présentation du système de la sorcellerie, sans entrer encore dans son traitement par la Justice. Le film du milieu de la journée devait apporter comme une illustration de ce qu'ils exposeraient. L'intervention des anthropologues venus de l'étranger (France, Gabon, et le lendemain Pays-Bas et Côte d'Ivoire) élargirait aussi le débat. La matinée de la seconde journée devait permettre d'approcher les phénomènes de sorcellerie sous trois angles - correspondant aux trois sphères de la société : le politique, le familial et l'économique. L’après-midi, un sociologue de l'entreprise, un psychothérapeute et un juriste devaient apporter un point de vue professionnel. Ces deux Journées avaient pour but de préparer la troisième, destinée à aborder de front le sujet du colloque : Justice et sorcellerie. Les membres de deux institutions étaient invités à s'exprimer parce que particulièrement concernés : les magistrats, bien évidemment, mais aussi les théologiens pour qui l'œuvre de justice a une dimension morale et pastorale. La matinée du troisième jour serait consacrée à une présentation du Droit camerounais face à la sorcellerie, avec ses deux composantes, la francophone et l'anglophone. Puis seraient appelés à témoigner de leur pratique un juge, assisté d'un expert traditionnel, et un avocat. Le dernier après-midi, deux théologiens, l'un catholique, l'autre protestant s'exprimeraient. Enfin, un prêtre allait apporter un témoignage sur sa démarche pastorale. Au lecteur des Actes de juger si ce projet a été respecté.

On aura compris que l'objectif de ce colloque était avant tout de faire venir au jour un problème grandissant de société qu'il n'est pas sain, chacun en conviendra, de garder tapi dans les consciences ou dans une aire familiale feutrée. D'autant que la sorcellerie quitte aujourd'hui le cadre des relations familiales pour gagner de plus grands ensembles comme une région rurale entière ou les rues d'une ville, sous des formes nouvelles et inquiétantes que les média orchestrent sans toujours faire preuve d'esprit critique. À ma connaissance, aucun autre colloque ne s'est encore tenu sur ce thème, que [12] ce soit en Afrique ou dans d'autres parties du monde où pourtant le phénomène existe aussi bien [5]. Le colloque réalisera-t-il le vœu du groupe de réflexion de Douala, à savoir que la Loi puisse un jour être modifiée pour servir efficacement la justice ? C'est sans doute attendre trop d'un colloque. Ne faut-il pas passer d'abord par une jurisprudence, une sorte de consensus du corps des magistrats, avant toute réforme du Droit en la matière ? En ce sens, le lecteur des Actes est invité à retenir l'expérience tentée dans la localité de Ntui par le Président du tribunal et le chef traditionnel du lieu, telle qu'elle est relatée dans la troisième partie : une forme de collaboration prometteuse qui peut faire école.

Éric de ROSNY, coordinateur



[1] E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre, Plon, 1981, "Le procès", p. 125 sq.

[2] Ibidem, "Le pouvoir perdu", p. 71 sq.

[3] Discours d'introduction de la conférence de Bangui.

[4] Annexe IV. Nous nous sommes réunis régulièrement chaque mois durant plusieurs années et avons formé le "Groupe de recherche sur la sorcellerie" (GRS).

[5] Cf. Indonésie: La démocratie invisible. Violence, magie et politique à Java, R. Bertrand, Karthala 2002.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 9 juin 2013 11:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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