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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Pierre Noreau et Guy Rocher, “Les sciences sociales et humaines, pour quoi faire ?” Un article publié dans le journal Le Devoir, Montréal, édition du lundi, 9 mai 2016, page A7 —idées. [Le 16 août 2006, M. Guy Rocher nous donnait sa permission de diffuser tous ses articles dans Les Classiques des sciences sociales.].

Pierre Noreau et Guy Rocher

Université de Montréal

Les sciences sociales et humaines,
pour quoi faire ?


Un article publié dans le journal Le Devoir, Montréal, édition du lundi, 9 mai 2016, page A7 —idées.


La question de l’avenir des sciences sociales revient périodiquement comme une interrogation sur nous-mêmes et sur nos sociétés. Aux États-Unis, l’American Academy of Arts and Sciences publiait, en 2013, un important plaidoyer en faveur des sciences sociales et humaines, des arts et des lettres. On s’y inquiète des compressions imposées au secteur des « Humanities », en tant que champ de connaissance. En France, une importante mobilisation autour de l’avenir des sciences sociales et humaines a conduit à la création de l’Alliance Athéna, un collectif voué à la défense et à la promotion de ces sciences destinées à l’étude de la « constitution de l’humain et du fonctionnement du monde social ».

Photo : Pedro Ruiz, Le Devoir. Les sciences sociales et humaines posent les termes de la délibération continue que chaque société doit entretenir avec elle-même et posent le problème des conditions de la vie en commun.

Les sciences sociales et humaines permettent d’éclairer les chemins difficiles où nous nous dirigeons et offrent la base à une question qu’il faut toujours savoir se poser : dans quelle société voulons-nous vivre ?


Des sciences pour quoi ?

Les sciences sociales sont nées au XIXe siècle et se sont développées au XXe en même temps que se déployait la série des révolutions industrielles et qu’émergeaient les démocraties. Ce n’est pas un hasard. Ces deux grandes mutations, à la fois économiques, sociales et politiques, ont transformé en profondeur la vie individuelle, domestique et collective d’une grande partie de la population, ainsi que les institutions dans lesquelles elle se déroulait. On assista alors du même coup à l’explosion des sciences de la société. Celles-ci venaient répondre au besoin des personnes et des collectivités de mieux comprendre les bouleversements qu’elles vivaient, de se les expliquer en les conceptualisant ; de proposer une réflexion qui nous permette d’échapper à un total déterminisme. Ce qu’apportaient, ce qu’apportent toujours les diverses disciplines des sciences sociales, c’est un éclairage, une mise en perspective des conditions concrètes de la vie humaine en société.

Guy Rocher.

RAID Classiques:Users:jmt:Desktop:Rocher Guy:rocher_guy.jpgCet éclairage, en ce début du XXIe siècle, est plus nécessaire que jamais. La postmodernité que nous vivons est caractérisée par une fragmentation et une diversification des structures sociales et économiques, par une accélération du changement, une actualisation de l’information, une mondialisation aux effets encore inconnus. Une autre mutation de la civilisation est en cours, dans la multiplicité de ses contextes.

C’est la fonction, voire la mission, des sciences sociales que d’apporter le regard le plus objectif possible sur ces réalités, à la fois institutionnelles et mouvantes, pour mieux les révéler, pour les appréhender dans une perspective critique et pour contribuer à une juste appropriation des futurs possibles.

La nécessité de se comprendre soi-même

En effet, l’essentiel des changements observables aujourd’hui mettent en cause notre connaissance de l’humain. Si les changements climatiques doivent être compris dans leurs effets attendus, c’est leur origine sociale qui devrait le plus nous interpeller et la façon dont l’humain s’y adaptera. Si les communications numériques révolutionnent notre monde, c’est moins à cause des changements technologiques que des modalités de leur réappropriation sociale. Certains des grands problèmes de santé que connaissent nos populations prennent leur origine dans le comportement humain, sinon dans les habitudes collectives et trouveront des solutions dans le changement de nos pratiques et de nos perceptions.

Pierre Noreau.

RAID Classiques:Users:jmt:Desktop:Rocher Guy:Noreau_Pierre.jpgIl s’agit dans tous les cas de questions de nature sociale. Elles touchent au sens que nous donnons à la vie et aux contraintes symboliques ou idéologiques qui pèsent sur notre agir. Dans ce sens, les sciences sociales et humaines posent les termes de la délibération continue que chaque société doit entretenir avec elle-même et posent le problème des conditions de la vie en commun. Elles permettent que chaque société parvienne à se comprendre elle-même. Elles comportent dans ce sens une fonction politique et posent les termes des décisions que nous devons prendre collectivement.

Or, au Québec, cette nécessité est d’autant plus impérative que notre exception linguistique et culturelle nous rend vulnérables. La globalisation des références, la mondialisation des échanges, l’effacement graduel de ce qui, sur le plan historique, a permis le développement de la diversité sociale et culturelle ne peuvent nous laisser indifférents. Comment intégrer ces nouvelles réalités sans appauvrir l’humanité de ce qui fait sa richesse et sa diversité ? Ce sont ces questions lancinantes que posent quotidiennement les chercheurs et les penseurs issus des sciences sociales et humaines. S’interroger sur ce qui semble parfois s’imposer comme une fatalité, voilà la première fonction des sciences sociales et humaines, et leur raison d’être.

Des sciences invisibles

Cette fonction est en fait assurée continûment dans nos sociétés, sans qu’on s’en rende toujours compte. Les sciences sociales et humaines sont des sciences invisibles parce qu’elles sont parvenues à occuper tous les espaces sociaux. Le monde des médias (sous toutes ses déclinaisons) illustre tous les jours les effets de cette pénétration et les journalistes font essentiellement porter aujourd’hui leur travail sur leur connaissance des mécanismes sociaux et des institutions publiques, sur leur observation souvent très fine des tensions qui opposent les courants d’idées et les mouvements sociaux.

Ces analyses s’appuient sur le travail exigeant de milliers de chercheurs et de professeurs engagés dans l’enseignement et la recherche en sociologie, en anthropologie, en sciences économiques, en criminologie, etc. Sur le plan de la formation collégiale, l’essentiel de la formation générale que reçoivent les étudiants s’appuie d’ailleurs sur le développement des sciences sociales et humaines. Cette pénétration explique que les connaissances tirées de ces domaines du savoir passent inaperçues alors qu’elles déterminent la vaste majorité de nos politiques publiques.

Évidemment, on ne peut attendre de ces disciplines qu’elles s’illustrent quotidiennement par quelque découverte étonnante qui frapperait l’imagination parce qu’elles s’intéressent à l’évolution souvent imperceptible de nos sociétés. De même, la majorité des innovations sociales ne peuvent être observées et comprises que sur une très longue période. Toutes ces mutations ont été d’abord observées et étudiées par des chercheurs audacieux qui ont voulu rompre avec ce qui semblait évident.

Pour l’avenir des sciences sociales

Les études de l’UNESCO haut explorent les effets directs que le sous-financement de la recherche comporte pour les sciences sociales et humaines. Au Québec, il s’agit du secteur le moins bien financé de tous les secteurs de recherche. Comme l’indiquent les auteurs du Plan de développement stratégique 2014-2017 du Fonds québécois de recherche Société et Culture (FQRSC) : « Pendant que la moitié des professeurs universitaires et étudiants de 2e et 3e cycles du Québec spécialisés en sciences sociales et humaines, en arts et en lettres se partageaient 182  millions de dollars, l’autre moitié, qui œuvre en sciences naturelles et en génie et en santé, se partageait 1463 millions. C’est près de dix fois plus par année. »

Contrairement à d’autres domaines de la connaissance, la recherche en sciences sociales et humaines, en arts et en lettres ne bénéficie que de très peu de financement privé, n’étant pas immédiatement utile à l’industrie. Elle doit donc être soutenue par les fonds publics, ce qui, compte tenu de la nature même de ces domaines de recherche, se justifie totalement. En effet, on l’a dit, la vaste majorité des politiques publiques trouvent appui sur ces domaines de connaissance. La création du récent ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation laisse cependant entendre que la recherche continue d’être spontanément associée au monde de l’économie et, par extension, à celui de l’industrie. Cette orientation a pour principale conséquence de nier l’intérêt de travaux qui n’apporteraient pas de résultats immédiatement utiles au monde de l’entreprise.

Or ces aveuglements ont d’autant plus de chances de s’imposer qu’on s’interdit d’en étudier les effets. Rien n’empêchera dès lors que nous nous retrouvions aux prises avec un monde dont nous ne voulons pas. Les sciences sociales et humaines ont partie liée avec l’avenir. Qu’on les soutienne. Elles permettent d’éclairer les chemins difficiles où, autrement, nous nous dirigeons et offrent la base à une question qu’il faut toujours savoir se poser : dans quelle société voulons-nous vivre ?



Retour au texte de l'auteur: Guy Rocher, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 mai 2018 12:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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