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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Guy Rocher, “La loi 101 et la politique linguistique du XXIe siècle.” Un article publié dans la revue L’Action Nationale, vol. 92, no 6, juin 2002, pp. 43-49. [Le 16 août 2006, M. Guy Rocher nous donnait sa permission de diffuser tous ses articles dans Les Classiques des sciences sociales.].

[43]

Guy Rocher *

Université de Montréal

La loi 101 et la politique linguistique
du XXIe siècle
.”

Un article publié dans la revue L’Action Nationale, vol. 92, no 6, juin 2002, pp. 43-49.

Avant de déposer à l'Assemblée nationale le Projet de loi sur la Charte de la langue française en avril 1977, le Gouvernement Lévesque rendait public, sous la signature du ministre d'État au développement culturel, le docteur Camille Laurin, un Énoncé de politique. L'intention qui avait présidé à la préparation de ce document était, bien sûr, de résumer les grandes lignes du projet de loi annoncé, mais, surtout et plus encore, d'expliciter les motifs qui justifiaient les orientations et les décisions qu'il comportait [1].

Si on relit aujourd'hui cet Énoncé de politique, on peut dire qu'il n'a pas vieilli et que les justifications et explications demeurent valables. En même temps, on peut aussi dire qu'elles appartiennent au contexte historique où elles ont été écrites. Il y a lieu, en conséquence, de reprendre la [44] réflexion sur le fondement de la législation linguistique dans le contexte du début du XXIe siècle, vingt-cinq ans après la promulgation de la Charte de la langue française.

La mondialisation et la langue

Un élément contextuel qui a rapidement changé depuis 1977, c'est assurément la nouvelle réalité de la mondialisation, qui n'était pas évoquée dans l'Énoncé de politique. La mondialisation a plusieurs figures, sans doute interreliées, mais qu'il y a souvent avantage à distinguer pour éviter la confusion : elle est tout à la fois politique, économique, culturelle, juridique, militaire. En ce qui a trait à la langue, la mondialisation culturelle devient prééminente. Mais en lien étroit avec la mondialisation économique, dans laquelle on peut encore distinguer entre mondialisation industrielle, commerciale, financière. La mondialisation culturelle, associée à la mondialisation économique, pose le problème du statut et de l'avenir de la langue française, et des autres langues. L'hégémonie sans cesse croissante de la langue anglaise paraît définitivement identifiée à la mondialisation. Elle est en cela portée par tous les médias, l'impérialisme militaro-économique des États-Unis, la recherche et les publications scientifiques et par l'image de la modernité performante attachée à l'anglais et à la toute-puissance états-unienne. D'une manière que l'on peut presque dire ironique, l'anglais est devenu, on le répète à l'envi, la lingua franca du monde du XXIe siècle.

En Amérique du Nord, la continentalisation économique engendrée, ou plutôt accélérée par l'ALENA, est une des formes - peut-être la principale - que prend pour nous la mondialisation. Or, si l'anglais risque de devenir - ou est déjà devenu - la langue dominante dans la nouvelle communauté européenne, on imagine comment, si près du colosse yankee, l'anglais est la langue qui s'impose comme allant de soi.

[45]

Qu'il s'agisse donc des multiples voies de la mondialisation ou de celles de la continentalisation, ce nouveau contexte, qui ne cesse de s'accélérer, rend plus impérieuse encore qu'en 1977 une politique linguistique éclairée, orientée sur la défense et la promotion du français au Québec. En effet, on le sait assez, mondialisation et continentalisation sont dominées par la logique du marché, la logique de la concurrence pour le profit. Même la défense des droits fondamentaux des droits de la personne et en particulier des droits des travailleurs passe après celui du profit pour l'entreprise. Et cette « philosophie » du « développement » est aujourd'hui plus ouvertement affirmée et reconnue que jamais. Il n'est donc pas difficile de démontrer que dans un tel contexte, le souci de la langue vienne encore plus au nième rang des préoccupations des grands décideurs. L'efficacité étant la règle, si le recours à une seule langue, l'anglais, s'avère plus efficace, il n'y a plus de raison d'en respecter d'autres.

La force d'attraction de l'anglais

Loin de s'atténuer, la force d'attraction de l'anglais n'a fait que croître au cours des dernières années. Ce n'est plus un phénomène québécois, c'est un phénomène mondial. Un ami africain, d'un pays où le français était la principale langue seconde, me disait qu'il reçoit maintenant de ses petits-enfants, vivant là-bas, des lettres écrites uniquement en anglais : on leur a expliqué, m'a-t-il dit, que c'est la langue de l'avenir, la langue du succès.

Ceci s'accompagne d'une vigilance décrue, dans la population québécoise, à l'endroit des menaces à la langue française. Il n'y a plus de débat linguistique ; nous vivons une paix relative, qui a succédé à la période des conflits, des luttes et des manifestations de rue. Nous sommes peut-être installés dans un sentiment de trop grande sécurité : on croit assez facilement que la Loi 101 protège le français ; l'on peut même [46] aller jusqu'à croire que la Loi 101 a fait tout son travail et deviendra bientôt inutile. La conscience du danger diminue au moment où la menace est plus grande que jamais.

Bien sûr, les fruits de la Loi 101 sont palpables : il ne faut ni les nier, ni les minimiser. Mais il ne faut pas non plus les brandir avec triomphalisme. En réalité, le contexte d'aujourd'hui, malgré les acquis vingt-cinq ans plus tard, demeure aussi inquiétant qu'en 1977 et rend toujours aussi nécessaire l'action d'une vigoureuse Charte de la langue française.

Les milieux de travail

La Charte de la langue française a exercé pour l'avenir du Québec et du français au Québec, une influence, que l'on peut espérer décisive, dans deux domaines surtout : la francisation des enfants d'immigrants par l'école primaire et secondaire et la francisation des milieux de travail. De ces deux champs, celui qui demeure toujours à parfaire et toujours menacé, c'est le milieu de travail. Concernant ce dernier, la Charte de la langue française du XXIe siècle devra être révisée pour mieux répondre à deux impératifs. Le premier concerne l'évolution technologique qui n'a cessé de s'accélérer au cours des deux dernières décennies. Avec une économie mondialisée, continentalisée et technologisée, les communications internationales font partie du travail d'un nombre croissant de Québécois et Québécoises. L'anglais est généralement la langue des communications internationales. Or, on sait que ce facteur exerce une puissante influence sur les conditions quotidiennes de travail : il a « des effets d'entraînement » en ce sens que « l'usage de l'anglais dans les communications internationales amène une anglicisation des communications locales » [2]. Il y a donc là une raison plus impérieuse que jamais non seulement de maintenir une politique énergique de francisation des entreprises, mais de s'assurer que les entreprises dotées du certificat de francisation ne reviennent [47] pas subrepticement en arrière, sous prétexte de s'adapter à des impératifs de concurrence sur un marché international.

À l'occasion de l'un de ses derniers discours, pour marquer en 1997 le 20e anniversaire de la Charte de la langue française, celui qui en fut l'auteur, le docteur Camille Laurin, évoquait « les menaces, difficultés de parcours, attaques, dangers que nous avons connus et continuerons de connaître » et il mentionnait en particulier « le retour offensif de l'unilinguisme anglais dans les secteurs de pointe que sont l'informatique, l'électronique, le numérique et le multimédia, les normes techniques qu'imposent les organismes américains de certification et les traités nord-américains de libre-échange » [3]. Cette description des mutations en cours du marché du travail des sociétés modernes correspond tout à fait à ce que signifie l'évolution de la société industrielle vers la « société informationnelle ». Les conséquences qu'une telle mutation entraînera pour les langues sont devenues problématiques : la bilinguisation du marché de l'emploi au Québec se répand très rapidement dans tous les milieux de travail. Les immigrants le constatent et optent pour l'anglais. La Loi 101 du XXIe siècle devra en conséquence exiger qu'une réglementation des communications internationales fasse explicitement partie des programmes et certificats de francisation des entreprises. On sait que la technologie informatique est maintenant capable de faire des traductions instantanées en diverses langues. Il faut cependant s'assurer que ces innovations ne demeurent pas à l'état virtuel et qu'elles soient effectivement utilisées dans la vie courante des Québécois.

Le deuxième problème qui interpelle la Charte de la langue française est ce « trou noir » du milieu du travail : les petites et moyennes entreprises qui ne sont pas soumises à [48] l'obligation d'un programme et d'un certificat de francisation. Ce sont les entreprises de moins de 50 employés. Or, il se trouve que c'est dans ces entreprises que les immigrants sont en plus grand nombre ; il se trouve aussi qu'elles sont souvent administrées et gérées en anglais. Mais parce qu'elles sont évidemment très nombreuses, tous les gouvernements successifs ont reculé devant une mission déclarée d'avance impossible. Pourtant, au lieu de regarder l'ensemble dont la taille effraie, il faudrait procéder par secteurs d'activités, par coupes dans la taille, par grappes d'usage de la langue du travail. Pas plus pour ces petites et moyennes entreprises que pour les grandes, l'incitation et l'appel à la bonne volonté ne suffisent pour la très grande majorité d'entre elles. Les grandes entreprises ont accepté - pas toujours de bon gré, on le sait - d'entreprendre des programmes de francisation quand la Loi 101 les a obligées à le faire. Il faudra bien maintenant l'imposer aux moyennes entreprises.

Les travailleurs ont eu à lutter - et ont encore, à l'occasion, à lutter - pour faire reconnaître la légitimité de leur participation à la prise de décision concernant leurs propres conditions de travail. C'est dans la même tradition de justice sociale que la Loi 101 a comme objectif de faire reconnaître la légitimité de la langue française dans tous les milieux de travail.

Une Charte de la langue
et de la culture françaises


Mais le changement le plus profond que devrait connaître la Loi 101 du XXIe siècle, c'est d'en élargir la portée à la promotion de la culture française au Québec. Le statut de la langue française au Québec, on le constate plus que jamais, est lié au respect de la culture française québécoise. En 1977, cela était déjà apparent et était inscrit dans le Préambule de la Loi 101. Il faut maintenant l'expliciter ouvertement dans le titre de la loi et dans des sections particulières [49] destinées à la valorisation de cette culture française québécoise aux yeux de tous les Québécois et peut-être plus particulièrement des nouveaux venus, des immigrants. La nouvelle Loi 101 devrait désormais s'appeler la Charte de ta langue et de lu culture françaises.

Quand on relit aujourd'hui l'Énoncé de politique de mars 1977, on ne peut qu'être frappé de la dissymétrie entre le chapitre II qui énonce les « Principes d'une politique de la langue » et le chapitre III qui résume ce que sera « La Charte ». Le chapitre II situe la politique linguistique dans une perspective largement culturelle, qui n'apparaît plus dans la Charte elle-même, qui ne porte que sur la langue. En effet, le premier des quatre « principes d'une politique de la langue » se lit ainsi : « Au Québec, la langue française n'est pas un simple mode d'expression mais un milieu de vie ». Et le deuxième principe annonce qu'« on doit respecter les minorités, leurs langues, leurs cultures ». Et le texte justificatif de ces deux principes fait largement état de la dimension culturelle de la langue. Parlant du français, l'Énoncé annonce qu'« il s'agit de protéger et de développer dans sa plénitude une culture originale » (p. 21) que le « problème linguistique », rappelle-t-il, est « un problème de culture » (p. 22). Tout comme le deuxième principe évoque « la culture des premiers habitants du pays, les Amérindiens » (p. 22), la « culture anglaise » (p. 23) du Québec et les « cultures minoritaires » (p. 26).

Il faudrait aujourd'hui corriger cette dissymétrie, en rétablissant dans la Charte elle-même le lien entre langue et culture, à la fois pour affirmer la priorité de la culture française au Québec, dans le respect de ce qui s'appelle aujourd'hui « la diversité culturelle », c'est-à-dire des cultures minoritaires du Québec. C'est en remontant à cette source largement étendue et humaniste que la Charte de la langue française du XXIe siècle pourra efficacement inspirer le respect de la qualité de la langue, aussi bien que le rôle du Québec dans la francophonie internationale.


* Professeur au département de sociologie et chercheur au Centre de recherche en droit public. Université de Montréal.

[1] La politique québécoise de la langue française, présentée a l'Assemblée nationale et au peuple du Québec, par Camille Laurin, ministre d'État au développement culturel. Gouvernement du Québec, mars 1977.

[2] Paul BÉLAND, « L'effet des communications internationales sur la langue du travail dans les entreprise québécoises en 1997 », Conférence présentée lors des journées thématiques « la langue du travail », 16 février 2001.

[3] Bulletin du Conseil de la langue française, vol. 15, n° 1, juin 1998, p. 6.



Retour au texte de l'auteur: Guy Rocher, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mardi 21 janvier 2020 6:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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