En relisant ce manuscrit, je m'étonne d'avoir tant et si longtemps parlé de moi. Ceux qui me connaissent de près et de longue date témoigneront, me semble-t-il, que c'est le sujet sur lequel je suis habituellement plutôt discret. Et voilà que je me suis laissé aller à ces longs entretiens sur moi et à mon sujet ! 

C'est que Georges Khal fut pendant toutes ces heures un interlocuteur si attentif, si réservé, si accueillant ! Il sut me mettre en confiance, animer et entretenir le dialogue, encourager les confidences nécessaires et s'arrêter au seuil de celles qui ne l'étaient peut-être pas. Il fut mon guide, je lui ai fait confiance, je ne le regrette pas. 

Notre conversation fut peut-être facilitée du fait de plusieurs importantes différences entre lui et moi, qui avaient pour effet de rendre la surprise agréable et engageante pour nous deux. N'étant ni Québécois ni Canadien de vieille souche, Georges Khal s'étonnait de mes souvenirs et m'encourageait à les raconter. N'étant pas sociologue et étant plus généraliste que moi, il était curieux de mes études, de mes lectures et de mes recherches. Ayant adhéré bien plus que moi à la contre-culture, il s'amusait des réactions de l'homme d'institution que j'ai été toute ma vie. 

C'est peut-être ce qui explique qu'il. a su, me semble-t-il, nous faire revivre ensemble une page de l'évolution du Québec contemporain. Car au-delà de ma vie personnelle, qui ne présente d'intérêt véritable que pour moi et pour quelques personnes qui m'ont aimé et que j'ai aimées, c'est à une tranche de l'histoire québécoise que convie Georges Khal à travers ces pages. J'ai eu la chance d'être impliqué dans différents moments chauds ou stratégiques de l'évolution du Québec ; j'ai surtout eu la chance, par ma formation professionnelle de sociologue, d'être un observateur et parfois un observateur-participant, peut-être plus privilégié que d'autres, de la mutation du Québec. Lui-même observateur perspicace, infiniment lucide et éclairé, Georges Khal a cherché à m'amener à la barre des témoins du passé récent du Québec et à m'y faire témoigner des rapports entre les rêves et l'histoire. Par lui, j'ai eu plaisir à me laisser entraîner à comparaître, à apporter mon témoignage, quitte à accepter par la suite le jugement que d'éventuels lecteurs voudront porter. 

Mais les rêves et l'histoire se poursuivent, ils ne se laissent pas arrêter. Les entretiens qui forment cet ouvrage datent déjà de quelques années. L'eau a coulé sous les ponts. La Pologne a connu les drames que l'on sait (trop peu et trop mal) ; les socialismes ont connu des reculs et des avances, la droite également ; la crise économique mondiale tourne au tragique pour les pays en voie de développement. De tout cela et sur tout cela, il faudrait à la fois dire trop et trop peu. Mais Georges Khal vit maintenant à l'étranger aux antipodes d'ici. Mieux vaut, pour l'instant, ne pas poursuivre sans lui le dialogue, au-delà du terme que lui-même y a mis.