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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Alain Bissonnette, Karine Gentelet et Guy Rocher, “Droits ancestraux et pluralité des mondes juridiques chez les Innus et les Atikamekw du Québec.” Un article publié dans la revue Les cahiers d’anthropologie du droit, 2005, pp. 139-164. Paris : Karthala, Éditeur. [Le 16 août 2006, M. Guy Rocher nous donnait sa permission de diffuser tous ses articles dans Les Classiques des sciences sociales.].

Alain Bissonnette, Karine Gentelet
et Guy Rocher
 [1]

Droits ancestraux
et pluralité des mondes juridiques
chez les Innus et les Atikamekw
du Québec
.”

Un article publié dans la revue Les cahiers d’anthropologie du droit, 2005, pp. 139-164. Paris : Karthala, Éditeur.

Introduction
Conceptions du territoire et droits ancestraux

Un vaste territoire
Un territoire humanisé
Des droits ancestraux actualisés
Droits ancestraux, territoire, culture et vie
Droits et responsabilités
Récits fondateurs
Recherche d'accords dans la conciliation entre le passé et le présent

Pluralisme des mondes
Sédentarisation et rapports sociaux
Métissage des rôles dans la famille et le politique
Attitudes à l'endroit des services sociaux et de la santé

Conclusion
Annexe. La conception des droits ancestraux dans votre communauté.


Introduction

Le projet de recherche « Autochtonie et Gouvernance », mené par le Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal avec la collaboration active de plusieurs partenaires autochtones (l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, la société Makivik et l'Institut culturel Avataq) vise à cerner les caractéristiques des sociétés autochtones susceptibles d'orienter la configuration de modèles de gouvernance mieux adaptés à leur histoire, à leur culture et à leurs aspirations de décolonisation tant au plan politique, social, juridique qu'économique [2]. Dans le cadre de ce vaste projet de recherche, notre contribution était de regarder les conceptions en matière de droits ancestraux de quatre communautés autochtones : trois communautés innues (Pessamit, Ekuanitshit, Nutashkuan) et une communauté atikamekw (Manawan) et de mettre en valeur les conceptions et les perspectives des acteurs autochtones concernant leurs pratiques en matière de famille, de santé et de politique.

À travers cet article nous proposons de faire état de l'avancement de nos réflexions suite au matériel recueilli. À ce propos, compte tenu des limites de temps et de budget, nous avons mené des entrevues semi-directives, d'abord enregistrées avec la permission de la personne interviewée, ensuite transcrites et enfin soumises à son approbation. Le guide d'entrevue a été présenté aux personnes en autorité qui nous ont permis de nous rendre au sein de leurs communautés, qui ont identifié les personnes à interviewer ou qui nous ont aidés à entrer en communication avec des personnes susceptibles de participer aux entrevues. Celles-ci se sont généralement déroulées individuellement et en français. À quelques occasions par contre, les entrevues se sont déroulées dans la langue maternelle (atikamekw ou innue) de la ou des personnes interviewées et avec l'aide d'une personne agissant comme interprète L'anonymat des personnes interviewées a été assuré dans la transcription et l'analyse des entrevues.

Il faut ainsi considérer cet article comme la première phase d'une réflexion plus générale sur la gouvernance. À cette étape-ci de la recherche, nous cherchons à essayer de mieux comprendre les modes de fonctionnement et de décisions des acteurs sociaux autochtones dans un contexte actuel plutôt qu'à modéliser les différents types de gouvernance. En ce sens, notre définition de la gouvernance est globale et politique. Nous entendons en effet celle-ci comme toute forme de prise de décision dans la gestion, le contrôle et la direction de toute matière qui concerne l'activité, la vie et les relations d'une collectivité quelle qu'elle soit, la famille, la communauté, la nation. D'une certaine manière, cette idée de gouvernance rappelle deux verbes innus utilisés par les acteurs que nous avons interviewés : Tipenitam pour gérer, contrôler et kanauenitam pour s'occuper de, veiller sur. Ces notions de gouvernance, de gestion, de contrôle, de soin s'accompagnent inévitablement de celles de règles, de normes, de droit et de morale dans le sens le plus large possible, qui expriment et cristallisent des visions particulières d'un certain ordre et d'une vision du monde à travers une conception des relations avec les choses et les personnes. Ainsi, le but de notre article est de discuter de l'existence d'une vision du monde à travers les conceptions des droits ancestraux des acteurs de ces quatre communautés. Nous regarderons aussi comment, aujourd'hui, les acteurs sociaux composent avec la pluralité des mondes juridiques dans leur vie quotidienne.

Conceptions du territoire et droits ancestraux

De l'ensemble des témoignages recueillis dans les quatre communautés visitées (Manawan, Pessamit, Ekuanitshit, Nutashkuan), on ne peut dégager à proprement parler une définition stricto sensu des droits ancestraux. Ce que l'on entend, c'est en réalité un discours. Et un discours qui a une connotation que l'on peut appeler épique en ce sens qu'il se rapporte aux faits et gestes d'ancêtres présentés généralement comme les héros d'un récit. Ces héros servent de réfèrent à l'interlocuteur pour dire ce que l'on veut perpétuer et de mesure envers ce que l'on croit ou espère pouvoir perpétuer. Ce discours en forme de récit a un cœur, un noyau central auquel tout est rapporté : c'est le territoire, généralement dit au singulier, mais parfois aussi employé au pluriel.

Un vaste territoire

Il faut insister sur le fait que le territoire en question n'est jamais géographiquement délimité par des frontières précises, et il est vaste. Une interlocutrice de Nutashkuan le dit très simplement : « Mon territoire, c'est quand même... très vaste, c'est très vaste dans ma tête » (05.09.2002.016.F52 : 2) [3]. Un interviewé d'Ekuanitshit dit : « Il y avait pas de frontière... les gens partaient, les gens s'en allaient vers les territoires où est-ce qu'ils étaient habitués d'être avec d'autres familles » (10.07.2003.049.H50 : 4-5). Un autre interlocuteur d'Ekuanitshit, lui aussi, dit très simplement : « dans la vision innue, le territoire est vaste » (08.07.2003.045.H40 : 16-17). Le rapport envers le territoire n'est pas celui d'un propriétaire. Comme le rappelle un interlocuteur, il n'y construirait pas un chalet, à la différence des non-autochtones. Le territoire n'est pas objet de propriété, il est plutôt, selon l'interprétation d'un interlocuteur de Pessamit, composé de « sites patrimoniaux », sur la base « de possession, mais pas de propriété... la notion de propriété n'est pas innue... possession temporaire, c'est pas éternel, c'est une possession à partir du moment où tu l'utilises » (19.09.2002.030.H50 : 3).

Un territoire humanisé

Cette dernière remarque ouvre la porte à la conception du territoire généralement exprimée : un territoire, ce sont des étendues de terres et de lacs « humanisées », c'est-à-dire régulièrement visitées par des membres des familles de la communauté, depuis longtemps consacrées lieux de pratiques traditionnelles à des fins de survie, dont notamment par la chasse et la pêche menées dans la plus totale liberté. La notion de liberté est très souvent rappelée par nos interlocuteurs comme étant infiniment et étroitement associée au territoire et comme le fondement des droits ancestraux liés au territoire. Une personne interviewée à Manawan le dit ainsi : « tous les droits qu'on a toujours eux, qu'on aura toujours : le droit de chasser, le droit de pêcher, le droit de rester où est-ce qu'on veut » (27.08.2002.003.F35 : 5). Une autre de Nutashkuan l'exprime aussi de la même manière : « la liberté de circuler dans le bois, l'accessibilité là sans limite dans les territoires. C'est un peu ça les droits » (04.09.2002.011.H46 : 2). Sur le même ton, deux informateurs d'Ekuanitshit disent : « Les droits ancestraux ? Moi, je dirais comme a voir les mêmes droits que mon grand-père, mon arrière-grand-père. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient sans demander l'autorisation à personne. S'ils voulaient pêcher, ils allaient pêcher, s'ils voulaient chasser, ils allaient chasser, s'ils voulaient se rendre à tel coin, ils pouvaient y aller. Il y avait pas de barrière avant » (08.07.2003.044.H32 : 3) et « C'est le droit de chasser, le droit de posséder les terres, le droit de circuler dans tout le territoire, sans avoir un permis » (08.07.2003.043.H40 : 3).

On le voit, d'une communauté à l'autre, le discours est vraiment le même sur ce thème des droits ancestraux décrits par la liberté de circuler dans un territoire et de l'utiliser pour ses besoins vitaux. Cette liberté a une source, la même identifiée par tous les interlocuteurs : c'est la tradition ancestrale qui est le fondement de cette libre utilisation des territoires. Une libre utilisation acquise et transmise par les ancêtres les plus anciens et les plus récents. Et c'est ici que le discours prend la connotation épique évoquée plus haut. Un Atikamekw de Manawan l'exprime dans les termes suivants : « les droits ancestraux, en ce qui me concerne, c'est quelque chose qui est fondamental, c'est quelque chose que l'histoire nous reconnaît en tant que premiers peuples de ce pays » (28.08.2002.006.H43 : 2). Une autre personne de la même communauté dit ceci : « les droits ancestraux, d'après mon interprétation à moi, c'est tout ce qui existait quand on a commencé à être là... Parce que c'est ça, c'est inné » (29.08.2002.007.H55 : 4). Une troisième personne toujours de Manawan le dit ainsi : « Les droits ancestraux, ce sont les droits que nos ancêtres avaient, c'est-à-dire le territoire, le bois et tout ce qui peut nous servir de guérison à l'intérieur de ce territoire-là » (25.09.2002.037.H48). À Nutashkuan, la notion d'héritage est explicitement identifiée : « le pense que c'est un héritage qu'on a, nous, de nos grands-parents, de mon père, ayant occupé les territoires où est-ce que je vais une fois par année » (03.09.2002.010.H44 : 3). Une autre personne de Nutashkuan indique aussi : « C'est tous les droits, c'est mon héritage que j'avais reçu de mes grands-parents, de mes ancêtres, de mes grands-parents et de mes parents » (05.09.2002.016.F52 : 2).

Ce discours ne se limite pas cependant au seul rapport avec les ancêtres, il aborde aussi l'actualisation flexible de l'utilisation du territoire dans la continuité, il est vrai, des pratiques ancestrales. Un Innu de Pessamit explique cette conception dans les termes suivants : « Si la pratique de la chasse, de la pêche, si cette chasse-là, cette pêche-là, devait se faire dans un endroit particulier, bien, sur cet endroit particulier-là, il pourrait y avoir des droits ancestraux » (18.09.2002.025.H28 : 4). Si l'on interprète le propos qui vient d'être rapporté, un endroit particulier du territoire perpétue des droits ancestraux en les affirmant en même temps qu'en les rappelant. Un autre Innu de la même communauté l'exprime encore plus clairement peut-être : « C'est une possession à partir du moment où tu l'utilises... Puis cette possession, tu peux la transmettre à d'autres... [mais] c 'est pas nécessairement héréditaire... tu peux transmettre pas nécessairement à ta descendance... c'est selon la capacité des gens à occuper le territoire » (19.09.2002.030.H50 : 3). Et une troisième s'exprime en terme de développement continu du territoire : « Je me dis que pour perpétuer les droits ancestraux, il faut marquer ça à travers le territoire, à travers le développement, à travers l'exercice des droits à l'ensemble du territoire » (17.09.2002.022.H52 : 4).

Des droits ancestraux actualisés

C'est, dans cette perspective, qu'ainsi actualisés, les droits ancestraux sont, dans le discours de nombreux interlocuteurs, liés aux ressources vitales que le territoire a toujours offertes et continue partiellement d'offrir aux communautés. L'évocation de la notion des droits ancestraux appelle chez les interviewés la représentation d'une économie associée à la vie nomade tout entière axée sur les ressources de la nature. Un interviewé de Manawan le décrit très concrètement : « [Les droits ancestraux], c'est la vie... aller sur ton territoire pour faire vivre ta famille et transmettre des affaires à ta famille en utilisant tout ce qui a sur la terre, les arbres, les animaux, les racines, les plantes médicinales... Ça, c'est les droits » (29.08.2002.007.H55 : 4). C'est dans la même veine que s'exprime un Innu de Nutashkuan : « Les droits ancestraux, c'est l'utilisation des ressources à l'intérieur du territoire... Les droits ancestraux, c'est ça, moi je trouve, tout ce qui touche la vie, la vie de la communauté... les forêts, les domaines des pêcheries, le domaine des mines » (04.09.2002.012.H58 : 5). Il n'est donc pas étonnant que la notion de Terre-Mère soit également évoquée par une des personnes interviewées à Manawan : « Le droit ancestral, c 'est comme la terre, la mère, tout ça, notre pharmacie, notre garde-manger, notre havre de paix et de ressources » (28.08.2002.006.H43 : 2).

Droits ancestraux, territoire, culture et vie

Le rapport au territoire transmis et entretenu selon la conception traditionnelle n'est pas qu'économique. Le territoire est parlé, il y a des mots et un langage qui vient de lui et le concerne. Le rapport au territoire comporte aussi des normes d'utilisation et des rituels. Il est donc au cœur de la culture et au cœur de l'identité. Plusieurs interlocuteurs expriment clairement cette idée, comme cet Innu de Pessamit : « Le droit ancestral pour les Autochtones et pour moi-même, c'est une identité. J'appartiens à un groupe, le groupe a un territoire, le territoire est nommé dans la langue innue... Le territoire est marqué de l'identité même, de l'empreinte même des Innus... c 'est ce que, moi, je pense des droits ancestraux C'est une identité, une culture, une société qui a une langue, qui a une tradition » (17.09.2002.022.H52 : 3). Et de la même communauté, une autre personne interviewée affirme : « Les droits ancestraux sont reliés à la culture, la culture étant le centre, les droits, ils vont avec » (18.09.2002.025.H28 : 4). Une femme d'Ekuanitshit souligne que « l'activité traditionnelle de la chasse et de la pêche sur le territoire englobe beaucoup de choses, c'est pour ça que je parle des croyances, puis des valeurs » (09.07.2003.046.F37 : 4). Un informateur de Nutashkuan relie ensemble « la connaissance des territoires [et] la connaissance de la culture ancestrale » (04.09.2002.012.H58 : 14).

Étendant encore plus loin l'horizon et la profondeur de la conception des droits ancestraux ou du rapport au territoire, les personnes interviewées indiquent qu'ils sont à la source de la vie, non seulement physique mais affective et spirituelle, et non seulement individuelle mais collective, source donc de la vie commune, sociale et politique de la communauté. D'où le caractère sacré attaché à ces droits. Une femme d'Ekuanitshit affirme que les droits ancestraux concernent « tout ce qui se rattache à la vie, la vie traditionnelle et actuelle des Innus. Parce que toute la vie, la vie, la philosophie, les traditions, c'est rattaché au territoire chez les Innus » (09.07.2003.047.F37 : 4-5). De la même communauté, une autre personne refuse en quelque sorte de définir les droits ancestraux pour en parler autrement, sur un ton épique, en évoquant le passé : « J'essaie de voir, droits ancestraux... Y a une définition là. Mais, moi, c'est au-delà de ça. C'est plus large. C'est quasiment toute la vie, toute la vie dans le temps. La vie. La façon que les gens vivaient, la façon qu'ils entretenaient leurs relations » (10.07.2003.049.H50 : 4-5). Un informateur de Pessamit dit également, mais d'une manière plus contemporaine que le précédent : « Quand on parle des droits ancestraux, c'est la façon de vivre, la façon d'utiliser le territoire, la façon d'utiliser la médecine, en rapport avec des médecines en ces endroits-là » (18.08.2002.027.H42 : 3).

C'est de cette dimension vitale que le territoire revendiqué au nom des droits ancestraux détient son caractère spirituel et sacré que l'on soit de l'une ou l'autre des communautés : « Ce sont des territoires qui sont sacrés pour moi. Quand je dis sacré, j'y vais là pour me ressourcer. C'est interne... Parce que toutes nos racines, elles viennent de là. Je pense que c'est cette terre-là qui nous a nourris » (03.09.2002.010.H44 : 3). Dans un discours semblable, un résident de Manawan dit : « En ce qui concerne les droits ancestraux, c'est trop précieux... c'est sacré ça, tu sais... les droits ancestraux, c'est relié à l'existence des personnes et des choses » (29.08.2002.007.H55 : 4).

C'est en définitive cette conception à la fois économique, sociale, culturelle, spirituelle et cosmologique des droits ancestraux liés à la fois au territoire et au passé, à l'espace vital et au temps ancestral, qui est l'axe central du discours des personnes que nous avons interviewées au sein des quatre communautés. Il s'agit donc d'une conception qui est globale, holistique, en rapport premier avec la présence immémoriale des ancêtres sur l'ensemble du territoire, dans l'affirmation de leur culture, de leur langue et de leur bien-être.

Droits et responsabilités

Ces droits ne vont cependant pas sans des responsabilités, parfois explicitement reconnues et identifiées. Un Atikamek de Manawan le rappelle : « Cependant, quand on parle de droits ancestraux, il faut aussi, je pense, se remémorer les responsabilités qui viennent avec...Même dans la société de droits dans laquelle on vit, il y a juste une question de droits, il y a aussi une question on vit, il y a pas juste une question de droits, il y a aussi une question de responsabilités » (28.08.2002.006 : 2). Un autre type de responsabilité, c'est de maintenir - ou de réapprendre - le respect de la nature, des animaux, des bois, des lacs. Le respect de la relation entre l'homme et le milieu naturel d'où il tire sa vie. Un Innu de Pessamit le dit ainsi : « La terre, c'est la mère, c'est elle qui nous nourrit, qui nourrit tous les êtres humains.. .11 faut que tu protèges la terre. C'est ça, moi, mon but. Je suis pas ici pour détruire... Je suis ici pour respecter la nature le plus possible » (20.09.2002.032 :4). Évoquant ce que lui disait son père, une Innu d'Ekuanitshit rappelle la croyance ancestrale : « Si tu ne traites pas bien le gibier... quand tu gaspilles, tu le respectes pas...quand tu retournes dans le territoire ancestral, il peut t'arriver malheur » (09.07.2003.047.F37 : 19-20). Un autre Innu de la même communauté dit que ne pas respecter le caribou, c'est « trop tuer...pas partager...ne pas faire les rites envers les animaux ». (10.07.2003.049.H50 : 50-51).

Ce que nous révèlent aussi les témoignages des personnes interviewées dans le cadre de notre enquête, c'est que, tout en étant parfaitement conscientes des transformations qui ont affecté le mode de vie nomade de leurs ancêtres jusqu'à l'actuelle sédentarisation, elles se sentent toujours responsables de perpétuer leur tradition de gardiens du territoire. Cette responsabilité, une femme de la communauté d'Ekuanitshit l'explicite ainsi : « Je crois que nous sommes venus au monde pour une bonne raison, c'est protéger la terre. Peu importe d'où viennent nos croyances. Puis ça, c'est notre responsabilité. Puis, c'est ça qu'on doit transmettre à nos enfants. Parce qu'il faut avoir une vision, je veux dire une vision dans le futur » (09.07.2003.046.F37 : 5-6). Porter cette responsabilité peut avoir au moins deux significations. Cela veut d'abord dire de défendre la possession du territoire en ne l'abandonnant pas, en continuant à y tenir et à l'occuper, un peu à la manière traditionnelle des ancêtres. C'est ce qu'exprime cette femme d'Ekuanitshit : « Pour moi, maintenant, je me dis qu'il faut occuper le territoire de façon beaucoup plus longue, par tous les moyens, que ce soit par des programmes scolaires, que ce soit par des sorties. Il faut retrouver les rivières où nos ancêtres allaient. Il faut que les enfants apprennent ça » (Ibid. : 27). C'est la problématique de la socialisation au territoire pour les nouvelles générations que cette femme évoque ici. Pour sa part, un résident de Nutashkuan exprime ce même sens de responsabilité dans des termes assez analogues : « C'est l'affirmation d'un peuple. Il faut s'affirmer qu'on est natif d'un peuple, qu'on a une culture, qu'on a une langue, conserver notre langue, conserver toutes nos activités traditionnelles, les mettre en pratique, aller dans le bois, participer, faire la cueillette, c'est un peu tout ça, pour conserver les droits ancestraux » (04.09.2002.011.H46 : 2). L'autre dimension de cette même responsabilité, c'est de maintenir - ou de réapprendre -le respect de la nature, des animaux, des bois, des lacs. Le respect de la relation entre l'homme et le milieu naturel d'où il tire sa vie. Une personne de Pessamit le dit ainsi : « la terre, c'est la mère, c'est elle qui nous nourrit, qui nourrit tous les êtres humains. Il faut que tu protèges la terre. C'est ça, moi, mon but. Je suis pas ici pour détruire. Je suis ici pour respecter la nature le plus possible » (20.09.20002.032.F34 : 4).

Récits fondateurs

Notre guide d'entrevue n'abordait pas systématiquement toute la question de la transmission des récits fondateurs ou le faisait sans pouvoir placer les principaux protagonistes dans une situation d'énonciation réelle de ces récits. Néanmoins, il reste que les personnes interviewées y ont fait référence pour justifier leur relation particulière avec le territoire, non sans toutefois s'inquiéter du fait qu'aujourd'hui au sein des maisons, en contexte de sédentarisation, il est plus difficile de transmettre cet héritage (06.06.2004.061.F71 : 9). En voici un seul exemple tiré d'une entrevue réalisée à Manawan : « Tantôt je parlais de l'espace et du temps, il y a un récit là-dessus : les deux êtres légendaires se sont rencontrés. Et moi, selon mon interprétation, c'est un récit sur les lieux, mais aussi sur un changement s'effectuant sur plusieurs années. Ce sont deux êtres qui ont du leadership qui se rencontrent. Il y a en un qui s'appelle : Nérézio, ce qui veut dire qu'il est le Nord, ce qui veut dire l'espace mettons. L'autre individu, c'est Nippé, ce qui veut dire « saisons », c'est-à-dire le temps. Donc c'est l'espace-temps qui se sont rencontrés. Les deux personnes ont discuté. On les fait discuter. Il y a des hommes aussi, des animaux, qui se plaignent qu'au niveau du climat, ça devrait changer. Celui qui vient du Nord, Nérézio, dit à l'autre : « le serais prêt à changer, mais seulement si tu me bats. » L'autre, celui qui représente le temps, la saison, essaie. Là, ils se sont chamaillés un peu. Chacun voulait battre l'autre. Celui qui vient du Nord ne voulait pas que ça change. Les deux personnes vont se battre ensemble, mais finalement personne ne gagne. Ils sont arrivés à un compromis. C'est là que l'histoire commence : le temps va s'adoucir pour une partie, mais une autre partie va refroidir. C'est là qu'on a eu les saisons. C'est là que le climat a changé : l'ère glaciaire s'est terminée. Les deux personnes ont parlé des animaux, des ressources, des hommes qui vivent. Pour moi, on peut dire que le droit ancestral, c'est pas seulement envers soi-même, c'est envers les ressources, envers les animaux, avec lesquels tu peux aller. C'est le meilleur exemple que je peux donner pour illustrer le droit ancestral. » (26.08.2002.001.H52 : 16)

Ce récit est particulièrement riche. On voit d'abord qu'il raconte l'origine mythologique de l'alternance des saisons, qui a fait suite à « l'ère glaciaire ». Elle survient comme le compromis nécessaire auquel ont du convenir deux combattants de force égale, l'espace et le temps. Une fois le climat établi sur la base d'une division entre la chaleur et le froid, les deux belligérants maintenant calmés ont pu entamer une conversation qui a porté sur les animaux, mentionnés en premier, les ressources ensuite, les hommes enfin. Et, c'est à cette conversation que le narrateur rattache tout naturellement « le droit ancestral », dont il parle au singulier, lui conférant dans ce contexte, une dimension cosmique dans la mesure où il englobe et réunit les hommes, les animaux et les ressources nécessaires à leur vie. On trouve ici une riche illustration du discours épique sur les droits ancestraux, où ceux-ci se voient situés dans la suite naturelle d'un récit fondateur.

C'est ce même narrateur qui a longuement expliqué le sens de Naorézio, que l'Atikamekw utilise traditionnellement pour se désigner lui-même, lorsqu'il se sent en possession de tous ses moyens, en équilibre et en harmonie avec son environnement, son corps, son esprit, sa culture, sa santé et toutes les pratiques et activités de la vie quotidienne. Intraduisible dans une autre langue, le terme évoque et contient l'idée de liberté et d'autodétermination de la personne.

« Naorézio, vient du mot : la personne elle-même, c'est la personne qui est comme en symbiose, sa désignation est plus spirituelle. C'est un individu qui est capable au niveau de lui-même avec son environnement, avec son côté physique, avec son côté mental, tout est bon de chaque côté, quand on parle d'une approche holistique, ça concerne ça. A mesure qu'il y a un côté qui manque, qui a un déséquilibre, là le mot Naorézio ne peut pas être utilisé. C'est un peu de la façon dont on voit les choses. C'est pour ça qu'on se désigne comme ça. Ça vaut autant pour celui qui parle l'Indien, sa langue, c'est très important, c 'est une question mentale. Si on parle d'un autre qui a gardé les costumes par exemple, c'est plus matériel. L'Atikamekw, lui, je pense, il a perdu ses vêtements, il a perdu des choses beaucoup plus matérielles, malgré qu'il a perdu certaines choses qui relèvent du mental. Mais si on parle de l'intelligence, du mental, s'il parle sa langue, ça c'est important pour nous. Et il se désigne comme ça : Naorézio. C'est comme un être qui envers lui-même, envers les autres, envers l'environnement, c'est quelqu'un qui essaie de composer avec tout ce qui survient dans sa vie. (...) On a essayé de le définir dans un mot, on n 'a pas été capable de le trouver. Tantôt j'ai parlé de symbiose... Il est à l'aise, il est adroit, c'est un gars capable, c'est un gars qui connaît ça. C'est quelqu'un qui connaît, qui peut composer avec n 'importe quoi. On a essayé de le désigner dans un mot, mais dans la langue française, que je comprends un petit peu, moi j'ai pas trouvé une façon de le décrire, mais on se désigne comme ça, on s'est désigné comme ça depuis... (...) C'est quelqu'un qui est capable de se débrouiller dans le bois, autant faire la chasse, que faire la cuisine, que... C'est quelqu'un qui serait capable de tout ça, lui, il est comme ça. On l'appelle comme ça : Naorézio, autant pour la chasse, autant pour fabriquer des choses, faire la cuisine, guérir, je sais pas, soigner quelqu'un ou lui-même se soigner, c'est quelqu'un de capable. » (Ibid. : 10-12) « Quand tantôt je te parlais de l'individu, la personne, l'Atikamekw, comment lui il se désigne, le mot, le sens de l'autodétermination est compris là-dedans. C'est comme ça, ça ne peut pas être autrement. Sinon, il ne s'appellerait pas comme ça, il ne se désignerait pas comme ça. Naorézio, c'est un bien grand mot. Tantôt on a essayé de le cerner. L'autodétermination, c'est compris, c'est intrinsèque dans cette désignation-là. Ça veut dire : libre, responsable. C'est très à propos d'accoler ce mot-là, Naorézio, avec le mot autodétermination. » (Ibid. : 17).

Dans ce témoignage, comme dans presque tous ceux recueillis dans les quatre communautés, l'idée de la liberté de mouvement sur le territoire et d'utilisation du territoire occupe une place centrale dans l'esprit de la plupart de nos interlocuteurs. Lorsqu'ils parlent des droits ancestraux, nos interlocuteurs se reportent à une relation avec le territoire, qui était faite à la fois de possession et de liberté. Les anciens allaient pêcher, chasser, « faire ce qu'ils voulaient sans demander l'autorisation à personne...sans avoir un permis ». Mais cette liberté ne signifiait pas absence de règles. Ces règles ne tenaient pas du « législatif », selon l'expression de l'interlocuteur cité plus haut. Mais il régnait un certain « ordre juridique » dans la mesure où, par exemple, le chasseur se devait d'observer certaines règles qui manifestaient son respect pour l'animal et pour la nature pourvoyeuse de biens. Il s'agissait d'une régulation ayant un caractère cosmique, en ce qu'elle avait sa source dans une vision de l'être humain vivant en symbiose avec la nature et lui appartenant. Un tel « ordre juridique » reposait donc sur une rationalité propre, spécifique, expression d'une vie communautaire qui englobait l'environnement spatial tout autant que le rapport au passé dans l'ensemble des relations humaines. C'est de cette manière que les droits ancestraux dont se réclament nos interlocuteurs étaient au fondement d'un mode de vie particulier de gouvernance, c'est-à-dire de gestion commune, même lorsque vécue individuellement, d'un territoire partagé et de relations humaines directement ou indirectement en rapport avec le territoire. Mais nos interlocuteurs ont un sentiment aigu de la transition dans laquelle ils vivent vers d'autres modes de gouvernance, dans une recherche à la fois de continuité et d'adaptation des « droits innus avec les autres droits », selon un interlocuteur.

Recherche d'accords dans la conciliation
entre le passé et le présent


Si les témoignages que nous ont livrés les personnes interviewées dans le cadre de notre enquête semblent bel et bien dans la logique des récits fondateurs et des conceptions atikamekw et innues à l'égard du territoire, personne ne verse pourtant dans le déni de l'histoire. L'analyse des témoignages recueillis dans les quatre communautés révèle en fait une conscience vive du décalage entre les pratiques ancestrales par rapport au territoire et les pratiques d'aujourd'hui. Le territoire lui-même a changé : « Juste à regarder le territoire, le visage du territoire a énormément changé » (09.07.2003.046.F37 : 21). Cette femme de la communauté d'Ekuanitshit souligne, en outre, qu'elle n'a plus la liberté que ses parents avaient de parcourir les bois, comme ils l'entendaient et, de plus, elle n'y retrouve plus la sécurité qu'elle y a connue pendant son enfance. La réduction et la modification du territoire sont perçus comme les éléments dominants : « Les forestières sont passées, le développement économique est passé, le développement minier est passé » (17.09.2002.022.H52 : 4).

Pour certains, la solution réside dans la participation à ces développements, mais dans le respect de la culture autochtone. Un homme de Nutashkuan, de 58 ans, met ses espoirs dans une telle éventualité, qu'il propose aux jeunes : « La société extérieure, c'est certain que les jeunes, ils embarquent là-dedans Et tout ce qui touche le développement, toutes les nouvelles technologies. Mais là, il y a moyen, je pense, de revivre, peut-être pas revivre comme c'était par exemple, mais pour conserver la culture autochtone, la langue puis les pratiques, les connaissances, pour qu'on puisse développer dans ce sens-là, soit dans le domaine du développement touristique, soit dans le domaine des connaissances (04.09.2002.012.H58 : 14). Mais ces développements impliquent des choix difficiles : « Les territoires ancestraux, il faut les protéger et aussi il va falloir les développer. Y a un dilemme où est-ce qu'on travaille là-dessus Y a un dilemme ! Un côté, on leur dit : Faut faire du développement. Un autre côté, on dit : Faut faire de la protection ! » (17.09.2002.024.F40 : 10-11). Un membre de la communauté d'Ekuanitshit présente ce dilemme un peu comme une histoire et raconte qu'« un aîné était pris entre ses deux fils. Il y en un qui était chasseur, mais il y en a un qui cherchait à s'instruire, à se former. Ça fait qu'il était très préoccupé » sur la meilleure manière de transmettre son territoire de chasse (13.07.2003.053.H40 : 3-4). Analysant les conséquences des transformations en cours et à venir, une personne de Pessamit dresse un véritable plan d'action dans la perspective d'une plus grande autonomie de sa communauté : « Ça va demander une structure d'organisation sociale beaucoup plus... étendue, beaucoup plus... juridique, beaucoup plus législatif que du temps de mes grands-parents L'organisation sociale, dans le temps, c'était par les grandes autoroutes des rivières, par le territoire. Maintenant, il va falloir gérer, gouverner, diriger l'ensemble de ces droits par une organisation qui va demander beaucoup plus que dans le temps, que d'être des maîtres-chasseurs, maîtres-cueilleurs. Il va falloir adapter, adapter les droits innus avec les autres droits des autres utilisateurs du territoire » (17.09.2002.022.H52 : 5).

Pluralisme des mondes

À la lecture des entrevues, nous pouvons voir que l'horizon de ces acteurs est ouvert. Leurs discours s'inscrivent au sein de processus historiques et d'une multiplicité des choix qui font que l'on semble assister à des restructurations au niveau de leurs traditions juridiques et à une évolution de leurs modes de juridicité. Afin de poursuivre la réflexion sur la pluralité des mondes juridiques et pour les besoins de cet article, nous examinerons ces restructurations à la lumière du modèle des cinq mondes tel qu'il est proposé par Etienne Le Roy dans le Jeu des lois [4].

Le premier monde considéré est marqué par les coutumes endogènes, pratiqués par les Autochtones avant l'arrivée des Européens et s'inspirant de leur vision propre. Ce monde, pas plus que les autres, n'est étanche. Depuis la colonisation, et surtout lors de la période de déracinement et de tentative d'assimilation des Autochtones, l'arrivée des colonisateurs, des transformations économiques, des migrations de certaines couches de la population et des conversions religieuses et culturelles, ont peu à peu entraîné sa neutralisation. Mais il s'agit toujours d'un monde auquel certains acteurs appartiennent, même si les pratiques concrètes ont changé, et où ils puisent des conceptions qui sont toujours opératoires et influentes aujourd'hui du moins chez les Autochtones eux-mêmes.

Le deuxième monde considéré est marqué par les droits coutumiers. Il est apparu pendant la période de déracinement et de tentative d'assimilation des Autochtones alors qu'on a procédé à une répression des coutumes endogènes dans le cadre d'un système imposé par l'État qui a introduit, au sein même des pratiques autochtones, notamment par la mise en œuvre de la Loi sur les Indiens, de nouveaux modes de prise de décision et de nouveaux mécanismes de contrôle social. Dans ce monde des droits coutumiers, les coutumes endogènes sont interprétées par les représentants de l'État, notamment par le système judiciaire, à l'intérieur d'un cadre de référence qui leur est étranger, ce qui a entraîné une dénaturation des droits traditionnels et la marginalisation du pouvoir autochtone. Par conséquence, à ce monde est associé un processus d'absorption de plus en plus grande des droits traditionnels ou des coutumes endogènes. Dès lors, supposer une continuité logique ou culturelle entre coutumes endogènes et droit coutumier consiste en fait à accepter une falsification des données historiques et anthropologiques. [5]

Le troisième monde considéré est marqué par des droits populaires qui se forment en dehors des autorités aussi bien étatiques qu'autochtones et sont une création nouvelle par rapport aux coutumes endogènes, invoquées et réinterprétées dans un contexte complètement transformé. Face à la distance des autorités ou en se jouant des personnes responsables du respect des normes établies ou des modèles de comportement et de conduite, viennent au jour et se perpétuent des pratiques en matière de chasse ou en matière de guérison, par exemple, qui suscitent la controverse au sein des communautés, mais qui sont également une façon d'affirmer le maintien de l'identité autochtone, quitte à le faire sous le mode de l'affrontement ou de la provocation. D'ailleurs, la controverse d'un moment peut devenir un bon levier de mobilisation dans un contexte plus favorable.

Le quatrième monde considéré est marqué par les droits locaux, qui résulte de la dominance du droit étatique, notamment dans leurs modes de formation, de légitimation et de contrôle, et d'une marge d'autonomie accordée aux autorités locales autochtones suite à des négociations administratives ou politiques. Ce monde est d'inspiration étatique, mais il est caractérisé par la possibilité de réinterpréter des modèles d'intervention ou certaines dimensions institutionnelles à la lumière des conceptions et des pratiques autochtones. Les droits locaux, dont font partie, par exemple, les ententes en matière de services sociaux et de santé, en matière d'éducation et celles qui sont toujours en négociation en matière de droit foncier et d'autonomie gouvernementale, sont donc des droits de nature ambiguë, parce que les Autochtones y interviennent directement pour l'adapter à leurs besoins, mais que l'État, tout en rehaussant sa légitimité en s'appuyant sur les accords négociés avec les principaux intéressés, y augmente son emprise sur la société autochtone tant au plan des conceptions que des pratiques.

Le cinquième monde considéré est marqué par le droit de la pratique comme expérience d'adaptation des conceptions endogènes aux contraintes contemporaines au-delà des accords formels conclus avec les représentants de l'État. Il s'agit souvent d'un mode de régulation qui s'applique aux services rendus par des personnes reconnues par la communauté que ce soit dans le domaine de la santé, des services sociaux, de l'éducation ou du droit, pour leur capacité de satisfaire des besoins en dernier recours ou parallèlement aux institutions en vigueur au sein du deuxième ou du quatrième monde. Aussi bien les membres des communautés que les représentants de l'État ont recours à ces personnes souvent spécialisées dans un secteur précis et qui, au fond, aident à trouver des accommodements pratiques sans qu'il ne soit nécessaire de modifier les institutions en place et de conclure des accords explicites à cet effet. Au fond, elles remplissent un rôle de médiateurs collaborant avec les institutions ou se substituant à elles lorsqu'une problématique ne peut être traitée de façon satisfaisante en se limitant à la seule logique institutionnelle.

Nous pensons que le recours à ce modèle peut nous aider, dans un premier temps, à regarder comment le Droit, au sens de sa définition la plus large, est utilisé dans les pratiques de la vie quotidienne et politique des acteurs des quatre communautés. Néanmoins, nous devrons adapter le modèle au propos de cet article et au contexte autochtone [6]. Nous le circonscrirons aussi afin de tenir compte du type de données recueillies suite à notre projet de recherche. En effet, le modèle de Le Roy implique une étude approfondie des ordres juridiques étatiques et infra-étatiques des communautés, ce que nous n'avions pas comme objectif. Nos données portent sur les conceptions des droits ancestraux et sur leurs pratiques en matière de vie quotidienne et de vie politique et non pas sur les modes de résolution des conflits. De plus, l'objectif de cet article est de poser une réflexion sur la pluralité des traditions juridiques au sein de communautés autochtones actuelles du Québec en vue de définir des modèles de gouvernance mieux adaptés à ces peuples et à ces communautés. Nous ne désirons donc pas, pour le moment, répertorier l'ensemble des pratiques juridiques de ces acteurs. Nous nous contenterons plutôt d'utiliser cet état de pluralité juridique dans la mesure où il nous aide à montrer qu'il y a actuellement un certain métissage juridique au sein des quatre communautés ; métissage qui, lui, aura des conséquences sur les modèles de gouvernance.

En conséquence de quoi, nous n'utiliserons ce modèle qu'en partie et à travers la perspective de mondes conceptuellement très différents : le premier et le cinquième. Étant donné la polarité des mondes qui résulte de notre adaptation du modèle de Le Roy, il convient aussi d'insister sur le fait que nous n'utiliserons pas ce modèle selon une approche évolutionniste qui voudrait, par exemple, que les sociétés passent du champ de la coutume endogène à celui du droit coutumier, etc. Ensuite, le but de l'exercice n'est pas non plus de figer les mouvements en cours, mais d'essayer plutôt d'en présenter une image qui révèle à la fois comment le présent s'inscrit dans des processus variables mais complémentaires et comment les acteurs participent à l'un ou l'autre ou à plusieurs des mondes distincts, avec plus ou moins de ressources, se montrant plus ou moins capables de s'y ajuster et utilisant des stratégies plus ou moins raffinées, chacun de ces mondes étant dominé par une logique spécifique. Enfin, puisqu'il s'agit d'un modèle, il faut accepter dès le départ qu'il s'agit d'une tentative de présenter simplement et logiquement tous les faits significatifs de la situation considérée (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1983 : 52) [7].

Sédentarisation et rapports sociaux

La perspective analytique offerte par le premier et le cinquième monde nous permet de constater qu'au sein des communautés atikamekw et innues, les acteurs appartiennent à une pluralité de mondes, et qu'ils cherchent à y intégrer les éléments qu'ils estiment essentiels à leur reproduction. Chacun des mondes identifiés, que ce soit le premier ou le cinquième, s'inscrit dans un contexte historique marqué par des continuités et par des modifications de logique, certaines ayant entraîné de profonds traumatismes chez ceux et celles qui les ont subies ; on pense notamment à l'imposition de l'éducation au sein des pensionnats et à l'exploitation des ressources par des forestières ou des sociétés d'État dont plusieurs des personnes interrogées se sont plaintes, mais aussi au processus plus lent et en partie mieux accepté de l'installation à demeure dans des réserves au détriment de la mobilité et du sentiment de liberté au sein des territoires ancestraux. Il reste que le processus de sédentarisation qui a débuté au milieu du XIXè siècle (Gélinas 2000 [8] et 2003 [9] ; Mailhot 1996 [10]) et qui s'est poursuivi jusqu'à la deuxième moitié du XXè siècle [11], n'a toujours pas éliminé le caractère communautaire des quelque 15 000 Innus regroupés au sein de douze communautés locales (dix au Québec, deux au Labrador) et des quelque 5 000 Atikamekw regroupés au sein de trois communautés locales (toutes situées au Québec). Ce processus de sédentarisation n'a pas non plus fait taire leur imaginaire s'inspirant notamment de leurs récits fondateurs et perpétuant chez eux un sentiment de responsabilité à l'égard du territoire et une forte valorisation de la mobilité en forêt ou sur les lacs et rivières, comme en témoignent les témoignages d'entrevues cités plus haut.

Cette perspective analytique nous permet aussi de constater que des changements importants ont été vécus par les Atikamekw et les Innus en termes de rapports sociaux et qu'ils ont amené un certain métissage juridique au sein des communautés. Le Droit a été extériorisé de la pratique des acteurs sociaux. Suite à la sédentarisation des individus, les pratiques traditionnelles n'ont plus de légitimité juridique puisqu'elles ne sont plus imprimées dans le temps et dans l'espace. Et, à partir du moment où il y a un certain nombre de pratiques abandonnées, il y a aussi abandon d'une certaine normativité institutionnelle qui s'exprimait à travers le statut du porteur du message juridique, d'où la séparation entre socialité et juridicité. En conséquence, la réalisation de cette séparation a modifié le jeu social des acteurs ainsi que l'ordre qui régissait leurs relations.

Pourtant, la question de la proximité sociale est encore prégnante dans les quatre communautés. En effet, la question des droits et des obligations individuels est sous-jacente puisque certains répondants déclarent savoir quelle est leur place et leur fonction particulièrement par rapport à tout ce qui touche le territoire. La normativité d'interdépendance juridique est très présente dans les quatre communautés et il semble qu'elle s'exprime le plus lorsqu'elle touche le rapport au territoire. Par contre, plus le cercle des relations s'élargit et se dépersonnalise, plus cette relation d'interdépendance s'estompe. Il semblerait donc que plus la sphère est privée moins les acteurs sociaux ressentent le besoin d'exprimer leurs demandes verbalement, autrement dit, plus la normativité est intériorisée. De plus, on remarque aussi à la lecture des entrevues des quatre communautés que plus les relations sociales s'élargissent et que leur cercle devient public, moins les demandes sont orientées en fonction du rapport au territoire [12]. Ainsi, même s'il semble évident que le territoire est un sujet central dans les rapports avec d'autres communautés, avec d'autres nations ou même à l'intérieur des Premières Nations, il l'est aussi tout à la fois d'un point de vue politique, dans un discours sur la perte d'un mode de vie et comme objet du nécessaire combat pour retrouver des droits qui ont été spoliés. Lorsque l'on reste dans le cercle privé des relations interpersonnelles au sein de l'unité spatiale de base, le territoire est représenté au travers d'une relation spirituelle, comme ce qui permet encore aux acteurs sociaux de se définir aux tréfonds de leur intimité comme Innus ou Atikamekw. C'est ce qu'explique l'interlocuteur de Manawan cité plus haut, pour traduire le terme Naorézio qui désigne la personne de l'Atikamekw.

De plus, chez certains répondants, les rapports sociaux ne fonctionnent plus tout à fait de la même façon dans la communauté. La normativité implicite se fait moins sentir dans leurs rapports. La place et le rôle de chacun sont moins intériorisés. On remarque également que ces acteurs verbalisent beaucoup plus leurs demandes et leurs attentes notamment pour tout ce qui touche le cercle familial. La représentation du rôle de l'autre inverse le rapport social traditionnel. Le rôle est défini à posteriori par son détenteur et non plus a priori par le receveur. Cela a alors une influence sur le statut en tant que tel ainsi que sur sa définition puisqu'ils s'en trouvent modifiés. Le statut des acteurs devient alors davantage indépendant de la représentation qu'en ont les autres. Il s'extériorise de la relation interpersonnelle. L'attention est plutôt concentrée sur le message plutôt que sur le messager dans la mesure où son statut ne peut pas légitimer par avance son message. On peut imaginer que dans cette circonstance, le statut social des aînés par exemple devient précaire dans la mesure où ils n'ont pas été socialisés avec comme perspective de définir leur rôle puisque celui-ci était inhérent à leur statut. En perdant un certain statut juridique, ils se trouvent à devoir socialement redéfinir leur rôle et leur message juridique auprès de générations qui ont d'autres types d'attentes. À l'autre bout, on peut dire aussi que le statut social des jeunes est pareillement précaire dans la mesure où ils ont face à eux des acteurs qui attendent d'eux qu'ils prennent une certaine place en fonction de codes avec lesquels ils n'ont plus l'habitude de fonctionner et de normes qu'ils n'ont pas toujours intégrées. Ces deux extrémités d'acteurs se retrouvent en fait en difficulté, séparément, bien qu'unis par le même type de problème en lien avec leur place dans le projet collectif. D'ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, on perçoit une certaine incompréhension mutuelle du rôle et de la place de ces deux catégories d'acteurs dans les réponses aux entrevues :

« Elles [les attentes] sont différentes parce que notre vision est différente. Parce que… La force des aînés est encore là, mais ils s'en sont servis pour des... des... pour justement soutenir ce que nous entreprenons. Mais je me dis que la jeunesse a une autre vision aussi. Y a comme une séparation entre eux deux [...] La vision des aînés, c'est vraiment là, la conservation. Puis la vision delà jeunesse, c'est vraiment vers une autonomie plus, plus saine, plus développée, plus... pas se comparer à un non Autochtones, mais je veux dire faire son cheminement colle elle... comme elle doit, comme elle prend son cheminement aujourd'hui. » (05.09.2002.F52 : 7)


Métissage des rôles dans la famille et le politique

Conséquemment, on peut voir également qu'il y a moins de superposition entre la sphère familiale et la sphère de socialisation juridique. Les rôles et les attentes par rapport aux parents, au père et à la mère, ont changé de la même façon que celles relatives aux enfants. Dans certaines communautés, les rôles de chacun ne sont plus définis en fonction de la vie traditionnelle. On peut remarquer que le travail des femmes et les impératifs économiques ont beaucoup modifié les rapports familiaux. La complémentarité des rôles et des statuts ne se fait plus sur la même base, tout comme la différenciation sexuelle des tâches. On ne peut pas dire qu'il y ait de grosses différences à ce sujet entre les communautés puisque le processus a été le même pour tous. Par contre, on peut remarquer une différence entre les communautés au niveau de l'acceptation et de la représentation (positive ou négative) de ces changements.

Les rôles des grands-parents ont aussi beaucoup changé. Dans certaines familles, ils ne sont plus autant intégrés à l'éducation des enfants, soit parce qu'ils n'habitent pas avec leurs petits-enfants, soit parce que certains parents ne voient pas l'utilité de les associer à l'éducation des enfants. Néanmoins, on remarque que dans plusieurs familles, les grands-parents sont encore représentés comme un lien avec les ancêtres et le mode de vie traditionnel. Ils sont identifiés par certains comme ceux qui permettent aux enfants de connaître leurs racines et de les ancrer socialement dans un rapport espace/temps mythologique.

En fait, la sédentarisation a amené un certain métissage juridique des rapports sociaux dans les quatre communautés qui dépend à la fois de l'âge des acteurs sociaux, de leur degré de sédentarité et des sphères dans lesquelles ont lieu ces rapports. La légitimité des rapports sociaux semble avoir une autre source qui pourrait être les normes générales et impersonnelles. Elle n'est plus uniquement endogène. Si l'on continue, par exemple, à examiner les rapports familiaux, on se rend compte que la répartition de l'autorité semble toujours régie en fonction de la normativité traditionnelle malgré une modification des statuts du père et de la mère. C'est-à-dire que le père, qui n'est plus reconnu pour son statut de pourvoyeur, est par contre toujours reconnu comme détenteur de l'autorité familiale, particulièrement lorsqu'il s'agit des adolescents. En effet, autrefois, l'autorité était partagée entre les parents. Petits, les enfants étaient sous l'autorité de leur mère, adolescents, ils passaient sous celle de leur père. Ce ne sont donc pas tous les statuts qui semblent avoir été modifiés par la sédentarisation : les modalités de fonctionnement et les normes n'ont été modifiées que lorsqu'elles entraient en compétition avec les normes et les modes de fonctionnement imposés suite à la sédentarisation.

On observe aussi un métissage au niveau de l'unité spatiale de base qui va déterminer le fonctionnement des droits et des obligations et le statut des acteurs sociaux. En effet, la sédentarisation a amené de nouveaux rapports parce qu'elle a modifié les espaces sociaux. D'autres espaces et d'autres institutions ont pris le relais de la cellule familiale depuis la sédentarisation, surtout pour les plus jeunes. À la lecture des entrevues, on remarque que le territoire de la communauté est devenu un endroit de référence, une sphère intérieure, intériorisée par les jeunes. Cet espace est le leur alors que, pour les plus âgés, c'est le bois qui leur permet de s'exprimer. Ils ne se sentent exister que quand ils sont dans le bois. Pour certains, le bois représente le lieu dans lequel tous les acteurs sociaux retrouvent leurs places, où un certain ordre se met en place automatiquement et où les rapports sociaux se recentrent. D'ailleurs, nous avons bien vu plus haut, dans les extraits d'entrevues, combien ils se représentent le territoire/le bois comme un lieu de liberté, dans lequel il n'y a pas de loi, où plutôt dans lequel ils ne ressentent pas les effets opprimant des lois comme cela semble se produire lorsqu'ils sont dans la communauté. Le bois est un lieu où l'ordre et la place des différents éléments deviennent naturels :

« Icitte, icitte t'as droit, t'as une maison icitte. Icitte y'a la police, y a tout. T'as des lois à suivre tandis que dans le grand territoire, t'as pas de loi. Rien t'arrête. Tandis qu'icitte, qu'icitte là, près de la mer là, t'as des lois du gouvernement du Québec. Faut que tu les suives sans ça t'as des amendes à payer. Tandis que dans le grand territoire ancestraux, y a pas de lois. » (09.07.2003.048.H50 : 10)

La lecture des entrevues fait voir aussi qu'il y aurait eu un métissage dans certaines communautés au niveau de la représentation de ce que doit être l'ordre qui oriente les pratiques et qui permet le pont entre le passé et le présent. Ce métissage aurait amené une nouvelle juridicité. En effet, dans les communautés de Manawan, de Pessamit et d'Ekuanitshit, on voit émerger de nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs juridiques qui semblent avoir trouvé une certaine harmonie entre le passé et le présent. Ces acteurs sont issus de sphères qui autrefois étaient intégrées à la sphère familiale et qui ont été isolées suite à la sédentarisation. À travers, par exemple, les chefs et les Conseils de bandes ou les personnes qui travaillent pour les services de santé, on voit que les autres acteurs sociaux de ces trois communautés leur accordent une certaine légitimité et une certaine compétence en matière juridique. Certes, cette légitimité et cette compétence ne font pas toujours l'unanimité, mais ces individus semblent tout de même représenter des acteurs clés au sein de ce nouvel ordre.

En effet, ces acteurs clés permettent d'intégrer la normativité traditionnelle et la normativité imposée suite à la sédentarisation. Ils permettent également d'instaurer une autre conception du temps puisqu'ils sont élus avec un mandat large, aux fonctions multiples, pour une période de temps fixe qui ne dépend pas du cycle saisonnier du territoire. De plus, leurs fonctions font appel à une autre conception de l'espace puisque leur légitimité ne s'applique qu'à la réserve, pas au territoire ancestral. Néanmoins, ces institutions sont acceptées : les résidants des trois communautés ne contestent pas leur autorité et ils acceptent relativement bien que la Loi sur les Indiens soit le fondement principal de l'autorité politique. Par contre, l'institution du Conseil de bande est ostensiblement contestée. La contestation se fait la plupart du temps oralement et de façon individuelle. Les rapports dans ce sens restent personnalisés. Par exemple, certaines personnes n'acceptent pas le fait que le chef et ses conseillers ne soient pas des modèles à suivre. Les répondants n'acceptent pas non plus que leurs représentants ne travaillent pas en fonction de l'intérêt collectif. Même si les membres du Conseil de bande sont élus selon les termes de la Loi sur les Indiens, les critères de sélection et les attentes de la population demeurent reliés aux normes endogènes et au fait que les représentants jouissent d'un certain statut qui va déterminer leur crédibilité. Autrement dit, ce n'est pas l'élection d'un chef qui va déterminer son statut mais sa crédibilité et sa légitimité en tant qu'acteur social bien avant son élection.

Attitudes à l'endroit des services sociaux
et de la santé


Les services sociaux sont un autre exemple de métissage. En effet, traditionnellement, la sphère familiale était une sphère privée qui jouissait d'une certaine souveraineté. Il est donc difficile d'accepter qu'une tierce partie extérieure, et encore moins les services sociaux gouvernementaux, s'immisce dans les affaires personnelles. Si l'on se base sur les réponses aux entrevues, les conflits familiaux semblaient autrefois être résolus à l'interne par les autres membres de la famille. Pourtant si l'on prend le cas de la communauté de Manawan, on peut remarquer que les services sociaux de la communauté ont intégré certaines dispositions qui permettent un nouveau type de fonctionnement. La famille ne semble pas représentée comme un espace privé. Certes, les affaires familiales ne sont toujours pas du ressort des services sociaux gouvernementaux, considérés comme appartenant à une sphère trop externe. Néanmoins, les affaires familiales ne sont plus juste du domaine privé dans lesquelles autrui ne peut s'impliquer. La collectivité doit avoir son mot à dire, particulièrement en ce qui concerne les questions touchant les enfants. Le cercle des relations interpersonnelles s'est élargi à la communauté. À travers le conseil de famille et le Conseil des Sages pour la communauté de Manawan, ces institutions, intermédiaires entre les familles et les services sociaux, donnent un aperçu de métissage entre les normes endogènes et les normes générales impersonnelles dans le règlement des affaires familiales. En effet, le travail du Conseil des Sages permet de réhabiliter certaines conceptions juridiques traditionnelles tout en travaillant avec la structure des services sociaux. Déjà, les services sociaux ont été investis par la communauté qui a mis en place cette institution chargée de régler en dernier ressort les problèmes familiaux. La délimitation entre le privé et le public semble avoir été redéfinie afin que cette institution ait la légitimité juridique nécessaire pour régler les problèmes qui déchirent le tissu social de la communauté. Le Conseil des Sages permet également de réintroduire le statut des aînés au centre de la juridicité. Les sages du Conseil sont choisis en fonction de leur expérience de vie, de l'accumulation de leur savoir. Les aînés sont réintégrés dans leur statut de messager juridique en même temps qu'ils sont intégrés à une institution plus formelle, elle aussi porteuse d'un message juridique. Ce Conseil remet en valeur les relations interpersonnelles et les contacts personnalisés entre les acteurs et les services sociaux souvent perçus comme froids et inhumains par les gens de la communauté. En fait, il permet de garder une certaine proximité sociale et spatiale et d'éviter que les conflits soient réglés à l'extérieur de la sphère interne, en l'occurrence de la communauté.

Les conceptions de la santé sont elles aussi un autre exemple de métissage juridique des rapports sociaux. Avec la sédentarisation des familles, la modification de leur mode de vie, de leur environnement et de leurs habitudes alimentaires, les individus des quatre communautés ont eu accès à une médecine qui considérait les symptômes indépendamment du malade et le malade comme un individu a-socialisé. De plus à chaque maladie correspond un médicament qui doit agir de façon rapide et efficace. Or, dans la juridicité traditionnelle des Atikamekw et des Innus, l'individu n'est pas dissociable du contexte dans lequel il interagit. L'individu est compris dans un ensemble d'interrelations. Il est donc à la fois traité comme individu mais toujours dans la perspective d'une collectivité. De plus, l'individu était toujours ramené à son environnement et à la manière dont il en respectait les lois.

Dans les pratiques et les conceptions actuelles en matière de santé, on s'aperçoit que l'acteur est toujours responsable individuellement de sa santé. Par contre, la bonne santé est dépendante de facteurs autant environnementaux, sociaux et comportementaux extérieurs à l'individu. La responsabilité est un phénomène partagée entre tous les acteurs de la communauté et n'est pas juste un acte individuel. En outre, on remarque également que pour beaucoup de personnes, une bonne santé ne veut pas dire une absence de maladie, comme s'il s'agissait de deux aspects différents. En effet, il semble que la bonne santé soit imputable à un bon comportement, à un mode de vie adéquat, et à un équilibre de forces internes (mentale, émotionnelle, physique et spirituelle). La bonne santé n'est alors pas immédiate. Encore là, on retrouve l'interdépendance et la proximité sociale qui fait que les individus se définissent par rapport à eux-mêmes mais aussi par rapport à leur environnement social et physique. En ce qui concerne la maladie, ses causes en sont aussi le mode de vie et le régime alimentaire. Dans les entrevues, la maladie est associée à la vie dans la communauté, à la sédentarisation. En fait, la maladie apparaît comme propre à la vie en communauté alors que la bonne santé est associée à la vie dans le territoire/dans le bois. Il est intéressant de constater que pour beaucoup la santé demeure liée au rapport au territoire, à la relation de chacun au territoire, surtout telle qu'elle devait être avant.

Dans les quatre communautés, les conceptions de la santé sont organisées de façon binaire avec une opposition entre avant et après, entre le bois et la réserve, entre la médecine occidentale et la médecine traditionnelle. Les répondants semblent aussi dissocier les traitements en fonction des types de maux. Aux maladies dites « blanches », les répondants auront souvent recours aux remèdes des Blancs. Pour des maladies liées au mal de vivre et à la perte globale d'identité, ils se serviront plus volontiers des traitements traditionnels lors desquels médecine traditionnelle et spiritualité interagissent. Toutefois, selon les communautés, les répondants vont utiliser plus ou moins cette opposition et ils vont surtout s'en servir différemment. Ainsi, à Manawan et Pessamit ainsi qu'à Ekuanitshit, on peut voir que les acteurs sociaux vont utiliser ce qui les intéresse et ce qui rejoint leurs conceptions de la maladie et de la santé. La médecine traditionnelle est alors un élément très présent dans le traitement de leurs malaises, d'une part parce que les répondants disent l'utiliser pratiquement toujours en première ressource pour soigner une maladie bénigne et, d'autre part, parce qu'on peut penser qu'elle leur permet de rétablir un contact symbolique avec le territoire, avec leur environnement. Elle semble aussi leur permettre de reconnecter l'individu à l'environnement et lui permettre en tant qu'acteur d'être délesté d'une responsabilité qui traditionnellement ne lui incombait pas puisqu'elle était collective. Ainsi, dans ces communautés, on va davantage entendre parler de groupes de thérapie. Qu'ils soient initiés par des particuliers ou par les services de santé, ces groupes bénéficient d'une grande légitimité puisqu'ils essayent de recadrer l'être humain au sein des relations d'interdépendance, de le reconnecter avec son environnement et de lui donner un sens où aller. Par la pratique d'activités traditionnelles et de certaines règles, les malades vont essayer de renouer avec un certain rapport juridique au territoire.

L'institutionnalisation des services de santé et l'intégration de conceptions traditionnelles dans les programmes de soins sont intéressantes car elles permettent de voir qu'en matière de santé, ces communautés sont aussi devenues des unités spatiales et sociales de base. Cette nouvelle unité de base a aussi permis de renégocier les limites de la sphère interne, de la sphère privée de sorte que les soins de santé ont pu être redirigés vers une responsabilité plus collective. Cela a aussi permis d'intégrer à ces programmes de soins des éléments externes, comme le personnel soignant, qui autrefois auraient été perçus comme agressant, et de composer avec des services gouvernementaux imposés.

Conclusion

Point de départ de la démarche que nous avons suivie dans cet article se trouve le discours sur les droits ancestraux et ses différentes dimensions, recueilli auprès de nos interlocuteurs dans trois communautés innues et une communauté atikamekw. Le contenu de ce discours nous est apparu passablement uniforme d'une communauté à l'autre, axé principalement sur les différents rapports au territoire et à ce qu'il représente à la fois comme ressource et comme symbole.

Nous servant par la suite du modèle de la pluralité des mondes juridiques, proposé par Etienne Le Roy, nous avons pu constater la dynamique complexe, sans doute difficile, engagée depuis la sédentarisation, entre le monde des coutumes endogènes et celui de la dominance du droit étatique et de ses normes générales et universelles. Nous avons cherché à saisir et reconnaître cette dynamique dans le métissage juridique observable dans les rapports sociaux entre les membres de la famille, dans le politique au sein de la communauté et dans les attitudes à l'endroit des services sociaux et de la santé.

En conclusion, nous pouvons dire que le métissage juridique au sein des rapports sociaux nous semble avoir amené une redéfinition, voire une reconfiguration de l'identité des acteurs autochtones des quatre communautés. Cette identité « alternative » pose néanmoins certaines questions relativement aux incidences à long terme de ce métissage sur le tissu juridique et social des communautés. La première question qui se pose est sans doute la suivante : faut-il en déduire que le système juridique endogène viendra à s'effondrer graduellement, comme par nécessité, face à des raisons structurelles ? Quelle sera l'issue de la dynamique actuelle entre les mondes juridiques ? Sur un autre plan, l'on peut se demander si l'on assiste pas à la constitution d'un sentiment d'appartenance à la communauté locale au détriment de la responsabilité de partager avec les personnes qui vivent à l'extérieur de cette communauté locale, même si, formellement, elles font partie du réseau de parenté ? De plus, les accords implicites ou explicites réalisés entre ces deux mondes n'ont pas toujours de légitimité juridique tant et aussi longtemps qu'ils ne sont pas réinterprétés et justifiés à la lumière de la logique qui règne au sein de chacun des mondes auxquels les acteurs se réfèrent.

Annexe 1

LA CONCEPTION DES DROITS ANCESTRAUX
DANS VOTRE COMMUNAUTÉ

Guide d'entrevues (version du 17 juillet 2002)


- Renseignements généraux sur la personne interrogée :

- Consentement pour que se réalise l'entrevue et pour que cette entrevue soit utilisée de façon anonyme dans le cadre du projet de recherche « Autochtonie et gouvernance » :

- Date, heure et lieu de l'entrevue :

- L'entrevue se déroulera en trois temps :

40 minutes pendant lesquelles la première partie (droits ancestraux) sera abordée ;

10 minutes de pause ;

40 minutes pendant lesquelles l'une ou l'autre des trois autres parties (structures sociales domestiques, structures politiques, rapports avec les territoires) seront abordées au choix de la personne interrogée.

- S'assurer de bien identifier chacune des entrevues sur la bande enregistrée.

- Si la personne interrogée le souhaite, on peut lui faire entendre l'enregistrement.

Conceptions des « droits ancestraux »

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer personnellement des autres membres de votre famille ?

Quelle responsabilité personnelle croyez-vous avoir envers les autres membres de votre famille ?

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer personnellement des autres membres de votre communauté ?

Quelle responsabilité personnelle croyez-vous avoir envers les autres membres de votre communauté ?

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer personnellement des autres membres de votre Nation ?

Quelle responsabilité personnelle croyez-vous avoir envers les autres membres de votre Nation ?

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer en tant que membre de votre Nation et que votre Nation peut exiger/réclamer de la part de l'Assemblée des Premières Nations ?

Quelle responsabilité en tant que membre de votre Nation croyez-vous avoir et que votre Nation a envers l'Assemblée des Premières Nations ?

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer en tant qu'Autochtone membre de votre Nation et que votre Nation peut exiger/réclamer de la part du gouvernement québécois ?

Quelle responsabilité en tant qu'Autochtone membre de votre Nation croyez-vous avoir et que votre Nation a envers le gouvernement québécois ?

Que croyez-vous pouvoir exiger/réclamer en tant qu'Autochtone membre de votre Nation et que votre Nation peut exiger/réclamer de la part du gouvernement canadien ?

Quelle responsabilité en tant qu'Autochtone membre de votre Nation croyez-vous avoir et que votre Nation a envers le gouvernement canadien ?

Que considérez-vous comme faisant partie des droits ancestraux (cf. droits ancestraux et issus de traités reconnus et confirmés par la Constitution canadienne) ?

À quel titre, pensez-vous détenir de tels droits ancestraux ?

Comment ces droits ancestraux peuvent-ils être reconnus et concrétisés aujourd'hui ?

Connaissez-vous des récits (contes, histoires, légendes, etc.) ancestraux qui, selon vous :

a) sont en relation avec les droits ancestraux ?

b) servent à guider les décisions et les actions liées aux droits ancestraux ? Est-ce que, selon vous, les droits ancestraux incluent le droit à l'autodétermination ?

Est-ce que, selon vous, les droits ancestraux incluent une protection envers les territoires ancestraux ?

Si oui, comment ce droit à l'autodétermination faisant partie des droits ancestraux, peut-il être reconnu et comment peut-il être concrétisé ?

Selon vous, quels comportements jugeriez-vous inacceptables envers les droits ancestraux ? Expliquez pourquoi.

Est-ce qu'il y a des différences entre les comportements attendus aujourd'hui à l'égard des droits ancestraux et ceux

qui étaient attendus autrefois ? Si oui, en quoi sont-ils différents et pourquoi ?

Structures sociales domestiques

Sur quelles bases s'établit la répartition des tâches et des responsabilités au sein de votre famille ? Comment et par qui s'exerce l'autorité au sein de votre famille ?

a) envers les jeunes enfants ?
b) envers les adolescents ?

Quelle part accorde-t-on à la pensée des ancêtres dans l'éducation des enfants ? Connaissez-vous des récits (contes, histoires, légendes, etc.) ancestraux qui, selon vous, servent aujourd'hui :

a) à l’éducation des enfants ?
b) à la prise de décision dans la vie familiale ?
c) dans le choix des comportements à adopter face à une situation donnée ?

Un fils ou une fille devenu adulte peut-il ou peut-elle punir son père ou sa mère pour des mauvais traitements que celui-ci ou celle-ci lui aurait infligés lorsqu'il ou elle était jeune ?

Un fils ou une fille peut-il ou peut-elle, doit-il ou doit-elle, intervenir en faveur de sa mère si celle-ci subit de la violence, notamment de la part de son mari et donc du père ou du beau-père du fils ou de la fille ?

Un frère ou une sœur peut-il ou peut-elle, doit-il ou doit-elle, intervenir en faveur d'un frère ou d'une sœur en danger au sein de sa propre famille ?

Selon vous, quels comportements jugeriez-vous inacceptables au sein d'une famille ? Expliquez pourquoi. Est-ce qu'il y a des différences entre les comportements attendus aujourd'hui envers sa propre famille et ceux qui étaient attendus autrefois ? Si oui, en quoi sont-ils différents et pourquoi ?

Structures politiques

Sur quelles bases s'établit aujourd'hui l'autorité politique dans votre communauté ?

Distinctions entre autorité politique reconnue et autorité politique acceptée ?

Est-il possible de contester l'autorité politique dans la communauté ?

Si oui, selon quels mécanismes et pour quelles raisons ?

Quelles sont les principales règles qui régissent l'autorité politique dans votre communauté ?

Dans la gouverne de la communauté, qui participe aux prises de décision et selon quelles modalités et qui prend les décisions en dernier ressort ?

Connaissez-vous des récits (contes, histoires, légendes, etc.) ancestraux qui, selon vous, servent :

a) à établir l'autorité politique ?
b) à guider les décisions et les actions de l'autorité politique ?

Selon vous, quels comportements jugeriez-vous inacceptables dans la gouverne de votre communauté ? Expliquez pourquoi.

Est-ce qu'il y a des différences entre les comportements attendus aujourd'hui de la part des autorités politiques et ceux qui étaient attendus autrefois ? Si oui, en quoi sont-ils différents et pourquoi ?

Rapports avec le territoire

Sur quelles bases s'établissent aujourd'hui les rapports entre votre communauté et les territoires ancestraux ?

Est-ce que ces rapports entre votre communauté et les territoires ancestraux sont identiques de ceux établis entre votre communauté et la réserve en tant que telle ?

Est-ce qu'il existe une institution (par exemple le Conseil de bande), un groupe (par exemple la famille) ou une association (par exemple l'Association des chasseurs ou autres utilisateurs du territoire) qui est principalement responsable de ce qui se passe dans les territoires ancestraux ?

En tant que membre de votre famille ou de votre communauté, comment devez-vous vous comporter envers les territoires ancestraux ? Est-ce que le même comportement est attendu de vous au sein de la réserve en tant que telle ?

Connaissez-vous des récits (contes, histoires, légendes, etc.) ancestraux qui, selon vous, servent :

a) à établir une responsabilité envers les territoires ancestraux ?
b) à établir le pouvoir d'exiger ou de réclamer un certain nombre de choses envers les territoires ancestraux
c) à guider les décisions et les actions concernant les territoires ancestraux ?

Selon vous, quels comportements jugeriez-vous inacceptables dans les rapports envers les territoires ancestraux et envers la réserve en tant que telle ? Expliquez pourquoi.

Est-ce qu'il y a des différences entre les comportements attendus aujourd'hui envers les territoires ancestraux et ceux qui étaient attendus autrefois ? Si oui, en quoi sont-ils différents et pourquoi ?

Santé

À qui, à quoi doit-on la santé que l'on a ? Que faut-il faire pour se garder en santé ? Que faut-il faire quand on est malade ?

- qui consulter, par ordre de choix ?
- quoi faire ?

Le traitement des maladies est-il plus efficace aujourd'hui qu'autrefois ?

- en quoi l'est-il plus ou l'est-il moins ?

Dans votre communauté, quelles sont les maladies les plus courantes, quelles sont les maladies les plus graves ?

Qui sont, d'après vous, les principaux responsables de la bonne santé et des traitements dans votre communauté ?

- à qui feriez-vous d'abord confiance ?
- pourquoi ?


[1] Avocat, membre du Barreau du Québec, et anthropologue, Alain Bissonnette est chercheur autonome et consultant auprès de l'Agence canadienne de développement international. Détentrice d'un doctorat en sociologie, Karine Gentelet est actuellement en stage post-doctoral au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Professeur titulaire, Guy Rocher enseigne actuellement la sociologie du droit à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et est chercheur au Centre de recherche en droit public.

[2] Pour de plus amples informations, lire la présentation du projet dans LAJOIE, Andrée et al., Présentation du projet Autochtonie et Gouvernance à l'intention des membres du Comité évaluateur de Valorisation-Recherche Québec, manuscrit, janvier 2004, 38 p et sur le site :
http://www.autochtonie.umontreal.ca/fr/description.html.

[3] Il faut lire ainsi la numérotation utilisée pour désigner les entrevues : 05.09.2002 correspond à la date où l'entrevue a eu lieu ; 016 au numéro de l'entrevue en tant que telle, ici la seizième qui a été réalisée ; F52 au sexe de la personne interrogée et à son âge ; 2 au numéro de la page de la transcription d'où est tirée la citation.

[4] LE ROY, Etienne, Le jeu des lois. Une anthropologie « dynamique » du Droit, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1999, 415 p

[5] Lire les analyses éclairantes de Le Roy à ce sujet en contexte africain dans LE ROY, Etienne, Les Africains et l’Institution de la Justice. Entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004, 284 p.

[6] Une première version de ce modèle a été utilisée pour analyser les réactions de différents groupes autochtones au projet d'Accord constitutionnel de Charlottetown (BISSONNETTE, Alain, « Le droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones : un phénix qui renaîtra de ses cendres », (1993) Revue Générale de Droit : 5-25).

[7] BOURDIEU, Pierre, Jean-Claude CHAMBOREDON et Jean-Claude PASSERON, Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 4è édition, 1983, 357 p.

[8] GÉLINAS, Claude, La gestion de l'étranger. Les Atikamekw et la présence eurocanadienne en Haute-Mauricie, Sillery, Septentrion, 2000, 371 p.

[9] GÉLINAS, Claude, Entre l'assommoir et le godendart. Les Atikamekw et la conquête du Moyen-Nord québécois 1870-1940, Sillery, Septentrion, 2003, 300 p.

[10] MAILHOT, José, « La marginalisation des Montagnais », in P. Frenette (sous la direction de), Histoire de la Côte-Nord, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1996, 667 p. : 321-357.

[11] Chez certains groupes innus, les migrations liées à la vie nomade ont cessé et le passage des tentes aux maisons s'est effectué vers la fin des années 1960 (Mailhot 1993 : 137 ; Savard 2004 : 12).

[12] Par rapport au territoire, nous définissons la relation individuelle et personnalisée, le rapport intime qu'un acteur a avec le territoire.



Retour au texte de l'auteur: Guy Rocher, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le lundi 20 janvier 2020 19:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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