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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Antoine Robitaille, Vincent Lemieux, passion et rigueur”. Le Devoir, Édition du 21 juillet 2014, page A4 — Actualités. [Le 21 juillet 2014, l'auteur autorisait la publication, en texte intégral, de cet article dans Les Classiques des sciences sociales.] [Rediffusion d'un article originalement publié le 5 décembre 1998 par l'auteur dans Le Devoir, au moment où Vincent Lemieux recevait le prix Léon-Gérin, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans le domaine des sciences humaines et sociales.]

Antoine ROBITAILLE

Vincent Lemieux,
passion et rigueur
.”

Un article publié dans Le Devoir, Montréal, édition du lundi, 21 juillet 2014, page A4 — Actualités en société.



À l’occasion du décès du politologue Vincent Lemieux vendredi dernier, voici un texte d’Antoine Robitaille qui a été publié une première fois dans nos pages le 5 décembre 1998, au moment où M. Lemieux recevait le prix Léon-Gérin, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Vincent Lemieux n’est pas un étranger pour le public québécois qui l’a vu et entendu commenter l’actualité politique depuis une trentaine d’années. L’image médiatique, cependant, ne dit pas tout. On ignore généralement que l’homme est responsable du renouvellement de l’étude du favoritisme politique, de la science des réseaux et des systèmes politiques ; qu’il a conçu des outils théoriques d’analyse des lois ; et, enfin, qu’il est, dans la francophonie, une référence obligée sur les partis politiques.


incent Lemieux

Photo: Louise Leblanc Archives Vincent Lemieux

Vincent Lemieux, auteur de 300 articles et d’une trentaine d’ouvrages, est un politologue chevronné, émérite, qui jouit d’une réputation peu commune auprès de ses pairs. Nulle surprise qu’il obtienne le prix Léon-Gérin ; d’autant plus que, tout jeune, il tomba d’une certaine façon dans la marmite. Il a été l’élève de sept des précédents lauréats du prix, qu’il reçoit à son tour !

Sa reconnaissance est d’ailleurs très grande pour les Gérard Bergeron, Fernand Dumont, Guy Rocher, etc. « C’est par fidélité à quelques hommes et à quelques femmes, et par admiration pour elles et pour eux, que j’ai continué de chercher sans relâche depuis plus de vingt ans », écrivit-il un jour.

La carrière comme expression d’une dette envers ceux qui lui ont transmis un héritage de connaissance : ce penseur réservé, ce « scientifique social » à l’esprit analytique, est homme de grande sensibilité. « Je suis très attaché à mes racines, à ma parenté », confie celui qui avoue simplement « beaucoup valoriser les relations sociales ».

Mentor

Car c’est là sa pente naturelle, voire sa fascination. Toujours très attentif, il fait souvent un objet d’étude de ses salles de cours. Professeur généreux, il a mené 24 étudiants au doctorat et 55 à la maîtrise. Lemieux est un mentor à qui s’applique une phrase du poète Novalis, que lui-même a déjà utilisée pour décrire Fernand Dumont : « Celui à qui je puis apporter l’impulsion d’un désir, d’un penchant indéfini, je lui donne, très strictement parlant, la vie. » On comprend pourquoi le prix de la meilleure thèse de troisième cycle de L’Association canadienne de science politique porte son nom.

Le scientifique, qui a été rédacteur en chef du Carabin, fameux journal étudiant à Laval, rappelle souvent qu’il a « beaucoup hésité entre les lettres et les sciences sociales », pour lesquelles il opta finalement dans un esprit « d’engagement ». Il faut se rappeler l’époque exaltante où « ces sciences portaient en elles de grands espoirs de progrès ». « De plus, raconte Lemieux, le professeur Guy Rocher nous avait dit : le fait que la sociologie soit très peu développée, ce n’est pas un handicap, c’est un défi C’était stimulant ! »

La passion est au coeur des choix de notre scientifique et c’est encore celle-ci qui transpire lorsqu’il parle avec une simplicité authentique de la « jouissance de la création » qu’il éprouve en « élaborant des modèles, des théories qui permettent de mieux comprendre le social ». Jouissance aussi de la vulgarisation : Vincent Lemieux est l’auteur de plusieurs titres de collections grand public (Sondages et démocratie, La décentralisation).

Chez Lemieux, au demeurant, la passion n’exclut pas la rigueur. Une rigueur toute mathématique. Et c’est encore avec « son poète préféré », Novalis, qu’il nous le dit : « Si nous n’étions pas foncièrement mathématiques, nous ne percevrions aucune différence. » Rigueur et logique ? « Sociologique », plus précisément. Car « si l’on ne fait pas de la logique, explique-t-il en reprenant les catégories thomistes, on risque de glisser vers la morale ou la métaphysique. » Et tout cela n’est que littérature ? Non, rétorque Lemieux, qui s’accorde avec ceux qui voient en Balzac, et non en Durkheim, « le plus grand sociologue français du XIXe siècle ».

Celui dont les collègues s’accordent à dire qu’il est « le chercheur qui a le plus contribué à valoriser la dimension scientifique de la science politique » admet donc « facilement » qu’il y a d’autres façons d’appréhender l’écheveau du social. Mais lui a opté pour l’exigeante tâche qui requiert un va-et-vient constant entre les idées et le terrain. Il affirme ne pas pouvoir « s’enfermer dans la théorie ». « J’ai toujours besoin de me reporter au terrain et à l’empirie. Mais je suis au reste incapable de me confiner à l’empirie. » Il se reporte à Bachelard, professeur français déterminant : « Quand on rationalise, il faut expérimenter ; quand on expérimente, il faut rationaliser. »

Combiner audace et minutie

Rigueur, logique, mathématique, empirie, théorie… Tout cela n’exclut pas l’inventivité, explique Lemieux, en citant le conseil d’un de ses maîtres, le grand anthropologue Lévi-Strauss : « Allier la plus grande audace théorique à l’étude la plus minutieuse des faits. » Ainsi à la fin des années soixante, à partir d’études empiriques dans l’île d’Orléans, il met au jour le fait surprenant que les gens approuvent le favoritisme, n’y voyant pas un procédé contrevenant à la morale, « sauf lorsqu’il y a excès ». Comparant ses résultats à des données africaines et étatsuniennes, il parvient à théoriser le propos. La même combinaison d’empirie et de comparaison fera la renommée de plusieurs de ses travaux. Ses thèses sur les partis, par exemple, présentées dans Systèmes partisans et partis politiques (1985). Il en va de même de sa mise en théorie des « coalitions et des réseaux » dans la formation des politiques publiques, notamment en santé.

Puisant aux sources de la sociologie, de l’anthropologie et des mathématiques, Vincent Lemieux a jeté un éclairage neuf sur des sujets classiques. Son ouvrage où il analyse et compare les différentes incarnations du Parti libéral du Québec (1989) à travers son centenaire d’histoire a fait date.

Pour la proportionnelle

Au reste, durant sa retraite, il entrevoit adopter « d’autres modes d’appréhension du social ».« Je vais sûrement écrire des essais. » Dont un portant sur une autre dimension de sa carrière, celle de son engagement, fin des années 70, début 80, dans le processus de réforme électorale. Une demi-victoire à propos de laquelle il reste un peu amer. Car si les changements sont graduellement venus quant à la redistribution de la carte électorale et au financement des partis politiques, le mode de scrutin, lui, est resté le même, sa proposition de « proportionnelle territoriale » ayant été reléguée aux oubliettes. « La seule occasion de relancer le débat serait que le Parti libéral perde avec une majorité des voix », disait-il, avant que se produise ce que l’on sait, le 30 novembre dernier !

Comme si l’histoire politique, à son tour, avait voulu lui rendre hommage.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 24 juillet 2014 8:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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