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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, édition du 10 mai 1998.

L'insondable âme des Québécois.
Les Québécois veulent s'ouvrir à l'Amérique”

par Antoine Robitaille,
politologue, journaliste, Le Devoir, Montréal [Autorisation accordée par l'auteur le 9 décembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]
arobitaille@ledevoir.com ou arobitaille1@videotron.ca


Les Québécois veulent s'ouvrir à l'Amérique 

Dix ans après l'élection fédérale consacrant la victoire du libre-échange avec les États-Unis et à quelques jours de la Mission Québec qu'entreprendront le premier ministre Lucien Bouchard et une trentaine de gens d'affaires dans quatre grandes villes américaines, les Québécois se montrent toujours peu enclins au protectionnisme. Et ils manifestent une confiance somme toute débordante face à l'intégration continentale des Amériques. 

Ce sont là deux des faits saillants d'une grande enquête sur l'américanité des Québécois, effectuée à l'été 1997 par la firme Impact Recherche, de Québec, pour le compte du Groupe de recherche sur l'américanité (GRAM), constitué de professeurs de diverses institutions québécoises comme l'INRS, l'université Concordia et l'UQAM, mais aussi de chercheurs américains de la State University of New York à Plattsburgh. 

Guy Lachapelle, politologue de l'université Concordia et porte-parole du GRAM, affirme qu'il s'attendait à ce que les Québécois apparaissent « beaucoup plus frileux ». Or il faut croire que les États-Unis exercent toujours, sur le plan économique, l'attrait de la prospérité. 62% des répondants disent avoir l'impression que l'entente de libre-échange a été «très» ou « plutôt » favorable au développement économique du Québec et une majorité (57%) souhaite que l'on continue au même rythme « le mouvement vers une plus grande intégration nord-américaine ». 21% des Québécois souhaitent même que cette intégration soit accélérée. Une majorité estime aussi que l'élargissement de l'ALENA à d'autres pays d'Amérique du Sud aurait un impact très ou plutôt favorable. 

« J'ai l'impression que dans les autres provinces canadiennes, on obtiendrait des chiffres différents, probablement plus négatifs », affirme Guy Lachapelle. 

Les Québécois ne croient pas que la mondialisation
soit une menace à la diversité culturelle

 

L'invasion économique, la menace sur l'intégrité culturelle du Québec ? Des craintes bien relatives, si l'on considère les 65% de Québécois qui ne croient pas que la mondialisation soit une menace à la diversité culturelle. Sensiblement la même proportion (63%) estime que les Québécois ne risquent pas de perdre leur particularité au sein de l'ALENA. Pour 61% des répondants, par exemple, cet accord ne constitue pas un danger pour les programmes sociaux québécois. 

Sur la question très délicate de « l'exception culturelle », autrement dit que les produits culturels soient exclus de l'ALENA, surprise  Les Québécois n'y adhèrent pas en majorité (40%), alors que 54% se disent en désaccord avec de telles mesures. Explications de Guy Lachapelle : « On est fiers de notre culture, et on veut l'exporter ». C'est peut-être aussi que les Québécois refusent qu'on restreigne l'accès au cinéma américain, préféré par 73% d'entre eux aux cinéma français et québécois. Ces chiffres sur la question culturelle doivent toutefois être interprétés avec prudence, le sondage ayant été mené avant les tonitruantes campagnes contre la conclusion d'un éventuel AMI (Accord multilatéral contre l'investissement), qui a sans doute laissé des traces dans l'opinion publique. 

Toutefois, toujours selon les résultats de l'enquête, les Québécois se montreraient très favorables à des mesures de promotion culturelle. Ils se déclarent par exemple dans une proportion de 60% « plutôt d'accord » avec le renforcement des rapports du Québec avec les pays francophones pour faire contrepoids à la culture des États-Unis. 

Le pays de Bill Clinton est déjà le principal partenaire commercial du Québec. Selon le ministère des Relations internationales du Québec, 82% de ses exportations y sont destinées et les investissements américains représentent environ 40% des investissements étrangers au Québec. Or, si l'on se fie à l'enquête du GRAM, les Québécois rêvent d'exporter encore plus aux États-Unis. Les répondants, à 64%, affirment que, pour le Québec, le marché américain sera plus important dans l'avenir que le marché canadien. 

Près de la totalité des répondants souhaitent par exemple que la coopération en matière de «développement touristique» s'intensifie ou reste la même. Quant à l'exportation d'électricité, 9% seulement des Québécois souhaitaient la voir diminuer. « Il faut dire que ces questions ont été posées avant la crise du verglas », nuance Guy Lachapelle. 

Il semble, aux yeux de M. Lachapelle, que le Québec soit au processus d'intégration continentale américain ce que l'Écosse est à l'Union européenne. «Dans ces deux cas, un sentiment national fort se combine avec une forte volonté de s'ouvrir au continent.» L'Écosse, aux dires de M. Lachapelle, aurait davantage de liens économiques avec l'Europe que les Britanniques. 

Les résultats de ce sondage seront décortiqués lors du colloque « L'Américanité du Québec » (C-407) qui se tiendra dans le cadre du congrès de l'ACFAS (Association canadienne-française pour l'avancement des sciences) mercredi et jeudi prochains à l'Université Laval.
 

L'insondable âme américaine des Québécois 

Bien qu'ils se définissent toujours en majorité par rapport à l'appartenance à leur « province », 68% des Québécois affectionnent l'épithète de « nord-américain » pour qualifier leur identité. 

Fait à noter, ils refusent pour la plupart de se nommer Américains, même que 70% d'entre eux rejettent l'appellation «Américain parlant français». On observe que le terme « Américain », pour plus d'une majorité de Québécois, est encore synonyme de « États-uniens », et qu'il s'applique donc aux citoyens des États-Unis. Desquels ils se disent, du reste, différents, et envers lesquels ils se montrent très peu envieux, sauf pour ce qui est de l'aspect économique. 

Voilà donc l'autre aspect - identitaire celui-là - du sondage effectué par la firme Impact Recherche pour le compte du Groupe de recherche sur l'américanité (GRAM) et qui tentait d'évaluer quelle importance, dans l'identité québécoise, prenait le fait de vivre sur ce continent. 

Chose frappante, les Québécois se montrent beaucoup plus nuancés que Charlebois, qui chantait « Vivre en ce pays, c'est comme vivre au États-Unis ». 

Certes, quelques fortes ressemblances entre les deux peuples sont mises en relief par les résultats du sondage. Les principales sont aux yeux des répondants, l'individualisme (60% estiment qu'ils le sont autant que les Américains) et les pratiques de loisirs (cinéma, lecture, sport), qui sont, selon 58% d'entre eux, peu ou pas du tout différentes d'un côté et de l'autre du 45e parallèle. 

Toutefois, une majorité de Québécois, bien que faible (56%), se considèrent très ou assez différents des citoyens des États-Unis. Les Québécois sont en désaccord, dans une proportion de 61%, avec l'affirmation selon laquelle les cultures québécoise et américaine se ressemblent. Ils estiment aussi que la différence entre les deux peuples est marquée sur les plans de l'habillement (79%) et, aspect plus évident, la langue (74%).  

Meilleure vie 

Même si une majorité (57%) de répondants envie la situation des Etats-Unis quant aux possibilités d'emploi, il n'en demeure pas moins que, sur plusieurs aspects, ceux-ci croient que leur vie est meilleure au Québec. 

Malgré les coupes budgétaires dans leur système de santé, 78% des Québécois prétendent que c'est là un aspect où la situation est meilleure qu'aux États-Unis. 

Il en va de même, mais dans de moindres proportions, de la qualité de vie des personnes âgées (53%), de la qualité de l'environnement (62%) et du racisme (63%). Sur les aspects de la pauvreté et du système d'éducation, les Québécois affirment que la situation est comparable, bien que probablement meilleure chez eux. 

Peut-être pour cette raison, les Québécois se sentent un peu plus près des Canadiens que des Américains, et une majorité (60%) se dit en désaccord avec le fait que nos relations avec les Américains sont plus importantes que celles avec le reste du Canada. Aussi, le rêve d'aller vivre de l'autre côté de la frontière ne semble pas habiter les Québécois. Dans une proportion de 89%, ils rejettent la proposition selon laquelle ils vivraient mieux aux États-Unis qu'ici. 

Bref, la confiance a beau être très grande sur le plan économique, comme on l'a vu dans l'autre texte, les Québécois refusent en grande partie l'intégration sur le plan politique. « Les Québécois vivent indéniablement au rythme de l'Amérique du Nord, fait remarquer Guy Lachapelle, mais parce qu'ils sont conscients de leurs différences, une majorité d'entre eux ne croient pas que s'intégrer davantage politiquement avec les États-Unis soit une nécessité ». À preuve, ils rejettent massivement (75%) l'idée qu'on «vivrait mieux si le Québec était plus intégré aux États-Unis ». 

Yvan Lamonde, professeur à l'Université McGill et grand spécialiste de l'américanité québécoise (voir « Ni avec eux, ni sans eux », Nuit Blanche, 1996), affirme que « l'on ne fait que commencer à explorer les paradoxes de la question de l'américanité ». Il poursuit en indiquant qu'il y a encore quelque chose d'européen dans les sociétés québécoise et canadienne. « Au fond, nous n'avons pas tout à fait rompu avec l'Europe, comme l'ont fait les Américains et nombre de peuples d'Amérique du Sud. Je ne veux pas dire qu'il faille rejeter le Vieux Continent, mais que nous commençons seulement à prendre acte de notre américanité, et de la gérer »  

L'AMÉRICANITÉ DES QUÉBÉCOIS 

Ce sondage a été effectué par la firme Impact Recherche pour le compte du Groupe de recherche sur l'américanité (GRAM), entre le 12 juin et le 21 juillet 1997, auprès de 2203 répondants représentant les différentes parties du Québec. Un échantillon de cette taille procure une marge d'erreur de plus ou moins 2,1% avec un niveau de confiance de 95%. Le taux de réponse pour l'enquête téléphonique a été de 50,1%.

 

Vous identifiez-vous d'abord et avant tout comme...  

Québécois     54%
Canadien      19%
Canadien-français      23%
Canadien-anglais      2%
Nous sommes Québécois. 

 

Au delà de cette identité, vous sentez-vous davantage...  

Américain      12 %
Nord-Américain      68%
Européen      10 %
Autre      3 %
… Nord-Américains
 

 

Vous sentez-vous plus près des Américains ou des Canadiens des autres provinces ?  

Américains      33%
Canadiens      48%
Les deux      7%
Ni l'un ni l'autre      11%
… près des Canadiens  

 

Vous considérez-vous beaucoup, assez, peu ou pas du tout différent des citoyens des États-Unis ?  

Beaucoup      27%
Assez      29%
Peu      26%
Pas du tout      18%
… semblables aux Américains   

 

Si vous deviez quitter le Québec pour vivre ailleurs, quel serait votre premier choix ?  

Colombie-Britannique      10%
Ontario     11%
Floride     9%
France      16%
Suisse      3%
pas d'idée      6%
…mais la France en fait rêver quelques-uns

 

Au sujet du libre-échange 

 

Quel impact le traité de libre-échange nord-américain (ALENA) a-t-il eu sur le développement économique du Québec ?  

très favorable      10%
plutôt favorable     52%
plutôt défavorable      25%
très défavorable      6%
Nous sommes favorables  

 

À quel rythme le mouvement vers une plus grande intégration nord-américaine devrait-il se poursuivre ?  

accéléré      21%
au même rythme     57%
ralenti     19%
… et ça doit continuer
 

D'accord, Pas d'accord 

 

Plutôt d'accord

Plutôt en désaccord

 

 

 

- Il faut que la culture soit exclus de l'ALENA

40%

54%

- Le Québec devrait renforcer ses rapports avec les pays francophones pour faire contrepoids à la culture des États-Unis

60%

37%

- L'ALENA constitue un danger pour nos programmes sociaux

27%

61%

- Si le Québec était plus intégré aux États-Unis, on vivrait mieux

21%

75%

- La mondialisation de l'économie est une menace à la diversité culturelle

29%

65%

- Sans ses liens étroits avec le Canada, le Québec pourrait devenir un État américain

34%

62%


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 décembre 2006 19:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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