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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Vladislav Rjéoutski, La librairie française en émigration: le cas de la Russie (deuxième moitié du XVIIIe-début du XIXe siècles)”. Un article publié dans les actes du colloque: “La prosopographie des hommes du livre”. Colloque organisé à l’ENSSIB, par le Centre de Recherche en Histoire du Livre les 22 et 23 avril 2005 sous la direction de Frédéric Barbier, Lyon. Site web de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 avril 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Vladislav Rjéoutski 

La librairie française en émigration :
le cas de la Russie
(deuxième moitié du XVIIIe-début du XIXe siècles)
”. 

Un article publié dans les actes du colloque: “La prosopographie des hommes du livre”. Colloque organisé à l’ENSSIB, par le Centre de Recherche en Histoire du Livre les 22 et 23 avril 2005 sous la direction de Frédéric Barbier. Site web de l’école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques: http://www.enssib.fr/.

 

Introduction 
La librairie à Saint-Pétersbourg : trois « nations » et trois histoires
La librairie française de Moscou : le réseau de François Courtener
La topographie de la librairie française à Moscou
Les héritiers
La librairie française en émigration : Quelques conclusions et pistes de recherches
 
Annexe. Les libraires francophones en Russie au xviiie siècle.

 

Introduction

 

Cet article présente une étude de quelques cas de librairies françaises dans la Russie de la deuxième moitié du xviiie et du début du xixe siècles. Nous voulons inscrire cette étude dans le cadre de la librairie étrangère en Russie d’une part, dans celui de l’émigration française d’autre part. Nous ne parlerons pas du livre français en Russie en général (volume et contenu de l’offre etc.), ni de la censure, qui touche particulièrement la production livresque de France en Russie à la fin du règne de Catherine II, et sous Paul Ier : ces questions ont été bien étudiées par les historiens du livre [1]. Nous nous attacherons à étudier surtout les réseaux des libraires français en Russie. Nous mettrons ces réseaux en comparaison avec ceux de la librairie allemande, et essaierons de comprendre les raisons de leurs différences. Révélateurs du capital culturel, du processus d’assimilation de ces émigrés, les réseaux jouent un rôle très important dans la pratique professionnelle de ces derniers. L’emplacement des librairies des familles françaises implantées à Moscou fournit d’autres éléments indispensables pour mieux comprendre l’évolution du commerce du livre en Russie.

 

La librairie à Saint-Pétersbourg :
trois « nations » et trois histoires

 

La librairie étrangère se développe en Russie d’abord à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou [2]. À Saint-Pétersbourg, des librairies à l’européenne, avec un nombre de livres important venant de différents éditeurs, n’apparaissent que dans les années 1770 ; avant, les librairies existent auprès des typographies des établissements d’État, et vendent d’abord et surtout leurs propres éditions ; le plus grand centre d’édition et de commerce du livre est l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg [3]. Les premiers libraires étrangers, vers 1760, sont d’origine allemande, ou de parents allemands nés en Russie. 

À Saint-Pétersbourg, quelques Français pratiquent déjà à cette époque le commerce du livre, mais occasionnellement : c’est pour eux un complément de revenus plus qu’un moyen de subsistance. Parmi eux, on compte des précepteurs ou des maîtres de pensionnats éducatifs – par exemple, en 1757, le maître de pension Saucerotte, comédien de la Comédie-Française à ses débuts [4] ; ou, en 1772, le grammairien et lecteur de français à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Jean-Baptiste-Jude Charpentier* [5]. Les Allemands font de même : un certain Stillau tient à Saint-Pétersbourg un pensionnat qui fait en même temps office de librairie [6]… La vente occasionnelle de livres est surtout pratiquée par de petits relieurs, allemands pour la plupart[7] ; quelques relieurs français, comme Léonard Fauconnier* [8], leur emboîtent le pas. 

Parmi ces petits revendeurs, très peu deviennent de grands libraires. À notre connaissance, aucun Français exerçant le métier de relieur ne parvient aux honneurs de la carrière dans le commerce du livre, pas même Fauconnier qui avait pourtant travaillé pour la cour [9] ; ce dernier tient à la fin des années 1780 et au début des années 1790, à Saint-Pétersbourg, une librairie qui n’est sans doute qu’une petite boutique. Il faudra attendre l’arrivée de nouveaux émigrés français pour voir la librairie proprement française prendre son essor en Russie. 

Parmi les relieurs allemands, il convient de citer surtout Weitbrecht et Müller [10]. L’essor des librairies allemandes à Saint-Pétersbourg tient certainement, en grande partie, aux liens souvent anciens que ces relieurs et commissionnaires germanophones entretiennent avec l’Académie des sciences et avec le milieu libéral et intellectuel russe. Ces liens sont à la base du succès du commerce de Wilhelm Konrat Müller, relieur de l’Académie des sciences. Ce libraire allemand, né en Russie, se fait l’intermédiaire habile entre les éditeurs de premières revues non-officielles – tels Novikov et Soumarokov – et le public, en se chargeant de l’abonnement à ces revues. Il est aussi l’un des premiers à proposer systématiquement de la publicité dans les journaux. Müller est non seulement libraire, mais aussi éditeur. Il est aussi franc-maçon, tout comme ses clients Novikov, Soumarokov ou Ielaguine, et l’on sait quelle place occupe alors l’édition dans la doctrine d’une certaine franc-maçonnerie russe. C’est avec Nikolaï Novikov que Müller fonde, en 1772, une Société pour la diffusion du livre ; c’est aussi grâce à lui que le libraire reçoit pour la vente une partie importante du tirage du Bélisaire de Marmontel, traduit sur la Volga par Catherine II et ses proches collaborateurs, et dont l’impératrice fait don à la société de Novikov. Il est bon de préciser que Müller vend surtout des livres russes [11]. La fortune commerciale de Johann Jacob Weitbrecht repose aussi sur ses liens avec l’Académie : il en dirige pendant de longues années le département d’achat de livres étrangers, avant de racheter, en 1768, une bonne partie du fonds étranger de l’Académie. Mais cette fortune s’appuie aussi sur les commandes de la cour impériale, dont Weitbrecht est le premier fournisseur : il est notamment chargé de constituer les bibliothèques de plusieurs favoris de Catherine II, ainsi que celle de l’héritier du trône [12]. Ainsi Weitbrecht monopolise-t-il presque le commerce du livre étranger à Saint-Pétersbourg. Les libraires allemands (Weitbrecht, Müller, Breitkopf et surtout Schnor) sont aussi les premiers à profiter de la liberté de fonder des imprimeries privées (1783) [13]. 

Nombre de libraires étrangers, allemands pour la plupart, affluent en Russie à la fin des années 1770. Ils le font en connaissance de cause, après avoir étudié le marché du livre à Saint-Pétersbourg. Il s’agit de libraires qui se feront un nom dans les vingt dernières années du siècle : Klostermann, Meyer, Rospini (des Italiens venus de l’Empire austro-hongrois)… Certains d’entre eux sont originaires de Lübeck. Progressivement se forment donc des dynasties de libraires allemands à Saint-Pétersbourg. 

Vers 1780, une autre « nation » apparaît dans le commerce du livre à Saint-Pétersbourg, représentée par plusieurs marchands russes. Il s’agit souvent de gens liés entre eux par des relations familiales ou amicales. En quelque vingt années, ces nouveaux venus (Glazounov, Ovtchinnikov, Svechnikov, Sopikov…) évincent ceux qui tiennent jusqu’alors le haut du pavé dans le commerce du livre. La maison de Weitbrecht est vendue aux enchères en 1802-1803, et celle de Müller en 1809. Les Français subiront aussi l’effet néfaste de la profusion de librairies russes [14]. 

On voit aussi apparaître quelques libraires parmi les Français installés sur les bords de la Neva. Le commerce de Dieudonné-Barthélémy Guibal*, libraire à Saint-Pétersbourg en 1770-1771, futur gendre de la libraire moscovite Marie-Claudine Rozet*, est très restreint. Notons cependant les contacts français de Guibal, qui est le correspondant du libraire parisien Schwartz [15]. Toutefois, on ne saurait comparer le réseau d’un Guibal avec celui d’un Weitbrecht, lequel a des commissionnaires (dont la Société typographique de Neuchâtel) dans toutes les grandes capitales européennes [16]. Guibal quitte bientôt la course, en s’engageant au service de l’État. Jean-Guillaume Vyard* (ou Viard), pour sa part, fait commerce de livres depuis au moins 1768. En 1781, selon l’Almanach de la librairie publié à Paris, il est en relation directe avec la librairie parisienne [17]. Mais on peut supposer que la librairie soit une activité annexe pour Vyard, qui est marié à une sœur de Jean Michel – il appartient donc à tout un clan de grands commerçants français de Saint-Pétersbourg, qui ne s’intéressent pas au commerce du livre. C’est sans doute aussi le cas du Français Clairval*, comédien de la troupe française à la cour de Russie, présent à Saint-Pétersbourg depuis au moins 1759. En 1781, un Clairval est correspondant de la Société typographique de Neuchâtel. Il s’intéresse probablement à la vente de livres pour s’assurer un revenu complémentaire, à un moment difficile de sa vie [18]. De tels petits revendeurs de livres se trouvent aussi à Moscou : un certain Jean Châtelain (mort en 1773) y vend une Histoire universelle en cinquante-quatre volumes, un Grand atlas en 110 cartes, des livres de mathématiques [19]… Notons que tous ces Français arrivent tôt en Russie, certains sous le règne d’Élisabeth (1741-1761), d’autres dans les premières années du règne de Catherine II (1762-1796). Aucun, hormis peut-être Schwartz, n’est un libraire professionnel. Telle est la première période de la librairie française en Russie. 

Les « vrais » librairies françaises apparaissent à Saint-Pétersbourg avec les frères Gay*, qui s’y installent en 1787. Ce ne sont pas de petits boutiquiers, car ils ont une librairie à Paris, une autre à Strasbourg, une troisième à Vienne (avec une imprimerie), et font des affaires en Hongrie et en Pologne [20]… Ils arrivent donc en Russie avec beaucoup d’expérience en la matière et certainement des capitaux, qui leur permettent d’ouvrir, dès 1787, un magasin à Saint-Pétersbourg. Ils ferment cependant leur établissement en 1800 et se replient à Moscou : ne supportent-ils pas la concurrence des libraires russes, tout comme leurs confrères allemands ? Pierre Alicy*, un jeune Lunévillois, est en activité à Saint-Pétersbourg, à partir des années 1790. En 1798, il reçoit le titre de libraire de la cour. Mais son commerce reste plus que limité, d’autant que, sous Paul Ier, la cour commande peu de livres. On peut encore mentionner Jean Bouvat*, libraire suisse à Saint-Pétersbourg, en activité à la fin du xviiie siècle et au début du xixe, mais qui finit également ruiné par ses confrères russes. L’émigré français Marie Joseph Hyacinthe, chevalier de Gaston, sans être lui-même libraire, est alors étroitement lié à plus d’un commerçant français du livre : il édite le Journal littéraire de Saint-Pétersbourg [21], une revue francophone bimensuelle qui bénéficie apparemment de l’appui d’Alicy, dont les livres sont régulièrement annoncés dans ladite revue. Bouvat y insère aussi des annonces. L’abonnement se fait chez Alicy, à Saint-Pétersbourg, et chez les libraires français Riss* et Sossay*, à Moscou. Alicy et Bouvat semblent faire partie de cette vague d’émigrés arrivés en Russie après le début de la Révolution en France. Leurs liens étroits avec Gaston, un émigré royaliste, montrent qu’il s’agit probablement d’un réseau particulier. 

Notons dès à présent que les librairies française et allemande sont loins d’être identiques. Les Allemands, nous l’avons dit, s’appuient d’une part sur les liens avec l’Académie et ses nombreux clients, d’autre part sur les milieux intellectuels russes francs-maçons et épris des Lumières, qui voient la traduction et l’édition comme deux de leurs principaux objectifs. Les « libraires » français en activité à Saint-Pétersbourg, dans les années 1760-1770, font du livre plutôt un complément de leur commerce habituel (tel Vyard), ou n’arrivent pas à émerger et sont contraints de changer de métier (comme Guibal). Tous les vrais libraires français, qui seront connus par la suite, sont de nouveaux venus : le très jeune Courtener* arrive vers le milieu des années 1770, mais il ne débute comme libraire qu’au milieu des années 1780 ; Riss vient en 1787, comme les frères Gay ; Alicy et Bouvat, sans doute à l’époque révolutionnaire… Ils commencent leur activité au moment où la concurrence sur le marché du livre à Saint-Pétersbourg devient réelle. Est-ce la raison pour laquelle c’est à Moscou – et non à Saint-Pétersbourg – que se forme un réseau de libraires français ?

 

La librairie française de Moscou :
le réseau de François Courtener

 

Plusieurs libraires français occupent en effet une place très importante sur le marché du livre à Moscou, place comparable à celle des libraires germanophones à Saint-Pétersbourg. Dans le dernier tiers du xviiie siècle et au début du xixe, ce groupe est formé par François Courtener*, Jean Gautier, François Riss et Joseph Sossay, Marie-Claudine Germain (épouse du libraire parisien Benoît Rozet), Dominique Bugnet*, François Desmarets* et les frères Gay. Au xixe siècle en font aussi partie Maurice-Gérard Allart*, André Lemoine*, Auguste Semen et Charles Urbain. 

Nous avons vu que la situation à Saint-Pétersbourg est apparemment peu propice au développement d’un réseau de librairies françaises, au moment où ces Français arrivent en Russie. On pourrait aussi invoquer un accroissement important de la communauté francophone à Moscou : d’une poignée de Français au milieu du siècle, cette colonie passe à un millier de personnes dans les années 1790. Ce succès repose en partie sur l’énergie d’un groupe d’émigrés, zélateurs d’une « nation » ou d’une « colonie ». En associant leurs forces à celles du clergé français émigré à Moscou, ce groupe parvient à fonder, en 1791, dans une situation tendue et malgré l’opposition de la vieille église catholique Pierre-et-Paul, une église réservée à la communauté française. Ils la baptisent, selon la tradition, l’église Saint-Louis-des-Français [22]. Néanmoins, ces libraires ne semblent pas s’intéresser particulièrement au développement de leur colonie. En consultant les registres des églises catholiques de Moscou, on se rend compte que ni les Courtener, ni les Gautier ne fréquentent la paroisse française Saint-Louis [23]. En revanche, plusieurs de ces libraires entretiennent des relations entre eux et avec d’autres acteurs de la vie culturelle en Russie et en Europe occidentale. 

Le premier de ces réseaux est celui que tisse Marie-Claudine Rozet, née Germain. Son cas a été bien étudié par Vladimir Somov [24]. D’une famille de libraires par son mariage avec le libraire parisien Benoît Rozet, elle se distingue des premiers vendeurs de livres français en Russie, par ses liens avec le monde de la science et de l’éducation. Ces liens lui permettent de vendre de la littérature de qualité, par exemple l’abonnement à l’Histoire de Russie de Levesque, ou la Géographie abrégée de Langlet du Fresnoy. Marie-Claudine Rozet trouve à s’installer à Moscou, et ce d’abord comme gouvernante, avec la recommandation de l’astronome français Joseph-Jérôme-François de Lalande. Plus tard, on la retrouve à Saint-Pétersbourg où elle vit en couple avec Bousson de Mairet, un précepteur français. Ce métier permet sans doute aussi à Mme Rozet d’étendre le cercle de ses clients : on sait en effet que Bousson de Mairet travaille pour des familles de la grande noblesse russe ; en 1784, il est gouverneur du jeune comte Nikita Petrovitch Panine, futur vice-chancelier de l’empire de Russie, et est présenté à l’impératrice et au grand-duc Paul [25]. Le réseau de Mme Rozet comprend des éditeurs et des libraires à Paris (Durand et Debure fils), ainsi que des correspondants, qui l’aident à s’approvisionner en livres français et à écouler des livres édités en Russie (le même Lalande en France, ou le secrétaire de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Johann Albrecht Euler, à Saint-Pétersbourg). Elle est également en relation avec des clients susceptibles de s’intéresser à la littérature de qualité qu’elle vend, des particuliers (Lalande et Euler, l’académicien pétersbourgeois Gerard-Friedrich Müller, la grande noblesse russe) et des institutions (le Corps des cadets nobles, l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg…). L’activité de Mme Rozet s’arrête en 1784, date à laquelle elle meurt à Moscou. 

Mais nous nous pencherons ici sur un autre réseau, en l’occurrence celui qui se forme autour de François Courtener. Courtener est originaire de Strasbourg. Il vient à Moscou avant 1776 [26], à l’âge de vingt-quatre ans. C’est à Moscou qu’il épouse Henriette-Henri-Anne Dreyer qui est, comme lui, originaire de Strasbourg : ce genre de mariage arrangé entre les ressortissants d’une même ville est alors loin d’être une exception parmi les Français de Moscou. Qui plus est, l’origine des principaux libraires français en Russie est de toute évidence un facteur important pour la constitution des réseaux professionnels. 

Plusieurs des acteurs de la librairie française en Russie, en cette fin de siècle, sont originaires de l’Est de la France, et particulièrement de Strasbourg. Nous avons déjà mentionné les frères Gay, qui possèdent une librairie à Strasbourg et, selon certaines informations, en sont originaires. C’est aussi le cas de François Riss, arrivé à Saint-Pétersbourg vers 1787, c’est-à-dire à l’époque où les frères Gay ouvrent leur librairie dans la capitale russe. Si Riss devient commissionnaire des frères Gay, à Saint-Pétersbourg, c’est parce que ces hommes se connaissent déjà depuis Vienne, ou très probablement depuis Strasbourg. Lorsque Riss, en 1788, s’inscrit à Saint-Pétersbourg comme « hôte étranger » et marchand de la troisième guilde, il produit deux passeports. Le premier, délivré en novembre 1787 par l’ambassadeur de France à Vienne, indique que le libraire Riss se rend Saint-Pétersbourg. Le second, délivré en novembre 1787 par l’ambassadeur de Russie à Varsovie (le comte de Stackelberg), porte la mention suivante : « Il va à Saint-Pétersbourg pour être commis du libraire Gay [27]. » Il s’agit donc clairement d’un cas d’émigration professionnelle, liée à l’extension géographique de l’activité des frères Gay. François Riss passe vers 1795 à Moscou, où il ouvre sa propre librairie avec un certain Joseph Sossay, originaire de… Strasbourg ! En 1796, François Riss loge chez les Courtener, à Moscou. Il est en outre parrain d’un des enfants de François Courtener, rôle qui est d’habitude dévolu aux proches, amis ou collègues. En 1795, François Courtener et les frères Gay, tous anciens Strasbourgeois, collaborent à une même opération : ils annoncent le lancement d’un abonnement au Traité de la mythologie […] par M. l’abbé Lionnois [28], chez François Courtener, à Moscou, et chez les frères Gay et Klostermann, à Saint-Pétersbourg. 

On sait que les régions frontalières (la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté), et particulièrement Strasbourg, donnent en cette fin de siècle plusieurs personnages qui seront des intermédiaires entre la Russie et l’Europe occidentale [29]. N’oublions pas que Strasbourg est, depuis le milieu du siècle, l’une des villes universitaires le plus visitées par l’aristocratie russe. Les élites de cette ville sont aussi très liées à la Russie : le maire de Strasbourg (en 1800), Ignace-Étienne Livio, est le frère des négociants Livio, installés en Russie depuis le milieu du xviiie siècle ; devenu vice-président de la chambre de commerce d’Alsace, il dirige en même temps, à Saint-Pétersbourg, en association avec son fils, une société de banque Livio & Cie, et est banquier de la cour de Russie. Au sein de la librairie française en Russie, le rôle d’intermédiaires entre la librairie occidentale et la Russie est, nous semble-t-il, clairement dévolu aux Strasbourgeois. L’origine de ces libraires joue-t-elle un rôle primordial dans le choix du partenaire commercial ? Ce n’est pas impossible, mais il faut aussi prendre en compte le fait que les frères Gay sont alors à peu près les seuls libraires français de Saint-Pétersbourg dont le commerce ait une certaine envergure, et qui puissent proposer à Courtener un réseau de distribution (le livre est en effet vendu aussi chez Klostermann, un libraire allemand en vue, présent à Saint-Pétersbourg dès 1768-1770). 

D’autres enfants de Courtener sont parrainés par Jean-Otto Maÿ* et des membres de la famille de celui-ci. L’origine de Maÿ nous est inconnue, mais l’on sait qu’il s’occupe lui aussi de la vente de livres à Moscou et qu’il a, au tournant du siècle, un projet commun avec Gautier… qui n’est nul autre que le gendre de François Courtener. Il est évident que nous sommes en présence d’un réseau étroit, dont l’un des tenants est l’origine – commune à tous ces libraires –, mais où comptent aussi les relations amicales et/ou familiales qui résultent peut-être de cette communauté d’origine. 

La pratique commerciale de Courtener rend compte de ses ambitions croissantes. Courtener ne manque pas d’invention : ainsi abonne-t-il sa clientèle aux éditions en plusieurs volumes, dont il se dit parfois le coéditeur. En insérant une introduction en russe à Ideenmagazin für Liebhaber von Gärten, englischen Anlagen und für Besitzer von Landgütern, il annonce l’édition de gravures à laquelle il aurait participé, et qui sont en vente dans sa librairie. Un autre exemple de cette supercherie est l’édition de Julie. Nouvelle traduite du russe de Mr. Karamzin par Mr. de Boulliers[30], alors que le livre est probablement publié à Hambourg[31]. Mais il publie sans doute lui-même quelques titres, par exemple, Sophie de Harikow, ou Histoire d’une jeune Russe de huit ans : pour servir à l’instruction et à l’amusement des jeunes demoiselles du même âge[32]. Courtener veut paraître plus important qu’il ne l’est : en se présentant comme imprimeur-libraire, il devient le premier des libraires français de Moscou, mais comble aussi le fossé qui le sépare de quelques gros libraires et éditeurs qui sont Allemands – à Moscou son concurrent immédiat s’appelle Christian Rüdiger, qui édite et vend des livres en français. Rüdiger répète le schéma que l’on a pu observer sur l’exemple des libraires allemands de Saint-Pétersbourg : c’est un relieur de l’université de Moscou [33], qui peut donc bénéficier des possibilités offertes par cette place. 

En 1791, Courtener part à l’étranger. Il publie en avril dans le journal officiel de Moscou, le Moskovskie Vedomosti, l’annonce suivante (en français dans le journal) :

 

François Courtener, libraire rue Iliinsky, a l’honneur d’avertir MM. les amateurs de la littérature étrangère, qu’il va entreprendre un voyage pour la France, la Suisse et l’Allemagne, d’où il espère être de retour pour la fin du mois de septembre de cette année. Il se charge de toutes les commissions qu’on voudra lui confier, qui auront rapport à son commerce et qui seront à la portée de sa connoissance. Il se contentera d’une provision ou bénéfice de dix pour cent pour les achats, en recevant d’avance le montant de la commission. Les frais de transport se payeront à la réception. Les commissions qui parviendront après son départ seront également effectuées, celles qui sont pour Paris et pour la Suisse sont données dans le courant du mois de mai ; et celles pour l’Allemagne auront lieu jusqu’à la fin de juin et seront adressées à la librairie, rue Iliinsky, laquelle fournit pendant son absence de bonnes nouveautés, desservie par des personnes actives et intelligentes. En déclarant et reconnoissant comme bonne et valable la signature de son épouse pendant son absence, il prie MM. les amateurs de la littérature de lui témoigner la même confiance de laquelle il a été honoré jusqu’à présent.

 

On constate que le libraire donne son annonce en français. La raison en est évidente : il s’adresse en priorité à la grande, et peut-être à la moyenne noblesse russe qui est francophone, car c’est ce public qui s’intéresse en particulier à la littérature étrangère en Russie. Il est aussi intéressant de voir que Courtener compte s’approvisionner en Suisse, en France et en Allemagne. Va-t-il visiter la Société typographique de Neuchâtel ? Nous savons en tout cas qu’il correspond avec la STN, mais sa correspondance (une lettre conservée) est bien moins importante que celle de son concurrent Rüdiger (vingt-deux lettres) [34]. Se rend-il à Bâle ? C’est possible, car quelques années plus tard, en 1797, Courtener sort un catalogue intitulé Note de livres nouveaux et autres, en vente chez Pierre Courtener, libraire à Basle, et chez François Courtener, libraire à Moscou. Son parent à Bâle ne tarde pas à parler à son tour de la sortie de son catalogue à Moscou. En novembre 1797, les lecteurs de la Gazette de Berlin peuvent lire :

 

Pierre Courtener et Compagnie ont l’honneur d’annoncer à MM. les libraires d’Allemagne et du Nord, ainsi qu’à MM. les amateurs de la bonne littérature tant ancienne que moderne, qu’ils viennent de former leur établissement de librairie en cette ville. Les numéros 1 à 10 de leurs nouveaux catalogues paroissent ; on peut se les procurer ainsi que la suite à Leipzig chez J. H. Muller et Comp[agnie], à Copenhague chez le Roy, et à Moscou chez François Courtener. Bâle, le 1er novembre 1797 [35].

 

Courtener se rend aussi à Paris où il fonde, quelques années plus tard, en 1802, sous la raison sociale Courtener, Rebannier et Cie, une maison de commerce qui se charge des commissions pour l’achat des livres [36]. Il semble donc que ce voyage joue un rôle important dans l’essor de sa librairie.

 

La topographie de la librairie française
à Moscou

 

Suivons maintenant la topographie des magasins ouverts par Courtener à Moscou. Sa première adresse est rue Iliinka où, en 1782, il vend des graines et des bulbes de fleurs de Hollande et de France. Sa librairie n’apparaît qu’en 1785, au 3, rue Iliinka. Cette rue, qui part de la place Rouge, juste en face de la tour Spasskaïa (Saint-Sauveur), est l’une des grandes rues commerçantes de Moscou : depuis le xvie siècle s’y trouvent des échoppes et des galeries marchandes, où l’on peut tout acheter. En s’y installant, Courtener se démarque d’une part des vendeurs de livres russes qui commercent sur le pont Spasski (Saint-Sauveur), sous les murs du Kremlin ; d’autre part, il prend pied dans l’un des centres de commerce les plus importants de Moscou. Courtener y vend des livres français, introduit des livres russes et des estampes, mais selon les habitudes de cette époque, il vend aussi d’autres marchandises. Vers 1791, il transfère son magasin dans une autre maison dans la même rue, avant de partir bientôt pour l’étranger. 

Dès son retour, en septembre 1791, François Courtener s’établit rue Nikolskaïa [37]. Il vend toujours, en plus de livres, d’autres articles : des jeux de société et des carosses. À cette époque, il est reçu marchand de la troisième guilde (jusqu’en 1812). Son entrée à la guilde marchande montre que ses positions sont plus solides, même s’il ne compte pas encore parmi les marchands les plus riches. La rue Nikolskaïa part aussi de la place Rouge, en face du Kremlin, comme la rue Iliinka – les deux rues sont presque parallèles. Le départ de Courtener n’est pas un hasard. La rue Nikolaskaïa est, à la fin du xviiie siècle, en passe de devenir un nouveau centre de la librairie. Dans le premier quart du xixe siècle, la majorité des librairies de Moscou, plus d’une vingtaine, se trouvent soit dans cette rue, soit à proximité. L’imprimerie d’État (Petchatny dvor) y est également sise, de même que la célèbre Académie slave-gréco-latine, installée depuis la fin du xviie siècle dans le monastère Zaïkonospasski, situé lui aussi dans cette rue. Il semble toutefois que Courtener ne soit pas entouré de Français dans cette rue : on y trouve François Desmarest, qui ouvre sa librairie en 1773, mais qui a probablement cessé son activité vers la fin du siècle, et c’est tout ou à peu près. Si Courtener quitte cet endroit au début du xixe siècle, c’est probablement parce que la rue est clairement associée au commerce du livre russe. Il est intéressant de voir que le plus grand libraire russe, Glazounov, transfère (en 1808) dans la rue Nikolskaïa son magasin, lequel se trouvait jusqu’alors sur le pont Spasski, sous les murs du Kremlin ; sa librairie devient la plus grande de Moscou, avec un cabinet de lecture qui lui est associé. C’est sans doute aussi pour cette raison que le gendre de François Courtener, Jean Gautier, ouvrira sa librairie « russe » dans cette rue, en 1810, dans la maison de Glazounov. 

C’est en 1802 que François Courtener transfère sa librairie rue Bolchaïa Loubianka [38] ; son gendre, Jean Gautier, l’y suit peu après. La librairie de Dominique Bugnet, ouverte en 1799 à proximité, dans la ruelle Glinichtchev, est rachetée en 1807 par Maurice Allart – futur « libraire du théâtre de Sa Majesté impériale » – qui la déplace dans la rue Bolchaïa Loubianka. François Riss, surnommé « le coq de la librairie française », est installé avec son compagnon Joseph Sossay, rue Petrovka, à l’intersection avec la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants (Kouznetski most). Cette rue – célèbre dans l’histoire russe – est le symbole même de la présence française : s’y trouvent au début du xixe siècle les plus grands magasins de mode français, y compris celui de Mme Aubert-Chalmé, dont la mémoire est aussi passée à la postérité. L’autre extrémité de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants donne sur la rue Bolchaïa Loubianka. Nous sommes donc au cœur du quartier habité par de nombreux Français. La nouvelle église catholique Saint-Louis-des-Français, centre de la vie communautaire des Français de Moscou, se trouve dans ce quartier. Mais c’est en même temps un quartier de l’aristocratie russe, ce qui le rend doublement intéressant pour les libraires français, pour qui le livre étranger – et en particulier francophone – est le pilier du commerce.

 

Les héritiers

 

En 1804, Courtener cède sa librairie à son gendre Jean Gautier, et ouvre un magasin de graines, rue Bolchaïa Loubianka. Il continue cependant son activité et publie même, en 1804-1805, Le Nouveau Plan de Moscou. Après avoir fondé en 1805, dans la même maison, une librairie pour ses fils François et Antoine revenus en Russie après des études à l’étranger, il vend son magasin de graines. Il se consacre alors à la création d’un musée de Lecture pour deux cents personnes : ce musée ouvre le 20 août 1806 et, avec les presque vingt mille livres offerts à ses lecteurs, il constitue la première entreprise de cette envergure à Moscou. Courtener tente de faire de ce musée un centre d’affaires et d’informations commerciales. En 1807, sa librairie existe toujours, et est connue comme un musée de Lecture, à la différence du cabinet de Lecture de Lemoine, un nouveau libraire français. En 1811, on le trouve dans la maison de l’Académie médico-chirurgicale près de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants. 

En 1806, à la suite du changement de la législation russe, François Courtener se fait naturaliser « avec sa femme Marie et ses fils François, Antoine et Théodore ». La librairie, tenue par ses fils François-Pierre et Antoine-Georges-Louis, existe dans un premier temps sous la raison Les Frères Courtener, puis change de nom aux alentours de 1812. Il est possible que ce changement ait été une conséquence de la cession, par Antoine Courtener, de ses parts de capital, car celui-ci n’annonce plus son capital depuis 1812. François Courtener, le père, meurt à Moscou en 1814. 

Le troisième fils Courtener, sans être libraire, est néanmoins toute sa vie durant lié au monde des livres. En 1803, Théodore Courtener quitte Moscou pour faire ses études à Strasbourg. Ce détail nous renseigne sur les liens forts qui existent toujours entre ces anciens Strasbourgeois et leur ville d’origine. En 1811, il passe un examen à l’université de Moscou et reçoit l’attestation pour enseigner le français, l’allemand et les mathématiques. Il entre à l’Académie médico-chirurgicale comme aide-bibliothécaire et, par la suite, il devient professeur de français dans de nombreux établissements, y compris à l’université de Moscou. Mais il est plus connu comme auteur de livres pour l’apprentissage du français (il en signe une bonne trentaine) : manuels d’orthographe, de syntaxe, de grammaire française, recueils de textes etc. Il est curieux de noter que presque tous ses livres sont édités et imprimés chez des éditeurs français de Moscou, signe probable des liens paternels hérités par le fils de François Courtener. À cette époque, dans les années 1830-1840, les rois de l’édition à Moscou s’appellent François Riss (vieux compagnon de François Courtener), Woldemar Gautier (un des descendants du gendre de François Courtener), et un nouveau, un Français établi à Moscou au début du xixe siècle, Auguste Semen. Les propres fils de Courtener quittent la course. 

Si la librairie de Courtener et son esprit d’innovation ne meurent pas avec la disparition de son fondateur, c’est en grande partie grâce à son gendre, Jean Gautier. Il n’appartient pas à une famille de libraires, comme c’est le cas de François Courtener, mais il vient tout de même d’un milieu incontestablement lettré : son grand-père était juge au magistrat de Saint-Quentin. Son père, Jean-Marie Gautier-Dufayer, fit ses études à Paris, puis fut précepteur, avant de se lancer dans une grande aventure. En répondant à l’appel de Catherine II qui veut faire venir des étrangers pour peupler les territoires vides de son empire, il part en 1764 à Saint-Pétersbourg en compagnie de deux autres Français, avec des passeports, et sur l’incitation de l’envoyé russe à la Haye. Gautier-Dufayer s’occupe de différentes choses : il est directeur des fabriques d’un grand seigneur, précepteur dans plusieurs familles nobles, avant de venir à Moscou, où il s’inscrit au corps des marchands et se lance dans le commerce. Cette intégration dans la société marchande de Moscou lui est facilitée par le mariage conclu avec Jeanne Gaudain, fille de Léopold Gaudain, marchand français en vue et directeur du Club des étrangers de Moscou. Une chose semblable arrive aussi au fils issu de cette union, Jean Gautier. 

On ignore quelle éducation celui-ci a pu recevoir, mais il a sans aucun doute fait des études, car il entre, probablement vers la fin des années 1780, à l’âge de vingt et quelques années, dans la famille de François Courtener, d’abord comme précepteur, avant de devenir commis. Il semble que, vers 1794, Jean Gautier ait sa propre librairie, et Courtener n’y est assurément pas étranger. En 1797, Gautier est chargé par Courtener d’accompagner deux de ses fils à l’étranger pour leurs études ; au retour, il épouse Élisabeth Courtener, fille du libraire, qui n’a alors même pas seize ans. Par ce mariage, Gautier reçoit en quelque sorte la consécration parmi les libraires étrangers de Moscou. Le témoin du mariage s’appelle Jean Maÿ, libraire déjà mentionné. 

À peine un mois après le mariage, le 23 février 1799, Jean Gautier s’inscrit au corps des marchands de Moscou, tout en continuant à faire du commerce rue Nikolskaïa, dans la boutique de son beau-père. En 1800, sa femme meurt en couches. Gautier sort à cette époque de sous la tutelle de son beau-père. En même temps, il est aussi – comme Courtener – habité par un esprit entreprenant, et bouillonne de projets. En 1801, il ouvre deux librairies sur l’avenue Tverskaïa, l’une des plus grandes artères de la capitale, en plein centre de Moscou et à deux pas du quartier de la Loubianka : une librairie « étrangère » et une librairie « russe ». 

Il s’associe à cette époque à Kriajev, et à ce même Jean Maÿ qui a été témoin de son mariage. Ensemble, ils se lancent dans l’édition, le vieux rêve de François Courtener. En 1801, l’officine Gautier et Cie prépare la traduction et la publication d’Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert, de Chateaubriand. En 1802, les associés font passer l’annonce suivante (traduite du russe) :

 

Le conseiller titulaire Kriajev, le marchand de la première guilde de Moscou, Gautier, et l’assesseur de collège Maÿ annoncent qu’ils ont reçu, d’après un ukase nominatif impérial, la permission de fonder et de tenir à Moscou, sous la protection particulière de la maison d’Éducation de Moscou, leur propre typographie, qu’ils avaient déjà fondée de fait sur l’avenue Tverskaïa, dans la maison du prince Youri Vl. Dolgorouki.

 

À cause des dettes contractées par la typographie, Jean Gautier-Dufayer préfère sortir dès 1804 de l’association, contre le paiement de 8 000 roubles pour sa part du capital, et la cession à Kriajev et Maÿ de sa librairie russe. Même si cette décision est très lourde pour sa jeune société, elle se révèle sage, car ses compagnons finissent par faire faillite. 

En 1804, Gautier s’établit comme libraire rue Bolchaïa Loubianka, à côté de la librairie de son beau-père, lequel cherche un repreneur pour son magasin. L’année suivante, Gautier transfère sa librairie dans la maison de M. Beckers, près de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants, à côté du magasin de modes de la Française Mme Goutte. Ce n’est sans doute pas une décision prise à la légère : nul doute que Gautier veut profiter de l’afflux de la grande et de la moyenne noblesse russe qui constitue une clientèle riche et, de surcroît, francophone. Une librairie « russe » est ouverte par lui, dans la maison appartenant au libraire Glazounov (rue Nikolaskaïa), celle-là même d’où, quelques années auparavant, son beau-père s’est retiré. Gautier établit des rapports avec de nombreux typographes de Moscou, Beketov, ses anciens compagnons Kriajev et Maÿ, Christophor Klaudi (ou Claudius), Gipius, Nikolaï Sergueïevitch Vsevolojski, Semione Ioannikievitch Selivanovski et surtout Andreï Gordeïevitch Réchetnikov, les typographes de Saint-Pétersbourg Johann Karl Schnor [39], Alexandre Pluchart [40] et la typographie de l’Académie des sciences. 

On observe donc que la topographie des librairies de Gautier n’est pas tout à fait la même que celle de François Courtener : Gautier ne se limite pas exclusivement au quartier français et à sa clientèle huppée. À la différence de son beau-père, il entretient des relations avec tous les acteurs du champ, non seulement français, mais également allemands et russes. Cette attitude traduit-elle un changement dans l’identité nationale du libraire Gautier ? Ce n’est pas impossible, car Gautier naît et grandit en Russie, contrairement à Courtener. Cette diversification des contacts relève sans doute aussi du désir d’étendre son réseau, et de profiter de l’expansion de la pratique de la lecture, qui ne se limite plus à la noblesse. Le pari de Gautier réussit, car son entreprise devient une maison d’édition incontournable à Moscou au xixe siècle. 

Après son décès en 1832, son épouse continue son commerce en associant l’un de ses fils, Nicolas. Les affaires vont mal, et la veuve Gautier est contrainte d’appeler son fils Woldemar, qui étudie le commerce à Hambourg. En 1843, celui-ci s’associe avec Frédéric Monighetti et la maison prend le nom de Gautier & Monighetti. Ensemble, ils achètent l’imprimerie du célèbre Auguste Semen. En 1845, Monighetti se sépare de Woldemar Gautier. En 1864, ce dernier achète le fonds de la librairie de Charles Urbain, ci-devant Urbain & Renaud, une autre librairie française de renom à Moscou. Woldemar Gautier devient de ce fait le seul grand libraire français de Moscou. 

Il semble donc que les héritiers de Jean Gautier n’aient pas souhaité étendre leur réseau au-delà des limites de la colonie française. L’évolution de la famille et celle de l’entreprise semblent intimement liées, dans le cas des Gautier. En effet, cette famille garde son identité nationale durant tout le xixe siècle. Un carnet intime, appartenant à un Gautier [41] du début du xxe siècle, en donne une idée : le carnet est tenu en français, il sert d’abord et surtout à noter les dates de naissance, de mariage ou de décès des membres de cette famille. Les noms des conjoints des Gautier sont également révélateurs : toujours moscovites, ce sont au xixe siècle les Doublet, Dupuis, Armand, Léliée, Richard ; y sont aussi notés les décès des Catoire [42], Pierling, Pozzi, Formage, certainement amis de la famille. Les Gautier sont enterrés au cimetière hétérodoxe sur les monts Vvedenskié, au milieu des autres familles françaises.

 

La librairie française en émigration :
Quelques conclusions et pistes de recherches

 

La librairie Courtener-Gautier n’apparaît donc pas de la même façon que les librairies allemandes de Saint-Pétersbourg. Les Français ne bénéficient pas, au départ, de ce crédit qui permet à certains Allemands de se hisser au rang des plus grands libraires de Saint-Pétersbourg, dans le dernier tiers du xviiie siècle : des relations à la cour et dans quelques établissements d’État, avant tout l’Académie des sciences, et des liens avec les milieux intellectuels maçonniques. Les Français constituent à Moscou, où il n’y a qu’un seul libraire allemand d’importance (Rüdiger), un réseau de librairies françaises de tout premier plan. Ils profitent ainsi d’une niche, qui existe apparemment à cette époque dans le commerce du livre étranger à Moscou. Il suivent de près les changements dans la « topographie commerciale » de la ville, s’établissant dans les rues commerçantes du moment, en partant de la place Rouge – ils se trouvent là à proximité des libraires russes –, pour arriver dans le quartier de la Loubianka, qui attire une clientèle russe huppée et francophone. Le commerce d’un Courtener se spécialise, dans le souci de se distinguer de la librairie russe. D’autres méthodes, sans être originales, sont neuves pour Moscou : publicité dans les journaux, prêt des livres et création de cabinets de lecture… 

Il est instructif de comparer la librairie française en Russie à celles qui existaient dans d’autres points de chute de l’émigration française. Prenons l’exemple de Florence, au xviiie siècle [43]. Les libraires français sont attirés à Florence, notamment parce qu’ils savent qu’il y existe déjà des librairies françaises. Les relations entre les libraires français ne s’y résument pas à la concurrence, il y a de l’entraide et les alliances interfamiliales permettent de consolider son commerce ou, pour les nouveaux venus, d’accéder à des réseaux déjà mis en place. Renato Pasta note ainsi dans le cas du libraire florentin d’origine française, J. Bouchard, le rôle des liens entre les négociants de même origine, exerçant des activités parfois différentes (mais quelquefois complémentaires), mais aussi les liens de protection entre les libraires français et l’élite socio-culturelle de Florence. Les libraires français de la péninsule forment un réseau homogène qui leur permet d’être plus performants que les libraires locaux. En Russie, les liens professionnels et familiaux, ainsi que la communauté d’origine entre les libraires français, sont aussi le gage d’une certaine force. Rappelons les opérations communes entre les libraires français de Saint-Pétersbourg et leurs confrères de Moscou (Courtener et les frères Gay), une évidente mobilité géographique entre les deux capitales (les frères Gay, Riss), l’aide à l’installation de nouveaux arrivants dans une grande ville comme Moscou (Courtener et Riss, Courtener et Gautier). 

Les liens avec le pays d’origine sont aussi forts dans le cas de Florentins d’origine française, que dans celui de Français de Moscou, particulièrement à la première génération des libraires : les voyages de François Courtener, les études de ses fils en France, à Strasbourg, en sont des manifestations évidentes. En même temps, leurs liens professionnels ne se limitent nullement à la France : François Courtener fait aussi des affaires avec la Suisse et avec l’Allemagne ; la position géographique de Strasbourg, dont Courtener et nombre de ses collègues sont originaires, au carrefour de l’Europe, y est sans doute pour quelque chose. 

Tout en gardant leur identité, gage de leur spécificité, ces libraires étendent progressivement leur réseau : d’un milieu presque exclusivement francophone, ils passent à des cercles plus larges et plus hétérogènes qui incluent des libraires et des éditeurs francophones, germanophones et russophones (Gautier). 

Les guerres napoléoniennes ont un effet identique à Moscou et à Florence, infligeant au commerce français une crise dont il se relèvera difficilement. 

Reste encore à étudier l’offre des libraires français en Russie, pour comprendre si quantitativement elle représente – comme dans le cas des libraires français de Florence – une nouvelle tendance dans la lecture, qui privilégie une littérature moins érudite et plus légère, répondant ainsi à l’apparition d’une nouvelle sensibilité. 

 

Annexe.

Les libraires francophones en Russie au xviiie siècle.

 

Nous présentons ici de courtes notices biographiques sur les principaux acteurs de la librairie tenue en Russie au xviiie siècle-début du xixe siècle, par des Français ou des Suisses francophones. Pour plus d’informations, le lecteur est prié de se reporter, le moment venu, à : Dictionnaire des Français, Suisses, Wallons et autres européens francophones en Russie au xviiie siècle, sous la direction d’Anne Mézin et de Vladislav Rjéoutski, Centre international d’études du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire (en préparation).

 

Abréviations utilisées

 

ANF

Archives nationales de France.

Barbier, 2006

F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord au xviiie siècle : l’invention de la médiatisation », dans Le Siècle des Lumières (vol. I). Espace culturel de l’Europe à l’époque de Catherine II, dir. S. Karp, Moskva, 2006, p. 204-205.

CGIA Saint-Pétersbourg

Archives historiques centrales de la ville de Saint-Pétersbourg.

CP Russie

Correspondance politique, Russie (fonds aux archives du ministère des Affaires étrangères, Paris).

Dokumenty i materialy po istorii Moskovskogo universiteta vtoroj poloviny XVIII veka [Documents et matériaux pour l’histoire de l’université de Moscou dans la deuxième moitié du xviiie siècle], dir. N. A. Penčko, Moskva, 1960-1963 : t. I (1756-1764), II (1756-1766), III (1767-1770, 1785).

Kapitalnye knigi

Kapitalnye knigi Moskovskogo kupečeskogo obščestva [Les Registres des capitaux de la société marchande de Moscou] : 1788-1791, Moskva, 1912 ; 1792-1794, Moskva, 1913 ; 1795-1797, Moskva, 1913.

MAE

Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris.

MAE Nantes

Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes.

Martynova-Ponjatovskaja, 1928

N. Martynova-Ponjatovskaja, « Materialy dlja istorii knižnoj torgovli v Moskve » [« Documents pour l’histoire du commerce des livres à Moscou »], dans Sbornik Publičnoj biblioteki im. V. I. Lenina [Recueil de travaux de la Bibliothèque publique V. I. Lénine], Moskva, 1928, t. I, p. 113-131 ; t. II, p. 153-180.

MV

Moskovskie vedomosti, journal édité à Moscou, 1756-1917.

Muzykalny Peterburg

Muzykalny Peterburg. Encyclopedičeskij slovar’ [Le Saint-Pétersbourg musical. Dictionnaire encyclopédique], t. I, vol. 1-3, Sankt-Peterburg, 1996-1999.

RGADA

Archives des actes anciens d’État de Russie, Moscou.

RBS

Russkij biografičeskij slovar’ [Dictionnaire biographique russe], dir. A. A. Polovceva, 1896-1918, 25 vol.

RGB

Bibliothèque d’État de Russie, Moscou.

RGIA

Archives historiques d’État de Russie, Saint-Pétersbourg.

RNB

Bibliothèque nationale de Russie, Saint-Pétersbourg.

SPbV

Sankt-Peterburgskie vedomosti, journal édité à Saint-Pétersbourg, 1728-1918.

SPbZ

Sankt-Petersburgische Zeitung, journal édité à Saint-Pétersbourg, 1729-1852.

Svodny katalog knig

Svodny katalog knig na inostrannykh jazykah, izdannyh v Rossii v XVIII veke, 1701-1800 [Cataloque général des livres en langues étrangères édités en Russie au xviiie siècle, 1701-1800] : t. I (A-G), Leningrad, 1984 ; t. II (H-R), Leningrad, 1985 ; t. III (S-Z), Leningrad, 1986 ; t. IV (périodiques), Sankt-Peterburg, 2004.

Najdenov

Materialy dlja istorii Moskovskogo kupečestva [Matériaux pour l’histoire du corps des marchands de Moscou], éd. N. A. Najdenov : t. IV, Moskva, 1886 ; t. V, Moskva, 1887.

Zajceva, 1981

A. Zajceva, « Inostrannye knigoprodavcy v Sankt-Peterburge v konce XVIII-načale XIX veka » [« Les libraires étrangers à Saint-Pétersbourg, fin xviiie-début xixe s. »], dans Knigotorgovlja i bibliotečnoe delo v Rossii v XVIII - pervoj polovine XIX veka [Le commerce des livres et les bibliothèques en Russie, xviiie-1re moitié xixe s.], Leningrad, 1981, p. 29-51.

Zajceva, 2005

A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge vo vtoroj polovine XVIII veka [Le commerce du livre à Saint-Pétersbourg dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle], Sankt-Peterburg, 2005.

 

ALICY, Pierre. Né à Lunéville, en 1770, il épousa en 1804, à Saint-Pétersbourg, Joséphine Champeaux de Grandmont (*Metz, 1771). En 1798, sa boutique était située à Saint-Pétersbourg dans la rue Bolchaïa Morskaïa, puis, de 1801 à 1812 environ, dans la maison de la Société libre d’économie, au coin de la perspective Nevski. Il fit paraître, en 1799, son Catalogue du fonds de la librairie d’Alici, maison économique, vis-à-vis l’Amirauté (Saint-Pétersbourg, [1799], [2]-260 p., 8o). Tout comme Jean Bouvat, il inséra régulièrement sa publicité dans un journal d’émigrés français publié à Saint-Pétersbourg, Journal littéraire de St.-Pétersbourg (1798-1800), édité par Marie-Joseph-Hyacinthe Gaston.

MAE Nantes, Saint-Pétersbourg, consulat de France, état-civil, 1*, mariage, an XIII, p. 110 ; SPbV, 5.5.1797, no 36 ; 12.3.1798, no 21 ; Svodny katalog knig, vol. III, p. 179 ; Zajceva, 1981, p. 440.

 

ALLART, Maurice-Gérard ou Maurice Nikolaïevitch. Né à Paris en 1779, mort à Moscou en 1847, il épousa Henriette-Bénédicte Larmée, née à Moscou d’une famille de marchands français connus de la ville. Il avait été élève au corps des Cadets nobles de terre, et servit jusqu’à 1819. Parallèlement à cette carrière militaire, il acheta en 1807, à André Lemoine, l’ancienne librairie de Dominique Bugnet, à Moscou. Elle comprenait alors une « Bibliothèque pour la vente et pour l’abonnement », composée de 13 000 volumes et divisée en vingt-deux parties. Il la transféra rue Bolchaïa Loubianka. Il fit paraître un nouveau catalogue, comprenant plus de 15 000 volumes. Allart fit de la section théâtrale la spécialité de sa librairie, ce qui lui valut le titre de « Libraire du théâtre de Sa Majesté impériale ». En 1808, Allart ouvrit un dépôt de livres dans le grand théâtre d’Arbat. La librairie fut définitivement fermée après la guerre de 1812, et Allart se tourna vers l’enseignement. Il fit partie de ces Français qui furent relégués en 1812, sur l’ordre du comte Fiodor Rostoptchine, général-gouverneur de la ville de Moscou. L’une des raisons de son arrestation fut son appartenance à la secte des Illuminés, une branche maçonnique. Auguste Semen, futur célèbre typographe et éditeur russe, fut arrêté en même temps pour les mêmes raisons. Allart était en effet un franc-maçon convaincu, membre de plusieurs loges maçonniques. Après la guerre, il fit une carrière d’enseignant dans différents établissements d’État.

ANF, AE BI 988, fol. 166, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; RNB, Mss., fonds en diff. langues, F-II, 27/1, Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, bapt., 19.3.1783, 28.5.1784, 10.8.1785, 16.5.1787, 4.7.1788, 13.12.1790, 23.8.1792, 9.12.1793, 18.9.1795, fol. 96v ; CGIA Moscou, fonds 397, inv. 1, dos. 108 ; Gazette de Berlin, no 18, 1798, suppl. ; Kapitalnye knigi, 1912, 1913 ; MV, 1782, no 96 ; 19-23.4.1791, 23-26.4.1791, 4.4.1795, 9-19.5.1795 ; Najdenov, t. IV, p. 434-474, et t. V, p. 219-244 ; SPgZ, 1793, no 47 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. I-II ; Muzykalny Peterbourg, t. I, vol. I, p. 202 ; V. Rjéoutski, « La colonie française et l’Église catholique de Moscou à la fin du xviiie siècle », dans Cahiers du Monde russe, t. 41/4, oct.-déc. 2000, p. 615-628.

 

BOUVAT, Jean. Installé à Saint-Pétersbourg au moins depuis 1798, il y tenait boutique sur la perspective Nevski, puis dans d’autres endroits de la ville. Il donnait de la publicité dans le Journal littéraire de Saint-Pétersbourg, édité à Saint-Pétersbourg par un émigré royaliste, le chevalier Marie-Joseph-Hyacinthe Gaston. Son fonds de commerce fut vendu aux enchères en 1808. Il fit don de 500 roubles à l’armée russe en 1812, à l’approche des troupes napoléoniennes.

SPbV, 5.5.1797, no 36 ; 12.3.1798, no 21 ; Svodny katalog knig, vol. IV, p. 333-364 ; Zajceva, 1981, p. 44 ; Zajceva, 2005, p. 208.

 

BUGNET, Dominique. Originaire de Thionville, il ouvrit en 1799 une librairie ruelle Glinichtchev, à Moscou, à côté du célèbre magasin de mode de Mme Aubert-Chalmé. En suivant l’exemple de François Demarest, Bugnet organisa un prêt des livres, pour Moscou et la province, pour un abonnement de 25 roubles par an ou de 15 roubles pour six mois. Il éditait son catalogue, tout comme les autres libraires français. Bugnet faisait aussi le commerce de tabac, d’épices, de confiseries etc. Dans sa librairie, à part les romans, mémoires, livres d’histoire, il y avait aussi une collection de pièces de théâtre. En 1802, il fut annoncé dans les Moskovskié Vedomosti que la librairie serait désormais dirigée par Mme Bugnet. En 1804, la librairie fut achetée par un autre Français, André Lemoine, puis, en 1807, rachetée par Maurice Allart (voir ci-dessus).

MV, 1799, suppl. au no 24, p. 556 ; 1802, no 79 ; 1806, no 6 ; 1807, nos 11, 50, 92 ; 1808, nos 16, 77 ; 1810, no 1 ; SPbZ, 1793, no 47 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. I.

 

CHARPENTIER, Jean-Baptiste-Jude. Né vers 1740 à Biennes, près de Rethel. Il avait épousé Anne-Catherine-Louise Le Prince, sœur du peintre. Il mourut vers 1800, à Saint-Pétersbourg. Grammairien français, parti dans sa jeunesse en Russie, il traduisit en français la Grammaire de l’académicien Mikhaïl Lomonossov et confronta sa traduction avec celle de Marignan. Il y ajouta des dialogues, un choix de proverbes et des notions propres à faciliter l’étude de la langue. Il publia sa grammaire russe en 1768, à Saint-Pétersbourg, sous le titre Éléments de la langue russe, ou Méthode courte et facile pour apprendre cette langue conformément à l’usage (Saint-Pétersbourg, de l’imprimerie de l’Académie des sciences, 1768, [16]-368 p., tabl., 8o, 2 000 ex. ; rééd. : Saint-Pétersbourg, 1791, 1795). Diderot avait un exemplaire de la première édition dans sa bibliothèque. Charpentier travaillait comme lecteur de français à l’école de l’Académie des sciences à Saint-Pétersbourg, depuis au moins 1763. Il exerça aussi les fonctions de traducteur en français des langues russe et allemande. Très insatisfait par son salaire, il quitta l’Académie en 1779, et fut remplacé par le lecteur Joli. C’est certainement lui qui vendait des livres à Saint-Pétersbourg, en 1771-1772, dans la rue Lougovaïa Millionnaïa, notamment : Lettre d’un Scythe franc et loyal ou réfutation du “Voyage en Sibérie” publié par l’abbé Chappe. Charpentier revint en France à la veille de la Révolution, mais retourna vite à Saint-Pétersbourg, effrayé par les événements. Franc-maçon.

ANF, AE BI 989, fol. 111, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; SPFA RAN, fonds 3, inv. 1, dos. 377 ; inv. 9, dos. 189 ; MV, 1768, no 95 ; SPbV, 6.7.1772, no 54 ; La France et la Russie au Siècle des Lumières. Relations culturelles et artistiques de la France et de la Russie au xviiie siècle [exposition, Paris, 1986-1987], Paris, 1986, p. 81 ; A. Serkov, Russkoe masonstvo, 1731-2000 g. Encyclopedičeski slovar’ [La Franc-Maçonnerie russe, 1731-2000. Dictionnaire encyclopédique], Rospen, 2001, p. 954 ; Zajceva, 1981, p. 42 ; Zajceva, 2005, p. 98, 145.

 

CLAIRVAL. Il ne s’agit sans doute pas de Jean-Baptiste Clairval, comédien de la Comédie-Française à Paris, en 1762, car Clairval jouait dans la troupe de Sérigny, à Saint-Pétersbourg, depuis 1759. En février 1763, il se trouvait encore à Saint-Pétersbourg, car son nom est mentionné par Lespine de Morambert dans sa lettre à Charles-Simon Favart. En 1763, sur ordre de l’impératrice Catherine II, il fut envoyé pour engager des comédiens au service de la Russie. Il visita notamment Vienne, Munich, puis se rendit à Paris. Les acteurs de la troupe de Renaud, invitée par la cour de Saint-Pétersbourg, furent engagés par lui. Un Clairval se trouvait à Saint-Pétersbourg vers 1781 et, se disant libraire, menait des affaires directes avec des libraires de France.

Almanach de la librairie (cité dans Barbier, 2006, p. 204-205) ; Mouzykalny Péterbourg, t. I, vol. III, p. 204 ; R. A. Mooser, Contribution à l’histoire de la musique russe. L’opéra-comique français en Russie au xviiie siècle, Genève, 1954, p. 29, 30, 35.

 

COURTENER, François-Antoine-Louis. Né à Strasbourg en 1752, mort en 1814 à Moscou, catholique, fils d’Antoine Courtener, maréchal-ferrant, et de Marguerite Hains ; marié à Henriette-Marie-Anne Dreyer, dite Anna Antonovna (*Strasbourg, v. 1761). Elle était harpiste et enseigna, en 1781-1782, la harpe à l’Institut de jeunes filles nobles Smolny. Ils eurent plusieurs enfants, dont Élisabeth-Henriette Courtener (*v. 1782), Mme Jean Gautier-Dufayer ; François-Pierre Courtener (*Moscou, 1789), lui aussi libraire ; Théodore-Jean Courtener (*Moscou, 1795), professeur de français. Courtener s’installa à Moscou avant 1776. En 1782, il ouvrit, rue Iliinka, un magasin de graines, puis, en 1785, une librairie. Il vendait des livres français et éditait régulièrement son catalogue. Après un voyage d’affaires en Europe, en 1791, il s’établit rue Nikolskaïa et fut reçu marchand de la troisième guilde. En 1797, il sortit son catalogue commun avec son parent libraire à Bâle. Pendant la Révolution française, François Courtener vendit également des publications révolutionnaires. En février 1802, il fonda une maison de commerce à Paris sous la raison sociale « Courtener, Rebannier et Co », et. transfèra sa librairie rue Bolchaïa Loubianka ; son gendre Jean Gautier l’y suivit. Ayant fondé en 1805 pour ses fils François et Antoine, revenus en Russie après des études à l’étranger, une librairie Les Frères Courtener, il se consacra à la création d’un musée de lecture pour deux cents personnes (1806). Voir la liste complète de ses catalogues dans : Svodny katalog knig, vol. 3, p. 191-192.

ANF, AE BI 988, fol. 166, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; RNB, Mss., fonds en diff. langues, F-II, 27/1, Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, bapt. ; CGIA Moscou, fonds 397, inv. 1, dos. 108 ; Gazette de Berlin, no 18, 1798, suppl. ; Kapitalnye knigi, 1912 ; 1913-I, 1913-II ; MV, 1782, no 96 ; 19-23.4.1791, 23-26.4.1791, 4.4.1795, 9-19.5.1795 ; Najdenov, t. IV, p. 434-474, et t. V, p. 219-244 ; SPgZ, 1793, no 47 ; Martynova-Ponjatovskaja, 1928, t. I ; Muzykalny Peterburg, t. I, vol. I, p. 202 ; V. Rjéoutski, « La colonie française et l’Église catholique de Moscou à la fin du xviiie siècle », dans Cahiers du monde russe, no 41/4, oct.-déc. 2000, p. 615-628.

 

DESMARETS, François. Né à Autun (Saône-et-Loire), marchand libraire à Moscou, il ouvrit au plus tard en 1778 une librairie-bibliothèque (il y prêtait des livres), rue Nikolskaïa. Il tenait un catalogue de ses livres.

ANF, AE BI 480, CC Dantzig, fol. 213-223 ; MAE Nantes, série Archives des archives, inv. gén. chanc., vice-consulat, Moscou ; MV, 1778, no 83, 2-26.8.1794, 1-8.11.1794 ; SPbZ, 1793, nos 47, 48, 50 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. I.

 

FAUCONNIER, Léonard. De 1787 à 1790, la librairie de Fauconnier était située à Saint-Pétersbourg, au no 129, rue Morskaïa, et, à partir de 1791, sur le canal Catherine, près de la rue Siezjaïa, au no 327. Léonard Fauconnier résidait toujours à Saint-Pétersbourg en 1797. Il travaillait pour la cour : il participa, par exemple, à la fabrication du livre qui réunit des pièces et des « proverbes » signées entre autres par Catherine II, le prince de Ligne, le comte de Ségur.

ANF, AE BI 989, fol. 114, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; CGIA Saint-Pétersbourg, fonds 347, inv. 1, dos. 29, fol. 140-180, 22.6.1797 ; SPgZ, 31.12.1787, no 105, 3.10.1791, no 79, 1793, no 45 ; SPbV, 5.5.1797, no 36, 12.3.1798, no 21 ; Svodny katalog knig, vol. II, p. 326, no 2273 ; Zajceva, 1981, p. 44.

 

GAUTIER-DUFAYER, Jean-Nicolas ou Ivan Ivanovitch. Né entre 1772 et 1777, il était le fils de Jean-Marie Gautier-Dufayer, originaire de Saint-Quentin, et de Jeanne Gaudain, fille d’un marchand français en vue de Moscou. Marié (1799) à Élisabeth Courtener (1783-1800), fille de François Courtener, libraire, dont un enfant ; puis (1802) à l’Anglaise Margaret Elmers, dont six enfants. Il mourut en 1832 à Moscou. Employé chez François Courtener comme précepteur, puis commis, il s’établit comme libraire vers 1794. En 1797, il partit à l’étranger avec deux des fils Courtener. En 1799, il s’inscrivit au corps des marchands de Moscou. En 1801, il ouvrit deux librairies sur l’avenue Tverskaïa. Il s’associa à Kriajev et Maÿ pour se lancer dans l’édition, mais préféra sortir dès 1804 de l’association, contre le paiement de 8 000 roubles pour sa part du capital et la cession à Kriajev et Maÿ de sa librairie russe. Ses librairies étaient situées dans le quartier français (rue Bolchaïa Loubianka, rue du Pont-des-maréchaux-ferrants), mais aussi dans la rue Nikolaskaïa (une nouvelle librairie russe). Son fonds de livres fut brûlé pendant l’incendie de Moscou en 1812, mais il reprit l’affaire après la guerre et dirigea sa librairie jusqu’à sa mort. Avec ses enfants, sa maison prit le nom de Gautier & Monighetti, puis engloba la librairie de Charles Urbain.

CGIA Moscou, fonds 609, inv. 1, dos. 33, f° 48 v° ; RGB, Mss, fonds 83 (Gautier), II, dos. 27b ; Najdenov, t. V, VI ; MV, 1799, n° 25 ; 1800, n° 19 ; 89 ; 1801, n° 73 ; 1802, n° 33 ; Martynova-Ponjatovskaja.

 

GAY, Jacques (ou Jacob) et Jean-Dominique, frères. Jacques Gay était, selon une information, originaire de Lübeck, comme certains des libraires allemands en Russie. Les frères tenaient, de 1783 à 1790, une librairie à Paris, rue du Vieux-Colombier, une autre à Strasbourg, et une imprimerie et une librairie à Vienne. Le catalogue de cette dernière librairie est conservé. Ils furent, à Strasbourg, les correspondants les plus importants de la Société typographique de Neuchâtel. À partir de Vienne, les frères faisaient des opérations avec la Hongrie. En 1790, ils participèrent à la foire de Varsovie. Ils ouvrirent, dès 1787, un magasin à Saint-Pétersbourg, perspective Nevski, qu’ils fermèrent en 1800. Ils s’inscrivirent comme hôtes étrangers au corps des marchands de Saint-Pétersbourg, en 1787. Ils s’installèrent à Moscou, en 1789, et tenaient leur librairie au 123, rue Mokhovaïa, en face de l’université. Ils s’approvisionnaient à Saint-Pétersbourg, inséraient des annonces dans les journaux de Moscou, et furent parmi les premiers à vendre des partitions musicales en Russie. Vers 1792, ils déplacèrent leur magasin de Moscou au pont des Maréchaux-Ferrants (Kouznetski most). Les frères Gay vendirent des publications révolutionnaires françaises, ce qui leur causa quelques ennuis. Ils éditèrent le catalogue de leurs livres, avec des suppléments. Dans la relation de son séjour en Russie, en 1791-1792, Fortia de Piles écrivait : « Gay passe pour le mieux assorti des libraires, ils sont tous fort chers, surtout pour les livres étrangers, quoique cet article ne paye pas de droits et que le transport, ayant lieu par mer, soit bon marché ». Après 1793, Catherine II prit des mesures pour lutter contre la littérature critique envers le pouvoir russe. Les ouvrages français sur la Russie furent particulièrement visés. On établit, en 1796, des postes de contrôle à Saint-Pétersbourg, Riga et Moscou. Il fut aussi ordonné de transporter pour contrôle, dans un endroit désigné par le maître de la police, un exemplaire de tout article vendu par les libraires. Charles-François Masson en parle dans ses Mémoires : « Plusieurs, et Gay surtout, avaient des originaux des plus grands peintres, qu’ils avaient fait venir à grands frais de Paris. » – « Les libraires présentèrent une requête à Catherine II, où ils lui représentèrent tous les inconvénients d’un pareil déplacement. Elle le sentit, et ordonna alors au lieutenant de police de se transporter lui-même dans les librairies et dans les magasins, pour faire son inspection. »

 

Fortia De Piles (Alphonse-Toussaint-Joseph-André-Marie-Marseille, comte de), Boisgelin Du Kerdu [attribué à], Voyage de deux Français en Allemagne, Danemark, Suède, Russie et Pologne, fait en 1790-1792, Paris, Desenne, 1796, t. IV, p. 83, 316-317 (cité d’après V. Somov, « La librairie française en Russie au xviiie siècle », Est-Ouest : transferts et réceptions dans le monde du livre (xviie-xxe siècle), éd. F. Barbier, Leipzig, 2005, p. 92) ; MV, 1791, 5-12, 23.4.1791, 20-27.10.1792, 18-29.11.1794, 24.2.1795, 10.3.1795, 14.7.1795 ; SPbV, 4.5.1787, no 36 ; 18.1.1788, no 5 ; SPgZ, 3.1.1791, no 1 ; 31.1.1791, no 9 ; 2.1.1792, no 1 ; Svodny katalog knig, t. III, p. 180 ; Barbier, 2006, p. 209 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. I ; Zajceva, 1981, p. 40.

 

GUIBAL, Dieudonné-Barthélemy. Né à Lunéville en 1745, fils de Barthélemy Guibal, sculpteur du roi de Pologne, duc de Lorraine, et de Jeanne Lécrivain (ou Lescrivain). Il épousa en 1794, à l’église catholique Sainte-Catherine-d’Alexandrie de Saint-Pétersbourg, Marie-Françoise Rozet (*Paris 1765, †Saint-Pétersbourg, en couches, 1797), fille de Benoît Rozet, libraire à Paris et de Marie-Claude-Lucie Germain. Il se remaria en 1798, avec Sophie-Antoinette Bugnet (*Thionville ou Pont-à-Mousson, 1774, †Rosières-aux-Salines, 1850), fille de Nicolas Bugnet, ancien capitaine au service de Russie, et de Marie-Anne Posselin, et sans doute soeur du libraire Dominique Bugnet. Guibal quitta la France en 1766, après la mort du roi Stanislas et la dispersion de la cour de Lunéville. Il s’installa d’abord à Saint-Pétersbourg. Il y commerçait en 1770-1771 en qualité de libraire, avec son correspondant parisien Schwartz. Conseiller de la cour et assesseur de collège, il résidait toujours à Saint-Pétersbourg en 1793. Il devint directeur général des Douanes et conseiller d’état. En 1812, à l’approche des troupes françaises, la famille Guibal quitta Moscou pour se réfugier à l’Est, puis fut embarquée pour Nijni-Novgorod. En 1817, Dieudonné-Barthélemy Guibal fut nommé colonel au service civil de Russie, et chevalier de l’ordre de Saint-Vladimir, grâce à l’appui de son ami, le prince Alexandre Golitsyne, ministre de l’Instruction publique. Il revint définitivement en France, à Lunéville, en 1818. Sa seconde épouse, Antoinette-Sophie Bugnet, était surveillante au corps des Cadets en 1793, et la sœur de Dominique Bugnet, un libraire important à Moscou (fin xviiie-début xixe s.). En Russie, Guibal avait réuni une collection de sceaux, d’icônes et de livres précieux, de même qu’une très belle collection de tabatières, dont plusieurs ornées d’un portrait en miniature de Catherine II.

ANF, AE BI 989, fol. 108v, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; CGIA Saint-Pétersbourg, fonds 347, inv. 1, dos. 27, 14.12.1770 ; dos. 29, 3.1.1793, 25.3.1797, 26.5.1798, 3.5.1800 ; MAE, CP Russie, vol. 100, fol. 344, 20.8.1777 ; MAE Nantes, pap. Lesseps, reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg, 1775-1778, fol. 200.

 

JOLY, Edme-Joseph (ou Edmond-Joseph). Originaire de Paris, il épousa Magdeleine Martin (*Saumur) en 1766, à l’église catholique de Saint-Pétersbourg. Il en eut plusieurs enfants, parrainés par la grande aristocratie russe et les fabricants Demidov. Bibliothécaire du comte Fedor Grigorievitch Orlov (1741-1796), frère du favori de Catherine II, général en chef, procureur en chef de l’un des départements du Sénat. Joly s’établit ensuite comme libraire à Saint-Pétersbourg : en 1778-1783, sa librairie était située dans la maison du marchand Milioutine, près du pont de Kazan, au no 66. Franc-maçon, il fut membre ou visiteur de plusieurs loges maçonniques à Saint-Pétersbourg, en 1776. En 1793, il résidait avec son épouse à Moscou.

MAE Nantes, consulat, Saint-Pétersbourg 1775-1778 ; CGIA Saint-Pétersbourg, fonds 347, inv. 1, dos. 27, 31.5.1766, 16.10.1766, 5.5.1769 ; inv. 2, dos. 1, 10.7.1767 ; SPbV, 15.7.1774 (informations d’Alla Krasko), 22.4.1774, 15.7.1774, 14.12.1778 ; 1793, no 48, 50 ; A. Serkov, Russkoe masonstvo, 1731-2000 g. Encyclopedičeski slovar’ [La Franc-Maçonnerie russe, 1731-2000. Dictionnaire encyclopédique], Rospen, 2001, p. 333, 991 ; Zajceva, 1981, p. 40.

 

LEMOINE, André. En 1804, la librairie de Dominique Bugnet, à Moscou, fut achetée par le Français André Lemoine. À cette époque, cette « Bibliothèque pour la vente et pour l’abonnement » se composait de treize mille volumes et était divisée en vingt-deux parties. En 1807, la librairie fut achetée par Maurice Nikolaïevitch Allart, et transférée rue Bolchaïa Loubianka. Elle fut définitivement fermée après la guerre de 1812.

Martynova-Ponjatovskaja, t. I-II.

 

MAŸ, Jean-Otto. Marié à Élisabeth Spanner, il en eut une fille. Vivant à Moscou, il fut le parrain de Jean-François Courtener (1787), d’Alexandrine-Dorothée Courtener (1788) et de Théodore-Jean Courtener (1795) aux Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul. Jean Maÿ s’occupait du commerce de livres et était l’un des associés de Jean Gautier, gendre de François Courtener.

RNB, Mss., fonds en diff. langues, F-II, 27/1, Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, bapt., 16.5.1787, 4.7.1788, 10.6.1789, 18.9.1795 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. II.

 

RISS, François-Dominique. Né en 1768 à Strasbourg, mort en 1858 à Moscou. À son arrivée à Saint-Pétersbourg, en 1787, il fut commissionnaire des frères Gay, avant d’être inscrit en 1788 comme hôte étranger et marchand de la troisième guilde. Il s’installa ensuite, vers 1795, comme libraire à Moscou, et tint avec Joseph Sossay une librairie, rue Petrovka, à côté du pont des Maréchaux-Ferrants. Riss faillit être expulsé de Russie en 1803, pour avoir commandé des livres interdits. Il avait été inscrit en 1799 dans la première guilde marchande à Moscou (jusqu’en 1811). Après la guerre, au moment du recensement de 1815, il était inscrit dans la troisième guilde marchande. Il aurait été, selon ses contemporains, le plus grand libraire français de Moscou, au début du xixe siècle. Il publia le catalogue de ses livres, mais insérait rarement des publicités dans le journal.

CGIA Pétersbourg, fonds 781, inv. 2, dos. 394 ; RGIA, fonds 468, inv. 43, dos. 705 (1803) ; RNB, Mss., fonds en diff. langues, F-II, 27/1, fol. 134, Saint-Louis de Moscou, confessions, 1798 ; Saints-Apôtre-Pierre-et-Paul, baptêmes, 9.12.1793 ; MV, 1796, p. 589 ; 1er.8.1797; 1799, no 88 ; 1800, no 58 ; Martynova-Ponjatovskaja, t. I.

 

ROZET, Marie-Claudine, née Germain. Morte en 1784 à Moscou. Mariée au libraire parisien Benoît Rozet, elle en eut quatre enfants. Elle vivait, vers 1778, à Saint-Pétersbourg, avec le Français Bousson de Mairet, gouverneur en 1784 du jeune comte Nikita Petrovitch Panine, futur vice-chancelier de l’empire de Russie. Installée à Moscou dans les années 1770, avec une recommandation de l’astronome Joseph-Jérôme-François de Lalande, elle trouva d’abord une place de gouvernante, tout en vendant des livres. Elle se distinguait par la qualité de sa marchandise, ainsi que par celle de sa clientèle. Elle vendit notamment l’abonnement à l’Histoire de Russie, de Levesque. Elle correspondit avec le secrétaire de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Johann Albrecht Euler, l’académicien Gerard-Friedrich Müller, mais aussi avec Diderot. Elle comptait parmi ses clients la grande noblesse russe, le corps des Cadets nobles, l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Lors de sa mort, Mme Rozet laissa un grand nombre de livres invendus (plus de deux cents titres). L’inventaire comprend les noms des débiteurs de Mme Rozet, ainsi que ceux de ses créanciers parisiens, les libraires Durand et Debure fils.

ANF, AE BI 989, fol. 107, 117, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; MAE Nantes, chanc., vice-consulat, Moscou, 1782-1785, p. 372-405 (acte de décès de dame Rozet [...]), p. 566-575 (Inventaire des effets de la succession Rozet vendus aux enchères) ; MV, 1785, no 13 ; V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg », dans Les Français à Saint-Pétersbourg [exposition, Saint-Pétersbourg, 2003], Sankt-Peterburg, 2003, p. 77-80.

 

SOSSAY, Joseph. — voir RISS, François-Dominique.

 

VYARD, Jean-Guillaume. Né à Paris, il épousa en 1759, à l’église catholique de Saint-Pétersbourg, Hélène-Catherine Michel, sœur du grand marchand français de Saint-Pétersbourg, Jean Michel ; ils eurent des enfants. Négociant français à Saint-Pétersbourg, et chancelier du consulat de France à Saint-Pétersbourg, depuis 1759. Il s’associa en 1763 avec le marchand François La Croix. Le capital de la société s’élevait à 15 000 roubles – 10 000 étant fournis par Vyard et 5 000 par La Croix. En 1768, Vyard vendait des livres, il résidait alors « dans la cour de l’Église catholique », c’est à dire de Sainte-Catherine-d’Alexandrie, à Saint-Pétersbourg. Il continua sans aucun doute son activité de libraire et menait vers 1781 des affaires directes avec des libraires de France.

ANF, AE BI 988, fol. 174 ; MAE Nantes, pap. Lesseps, reg. C, consulat, Saint-Pétersbourg, 1776, fol. 35 ; consulat, Saint-Pétersbourg, 1760-1769, chanc. (1763) ; carton 7 (1759) (Serment prêté par J. G. Vyard, chancelier du consulat de France à Pétersbourg) ; reg. chanc., vice-consulat, Moscou, 1759-1764, 2 Mi 2494 ; CGIA Saint-Pétersbourg, fonds 347, inv. 1, dos. 27, 29.9.1759, 29.10.1761, 18.1.1765, 23.8.1769 ; inv. 2, dos. 1, 16.9.1760 ; inv. 1, dos. 31, 7.6.1733 ; Almanach de la librairie (cité par Barbier, 2006, p. 204-205) ; SPbV, 1768, no 62 ; Zajceva, 1981, p. 40. 



[1]    N. A. Kopanev, Francuzskaja kniga i russkaja kul’tura v seredine XVIII veka [Le livre français et la culture russe au milieu du XVIIIe siècle], Leningrad, Naouka, 1988 ; V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg », dans Les Français à Saint-Pétersbourg [exposition, Saint-Pétersbourg, 2003], Sankt-Peterburg, Palace Éditions, 2003, p. 77-80 ; id., « La librairie française en Russie au xviiie siècle », dans Est-Ouest : transferts et réceptions dans le monde du livre (xviie-xxe siècle), éd. F. Barbier, Leipzig, Leipziger Universitätsv., 2005, p. 89-107.

[2]    La meilleure étude pour Saint-Pétersbourg reste : A. Zajceva, « Inostrannye knigoprodavcy v Sankt-Peterburge v konce XVIII-načale XIX veka » [« Les libraires étrangers à Saint-Pétersbourg, fin xviiie-début xixe s. »], dans Knigotorgovlja i bibliotečnoe delo v Rossii v XVIII-pervoj polovine XIX veka [Le Commerce des livres et les bibliothèques en Russie, xviiie-première moitié du xixe s.], Leningrad, 1981, p. 29-51, et surtout id., Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge vo vtoroj polovine XVIII veka [Le commerce du livre à Saint-Pétersbourg dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle], Sankt-Peterburg, 2005. Pour la librairie étrangère à Moscou, voir : N. Martynova-Ponjatovskaja, « Materialy dlja istorii knižnoj torgovli v Moskve » [« Documents pour l’histoire du commerce des livres à Moscou »], dans Sbornik Publičnoj biblioteki im. V. I. Lenina [Recueil de travaux de la Bibliothèque publique V. I. Lénine], t. I, Moskva, 1928, p. 113-131 ; ibid., t. II, p. 153-180. Pour la première moitié du xixe siècle, il existe une étude à part : R. Klejmenova, Knižnaja Moskva pervoj poloviny XIX veka [Les Livres à Moscou dans la première moitié du xixe siècle], Moskva, 1991.

[3]    A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery i načalo častnoj knižnoj torgovli v S.-Peterburge » [« Les libraires Müller et le début du commerce privé de livres à Saint-Pétersbourg »], dans Kniga v Rossii XVI-serediny XIX v., [Le livre en Russie, xvie-milieu xixe s.], Leningrad, BAN, 1990, p. 139 ; A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge…, chap. I-II.

[4]    V. Rjéoutski, « Les écoles étrangères dans la société russe à l’époque des Lumières », dans Cahiers du monde russe, no 46/3, 2005, p. 473-528, notamment, p. 497.

[5]    Ce fut sans doute lui qui vendait des livres à Saint-Pétersbourg en 1772 : Sanktpeterburgskie Vedomosti (ci-après SPbV), 6.7.1772, no 54.

[6]    SPbV, 1765, no 9.

[7]    A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », p. 145, en citent une bonne dizaine.

[8]    Les noms propres suivis d’un astérisque sont ceux d’un certain nombre d’acteurs de la librairie française en Russie. Voir leur notice biographique respective en annexe.

[9]    Il participe à la fabrication du livre qui réunit des pièces et des « proverbes » signées par Catherine II, le prince de Ligne, le comte de Ségur etc. : Recueil des pièces de l’Hermitage, t. I-IV, Sankt-Peterburg, typ. de l’École des mines, 1788-1789, 8o (ce recueil parut à Paris en 2 vol., en 1792). Le t. IV porte la mention : « Relié par Fauconnier ».

[10]   A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », p. 145.

[11]   A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », p. 139-153; A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge…, p. 133-135, 152, etc.

[12]   I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel XVIII veka Iohann Jacob Weitbrecht » [« Un libraire et éditeur du xviiie siècle à Saint-Pétersbourg : Johann Jacob Weitbrecht »], dans Knigopečatanie i knižnye sobrania v Rossii do serediny XIX v. [L’édition et les collections de livres en Russie jusqu’au milieu du xixe siècle], Leningrad, 1979, p. 39-58.

[13]   I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel… », p. 48-49.

[14]   A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge…, p. 208.

[15]   Schwartz est lui-même présent en Russie en 1769. En 1771, le reste de ses livres est vendu dans la maison de l’ancien favori d’Élisabeth Ivan Chouvalov, où il louait sans doute un local.

[16]   I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel… », p. 43-44 ; V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg… », p. 77.

[17]   Cité d’après F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord au xviiie siècle : l’invention de la médiatisation », Le Siècle des Lumières (vol. I). Espace culturel de l’Europe à l’époque de Catherine II, dir. S. Karp, Moskva, Naouka, p. 204-205.

[18]   Clairval était aussi en relation avec des libraires de Paris en 1781, voir F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord… », p. 204-205.

[19] MV, 1773, no 4.

[20]   F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord… », p. 209.

[21]   [Saint-Pétersbourg], de l’imprimerie du corps impérial des Cadets nobles, 1798-1800, 12o.

[22]   V. Rjéoutski, « La communauté francophone de Moscou sous le règne de Catherine II », dans Revue des études slaves, no 68/4, 1996, p. 445-461.

[23]   RNB, fonds en diff. langues, F-II, 27/1, fol. 108-113v [Baptêmes à l’église Saint-Louis] ; fol. 85-105v [Baptêmes à l’église des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul] ; fol. 134-135 [Confessions à l’église Saint-Louis, 1798]. Nous exprimons notre vive gratitude à M. Vladimir Somov qui nous a indiqué les documents des églises catholiques de Moscou conservés dans ce fonds.

[24]   V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg… », p. 77-80 ; id., « La librairie française en Russie au xviiie siècle… », p. 100-101.

[25]   ANF, AE BI 988, fol. 139v, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; AE BI 989, fol. 107, 111v, inv. reg. chanc., consulat de Saint-Pétersbourg ; MAE, CP Russie, vol. 103, fol. 167-168, 24.9.1779 ; MAE Nantes, série Archives des archives, inv. général, chancellerie du vice-consulat de France à Moscou, art. 131 ; pap. Lesseps, reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg, 1775-1778, fol. 26 ; chanc., vice-consulat, Moscou, 1782-1785.

[26]   Cette année-là, il y demande un passeport pour aller en France.

[27]   CGIA Pétersbourg, fonds 781, inv. 2, dos. 394.

[28]   [Jean-Jacques Bouvier, dit l’abbé Lionnois], Traité de la mythologie, orné de cent-quatre-vingt [sic] gravures en taille douce, à l’usage des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe,par M. l’abbé Lyonnois…, t. I-II, Moscou, F. Courtener, 1795, 8o. Les illustrations furent éditées à part : Collection des 180 figures pour la mythologie, Moscou, F. Courtener, [s. d.]. Il semble qu’il s’agisse d’un livre édité chez lui ; il est introuvable dans les grandes bibliothèques de l’Europe occidentale. Il est dit dans la préface qu’il s’agit d’une réimpression de l’édition de Nancy de 1788.

[29]   F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord… », p. 209.

[30]   Julie. Nouvelle traduite du russe de Mr. Karamzin par Mr. de Boulliers, Moscou, chez F. Courtener, libraire, 1797, [4]-51-[1] p., 12o.

[31]   D’après l’historien du livre Sergueï Poltoratski (notes sur un des exemplaires de Julie), mais cette information n’est pas confirmée. Nous n’avons pas réussi à retrouver l’édition originale qui probablement n’a jamais existé.

[32]   Sophie de Harikow, ou Histoire d’une jeune Russe de huit ans : pour servir à l’instruction et à l’amusement des jeunes demoiselles du même âge, Moscou, chez F. Courtener, 1794-1795, 12o, 4 t. Un exemplaire localisé en dehors de la Russie, à la bibliothèque du Château d’Oron (nous remercions Juliette Guilbaud pour cette information). Le livre a été sans doute acquis en Russie par Hélène Massalska, princesse de Ligne, qui est à l’origine de cette bibliothèque

[33]   A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge…, p. 144, 149.

[34]   F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord… », p. 199.

[35]   Gazette de Berlin, no 18, 1798, suppl.

[36]   Nous n’avons pas d’informations sur l’activité de cette maison de commerce.

[37]   Dans la maison de T. D. Chevaldychev, en face du monastère Zaïkonospasski.

[38]   Dans la maison du prince Nikolaï Alexeïevitch Golitsyne.

[39]   Johann Karl Schnor, d’origine allemande, un des typographes russes les plus importants du xviiie siècle, pendant longtemps compagnon du libraire et éditeur Weitbrecht.

[40]   Ce Français, assistant de P. F. Fauche à Brunswick, vint à Saint-Pétersbourg en 1806 ; voir V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg… », p. 79.

[41]   Conservé dans le fonds Gautier du département des manuscrits de la bibliothèque d’État de Russie (RGB).

[42]   Les Catoire étaient membres d’une famille française connue, installée à Moscou au xixe siècle, et qui y demeure toujours.

[43]   R. Pasta, « Hommes du livre et diffusion du livre français à Florence au xviiie siècle », dans L’Europe et le livre. Réseaux et pratiques du négoce de librairie, xvie-xixe siècle, dir. F. Barbier, S. Juratic, D. Varry, Paris, Klincksieck, 1996, p. 99-136.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 mai 2009 14:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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