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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel Rioux [(1919-1992) Sociologue, Université de Montréal], “Itinéraire sociologique”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 15, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 311-312. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Avec l’autorisation formelle accordée le 8 janvier 2004 par la directrice de la revue Recherches sociographiques, Mme Andrée Fortin, professeure de sociologie à l’Université Laval, qui nous a demandé de bien mentionner nos sources ainsi que la revue qu’elle dirige.]

Marcel Rioux (1961)

sociologue (retraité de l’enseignement) de l'Université de Montréal

ITINÉRAIRE SOCIOLOGIQUE.

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. XV, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 311-312. Québec : département de sociologie, Les Presses de l'Université Laval.



Il y a quelque chose d'un peu factice, me semble-t-il, que sur le signal d'un directeur de revue, aussi estimable soit-il, des individus qui n'ont en commun que d'avoir vécu pwlus longtemps que d'autres, se mettent à égrener leur chapelet de souvenirs, comme si le temps de « témoigner » devait arriver à point nommé, comme celui des sucres. D'autant que « les cheminements selon lesquels a été vécue l'aventure de la sociologie » peuvent apparaître singulièrement prosaïques et dénués d'intérêt pour le lecteur. N'est pas mémorialiste qui veut, surtout de lui-même.

De plus, il m'apparaît qu'au Québec peut-être plus qu'ailleurs, il n'est pas facile de faire le départ entre l'aventure de la sociologie et celle de la société. Quant à moi qui n'ai jamais prôné la fétichisation de la sociologie, je ne réprouve pas cette imbrication mais je me rends compte que, pour témoigner d'une façon quelque peu intelligible, il faudrait essayer de montrer que la sociologie québécoise - et c'est tout en son honneur ! - a été et est encore, pour une largepart, intimement liée aux pratiques sociales elles-mêmes. Et, comme depuis un quart de siècle ces pratiques sociales et sociologiques se sont grandement transformées, influant les unes sur les autres, il n'est pas sûr qu'on puisse rendre compte de ces cheminements sociologiques en laissant de côté l'ensemble des transformations sociales. Il ne me servirait à rien, par exemple, de déclarer tout à trac que je me suis éloigné du fonctionnalisme pour partager ensuite l'optique générale du marxisme, dont je remets aujourd'hui en question certains de ses aspects, si je ne puis expliquer longuement comment cette démarche (qui ne m'est pas particulière) m'apparaît, à tort ou à raison, être commandée par l'évolution des sociétés industrielles et par ma propre pratique sociologique au Québec.

À force d'enseigner que la discipline que les sociologues pratiquent n'est pas celle des manuels, que les problèmes auxquels ils s'attaquent sont en grande partie ceux de leur temps et que, dans cette pratique, l'objet et le sujet ne s'opposent pas comme dans l'ontologie traditionnelle, on finit par tenir que la sociologie est l'une des nombreuses façons de participer à la vie collective et que, de plus, cette façon ne comporte aucun privilège immanent. Que cette conception soit moins édifiante que celle qui voudrait que la sociologie se construise à la force des concepts, à l'abri des intérêts et des angoisses ambiants, je le concède volontiers. C'est en ce sens qu'il m'apparaît que témoigner de la sociologie, c'est éminemment témoigner de son temps, du temps qui court et de sa société. Parler de Durkheim sans parler de la Troisième République, c'est parler d'un zombi.

Quoi qu'il en soit, puisqu'il faut témoigner, peu ou prou, il me faut reconnaître que je suis peut-être un faux témoin de la sociologie, m'étant longtemps défini comme anthropologue. Non que j'attache beaucoup d'importance à ces étiquettes et rangements ! Quand commence-t-on d'être sociologue ? [1] Quand cesse-t-on de l'être ? Nos académies tranchent pour nous et c'est bien qu'il en soit ainsi ; elles remplissent le rôle qui leur est dévolu, celui d'être, dans la sphère intellectuelle, le reflet raffiné de la division et de la séparation généralisées qui sont devenues le lot de nos sociétés ; elles perpétuent tous ces découpages du savoir pour mieux fonctionnaliser, fonctionnariser et contrôler les connaissances et les individus. La professionnalisation et la solidarité tribale de ceux qu'on met ainsi en carte accentuent encore la parcellisation des tâches et des groupes. C'est le parachèvement par en haut du grand enfermement dont le mode de production capitaliste a besoin pour se déployer. Au moment où des couches de plus en plus larges de citoyens s'efforcent de sortir de tous les ghettos de l'émiettement fonctionnel, les sociologues seraient peut-être mal venus de trop pavoiser et de trop exalter leur niche universitaire. C'est assez dire que l'aventure de la sociologie n'est rien si elle n'est intimement mêlée à l'aventure de la désaliénation de l'homme contemporain et à celle de la libération de son pays. Loin de moi l'idée que la sociologie critique n'ait pas un rôle important à jouer dans ces grandes entreprises. Le difficile c'est d'apercevoir où se loge aujourd'hui cette sociologie critique. Dans les départements de sociologie ? Dans les piquets de grève ? Chez les chansonniers ? Dans les théâtres populaires ? Dans les comités de citoyens ? Chez les poètes ? Dans la vie quotidienne ? Dans une société et dans une civilisation en transformation accélérée, la sociologie critique se manifeste partout où il y a des hommes, des femmes, des jeunes qui se battent pour dé-construire un monde où les Nixon sont rois et les Bourassa valets. Aux sociologues, il appartient de travailler dans le même sens avec les outils que la division des tâches leur a imposés et qu'il leur faut affiner dans le coude à coude avec d'autres pratiques de déstructuration. Ne devons-nous pas constater que nous vivons à une époque où le monde ordinaire travaille peut-être davantage à la connaissance et à la critique de la société que les professionnels de la science sociale ? Ne faut-il pas prévoir et même espérer que la sociologie critique devienne de plus en plus l'affaire de tout le monde et qu'elle joue un rôle important dans la période de transition dans laquelle nos sociétés sont déjà engagées ? Est-il un des grands fondateurs qui eût espéré ou même conçu un tel destin pour la sociologie ?


[1] J'ai officiellement commencé de l'être le premier juin 1961.



Retour au texte de l'auteur: Guy Rocher, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 février 2010 14:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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