RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“Les origines de la rhétorique de l’axe du mal du président George W. Bush:
droite chrétienne, millénarisme et messianisme américain.” (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernadette Rigal-Cellard (Professeure, Études Nord-Américaines, Directrice de l’UFR des Pays anglophones, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3), “Les origines de la rhétorique de l’axe du mal du président George W. Bush: droite chrétienne, millénarisme et messianisme américain.” Un article publié dans la revue Études. Septembre 2003, pp. 153-162. [Avec l’autorisation de Mme Bernadette Rigal-Cellard accordée le 10 mai 2005].

Introduction

Les Américains sont isolationnistes de nature et leurs dirigeants ont dû toujours trouver des arguments percutants pour emporter leur adhésion dans les grands conflits du XXe siècle. Ce ne fut que lorsque les Allemands intensifièrent leur guerre sous-marine dans l’Atlantique nord en 1917 que Woodrow Wilson se résigna à entraîner les troupes en Europe dans une « croisade » des forces du bien contre les forces de la barbarie. F.D. Roosevelt ne put faire de même qu’au lendemain de Pearl Harbour. L’horreur des attentats du 11 septembre sortit instantanément les Américains de leur isolationnisme et Bush n’eut aucun mal à arracher l’accord du Congrès pour attaquer l’Afghanistan. L’invasion à l’automne 2001 fut présentée en termes purement stratégiques, une contre-attaque. L’invasion de l’Iraq, en revanche, posa problème et c’est dans de telles circonstances que l’équipe présidentielle doit soigner sa rhétorique. On sait maintenant que le projet de renverser Saddam Hussein fut adopté il y a longtemps, au moins dès les attentats de septembre 2001, mais déjà dans les années quatre-vingt la presse américaine dénonçait le danger qu’il représentait. Cependant, les liens entre Al Quaida et Saddam Hussein étant impossibles à prouver, l’Irak ne menaçant pas les États-Unis directement, comment contrer les arguments des opposants à la première guerre préventive de l’histoire récente ? 

On sait que Bush parvint très rapidement à rallier la majorité des Américains à son point de vue. Ce ralliement derrière le chef après le traumatisme des attentats de New York est tout à fait compréhensible et l’on peut imaginer qu’il aurait été aussi fort avec n’importe quel président. Toutefois, l’on peut également penser qu’il existe un facteur supplémentaire qui décuple l’empathie avec laquelle la majorité des citoyens fonctionnent en ce moment avec George W. Bush, et on peut risquer certaines interprétations. Président non élu par le vote populaire et médiocrement apprécié avant le 11 septembre, celui-ci a su immédiatement adopter le ton prophétique qui sied à l’Amérique, et parler à ses concitoyens le même langage qu’une grande partie d’entre eux entendent depuis toujours dans leurs églises, voire dans leurs écoles. Ainsi, il transforma avec succès cette agression en une croisade des forces du bien contre les forces du mal, pour la première fois de manière explicite lors du Message sur l’État de l’Union de janvier 2002, discours aux nombreuses références religieuses, telles que celle du « wonder-working power » (puissance divine qui effectue des miracles), emprunté à un hymne évangélique populaire. Ce Message, l’un des plus attendus de l’histoire américaine puisqu’il allait définir sur le proche et moyen terme la politique choisie pour venger les attentats, [1] avait été préparé pendant des semaines par une importante équipe de spécialistes. Les auditeurs et les observateurs allaient retenir une expression étrange : « l’axe du mal », laquelle désignait désormais les pays accusés d’avoir aidé Ben Laden et les islamistes en général, c’est-à-dire l’Irak, l’Iran et, étrangement, la Corée du Nord: 

Les États comme ceux-là, et leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde. En fabriquant des armes de destruction massive, ces régimes posent de plus en plus un grave danger. Ils peuvent fournir des armes aux terroristes, leur donnant des moyens à la mesure de leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou tenter de faire chanter les Etats-Unis. Dans tous les cas, le prix de l’indifférence serait catastrophique. [2] 

Dans son livre publié au début de 2003, The Right Man, David Frum, qui faisait partie de l’équipe des rédacteurs de discours présidentiels, explique qu’il cherchait une expression qui pourrait qualifier tous les pays du Proche et du Moyen-Orient dont l’islamisme militant traduisait la haine de l’Occident et de ses succès matériels. À court d’inspiration, et la destruction des tours jumelles ressemblant à Pearl Harbour, il prit sur ses étagères un livre de discours de F.D. Roosevelt, tomba sur le mot « axe » qui désignait l’Allemagne, l’Italie et le Japon, et inventa « l’axe de la haine ». Juif lui-même, et de surcroît canadien, Frum ne fonctionne pas en tant qu’évangéliste et à ses yeux l’expression était historique et culturelle. Il précise que ce fut le rédacteur des discours en chef, Michael Gerson, qui « voulut utiliser le vocabulaire théologique que Bush employait depuis le 11 septembre et donc ‘l’axe de la haine’ devint ‘l’axe du mal’. La Corée fut ajoutée pour bonne mesure puisqu’elle aussi fabriquait l’arme nucléaire (…) et avait besoin d’une mise en garde. » [3] 

Le discours revint annoté de la main de Bush qui en acceptait toutes les implications. Nous avons donc ici l’origine précise historique de l’expression « axe du mal ». Néanmoins, si elle a autant marqué les esprits aux États-Unis, c’est parce qu’elle correspondait à un archétype de la rhétorique politique et religieuse américaine, la croyance en la division morale binaire du monde et c’est pour exactement la même raison qu’elle a choqué la Vieille Europe où depuis fort longtemps il est inconcevable qu’un chef d’État puisse utiliser des arguments religieux et fasse appel à la croisade. Aux cyniques européens, les observateurs confirment que Bush est sincère quand il en appelle à Dieu pour l’aider contre le grand Satan. [4] Son conseiller politique le plus proche, Karl Rove, est lui-même un fondamentaliste à l’écoute de ses frères. 

Cette étude se propose d’expliquer le langage éminemment religieux de Bush, celui de l’évangélisme millénariste qui « parle » instinctivement à une grande partie de la population. Loin de nous, cependant, l’idée qu’un Rumsfeld, un Wolfowitz, un Dick Cheney, ou un Colin Powell préparent les plans de bataille en fonction d’un impératif religieux. Il ne s’agira donc pas ici de démontrer que la stratégie militaire américaine est motivée par la préparation du Retour du Christ, mais il s’agira de démontrer que, comme dans tous les pays du monde, si cette stratégie militaire est généralement acceptée par de très nombreux citoyens, c’est parce qu’on sait la leur présenter en des termes familiers. Il est estimé, en effet, que 40% des voix en faveur de Bush aux élections de 2000 étaient évangélistes.[5] Nous insistons bien auparavant sur le fait que tous les Américains n’adhèrent pas au discours dominant actuel, car, au contraire, une partie non négligeable de la population le condamne avec véhémence. 

Pour comprendre la rhétorique de l’administration Bush, il faut faire un véritable saut dans l’espace, géographique et mental, dans l’univers de la Bible Belt, « la ceinture biblique » qui a débordé de son cadre sudiste traditionnel pour atteindre jusqu’aux rives du Pacifique. Nous y rencontrerons les fondamentalistes qui animent les diverses associations politico-religieuses de la Nouvelle Droite, ou Droite religieuse, qu’ils ont créées avec succès depuis la fin des années soixante-dix, la Majorité Morale, la Coalition Chrétienne notamment. Nous nous pencherons en détail sur leur croyance la plus exotique pour le public français, le millénarisme, intimement lié au messianisme américain. Ce n’est qu’à ce prix-là que nous saisirons la portée de la rhétorique de l’axe du mal. Auparavant quelques chiffres sont nécessaires pour saisir le dynamisme de la scène religieuse américaine, ainsi qu’un historique du mouvement évangéliste qui forme la base électorale de Bush.


[1] Ce morceau de bravoure annuel fait partie des obligations constitutionnelles du Président (Article II, section 3). Il s’agit toujours d’un discours long portant notamment sur la politique intérieure. Il est prononcé devant le Congrès en session jointe et il a subi quelques transformations dans sa présentation au fil des décennies afin de correspondre aux exigences médiatiques de l’époque. C’est devenu un des grands rituels de la religion civique américaine. Depuis Reagan, les citoyens qui se sont distingués par un acte de bravoure, ou qui sont apparentés à une victime méritante, sont invités sur la tribune à côté de la Première Dame afin de recevoir les ovations du Congrès et du peuple devant les téléviseurs. En 2002 des parents des victimes des attentats étaient présents.

[2] http://www.whitehouse.gov/news/releases/2002/01/20020129-11.html. Ma traduction. « This is a regime that has something to hide from the civilized world. States like these, and their terrorist allies, constitute an axis of evil, arming to threaten the peace of the world. » 

[3] David Frum. The Right Man : The Surprise Presidency of George W. Bush. New York : Random House, 2003. p.238.

[4] Voir Tom Heneghan. « Bush Mix of God and War Grates on Many Europeans. » Reuters, April 4, 2003.

[5] Elisabeth BUMILLER « Evangelicals Sway White House on Human Rights Issues Abroad. » The New York Times, October 26, 2003.


Retour au texte de l'auteure: Bernadette Rigal-Cellard, Bordeaux 3. Dernière mise à jour de cette page le samedi 5 janvier 2008 14:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref