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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Ivo Rens, “François Meyer, La surchauffe de la croissance. Essai sur la dynamique de l'évolution.” Un article publié dans l'ouvrage d'Ivo RENS, Entretiens sur l'écologie. De la science à la politique, chapitre 13. Georg Éditeur, Suisse, avril 2017, 232 pp. [Autorisation accordée par l'auteur M. Ivo RENS et son éditeur le 28 mars 2017 de diffuser le texte de cet article en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

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François Meyer (1912-2004), La surchauffe de la croissance. Essai sur la dynamique de l’Evolution, Collection Ecologie, Fayard, Paris, 1974, 140 pages.


Qui est cet auteur, François Meyer ?

François Meyer est un auteur double national français et suisse, qui fut professeur à l’Université d’Aix-Marseille. C’est un philosophe de l’évolution du vivant, marqué par Bergson et Teilhard de Chardin, mais aussi par Karl Marx et par Julian Huxley. Avant La surchauffe de la croissance paru en 1974, il avait publié notamment L’accélération évolutive, en 1947, et La problématique de l’Evolution, en 1954. Après 1974, il publia Pour connaître Bergson, en 1985.

Vous nous avez présenté le mois dernier le Premier Rapport au Club de Rome, autrement dit le Rapport Meadows, paru en 1972, qui suscita un immense tollé parmi les économistes et les politiques parce qu’il annonçait que la croissance prendrait nécessairement fin au cours du XXIème siècle.

L’ouvrage que vous allez nous présenter aujourd’hui est postérieur de deux ans au Rapport Meadows. Son auteur, François Meyer, est-il aussi pessimiste que l’équipe Meadows ou bien en fait-il la critique comme la plupart des économistes ?

Il en fait bien la critique comme étant indûment optimiste ! La critique de François Meyer est une critique symétrique à celle de la plupart des économistes, et ce en reprenant des thèses qu’il avait développées dès 1947 et 1954.

C’est là une position paradoxale. Pourriez-vous nous présenter succinctement ces thèses ?

Bien volontiers. Dès ses ouvrages de 1947 et de 1954, François Meyer replace l’évolution de l’humanité, vieille de quelques dizaines ou centaines de milliers d’années, dans celle du vivant, vieille de plus de trois milliards et demi d’années, donc du même ordre de grandeur que le passé de la Terre et du système solaire.

Ce qui le frappe dans l’apparition successive des différentes espèces, par delà l’extrême lenteur des temps les plus reculés, c’est le rythme progressivement croissant d’apparition des espèces. Après l’apparition des vertébrés, il constate également un rythme progressivement croissant du taux de céphalisation, c’est-à-dire du rapport du volume du cerveau à celui du corps, dans la succession des espèces, des oiseaux à l’homme. D’où le titre de son premier ouvrage : L’accélération évolutive.

Pour François Meyer, la capacité technique exceptionnelle qui distingue l’homme de toutes les autres espèces consacre une manière de relais de l’Evolution. S’appuyant sur les travaux des préhistoriens, il retrace également, depuis le paléolithique, une accélération mesurable du progrès technique de la pierre taillée au moulin à eau, de ce dernier à la machine de Watt, puis aux centrales électriques, enfin aux fusées.

L’expansion de la démographie mondiale obéit au même principe de progression accélérée, alors que les populations microbiennes ou animales plafonnent lorsqu’elles buttent sur les limitations spatiales ou alimentaires, en décrivant une courbe en S dite logistique. Selon François Meyer, la croissance de la démographie mondiale est généralement mal comprise car identifiée à une croissance exponentielle, notamment dans le Rapport Meadows. Toute impressionnante qu’elles soit, la croissance géométrique ou exponentielle, par opposition à la croissance arithmétique ou linéaire, se caractérise par un taux d’expansion constant. Or, François Meyer démontre, chiffres à l’appui, que le taux de croissance démographique mondial croît lui-même avec le temps, qu’il est donc surexponentiel, comme le taux de croissance technologique depuis la préhistoire, comme est surexponentiel  le taux de croissance de céphalisation dans le passé lointain des vertébrés et, finalement, comme le taux de croissance de l’Evolution elle-même. Quand je dis chiffres à l’appui, je fais référence à tout un appareil mathématique que maîtrise cet auteur dont les développements sont ornés d’équations et de courbes semilogarithmiques.

François Meyer estime que les retards systématiques de prévisions démographiques de l’ONU s’expliquent par le recours à un modèle exponentiel alors que la population mondiale obéit à une logique surexponentielle.

François Meyer est-il le seul auteur à défendre cette idée de surexponentielle, notamment en démographie ?

Non. Elle fut défendue, dans les années 1950, par le géologue français André Cailleux et par le biologiste britannique Julian Huxley, dans les années 1960, par le biophysicien américain Heinz von Foerster et, depuis lors, par d’autres auteurs qui se situent tous, il est vrai, en marge de la doctine dominante en démographie.

Mais, tout compte fait, quel est l’intérêt de trancher entre croissance exponentielle et surexponentielle ? Dans les deux la croissance est importante.

C’est juste, mais les limites sont atteinte beaucoup plus vite en cas de croissance surexponentielle. Au diagnostic d’urgence du Rapport Meadows, François Meyer et les tenants de la surexponentielle opposent un diagnostic d’imminence.

Laissez-moi vous lire quelques passages de La surchauffe de la croissance qui illustrent ce changement : « La suraccélération à laquelle est soumise aujourd’hui la masse humaine, tant dans sa dimension démographique que dans sa dimension technologique, n’est autre que l’effet de la dynamique d’évolution qui la travaille depuis des millénaires. Bien plus, l’espèce humaine est l’aboutissement d’une logique dynamique à la mesure de l’évolution de la vie et des temps géologiques. L’intense vibration qui secoue notre époque n’est rien de plus, mais rien de moins, que le sommet d’une vague issue des origines et qui, traînant d’abord infiniment sa lenteur, s’enfle et se cabre. C’est ainsi toute la dynamique évolutive qui pèse sur le point aujourd’hui atteint par l’aventure des vivants. Cette situation qui est la nôtre est à la fois unique dans les annales de la vie, et cependant inscrite depuis toujours dans la logique de son histoire »…

« La dynamique démographique qui, rappelons-le, a son origine bien au-delà de ces 300 dernières années, puisqu’elle plonge ses racines dans la préhistoire de l’espèce, porte en elle une pente paradoxale qui la précipite vers une limite mathématique qui est aussi la limite absolue de toute possibilité physique : l’espace nul. En 50 ans.

Il s’agit là d’une extrapolation absurde. Mais, comme dans le cas bien connu des logiciens de la preuve par l’absurde, elle entraîne d’elle-même et nécessairement une prévision par l’absurde : la seule anticipation recevable est que, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, la dynamique démographique doit connaître une violente décélération. La suraccélération constatée depuis les origines ne peut qu’accuser, dans de très brefs délais, un rebroussement, une inversion dynamique d’une extrême violence. C’est dire que la dynamique millénaire de suraccélération conduit brusquement le système à l’échéance antithétique d’une surdécélération drastique, et cela en situation d’urgence extrême.

Deux conséquences en découlent. C’est d’abord que la masse humaine, dans sa démographie, va subir les effets d’un coup de frein violent, un bouleversement qui n’est rien d’autre que l’inversement radical du sens de toute son histoire. C’est ensuite que ce bouleversement ne se situe pas dans un avenir indéfini qui laisserait tout loisir à la réflexion et à la controverse académique, mais dans le très petit nombre de dizaines d’années qui s’annoncent. »

« De quelque façon qu’on prenne les choses, il faut se faire à l’idée de l’imminence d’un événement dont nul ne saurait sans prétention dérisoire mesurer l’impact. Si cette imminence n’est pas celle de la catastrophe, elle est celle d’un avènement historique dont la nature et l’ordre de grandeur nous échappent encore. Mais quelle que soit l’ignorance où nous sommes des modalités de l’événement, il nous reste à coup sûr la certitude de son imminence. »

Pour l’illustrer cette échéance, je citerai un article de von Foerster paru dans la prestigieuse revue Science en novembre 1960. « Vendredi 13 novembre 2026. A cette date, la population humaine se rapprochera de l'infini si elle se développe comme elle l'a cultivé dans les deux derniers millénaires ».

Mais, de nos jours peut-on encore croire que la démographie mondiale est surexponentielle ? D’ailleurs François Meyer ne conjecturait-il pas dans ce livre que l’humanité compterait 7 milliards d’humains en l’an 2000 ? Or ce chiffre n’a été atteint qu’en 2011.

Vous avez raison. Dans un article intitulé “Une démographie paradoxale“, publié en 1994 dans la revue Stratégies Energétiques, Biosphère et Société (SEBES), revue éditée à Genève, François Meyer reconnaît une récente inflexion dans la surexponentielle démographique à l’échelle mondiale, sans pour autant y voir une infirmation de son modèle :

« Il fallait donc reconnaître à la fois la croissance hyperbolique de la population et la nécessité de la voir un jour ou l’autre quitter sa trajectoire. Or c’est ce qui s’est passé, nous le savons maintenant. C’est précisément dans les toutes premières années de la décade soixante-dix que le taux de croissance commence à décroître. Insensiblement la courbe se détache de l’hyperbole… Cependant ce ralentissement n’a rien à voir avec la soft regulation de la loi logistique. »

Il n’en reste pas moins que les perspectives que nous dévoile François Meyer sont bien sombres. Mais rassurez-nous ! Il y a bien une voie de salut pour l’humanité. Quelle est-elle ?

Vous avez raison. Il y a bien une solution de rechange théoriquement possible, à savoir une reconversion massive et rapide de l’humanité hors de la civilisation industrielle, reconversion qui exige une stratégie mondiale mobilisatrice.

F.M. « Il s’agit de proclamer un état de salut public international, avec toutes ses conséquences quant au freinage des finalités orientées vers la « consommation » des pays développés. C’est là ce qu’il doit en coûter à la « civilisation » industrielle, et on peut se poser la question de savoir si les pays développés sont prêts pour cette oblation. Est-on prêt à payer la survie pure et simple de la masse mondiale au prix d’une reconversion si radicale opérée en dix ou vingt ans ? L’inertie dynamique du système autorise-t-elle un virage si serré, et pris à pleine vitesse ?

Rupture donc du système planétaire selon le modèle du MIT, ou bien virage négocié en catastrophe, telle est l’alternative. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est à l’échéance d’un petit nombre d’années que l’événement doit se produire. Son imminence est inscrite dans les faits. »

Parfois, François Meyer se prend-il à espérer que cet événement pourrait être l’avènement de quelque chose qui consacrerait un grand relais de l’histoire elle-même.

Toutefois, force est de constater que l’opinion publique est loin d’être prête à envisager un tel virage. D’ailleurs, les experts des diverses instances scientifiques ou politiques, nationales ou internationales, ne sont nullement prêts à cautionner pareille mutation, prisonniers qu’ils sont d’une immense machine informationnelle qui rejette tout ce qui n’est pas conforme à sa logique. L’idéologie dominante de la croissance indéfinie formate l’information pour la rendre politiquement acceptable, ce qui ne manque pas d’occulter la réalité.

Je le cite à mouveau.« Peut-être en fait l’alternative de la régulation et (ou) de la rupture n’est-elle qu’une fausse alternative puisque, en tout état de cause, il semble bien que l’avènement majeur ne puisse aller sans des ruptures multiples et radicales. Sa condition nécessaire, c’est sans doute la fusion, par surchauffe, des structures traditionnelles, avec tout ce que cela comporte. L’hypothèse de la régulation doit être, pour une part difficile à évaluer, au moins quasi cataclysmique pour toutes les structures économiques, sociales, politiques, culturelles et mentales qui définissent aujourd’hui notre être même. »

Au fond, cet auteur n’est-il pas un prophète de malheur ?

R. Vous avez peut-être raison. Voici d’ailleurs les dernières lignes de son livre : « Tandis que nous discourons, les choses vont leur train. Plaise à Dieu que ce ne soit pas un train d’enfer. »

Bibliographie sommaire

-  François Meyer, “Une démographie paradoxale“, in Stratégies Energétiques, Biophère & Société (SEBES), 1994, p. 17 à 21.

-  Collectif, Hommage à François Meyer, Publications de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1983, 169 pages.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 23 avril 2017 10:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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