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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Réforme ou illusion ? Une analyse des interventions de l'État québécois
dans le domaine de la santé
(1977)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc Renaud, “Réforme ou illusion ? Une analyse des interventions de l'État québécois dans le domaine de la santé”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 9, no 1, avril 1977, pp. 127-152. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation de l'auteur accordée le 7 mai 2006.]

Introduction *
 

Un curieux phénomène s'est produit au Québec au cours de la dernière décennie. Des interventions de l'État visant à résoudre une multitude de « problèmes » et de « crises » sociales ont donné lieu à des espoirs et des réorganisations sans précédent au Canada. Ces réformes, toutefois, ont très souvent exacerbé les « problèmes » et les « crises » qu'elles devaient résoudre. 

Dans toutes les provinces canadiennes, depuis le milieu des années 1950, les dépenses publiques, le nombre et les types d'interventions des gouvernements provinciaux ont progressé de façon à peu près comparable. Mais, au Québec, cette expansion de l'État fut accompagnée d'une telle rhétorique social-démocrate, de la promulgation d'objectifs réformistes d'une telle ampleur et d'un tel autoritarisme législatif, que les interventions du gouvernement québécois sont perçues par plusieurs comme étant uniques au Canada. Et pourtant, dans la plupart des cas, les résultats tangibles des réformes québécoises ne différent pas de ceux qui furent obtenus ailleurs. Malgré la proclamation d'objectifs beaucoup plus fondamentaux et en dépit de l'utilisation beaucoup plus systématique des pouvoirs étatiques de réorganisation et de coercition, les réformes initiées par le gouvernement québécois sont souvent ni plus (et ni moins) importantes et profondes que celles introduites dans les autres provinces canadiennes. En réalité, c'est davantage un style de gestion ou de prévention des « crises » ou, en d'autres mots, une stratégie de réforme, qui est particulier au Québec, non les changements eux-mêmes. 

Les principales réformes, au cours de ce qui fut appelé la « Révolution tranquille », ont presque toutes suivi le même cheminement et reflété la même stratégie de réforme. Dans un premier temps, pour faire face à des malaises sociaux évidents ou à de fortes pressions populaires, le gouvernement québécois a presque toujours suscité les attentes et les espoirs les plus grands. Ainsi, contrairement a ce qui se produit dans les autres provinces, des commissions d'enquête ou d'autres agents de formulation de politiques ont élaboré - et souvent avec suffisamment de détails pour être convaincants - des politiques axées sur les grands idéaux socio-démocratiques de notre époque : égalité des opportunités, défense du patrimoine, propriété collective des ressources naturelles, démocratisation de l'éducation, participation décisionnelle et consultative des citoyens et des travailleurs, décentralisation et régionalisation des pouvoirs de décision, médecine globale, etc. 

Dans un second temps, une fois les politiques formulées et les attentes créées, le gouvernement introduit, à une vitesse foudroyante, des réorganisations globales très ambitieuses en utilisant presque uniquement son pouvoir de coercition législatif, sans débat public prolongé, expérience pilote ou autres procédures de changement graduel. Ici encore, on constate un style de gestion politique radicalement différent des provinces anglophones ou expériences pilotes et autres procédures ad hoc (« muddling through procedures ») sont privilégiées. 

Dans un troisième temps, quelques années plus tard, on découvre que ces réformes sont des échecs, non seulement parce qu'elles apportent peu de solutions concrètes aux problèmes sociaux qu'elles promettaient de résoudre, mais aussi parce qu'elles sont très éloignées des idéaux socio-démocratiques qu'elles devaient atteindre. L'écart souvent gigantesque entre les idéaux et les objectifs mis de l'avant et leur opérationnalisation concrète constitue ainsi le ferment d'une nouvelle série de « crises » de plus en plus compliquées dans le futur. 

Ce phénomène se produisit pour les réformes de l'éducation et de l'économie dans les années 1960 et le même processus se déroule, depuis 1970, dans ce qu'il est convenu d'appeler le « secteur de la santé ». 

Dans le domaine de la santé, ce furent les rapports de la Commission Castonguay-Nepveu qui d'abord suscitèrent attentes et espoirs. En exigeant la création d'une nouvelle médecine, la cogestion des organisations de soins par les usagers et les travailleurs, la décentralisation du processus de décision et une certaine égalisation du statut des « professionnels » de la santé, on promettait de rationaliser et de démocratiser en profondeur le secteur de la santé et, en définitive, d'améliorer l'état de santé de la population. Suite aux recommandations de cette Commission, après que le plan d'assurance-maladie obligatoire et universelle eut été adopté en 1970, le gouvernement légiféra, en moins de quatre ans, des réformes dans le domaine des professions, de l'organisation des soins et de l'administration des services de santé sur une échelle, sur papier, sans parallèle en Amérique du Nord. Mais, entre les recommandations d'une Commission d'enquête, les textes de lois, et leur application concrète, peuvent se glisser des déviations et des récupérations qui sont la négation même des idéaux initialement prônés. C'est, comme nous le verrons, largement ce qui s'est produit. Les apparences du changement constituent le meilleur masque pour la perpétuation du statu quo. En fait, malgré tous les discours, les réformes québécoises ne dépassèrent guère en importance les changements introduits dans les autres provinces, souvent par des méthodes moins autoritaires et avec des objectifs moins ambitieux qu'au Québec. 

Dans cet article, nous ferons d'abord un survol historique de l'évolution du secteur de la santé au Québec jusqu'en 1970. Puis, nous verrons qu'au-delà de sa volonté de rationalisation bureaucratique, la Commission Castonguay-Nepveu promettait une réforme en profondeur, une véritable réforme « révolutionnaire » - pour employer l'expression d'André Gorz [1] - du secteur de la santé au Québec. Ensuite, nous décrirons brièvement la réforme telle qu'elle apparaît dans les textes de lois. Enfin, nous tenterons un premier bilan, qui indique un décalage substantiel entre les idéaux proclamés et la réalité, entre ce qui fut promis et ce qui fut fait, et une grande similitude entre les réformes québécoises et celles introduites ailleurs. 

Si cette description est juste, deux questions analytiques en découlent. Premièrement, comment se fait-il qu'au Québec, contrairement aux autres provinces, des idéaux socio-démocratiques soient constamment mis de l'avant et que l'État essaie de les atteindre en utilisant au maximum son pouvoir de coercition législatif ?. Après avoir examiné les différentes réponses possibles, nous concluerons que cette situation renvoie aux caractéristiques propres aux rapports de classes au Québec. La deuxième question est de savoir pourquoi ces idéaux ne furent pas atteints même si, en apparence, l'État les soutenait. Nous soutiendrons ici l'hypothèse que des contraintes structurelles empêchent l'État dans une société capitaliste d'agir dans une direction « révolutionnaire ».


* Cet article est une version résumée et désespérément simplifiée d'une thèse de doctorat (The Political Economy of the Quebec State Interventions in Health : Reform or Revolution ?, University of Wisconsin, Madison, 1976) à être publiée sous peu. Trop de personnes m'ont fourni des renseignements ou m'ont fait des commentaires à propos de ma thèse pour que je puisse tous les remercier ici. Je voudrais toutefois remercier mes collègues Paul Bernard, Luciano Bozzini et Jacques Dofny pour leurs critiques sur la première version de cet article. Comme je n'ai pas toujours pris en considération leurs critiques sévères, ils peuvent avoir bonne conscience d'être en désaccord.

[1] André Gorz, Stratégie ouvrière et néo-capitalisme, Paris, Seuil, 1964.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 24 février 2007 10:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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