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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'André Raynauld, “Recherches économiques récentes sur la province de Québec”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 3, no 1-2, janvier-août 1962, pp. 55-74. Québec: Les Presses de l’Université Laval. [Avec l’autorisation formelle de M. André Raynauld, économiste, professeur retraité de l’Université de Montréal, accordée mercredi le 15 septembre 2004].

[55]

Situation de la recherche sur le Canada français
I. Perspectives historiques

André Raynauld

Département de science économique,
Université de Montréal

Recherches économique récentes
sur la Province de Québec.


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'André Raynauld, “
Recherches économiques récentes sur la province de Québec”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 3, no 1-2, janvier-août 1962, pp. 55-74. Québec: Les Presses de l’Université Laval. [Avec l’autorisation formelle de M. André Raynauld, économiste, professeur retraité de l’Université de Montréal, accordée mercredi le 15 septembre 2004].

1. Développement économique
2. Finances publiques
3. Programme de travail
Bibliographie

Commentaire, par M. Charles Lemelin.


Comme la Faculté des sciences sociales de Laval semble vouloir établir une tradition de colloques décennaux, j'ai choisi de limiter mes observations aux travaux qui ont été entrepris depuis dix ans. Et puisque le choix des études sur lesquelles je vais m'arrêter est un peu arbitraire, autant le définir dès le début : j'exclurai donc de mon sujet, parce que traitées ailleurs, les études portant sur les occupations, sur des industries particulières et les études régionales, non sans retenir, toutefois, parmi ces dernières, les études portant sur le Québec (!).


1. Développement économique

Si je repousse de quelques paragraphes la discussion sur le cas particulier des recherches associées à la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, j'observe d'abord que toute la littérature a porté sur le même thème, depuis dix ans, parmi les économistes. On est particulièrement frappé par ce phénomène quand on relit d'un coup l'ensemble des publications comme j'ai dû le faire. Ce thème consiste dans « le retard de croissance » de la province de Québec. Le problème a été formulé de plusieurs façons différentes ; il a été mesuré, évalué, ajusté à maintes reprises. Mais il apparaît sous le même jour, que ce soit dans les études relatives aux différences inter-provinciales de revenus et de salaires, aux différences de structure industrielle ou que ce soit dans les études sur l'emploi et le chômage. La préoccupation est partout identique, à savoir : comment expliquer que le niveau de développement du Québec soit inférieur à celui de l'Ontario.

On nous avait pendant longtemps accoutumés à donner trois réponses à cette question, réponses qui, avec le poids du temps, sont devenues des stéréotypes : l° le déterminisme historique ; 2° le déterminisme géographique ; 3° le déterminisme, j'oserais dire, du système des valeurs du Canadien français. Ces trois catégories d'explication contiennent une certaine dose de fatalisme et d'irréversibilité. Dans le cas des valeurs, on a voulu rationaliser et justifier l'état de fait en faisant appel à des valeurs supérieures. [1]

Dans leur magistrale semonce, ici même il y a dix ans, messieurs Lamontagne et Faucher ont dénoncé les trois systèmes d'explications à la fois. Ils ont soutenu que les valeurs et la culture n'avaient rien à voir à l'état de développement économique de la province de Québec ; et ils ont montré, ce qui me paraît la partie la plus indiscutable de leur thèse, que la géographie et l'histoire, bien loin de sauver un peuple pour toujours ou de le condamner irrémédiablement, exercent sur l'avenir une influence dont la nature peut complètement changer suivant des circonstances plus fondamentales encore. Si le Québec apparaît comme une zone excentrique située hors des courants d'échange du continent, ce fait, en lui-même, n'est pas une réponse ; il est encore une question puisque, autrefois, le Québec n'était pas seulement le centre ou le cœur de l'activité économique, il en constituait le tout.

Messieurs Lamontagne et Faucher, dans leur approche « continentale » selon leur expression, ont établi que le facteur essentiel d'explication résidait dans le caractère favorable ou défavorable du rapport entre la nature et l'évolution de la demande mondiale d'un côté et le pattern domestique des ressources de l'autre. La composition de la demande mondiale évolue à son tour suivant les changements de goûts des consommateurs et surtout suivant les changements de la technologie. Cet ordre d'explication exclut la prédétermination du destin des peuples. Il remplace avantageusement, à notre avis, les types de réponses que nous trouvions jusque-là au problème du développement économique de la province de Québec.

Ceci dit, la façon dont le modèle général a été appliqué à l'évolution économique du Québec se révèle peut-être un peu rapide en ce qui concerne notamment la première vague d'industrialisation de la province au cours de la période 1896-1914. Reconnaissons d'abord à la suite de nos auteurs que la conjoncture mondiale n'a pas été favorable à la province de Québec pendant la seconde moitié du XIXe siècle parce que la technologie dominante de l'époque reposait sur des ressources qui étaient rares ou inexistantes dans la province. Il est cependant nécessaire d'ajouter au tableau que, de 1860 à 1890, le monde entier s'est trouvé dans un mouvement conjoncturel long à la baisse ; puis, que le Canada a découvert dans l'élargissement de son marché domestique un substitut à la maladaptation du pattern des ressources à la demande mondiale de l'époque. La spectaculaire mise en chantier de l'Ouest a été, pour le Québec, un vigoureux foyer de croissance pendant quinze ans. Si, enfin, on verse au dossier la Politique Nationale de 1879, qui protégeait les industries de transformation légère et invitait les investissements étrangers, on enrichit considérablement il me semble, le modèle de MM. Lamontagne et Faucher et on explique du même Coup, non seulement la décadence du Québec au XIXe siècle, mais aussi le démarrage accéléré du début du XXe siècle, qui est un fait indiscutable. En ce qui concerne l'industrialisation récente, le modèle s'applique intégralement. On observe en effet depuis 1935, par contraste avec l'industrialisation légère d'avant 1914, une réorientation évidente de l'économie vers une exploitation plus intensive des ressources naturelles à l'intention du marché mondial. La demande mondiale est de nouveau favorable par rapport au pattern des ressources de la province.

Mais peut-on exclure tout-à-fait les facteurs culturels ou ethniques ? John Dales, dans un chapitre de l'ouvrage intitule La dualité canadienne, nous invite à réintroduire les facteurs culturels dans l'analyse. La voie par laquelle l'auteur nous y amène est cependant tortueuse pour dire le moins. Il n'est pas sûr que ce ne soit plutôt un cul-de-sac. Selon John Dales, l'importance globale et la composition de l'industrie manufacturière se distinguent de celles de l'Ontario par des différences dans les facteurs déterminants. Or. il existe deux seules catégories de facteurs qui diffèrent ainsi entre les deux provinces : les ressources naturelles et la culture. Si, donc, on pouvait attribuer aux ressources naturelles toutes les différences observées dans les manufactures, les explications culturelles seraient inutiles ; dans le cas contraire, elles seraient indispensables. Dans les faits, il arrive que les ressources naturelles n'expliquent pas tout. Et même qu'elles expliquent fort peu, soit entre 5 et 14% du retard du Québec dans l'industrie manufacturière. L'auteur tire donc ses conclusions : « This suggests that the resource hypothesis is inadequate, and that the major explanation of the differences in industrial development between Quebec and Ontario ... are to be found in ... cultural differences ». [2] La phrase qui suit cette citation est: « So much for logic ». Je confesse que cette logique me paraît un peu courte. Acceptons un moment cette classification. Nous devons alors inclure parmi les facteurs culturels tout ce que l'économiste consomme à chaque jour : les proportions de facteurs dans les fonctions de production et le rendement du capital, notamment. Et c'est bien ce que M. Dales entend que nous fassions. Il se place à un tel niveau d'analyse que même l'abondance de la main-d'œuvre eu égard au capital dans le Québec ne constitue pour lui qu'une autre manière de poser la même question : pourquoi, dans ce cas, rétorque-t-il, le capital n'a-t-il pas augmenté plus vite ? Le marché est trop limité ? Pourquoi ce marché n'est-il pas plus large ? En effet, pourquoi la population du Québec n'est-elle pas aussi élevée qu'aux États-Unis ? L'économiste n'aurait-il donc aucune contribution utile à apporter dans l'explication du niveau de développement d'un pays, et du type ou de la structure de son industrialisation ? Le malheur, c'est que l'économiste, même quand il partage ces vues, essaie quand même de poursuivre l'analyse. Comme pour M. Dales aucune raison valable ne peut justifier que la population totale du Québec soit inférieure à celle de l'Ontario, qu'aucune raison ne peut justifier que le nombre absolu de la main-d'œuvre soit moins élevé, que l'importance de l'industrie manufacturière se confond entièrement avec le niveau du développement et du standard de vie, il se donne pour objet de comparer et bien sûr d'expliquer (en dépit des dénégations de l'auteur) pourquoi on trouve 180,000 employés des manufactures de moins dans le Québec que dans l'Ontario en 1952. Poser ainsi le problème, et cette fois je reconnais la stricte logique de l'auteur, c'est, au départ, refuser de chercher des explications d'ordre économique.

Quant aux comparaisons inter-provinciales des industries, une à une ou groupe par groupe, comme si chaque industrie devait avoir la même importance absolue ou relative, dans les deux provinces, je n'ai jamais décelé d'autre raison que la « raison du cœur » pour s'y arrêter. M. Bonin, dans un article intitulé « La répartition régionale des investissements depuis la guerre », procède ainsi en 1960. Bien au contraire, à mon avis, si la structure économique des deux provinces doit refléter le pattern des ressources (mais pas seulement des ressources naturelles cette fois), elle doit être très différente. Non seulement l'importance relative des industries doit différer, mais les proportions des facteurs utilisés dans chaque industrie et dans chaque entreprise fabriquant le même produit doivent différer entre les deux provinces. Alors à quoi bon, dans ces conditions, observer les « déficiences » de l'investissement ou de la production dans la sidérurgie ou la fabrication des outils ? Ces soi-disant déficiences sont celles qu'une politique rationnelle devrait susciter et encourager. C'est par la spécialisation et non par l'imitation qu'un pays ou une région se développe.

Si on ne peut sans difficulté expliquer le niveau de développement du Québec à partir de l'importance globale ou de la composition du secteur manufacturier, comment, donc, aborder l'étude du problème ? Plusieurs auteurs l'ont fait par le biais des niveaux de revenus et des salaires. Messieurs Angers, Harvey et Parenteau, dans des articles cités à la fin de cet exposé, représentent ce courant. Les arguments invoqués sont à peu près les mêmes. La structure industrielle, plutôt que d'être le phénomène à expliquer, devient un facteur explicatif des bas salaires du Québec, du moins chez Angers et Harvey. La raison en serait que les taux de salaires se fixent par référence « au salaire moyen du milieu » et que, par suite, les industries à bas salaires exercent une pression sur l'ensemble des salaires. Nous retrouvons aussi chez Angers, chez Parenteau et chez Harvey le facteur géographique dont nous avons précédemment disposé ; un autre facteur revient chez Angers et Harvey : c'est celui des différences de revenus entre les milieux urbains et les milieux ruraux. Puisque la population urbaine est relativement plus élevée en Ontario, les revenus moyens doivent être plus élevés. Mais, bien sûr, les auteurs n'ont pas voulu citer ces rapports statistiques à titre d'explication proprement dite puisqu'à ce compte-là, les revenus moyens de la province devraient être plus élevés que ceux du Canada tout entier. Enfin, Harvey et surtout Parenteau invoquent à bon droit des facteurs démographiques pour expliquer l'excédent chronique de main-d'œuvre dans la province. Mais, ni les taux de fécondité, seuls, ni la structure des âges de la main-d'œuvre, ni la main-d'œuvre féminine n'expliquent entièrement les différences régionales dans les faux de salaires ou les revenus. Henripin a estimé par exemple que l'âge et la main-d'œuvre féminine n'affectent les revenus moyens que dans une proportion de 4% a 5%. [3] Reliée à ces questions, se trouve celle de la mobilité de la main-d'œuvre que P. Harvey a brillamment illustrée grâce à ses calculs des taux régionaux de chômage et aux implications importantes qu'il a dégagées quant à la politique économique visant au plein emploi.

À ce stade des recherches sur le développement économique du Québec, il me paraît un peu illusoire de rechercher des causes particulières qui contribueraient à x pour cent des différences observées. C'est plutôt dans une dynamique du développement que nous identifierons suffisamment les facteurs-clefs de la croissance au Québec pour pouvoir établir les priorités que doit observer une politique économique efficace. À cet égard, mais à simple titre d'exemple, je serais porté à me tourner vers l'agriculture pour résoudre les surplus de main-d'œuvre de l'industrie manufacturière. Peut-être les modèles classiques de développement s'appliquent-ils au Québec ? Quand l'offre globale de travail est parfaitement élastique, Lewis a en effet montré que c'est dans le secteur de subsistance, soit dans l'agriculture, que la productivité doit d'abord être accrue pour affecter le surplus technique ou l'accumulation du capital, puis le prix d'offre du travail dans le secteur industriel.

Je ne saurais laisser ce sujet sans commenter brièvement un article que M. J.-C. McGee a publié en 1950 sur la production de la province. Sans visiblement ne rien connaître des tableaux économiques, M. McGee a tenté d'en construire un sur la base des données du Recensement de 1941. Les liens interindustriels sont mesures par l'emploi et des estimations sont présentées sur les importations en provenance des autres provinces et de l'étranger. Les secteurs utilisés sont au nombre de 7. On peut avoir une idée de la démarche par les résultats obtenus :

« Sur les 27.6% de la population active engagée dans les manufactures, 7.6% dépend de matières premières importées ; 9.3% de produits miniers ; 4.8% de produits forestiers et 3.4% de produits agricoles. »

Si je pense à l'ensemble de la population active, la répartition finale est la suivante :

« 38.7% de la population active de la province dépend de l'industrie agricole ; 20.8% de l'industrie minière ; 17.3% de l'industrie forestière ; 12.6% d'industries important leurs matières premières. »

L'intérêt de cet article ne réside évidemment pas dans les résultats. Ils sont faux, c'est certain. Mais pour gratuit et vain qu'il fut, cet effort témoigne quand même de la justesse des préoccupations ; c'est un essai valeureux qu'il faut retenir dans notre petite histoire de la pensée.


2. Finances publiques

Quoique les finances publiques et les questions de centralisation et d'autonomie n'aient jamais longtemps retenu mon attention, on ne me pardonnerait pas de passer sous silence dans une circonstance comme celle-ci, les travaux considérables qui ont été effectués sur la province de Québec par la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels. Il m'est pourtant impossible de faire pleinement justice aux auteurs (et à moi-même) dans le cadre étroit de cet exposé.

À s'en tenir à une conception restrictive des problèmes d'ordre économique, on peut limiter le compte rendu aux références suivantes. Du rapport proprement dit de la Commission : la 2e partie, où on fait un examen statistique des finances publiques de la province ; le chapitre 9 de la 4e partie, qui comprend une critique de la thèse « centraliste » en matière économique, sociale et fiscale ; le chapitre 11 de la 5e partie, où on trouve un estimé détaillé des besoins financiers du Québec ; enfin, les recommandations sur le partage des ressources fiscales. Parmi les annexes, citons l'excellente histoire de la pensée dans le domaine des finances publiques de M. Angers (annexe n° 5), l'étude remarquable de M. Parenteau sur l'inégalité des provinces (annexe n° 8) et enfin l'annexe II, sur la centralisation.

Je limiterai mes commentaires aux principales recommandations. Sur le fond du problème, je le dis tout net : les recommandations de la Commission royale Tremblay ne peuvent être acceptées parce qu'elles procèdent d'une fausse notion de la réalité sociale et économique. J'en appelle notamment aux deux premières recommandations : la première consiste à fixer, par entente entre les gouvernements, la limite maximum de l'impôt global en termes d'un pourcentage du produit national (qui soit le plus faible possible) en vue de sauvegarder la liberté du citoyen. La deuxième recommandation est de régler le partage des impôts directs suivant une estimation des besoins fiscaux qui corresponde exactement aux fonctions respectives des divers gouvernements, telles que la Constitution les définit. Dans ces deux cas, la réalité sociale est perçue, au pire, comme fixée pour jamais à un moment donné du temps en fonction « d'un ordre transcendant », au mieux comme si les besoins évoluaient suivant un rapport stable, unique et prédéterminé avec des fonctions sociales préalablement reparties entre les divers niveaux de gouvernements. Sur le plan technique, cette position équivaut à dire que quels que soient les changements dans les fonctions assumées par les divers gouvernements, on ne devra jamais envisager de passer d'une catégorie d'impôts (directs ou indirects) à l'autre. On en arrive à la conclusion absurde que ce sont les fonctions qui doivent s'adapter aux diverses catégories disponibles d'impôts et non l'inverse. Sur le plan technique encore, la solution n'atteint pas son but qui était de rendre les gouvernements provinciaux et fédéral autonomes dans l'exercice des fonctions qui leur sont respectivement dévolues par la Constitution. Si une fonction provinciale prend plus d'importance qu'une fonction fédérale, par exemple, il faudra que le fédéral abaisse ses propres impôts pour faire place aux dépenses provinciales, puisque l'impôt total est fixé à un pourcentage fixe du produit national.

La préoccupation philosophique d'ensemble qui préside à ces recommandations semble nettement abusive quand elle conduit à des distinctions aussi spécieuses que celle qui a été faite entre l'impôt direct et l'impôt indirect : l'impôt direct appartiendrait aux provinces parce qu'il touche les personnes et que la juridiction en matière culturelle et sociale incombe aux provinces ; pareillement, l'impôt indirect toucherait seulement « les biens et la circulation des biens », tendrait « à susciter des frontières à l'intérieur du pays », exercerait une influence plus directe et plus efficace sur la conjoncture économique et, pour ces raisons, devrait relever de la responsabilité du gouvernement fédéral.

Avant d'en terminer de ce sujet, j'ajouterai que je suis en parfait accord avec la troisième série de recommandations portant sur la participation des provinces à l'élaboration et à la mise en exécution de la politique économique qui est aujourd'hui réservée au Gouvernement fédéral.


3. Programme de travail

Quiconque dresse le bilan de la recherche économique sur la province de Québec constate, après une heure de travail, que rien n'a encore été fait. Les études individuelles que j'ai rapidement examinées ici portent toutes sur le même problème. C'en est quelque peu effarant quand on y songe. La pensée devrait au contraire s'exprimer dans une foule de voies différentes sur la base d'un matériel statistique et institutionnel varié et d'approches théoriques beaucoup plus diverses. Incidemment, le manque de travaux de recherche n'est pas entièrement dû à la déficience des statistiques. Ici de nouveau on a plutôt affaire à une certaine conception de la recherche. Je voudrais m'élever ici en particulier contre cette notion d'inventaire dont on nous accable constamment dans notre milieu. Cette façon de concevoir, je ne dirais pas la recherche, mais le travail, a causé, à mon avis, un gaspillage immense d'énergies. L'inventaire, comme on sait, consiste à réunir dans les mains de quelqu'un ou dans un ouvrage tout ce qu'on est censé savoir sur un sujet donné. Mais comme aucun ordre ne préside au choix des informations, ni du point de vue statistique ni du point de vue de l'analyse proprement dite, l'accumulation des matériaux ne fait jamais avancer le travail ultérieur. Je choisirai un exemple de ce fléau au Ministère du Travail à Ottawa. Il s'agit des taux de salaires qu'on recense depuis 60 ans, dans des milliers d'occupations différentes, mais avec lesquels personne jamais n'a pu construire de séries chronologiques d'un côté ni de comparaisons inter-industrielles de l'autre, parce qu'on n'a pas pondéré les occupations concernées.

Pour éviter à l'avenir de recueillir des informations inutiles et sans intérêt, je voudrais suggérer que dans le domaine économique, on subordonne toutes les computations statistiques à l'établissement d'une comptabilité nationale intégrée et consistante de l'ensemble des activités de la province. Dans cette perspective, on devrait s'atteler sans retard à la tache de construire des indices de prix qui reposent sur des pondérations provinciales et, par suite, sur des budgets spécifiques de consommation des personnes et des entreprises ; il faudrait en outre trouver moyen de mesurer les échanges de produits et de capitaux entre la province et l'extérieur, de même que les mouvements de population. La précaution essentielle étant toutefois de fixer avec le plus grand soin un seul système de concepts et de classifications, qui soit comparable autant que possible avec celui du Bureau fédéral de la statistique. Voilà ce qui me paraît le plus urgent dans le domaine de l'information.

Du côté de l'analyse au sens strict du mot, la province de Québec ne constitue pas nécessairement le meilleur champ d'expérimentation. Pour comprendre le fonctionnement d'une économie, les études anglaises, américaines, françaises ou africaines sont aussi importantes pour la connaissance du Québec que les travaux locaux. Sur ce plan, il faut sans cesse se rappeler la mise en garde d'Édouard Montpetit : « N'exagérons pas le milieusisme ». L'idéal est d'étudier les problèmes de la province de Québec, mais avec des méthodes et des outils d'analyse universels. D'où l'importance de prendre du recul parfois pour mieux connaître. Il suit que, sur ce plan, aucun sujet particulier de travail n'est de soi plus urgent qu'un autre. Cette fois-ci, il faut éviter de concentrer les efforts. Au contraire, ce dont nous avons le plus besoin au stade actuel, c'est de diversité, c'est d'imagination, c'est de perspectives et d'ouverture d'esprit dans toutes les directions imaginables. Il faut relire Veblen pour s'en convaincre au besoin et cultiver comme il dit l'idle curiosity des vieux jours.

Reste un dernier point. Celui de la politique économique qui nous ramène aux préoccupations du milieu. Dans ce secteur, comme dans celui de la statistique, la poursuite d'un seul objectif, suffisamment englobant, est préférable à la dispersion des travaux. Cet objectif, à mon avis, devrait être de préparer un plan quinquennal de développement économique. Une commission permanente d'experts devrait être chargée spécifiquement, d'ici 1965, de la mise en place des organes administratifs et du choix des méthodes suivant lesquelles les informations statistiques indispensables à un plan seront recueillies, classifiées et analysées. Pour être menée à bien sans gaspillage des ressources, cette tâche implique que la commission d'experts décidera, aussi avant 1965, des méthodes de programmation qui seront utilisées dans le plan lui-même et de tout l'appareil technique de préparation.

Une fois les méthodes choisies et les informations en mains, on devrait pouvoir se consacrer à la préparation immédiate du plan à partir de 1965 et le mettre en application pour célébrer le centenaire de la Confédération ! [4]

André RAYNAULD

Département de science économique,
Université de Montréal


Bibliographie
sur la structure et le développement  économiques
du Québec 1950-1962


A. Publications

ALLEN, P., Tableau de l'activité économique de la Province de Québec, annexe 9 au Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, 1955.

ANGERS, F.-A., « Progrès industriels du Québec », Actualité économique (A.É.), juil-sept. 1952, pp. 329-341.

BERGEVIN, M.-A., « Évolution de la structure de l'industrie au Canada », A.É., 1953-54, pp. 765-776.

BERGEVIN, M.-A., « Incidence du chômage sur les industries manufacturières », A.É., 1957-58, pp. 559-571.

BONIN, M.-B., « Répartition régionale des investissements depuis la guerre », A.É, janv.-mars 1960, pp. 566-596.

DALES, J. H., « A Comparison of Manufacturing Industry in Quebec and Ontario A, dans Mason Wade, éd., La dualité canadienne, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 1960, pp. 203-222.

DALES, J. H., Hydroelectricity and Industrial Development, Quebec 1808-1940, Harvard University Press, 1957, 269 p.

DUROCHER, René, « Pourquoi plus de faillites dans Québec que dans l'Ontario ? », A.É., 1950-51, pp. 705-748.

HARVEY, P., « Conjoncture et structures : les perspectives spatiales du plein-emploi au Canada », A.É., oct.-déc. 1956, pp. 383-405.

HARVEY, P., « Les salaires dans la province de Québec », A.É., juiI-sept. 1955, pp. 292-305.

HARVEY, P., « Plein-emploi national et plein-emploi régional au Canada depuis la guerre », A.É., 1956-57, pp. 5-26.

HARVEY, P., « The Economy of Quebec », University of Toronto Quarterly, XXVII, 3, April 1958.

LAMONTAGNE, Maurice, « The American Economic Impact on Quebec », dans Hugh G. J. AITKEN, et al., The American Economic Impact on Canada, Durham, N. C., Duke University Press, 1959, pp. 88-100.

LAMONTAGNE, Maurice, et FAUCHER, Albert, « History of Industrial Development », dans Jean-C. Falardeau, éd., Essais sur le Québec contemporain, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 1953, pp. 23-54.

McGEE, J.-C., « L'importance relative des industries de la province de Québec », A.É., oct.-déc. 1950, pp. 549-566.

MÉLANÇON, J., « Retard de croissance de l'entreprise canadienne-française », A.É., janv.-mars 1956, pp. 503-522.

OSTRY, Sylvia, « Inter-establishment Dispersion of Occupation Wage Rates, Ontario and Quebec, 1957 », Canadian Journal of Economics and Political Science, 26, 2, May 1960, pp. 277-288.

PARENTEAU, René, « Salaires différentiels », A.É., oct-déc. 1954, pp. 538-551.

PARIZEAU, Jacques, Commentaire sur « Les problèmes économiques de la province de Québec », A.É., oct.-déc. 1959, 486-492.

RAYNAULD, André, Croisrance et structure économiques de la province de Québec, Québec, Ministère de l'Industrie et du Commerce, 1961, 629 p.

RAYNAULD, André, « Les problèmes économiques de la province de Québec », A.É., oct.-déc. 1959, pp. 414-421.

B. Thèses non publiées de maîtrise en économique
(Université de Montréal)

 ARCHAMBAULT, Guy, Différentiation des salaires entre l'Ontario et le Québec, 1954 (R.I.).

MICHAUD, Laurent, L'influence du travail et du capital sur la production au Québec et au Canada, 1933-1957, 1948-1957, 1961.

RIVARD, J.-Y., La Politique Nationale et le développement industriel du Québec 1879-1910. Les effets de la politique tarifaire, 1960.

TUCHMAIER, D., Analyse structurelle de l'économie de la province de Québec, 1961.



Commentaire

Charles LEMELIN

Département d'économique, Université Laval.

Lorsque les organisateurs du présent colloque m'ont invité à commenter la communication de monsieur Raynald, ma première réaction a été de répondre : « Suis-je responsable de mon frère ? » Une telle réponse eût contribué é perpétuer la fausse impression que les théoriciens ne consentent pas à sortir de leur tour d'ivoire.

Je voudrais justement montrer aujourd'hui que les théoriciens ont un rôle complémentaire mais essentiel à jouer dans la recherche empirique, que cette collaboration entre les économistes ingénieurs et les économistes théoriciens est devenue une nécessité cruciale dans le milieu québécois. Avant d'aller plus loin, je voudrais vous soumettre quelques distinctions.

Les problèmes que je soulèverai ne concernent pas la recherche à contenu économique mais qui s'inspire d'un modèle relevant d'une discipline autre que la théorie économique. Exemples : l'enquête sur les budgets familiaux patronnée par les Caisses Desjardins, l'étude de monsieur Guy Rocher sur les occupations, les études de monsieur Gérald Fortin sur les milieux agricoles.

Deuxième distinction : beaucoup d'études empiriques consistent à traiter un contenu économique quantitatif suivant les méthodes de l'analyse statistique, soit pour établir une taxonomie ou systématique des faits, soit pour défendre une thèse quelconque. Ce genre d'étude fera l'objet de quelques remarques, mais ce n'est pas sur ce plan que porte l'essentiel de ma contribution.

Ma discussion a trait à la recherche empirique dont le contenu est économique et qui s'appuie sur un modèle de théorie économique, modèle d'allocation des ressources, modèle relié aux problèmes de la stabilité économique, de l'emploi, de l'inflation, etc., modèle de croissance, modèle de développement, modèle relatif aux structures industrielles et à leur évolution.

Une autre clarification s'impose par rapport à ce type spécifique de recherche économique. Et il faut la faire du point de vue de la profession d'économiste. Un économiste professionnel a une façon à lui de penser, qui s'inspire des schémas propres à ses théories. Devant une situation concrète, ses antennes sont orientées d'une façon particulière, ce qui fait que ses intuitions diffèrent de celles d'un spécialiste d'une autre discipline. Un tel spécialiste peut évidemment faire des options personnelles, être même politicien. Il peut agir comme conseiller des politiciens. Il peut choisir soit de former, soit d'éclairer l'opinion publique. Enfin, il peut s'adonner à la recherche. C'est sur ce dernier plan uniquement que j'entends le juger. Comme chercheur, l'économiste pourra faire des études empiriques soit à la manière de l'historien ou du journaliste, soit à la manière du statisticien, soit à la manière de l'économètre. Tous quatre font, chacun suivant sa méthode, de la recherche économique authentique dès que le modèle dont ils s'inspirent est un modèle économique. Car, à mon sens, c'est la nature du modèle choisi qui spécifie une recherche empirique. Me permettez-vous d'ajouter que l'économiste statisticien peut se contenter de harnacher les données quantitatives pour les apprêter, grand style, à une sauce d'économiste. L'économètre, au contraire, accepte par définition de quantifier son modèle théorique, de donner à l'ossature de son modèle un revêtement empirique. L'économètre établit littéralement les ponts entre le modèle abstrait et la réalité.

Encore une fois l'historien économiste, le statisticien économiste, l'économètre, pour autant qu'ils s'inspirent de l'économique, font tous trois œuvre de recherche économique empirique au sens précis où j'entends le terme.

Ces distinctions étant faites, voici ma position vis-à-vis la question posée au début.

Je soumets que l'état des recherches empiriques véritablement économiques a été, jusqu'à tres récemment, pitoyable. J'entends la recherche organisée systématiquement... et continue. Sans doute qu'on pourrait établir un catalogue intéressant des contributions individuelles, isolées et portant sur des questions parcellaires. Sans doute aussi que le groupe des chercheurs parmi les économistes canadiens-français a vécu des moments où la conjoncture était favorable. Je pense en particulier à l'équipe Minville et aux Études sur notre milieu. [5] Je pense à la Commission royale Tremblay et aux études qu'elle a suscitées. [6] Pourquoi ces efforts sont-ils restés sans lendemain? Pour une multitude de raisons. Je voudrais en souligner une, aussi importante que chacune des autres parce qu'elle concerne les chercheurs eux-mêmes. Ces recherches sont restées sans lendemain parce que trop des auteurs dans l'équipe n'ont pas su se détacher d'un nationalisme trop immédiat, trop particulier. La recherche a besoin de respirer à l'aise pour vivre et pour être féconde.

Que dire maintenant de ce que j'appellerai, sans ironie, la recherche économique « nouvelle vague » ?

Dans le Québec, la conjoncture est plus favorable que jamais à la recherche économique. Le public manifeste sans équivoque le besoin d'être éclairé sur les questions économiques. Les gouvernants sont extrêmement sympathiques à la recherche. Il ne faudrait pas que les chercheurs eux-mêmes, par manque de réflexion, contribuent aux tristes répétitions de l'histoire.

Des avant la fin de l'« ancien régime », le gouvernement acceptait dans ses cadres plusieurs jeunes économistes. Le gros de ces effectifs a été versé à la recherche. Plusieurs économistes de ma génération se sont vu confier la tâche de diriger cette équipe nouvelle. Malgré le peu d'expérience acquise dans ce domaine, les résultats ont été étonnants. À l'occasion de la réunion de l'ACFAS en 1960, je louais sans équivoque ce travail de pionnier. En effet, les organisateurs du congrès de l'ACFAS m'avaient invité à commenter la communication de monsieur Raynauld sur l'interdépendance des industries du Québec. Depuis, le Ministère de l'Industrie et du Commerce a publié, sous la signature de monsieur Raynauld, un magnifique volume intitulé Croissance et structure économiques de la province de Québec. [7]

Je me propose, dans la deuxième partie de la présente communication, de faire la critique de ce volume.

J'ai choisi cette stratégie parce qu'elle me permet de démontrer les faiblesses de la recherche économique telle qu'actuellement organisée dans le Québec, de démontrer que ces faiblesses pourraient être évitées et que les chercheurs seraient ainsi plus efficaces. Comme monsieur Raynauld me semble difficile à impressionner, je m'en tiendrai cette fois à l'aspect négatif de ma critique. Qu'il soit assuré, une fois pour toutes, que mon admiration pour lui et mes bons sentiments à son égard n'ont en rien changé depuis l'automne 1960.

Ma première critique portera sur la façon dont M. Raynauld juge [8] le symposium de Laval de 1952. [9] Je ferai remarquer que le symposium ne portait pas sur le développement du Québec. Le sujet à traiter était beaucoup plus précis. Les communications portaient sur « Les répercussions sociales de l'industrialisation sur le milieu québécois ». La première séance comportait deux communications, l'une par MM. Albert Faucher et Maurice Lamontagne, [10] l'autre par Charles Lemelin. [11] En résume, ces études établissaient une distinction entre industrialisation et urbanisation ou développement. Le point essentiel était que les industries-clefs - ou de base - de la province de Québec étaient orientées suivant un axe à l'échelle continentale. D'autre part, la vie économique du milieu ethnique était restée jusqu'à récemment isolée de cette influence. - Monsieur Lamontagne avait démontré un peu auparavant devant un groupe de Dalhousie que le Canada n'avait pas encore, au moment de la dernière guerre mondiale, complété son industrialisation. [12] - Ces communications concluaient que les effets de l'industrialisation, ainsi entendue, sur le milieu avaient été malheureusement faibles. Il est symptomatique qu'un autre participant à la séance du lendemain, monsieur Esdras Minville, [13] ne s'appuyant pas sur les mêmes définitions que l'équipe de Québec, ait inclus dans son concept d'industrialisation non seulement l'évolution de la grande industrie mais aussi l'évolution économique du milieu. Cette approche plus générale lui permettait de présenter un tableau très optimiste de l'évolution économique du Québec et de la place importante que pouvaient y jouer le petit et le moyen entrepreneurs canadiens-français. [14] Ces débats avaient lieu à l'occasion du centenaire de l'Université Laval, et nous avions à Québec la visite de monsieur Raoul Blanchard. Celui-ci m'avouait que ses observations géographiques faites dans les régions du Québec pendant les années 1930 [15] gardaient leur valeur intrinsèque. Mais monsieur Blanchard avait, en conclusion de ses études régionales, soutenu une thèse. Pour lui, nos ressources physiques - entre autres la terre arable - et nos ressources humaines étaient suffisantes pour déclencher une demande de biens et services capable d'assurer la prospérité économique de l'agriculture et de l'industrie. Cependant, en 1952, il m'avouait au cours d'un tête-à-tête qu'au moment où il publiait le résultat de ses études québécoises, il n'avait pas encore saisi l'importance de la dépression mondiale de 1930 et que, de plus, les conclusions économiques de ses études géographiques traduisaient l'influence qu'à son insu l'opinion des leaders québécois, entre autres les agronomes, avait exercé sur son esprit.

Mais revenons à notre interprétation de la thèse Lamontagne-Faucher-Lemelin. Je regrette, mais dans l'ouvrage de M. Raynauld on trouve en de nombreux points de l'analyse des confirmations non équivoques de cette thèse. Je pourrais, si j'en avais le temps, citer abondamment à ce propos Croissance et structure économiques de la province de Québec. [16]

Ma deuxième critique portera sur la deuxième partie du volume. Celle-ci est consacrée au problème d'interdépendance des industries du Québec et, en particulier, cherche à isoler les activités domestiques des importations venant non seulement des pays étrangers mais encore des autres provinces canadiennes. J'ai, à l'automne 1960, montré le danger que comportent les postulats relatifs aux importations quand le milieu d'origine du produit est une autre province canadienne. Je ne reviendrai pas sur ce point, car l'auteur a, dans le volume, bien explicité ses postulats et nettement indiqué les limitations inhérentes à la procédure suivie. J'aurais de nombreux commentaires à ajouter sur ce problème crucial des importations, mais il me semble préférable de reporter cette discussion à un moment plus opportun. [17]

La faiblesse que je veux souligner ici, devant ce groupe de chercheurs spécialistes, me permettra d'illustrer le danger que comporte l'absence de dialogue entre théoriciens et chercheurs empiriques et les conséquences graves qui en résultent au moment de l'interprétation des résultats de l'analyse.

La lecture de la deuxième partie du volume donne nettement l'impression que les auteurs ne connaissent pas suffisamment les propriétés du modèle qui inspire leur démarche.

En effet, en vue de choisir le critère général d'une classification des industries québécoises susceptible d'inspirer les responsables de l'orientation de l'économie québécoise, les auteurs, dans cette deuxième section de l'ouvrage, ont mesuré l'importance des achats et des ventes domestiques de chacune des industries. Or, ce critère immédiat s'appuie sur les achats domestiques directs tels que colligés au tableau des agrégats économiques de l'année 1949. Mais c'est justement de l'essence d'un modèle de Leontief de montrer l'importance non seulement des effets directs mais aussi des effets indirects de la demande sur l'ensemble de la production des industries. L'intuition nous porte à croire que les effets indirects sont moins importants, relativement, que les effets directs, mais c'est là une erreur. Par exemple, [18] en 1947, aux États-Unis, la demande finale directe pour l'acier par le secteur de la construction s'élevait à 0.876 milliard de dollars ; celle venant des unités de ménages était nulle. Si l'on tient compte des effets directs et indirects, la demande pour l'acier de la part des ménages s'élevait à 4.023 milliards fe dollars contre seulement 2.867 milliards de dollars dans le cas du secteur de la construction. On voit que l'effet direct seul ne peut servir à établir l'importance d'un client et que l'effet indirect peut être de fait très supérieur à l'effet direct. [19]

Les auteurs du volume prennent la précaution de mentionner le phénomène de la diffusion des influences et minimisent l'importance de ce phénomène dans leur schéma, ce que je suis prêt à concéder. En effet, le concept de diffusion se rapporte à l'éventail des industries affectées par une demande donnée. Aussi, dans une économie fort industrialisée, l'acier entre directement ou indirectement dans la fabrication d'une multitude de biens. Dans une économie sans gadgets ménagers et centrée surtout sur la consommation, les produits naturels, laine, bois, etc., seront les vedettes sur le plan de la diffusion. Mais minimiser l'importance de la diffusion n'équivaut pas, loin de là, à minimiser l'importance des effets indirects de la demande sur les activités de production.

Je m'empresse d'ajouter que pour faire l'estimation statistique des effets indirects, il faut effectuer de nombreux calculs (près de 4,000 multiplications dans l'exemple cité plus haut) si la matrice-solution est déjà publiée. Sans cette solution générale, les calculs sont tout simplement impossibles. Or, la solution générale relative aux tableaux canadiens n'a été publiée qu'à la fin de 1960. Seul un économètre serait en mesure de dire jusqu'à quel point la solution générale canadienne peut servir des fins régionales. En tant qu'économiste théoricien, je dois avouer que j'ai été étonné de constater que, malgré cette lacune, les responsables ont continué à bâtir une classification générale des industries où l'influence des achats et des ventes sur les entreprises du milieu est mesurée uniquement en termes directs. C'est évidemment un métier bien particulier que celui de scruter la pensée économique contemporaine. À côté du métier d'économètre, il y a cet autre métier qui consiste à scruter les propriétés des modèles théoriques proposés aux spécialistes de la recherche empirique. Or, celle-ci accapare tellement son homme, à cause de la masse de la masse de données à harnacher, à cause des compromis que la réalisation impose, à cause des problèmes d'administration et de direction inhérents à la recherche en équipe, qu'il devient imprudent d'ignorer le spécialiste en théorie comme il serait imprudent d'ignorer l'économètre.

Ma critique, dira-t-on, fait peut-être trop grand état d'un simple accident. J'aimerais le croire, mais malheureusement le chapitre V, intitulé « Les revenus et les salaires », fournit de nouveau l'exemple d'une faille théorique importante. Sans aller dans les détails, disons que, faute d'avoir compris toutes les implications du modèle de Samuelson sur l'égalisation des prix relatifs des facteurs de production, les auteurs n'ont pas vu la nécessité d'étudier systématiquement le degré d'utilisation du capital dans les industries, et c'est là une lacune assez sérieuse du volume. [20]

Ma troisième critique portera sur le chapitre II, « La croissance des industries 1935-1955 ». Dans ce chapitre, l'analyse est conduite de main de maître. Il faut souligner en particulier l'étude des changements dans la structure industrielle du Québec et de l'Ontario. Mentionnons aussi les quelques remarques bien amenées sur la stabilité de la croissance. Cependant, tant valent les données de base tant vaut l'analyse du chapitre II. L'appendice nous fournit de façon systématique toutes les données statistiques utilisées dans le corps du volume. On y trouve exposées en détail toutes les procédures statistiques mises en œuvre pour les fins de compilation. La plupart des sources sont des sources secondaires. En d'autres termes, les analyses sont en grande partie basées sur la documentation officielle des bureaux fédéral et provincial de la statistique. [21] J'aurais aimé que il équipe responsable de la compilation statistique de l'appendice du volume publié par le Ministère du Commerce eût inclus une critique définitive, à fond, de ces séries, de façon à en établir une fois pour toutes la valeur intrinsèque. Même si les résultats avaient été défavorables à la survie d'une partie des données, il est probable qu'il serait resté une quantité suffisante de matériaux valables après cet élagage. Pour qu'il soit possible que la recherche en équipe ait de la continuité, il faut bâtir ce que j'appellerai un capital d'information que chacune des recherches successives contribuera à augmenter. Une étude systématique de la valeur intrinsèque des séries statistiques officielles serait la première démarche à effectuer à cette fin.

En recherche économique, les études basées sur les données chronologiques officielles resteront importantes. Aussi est-il urgent d'établir sans a priori d'aucune sorte leur valeur intrinsèque, ce qui implique plus que le travail déjà excellent de l'appendice de Croissance et structure économiques de la province de Québec.

Une étude des taux de croissance, pour être complète, exige à mon avis que les valeurs absolues qui servent de base aux calculs soient examinées systématiquement. Je crains toujours les comparaisons basées sur les pourcentages. Si l'on distribuait un dollar à chacun des assistants de cette assemblée, ceux qui ont cent dollars en poche verraient leur actif s'accroître de un pour cent. D'autre part, les assistants qui ne possèdent déjà qu'un dollar verraient leur richesse monter en flèche à 200 pour cent. J'ai, par exemple, été intrigué de constater que l'industrie des provendes occupait la vedette (avec trois autres industries) du point de vue de la croissance. Par curiosité, j'ai examiné le tableau des valeurs absolues et j'ai fait la constatation suivante :

industries

valeur brute (millions de dollars)

1935

1955

Changement

Abattoirs

22.09

178.00

8 fois

Provendes

.84

63.06

75 fois


La synthèse de Croissance et structure économiques de la province de Québec est présentée au chapitre VII. (Je considère les excellentes contributions de MM. Jacques Henripin et Jacques Saint-Laurent comme des études hors-texte.) [22]

L'idée maîtresse consiste à établir une classification québécoise des industries, compte tenu des tendances que l'analyse a dégagées. De nouveau, l'abondance de la main-d'œuvre, de l'énergie électrique est soulignée. Les caractéristiques de structure du secteur industriel québécois sont réexaminées de façon à faire ressortir les « avantages comparatifs » de la province. Puis les critères de classification des industries sont présentés systématiquement. En voici une description sommaire :

Pour occuper un rang prioritaire, une industrie doit :

a) consommer davantage les ressources existant en abondance dans la province ;

b) exercer une forte influence sur la croissance des autres industries.

À propos de l'utilisation des ressources, on emploie trois indices :

a')

Salaires et gages :

ce rapport doit être grand.

Valeur ajoutée


b')

Consommation d'électricité

ce apport doit être grand.

Valeur ajoutée


c')

Nombre d'heures de travail

ce rapport doit être petit.

Valeur ajoutée


L'hypothèse : Le travail et le capital sont considérés comme complémentaires. « Le travail par dollar de production nette » est considéré comme un indice de « la quantité de capital par dollar de production nette ».

Ce rapport (c') doit être petit puisqu'il est censé refléter l'utilisation du capital et que le capital est considéré comme une ressource rare. En d'autres termes, une industrie qui utilise typiquement beaucoup de capital se déclasse.

En fait (a') et (c') vous disent tout naïvement que les industries les plus souhaitables sont celles qui rapportent de gros revenus tout en exigeant peu d'heures de travail.

À propos de l'influence sur la croissance industrielle, on emploie trois autres indices :

a') Les ventes domestiques aux autres industries de la province.

b') Les achats domestiques des autres industries de la province.
Plus les échanges domestiques sont considérables, plus l'industrie qui les effectue occupe un rang élevé dans la classification.

c') Le taux de croissance de l'industrie.

Un taux de croissance élevé contribue à donner une priorité à l'industrie évaluée. Ce facteur est considéré comme un indice d'adaptation à l'évolution.

Quels jugements porter sur l'ensemble de ces critères ? Ceux qui se rapportent aux influences sur les autres industries du milieu sont inacceptables par un économiste parce que, comme je l'ai expliqué à propos du tableau économique de la province, ils ne tiennent pas compte des effets indirects.

Le choix des critères relatifs à la main-d'œuvre et au capital n'est pas appuyé, à mon sens, sur une juste évaluation du rôle que joue le facteur « capital » dans le développement.

Seul le critère relatif aux taux de croissance résiste à la critique. Chose assez étrange, son importance est justement minimisée : on trouve, en effet, dans le texte des phrases comme celle-ci : « Ce que nous faisons dans cette section est un exercice de style... »

Finalement, les auteurs font remarquer que leur classification ne tient pas compte de l'aspect demande des produits. « Les conditions d'offre des produits et la structure manufacturière du Québec qui s'ensuit semblent mal adaptées aux conditions de la demande. L'exemple de la fonte et de l'affinage des métaux non ferreux est patent. Cette industrie repose sur une technologie à forte intensité de capital et les échanges avec les autres industries de la province sont très faibles. L'avantage relatif de l'industrie est par suite très faible... » [23] En fait, cette industrie se classe 28e sur un total de 32 industries.

Et les auteurs de conclure : « Est-il excessif de déduire de cette observation que la structure manufacturière de la province de Québec a besoin d'un renouvellement profond et d'une nouvelle orientation vers des secteurs plus dynamiques de l'industrie ? Des innovations majeures s'imposent... pour transformer la nature des avantages relatifs dont la province dispose en accroissant le capital, par exemple... » [24]

Conclusion

Cette réflexion me permet de revenir au point de départ de ma critique. En 1952, la thèse soutenue par Faucher, Lamontagne et Lemelin était que, historiquement, les industries-clefs du milieu québécois avaient eu une influence minime sur l'évolution économique du milieu. Les auteurs soutenaient également que les politiques économico-sociales avaient contribué à perpétuer ce fossé entre le secteur des économies locales et le secteur des industries de base. Pour ma part -d'ailleurs MM. Faucher et Lamontagne partagent sans doute mon avis - je crois que ce fossé a complètement disparu grâce aux politiques fiscales de la dépression et de la période de guerre et grâce au phénomène d'industrialisation de la dernière guerre mondiale et des années 1950-56.

Aujourd'hui, l'orientation de l'économie québécoise pose des problèmes tout différents. D'une part, les politiques de développement économique devraient favoriser la modernisation des industries manufacturières, viser à accroître la position concurrentielle de ces industries en intensifiant la capitalisation, mais en courte période la main-d'œuvre en souffrira. D'un autre côté, les politiques de développement doivent viser à équilibrer l'offre et la demande sur le marché du travail, par exemple, en prolongeant la période de fréquentation scolaire, en favorisant l'éducation. Comment résoudre ce dilemme que pose la conjoncture ? La recherche économique peut certainement contribuer à éclairer les hommes politiques sur ce point.

Face à l'opinion publique, doit-on étatiser les industries de base ? Cette question définit un second sujet de recherche aussi stratégique que le premier. Dans quelle mesure les fonds requis à cette fin vont-ils concurrencer les fonds requis pour les investissements sociaux ? Une telle étude est d'une urgence aiguë.

Les recherches sont-elles suffisantes dans le Québec actuellement pour permettre à l'État de négocier de plain-pied avec la grosse industrie ? Voilà encore un domaine où la recherche est urgente.

Comme on peut le constater, le choix des projets de recherche relève plus de jugements, de la connaissance de l'histoire et de la conjoncture que de l'ordre de priorité indiqué par la classification des industries telle que la propose cette étude sur la croissance de l'économie québécoise.

Charles LEMELIN

Département d'économique,
Université Laval.



[1] Sur le premier point, je renvoie le lecteur à Michel BRUNET, La présence anglaise et les Canadiens, Montréal, Beauchemin, 1958, notamment p. 229. Sur le second, je cite plus loin les références nécessaires ; du troisième, on trouve des traces partout : citons seulement Esdras MINVlLLE, L'homme d'affaires, Montréal, Fides, 1945, en particulier, les pages 157 à 164, ou encore : Le citoyen canadien-français, Montréal, Fides, 1946, tome II, pp. 329-330.

[2] John H. DALES, « A Comparison of Manufacturing Industry in Quebec and Ontario, 1952 », dans Mason Wade, éd., La dualité canadienne, Presses Universitaires Laval, 1960, 205.

[3] Jacques HENRIPIN, « Population et main-d'œuvre », chapitre 6 de Croissance et structure économiques de la province de Québec, 262.

[4] Il n'est peut-être pas inutile de signaler que dans cette communication, nous nous sommes volontairement limité aux études qui avaient le Québec pour sujet explicite. Il est évident qu'une grande quantité d'études canadiennes existent qui se rapportent indirectement à la province. Certains travaux sur des industries particulières par exemple, comme les textiles, la pulpe et le papier sont en même temps des études régionales. Plusieurs des recherches de la Commission royale sur les perspectives économiques du Canada seraient particulièrement pertinentes à l'étude du Québec, si nous avions voulu faire la somme de tout le connu.

[5] Études sur notre milieu, collection dirigée par Esdras MINVILLE, Éditions Fides, Montréal.

[6] La Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, province de Québec.

[7] André RAYNAULD, Croissance et structure économiques de la province de Québec, Ministère de l'Industrie et du Commerce, Province de Québec, 1961.

[8] Ibid., 53.

[9] Jean-C. FALARDEAU, éd., Essais sur le Québec contemporain, Québec, Presses Universitaires Laval, Québec, 1953.

[10] Albert FAUCHER et Maurice LAMONTAGNE, « History of Industrial Development », Essais sur le Québec contemporain, chapitre 1.

[11] Charles LEMELIN, « The State of Agriculture », ibid., chapitre III.

[12] Maurice LAMONTAGNE, « Quebec : Rich Resources for Industry », Public Affairs, Dalhousie University, Halifax, Dec. 1948.

[13] Esdras MINVILLE, « Conditions de notre avenir », Essais sur le Québec contemporain, chapitre XI.

[14] Voir aussi : Esdras MINVILLE, Le chef d'entreprise, étude n° 6, Service de documentation économique, École des Hautes Études commerciales, Montréal, 1953.

[15] Raoul BLANCHARD, L'Est du Canada français, 2 vol., Montréal, 1935 ; articles dans la Revue de Géographie alpine, 1930, 1931, 1932, 1933, 1938 et 1939 ; et « Les excédents de population et l'agriculture dans la province de Québec », L'Actualité économique, XXIV, 4, 1949.

[16] Voir pp. 72, 74, 75, 76, 79, et spécialement p. 95. Même confirmation aux pp. 98, 99, 105, 211.

[17] Lecture faite du texte sur cette question des importations, j'éprouve encore, comme économiste théoricien, un certain malaise. En effet, j'aurais aimé que les distinctions soient plus nettement établies entre les diverses façons de traiter les importations dans un tableau économique. J'admets qu'au moment où l'ouvrage a été publié les économètres canadiens eux-mêmes n'avaient pas discuté systématiquement les diverses alternatives théoriques qui s'offrent dans le traitement des données relatives aux importations. Aujourd'hui, on sait que si les industries peuvent être définies en termes de biens physiques, alors les importations entrant en concurrence avec les facteurs domestiques de production peuvent être intégrées au système de manière que chaque coefficient d'interdépendance du tableau tienne compte des importations. C'est l'idéal recherché dans le tableau économique américain (1947). Si les diverses industries sont définies non plus sur la base d'un produit mais sur la base d'un « établissement », alors on peut exclure les importations de la production intermédiaire et compter les importations dans le groupe des facteurs primaires au même titre que les services du travail. C'est de cette façon que la dernière version des tableaux économiques canadiens a été présentée. Et, comme le dit monsieur Raynauld, si une telle version avait existé au moment de la préparation des tableaux québécois, la tâche eût été beaucoup plus facile. Malheureusement, monsieur Raynauld a dû baser ses déductions québécoises sur un tableau où les importations étaient comptées en bloc comme un secteur particulier dans la production intermédiaire, au même titre, disons, que l'industrie de l'acier. Suivant cette version, qui avait d'abord été adoptée par le Bureau fédéral de la statistique, les importations se trouvent à influencer l'ensemble des coefficients du tableau économique et non pas chacun d'entre eux comme dans la version américaine. Ajoutons enfin que la définition des industries, aussi bien que la façon de traiter les importations, dépend à la fois de la nature des informations statistiques disponibles et de l'usage auquel le tableau est destiné. À tout événement, je crois que le tableau québécois des valeurs domestiques globales de 1949 ne devrait pas être transformé en tableau de coefficients et encore moins en matrice-solution, sans que toute la question théorique sous-jacente à sa construction soit de nouveau discutée à fond.

Il faudrait, de plus, vérifier empiriquement la validité du postulat formulé comme suit par les auteurs : « Pour être appropriée, cette procédure suppose que les industries donnent une préférence aux ressources domestiques et qu'elles n'importent de l'extérieur que pour l'excédent de leurs besoins par rapport à l'offre domestique totale moins les exportations » (Croissance et structure économiques de la province de Québec, p. 161). En d'autres termes, on est forcé par les exigences de la procédure à supposer absence de substitution entre les biens de production importés et les biens de production fournis par le milieu. Cette vérification empirique peut se faire par des études complémentaires à l'édification des tableaux économiques. Elle s'impose même pour le tableau canadien, à moins que celui-ci ne soit pas utilisé pour l'étude d'années autres que l'année de base. Cette vérification s'impose quand les importations sont comptées comme un secteur spécial. Elle s'impose également, à mon avis, lorsque le modèle est ouvert de façon à ramener les importations dans la catégorie des facteurs primaires.

[18] W. Duane EVANS et Marvin HOFFENBERG, « The Inter-industry Relation Study for 1947 », Review of Economics and Statistics, XXXIV, 2, 1952.

[19] Pour donner un contenu concret à ces notions d'effets directs et d'effets indirects, ajoutons les explications suivantes :

En 1947, les achats directs et indirects d'acier par le secteur de la construction étaient comme suit (en milliards de dollars) :

a) Achats directs (disons une livraison de tuyaux d'acier)

0.876

b) Achat d'acier entrant comme matière première dans la fabrication de tuyaux et tenant également de l'industrie de l'acier (disons des plaques d'acier destinées à la fabrication de la tuyauterie)

0.445

c) Achat d'acier sous forme, supposons, d'isolant de coton venant du secteur agricole où le coton est produit avec de la machinerie dont la fabrication est d'acier

0.001

d) Achat d'acier sous forme de produits finis consommés par le secteur de la construction mais venant de tous les secteurs autres que ceux de l'agriculture et de l'acier

1.545

e) Total des effets indirects

1.991

1.991

f) Total des effets directs et indirects

2.867


[20] En effet, la section C de ce chapitre tente d'expliquer le phénomène du différentiel des salaires entre le Québec et l'Ontario. L'interprétation des chiffres analysés dans les sections précédentes du chapitre veut s'appuyer sur le théorème classique de Samuelson explicitant les conditions théoriques d'égalisation des prix des facteurs de production. À propos de ce théorème, Samuelson écrit que beaucoup d'économistes se sont évertués à prouver que la valeur absolue des salaires pouvait s'égaliser d'un milieu à l'autre : « A number of economists have tortured themselves trying to manipulate these expressions so as to result in a = a, etc. » (Paul A. SAMUELSON, « Price Equalization Once Again », Economic Journal, LXIX, 1949). En fait, Samuelson établit les conditions qui permettent aux prix relatifs des facteurs de s'égaliser entre deux milieux économiques isolés quant aux marchés des facteurs mais reliés l'un à l'autre via les marchés des produits finis. Le théorème, encore une fois, prouve que c'est le rapport des salaires à la rémunération du capital du milieu « A » qui s'égalise au rapport des salaires à la rémunération du capital du milieu « B ». - La même conclusion peut s'exprimer en disant que le rapport des salaires des deux milieux va égaliser le rapport des rémunérations du capital des deux milieux. Mais, à moins que, par exception, la valeur absolue des rémunérations du capital soit unique pour les deux milieux, on ne peut jamais conclure à l'égalité en termes absolus des salaires. Je dois dire que le modèle est très difficile à saisir. Samuelson, qui est pourtant un expert pédagogue, s'est vu forcé d'en présenter au moins trois versions. Quoi qu'il en soit, les auteurs constatent la constance des écarts de salaires entre le Québec et l'Ontario de 1938 à 1957. Ceci est déjà, à mon sens, une certaine confirmation du modèle d'analyse choisi. Pourtant, au lieu de poursuivre dans cette direction, les auteurs écrivent : « ... conformément au modèle, les deux provinces auraient dû se spécialiser ... à un degré suffisant pour profiter l'une et l'autre de l'abondance relative de leurs facteurs respectifs de production et [notez bien] faire disparaître les différences de salaire... » et le texte continue : « En réalité, nous avons vu que le différentiel de salaires persiste... » Le chapitre V fournit donc un deuxième exemple où la démarche aurait pu prendre une autre direction si les propriétés du modèle utilisé avaient été mieux exploitées.

[21] Ces rapports présentent un inconvénient sérieux : par suite de changements dans les définitions, les séries chronologiques ne sont pas toujours comparables. De plus, il est reconnu que les données annuelles nationales ne sont souvent que des intrapolations des données de recensements périodiques. Enfin, les chiffres régionaux sont souvent déduits des séries nationales par des procédés d'intrapolation plus ou moins arbitraires.

[22] Chapitres VI et VIII, Croissance et structure économiques de la province de Québec (Voir Avant-propos, p. 10).

[23] Croissance et structure économiques de la province de Québec, 301.

[24] Ibid., 302.


Retour au texte de l'auteur: André Raynauld, économiste, retraité de l'Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 juin 2013 9:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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