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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'André Raynauld, “Les problèmes économiques de la province de Québec”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 183-190. Montréal: Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Conférence prononcée au Congrès de l'A.C.F.A.S., le 30 octobre 1959. Texte originalement publié dans L’Actualité économique, octobre-décembre 1959, pp. 414-421. [Avec l’autorisation formelle de M. André Raynauld, économiste, professeur retraité de l’Université de Montréal, accordée mercredi le 15 septembre 2004].

[183]

André Raynauld

Les problèmes économiques
de la province de Québec
”. [1]

In ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 183-190. Montréal : Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Conférence prononcée au Congrès de l'A.C.F.A.S., le 30 octobre 1959. Texte originalement publié dans L’Actualité économique, octobre-décembre 1959, pp. 414-421.



L'objet de cet article est de présenter les caractéristiques de l'économie de la province de Québec qui nous paraissent les plus importantes.

Celles qui retiendront notre attention peuvent se grouper en trois propositions :


1) La province de Québec se développe à un rythme rapide depuis longtemps et le niveau de prospérité y est très élevé ;

2) Par comparaison avec d'autres provinces du Canada, notamment avec l'Ontario, le revenu moyen des Québécois est beaucoup plus bas. Cet écart de revenus est plus ou moins constant depuis de nombreuses années ;

3) Même si la population de langue française forme les quatre cinquième de la population totale de la Province, les entrepreneurs canadiens-français contribuent à une fraction minime de la production industrielle.


Telles sont, à nos yeux, les données principales du problème économique de la province de Québec. Nous allons traiter chacune à tour de rôle.

Comme il est maintenant de bon ton d'assimiler la province de Québec à un territoire sous-développé, nous croyons nécessaire de démontrer que le niveau de prospérité est très élevé et que les mesures et les preuves qu'on peut en donner ne sont mirages et apparences trompeuses que pour les habitants du paradis terrestre. [2]

Bien sûr, tous les pays du monde sont sous-développés aussi longtemps que leurs ressources humaines et leurs ressources naturelles ne sont pas toutes épuisées, mais dans la littérature scientifique, on attache [184] au concept de sous-développement une signification plus précise. Les critères à partir desquels on classifie les pays ou les régions du monde selon leur degré de développement sont nombreux. Mais, parmi ces mesures, on retient en général le revenu national par habitant et la proportion du revenu national qui est consacrée à l'épargne ou à l'investissement. Selon un économiste réputé, un pays passe le seuil du développement quand il parvient à élever son investissement total à 12% du revenu national.

D'une part, au Canada et dans la province de Québec, ce seuil a été franchi de façon certaine au tout début du siècle, et peut-être même auparavant. D'autre part, le revenu national par habitant de la province de Québec est parmi les plus élevés du monde entier. Même si on tient compte de l'écart entre le revenu moyen de l'ensemble du Canada et celui de la province de Québec, celui-ci est encore plus élevé que dans tous les pays du monde à l'exception des États-Unis.

Enfin, la structure industrielle de la province de Québec ne mérite certainement pas tout le mal qu'on en a dit. On observe une grande diversité des industries et pour la plupart d'entre elles, les avantages qu'elles retirent de leur localisation dans la province leur assurent une position concurrentielle satisfaisante, qui n'emprunte rien au provisoire ou à l'artificiel. L'exploitation plus intensive des ressources naturelles depuis les 25 dernières années, de même que les développements hydro-électriques augurent une industrialisation davantage reliée encore aux avantages spécifiques dont la Province jouit par rapport aux autres provinces et aux autres pays. Cette évolution est heureuse en ce qu'elle fournit à l'ensemble de l'économie des bases moins fragiles de développement à long terme.

Les taux de croissance de la production dans la province de Québec sont aussi fort impressionnants. La province d'Ontario est fréquemment prise à témoin des succès que la province de Québec pourrait obtenir si on changeait les hommes, les gouvernements, la politique ou même sa situation géographique.

Le fait capital est que la production manufacturière et la production agricole ont augmenté à un même taux, dans le Québec et l'Ontario, depuis 1870, soit depuis bientôt 90 ans. La production minérale, d'un autre côté, a augmenté plus rapidement dans le Québec que dans l'Ontario depuis 1899. Le taux de croissance de longue durée [185] de la production Minérale est de 8.2% par année dans le Québec et de 6.4% dans l'Ontario.

Ces observations, à notre avis, sont de la plus grande importance. Pour qu'un même taux de croissance soit observé sur une aussi longue période de temps, il est nécessaire que les économies du Québec et de l'Ontario soient largement complémentaires l'une de l'autre ; que les impulsions au progrès aient été de même vigueur et que les réactions et les adaptations, grâce à des ressources analogues, aient pu se faire avec également de succès.

Une telle similitude de croissance entre les deux provinces oblige à briser ces images d'une province de Québec autarcique où le marché local est le seul, ou même seulement le principal débouché de la production de ses industries, d'une province de Québec qui vit à l'écart du reste du Canada et qui tire constamment de l'arrière dans le progrès général du pays. De même faut-il admettre que du point de vue de la croissance globale à long terme, la distinction traditionnelle que nous faisons entre Montréal, d'une part, et le reste de la Province, d'autre part, a bien peu d'utilité pour l'analyse économique. Car si on observe une interdépendance aussi manifeste entre le Québec et l'Ontario, il faut bien reconnaître aussi qu'à l'intérieur de la province de Québec, comme c'est le cas en Ontario, les forces de dispersion et les différences réelles qui existent au sein de la Province ont dû se fondre dans les réseaux d'échange du marché et laisser place aux liaisons de prix et de revenus, comme entre les secteurs ou les industries d'une même économie. [3]

Cependant, quoique le rythme de croissance ait été le même dans le Québec et l'Ontario depuis la Confédération, on observe par ailleurs des différences tout aussi importantes et qui semblent remonter également loin dans le passé. Ainsi, le revenu personnel moyen du Québec est inférieur à celui de l'Ontario Par une marge de 27.5% depuis 1926. [4] Et toutes les indications portent à croire que cet écart de revenu persiste depuis beaucoup plus longtemps encore.

[186]

Quatre explications
peuvent théoriquement être avancées
.


La première a trait à l'accroissement de la population. En effet, si la production croît à un même taux dans le Québec et l'Ontario depuis un siècle et que la population augmente plus rapidement dans le Québec, la production par habitant diminue, et de même le revenu personnel moyen sous certaines réserves. C'est ainsi qu'est la réalité ; la population de la province de Québec a augmenté plus vite que celle de l'Ontario depuis la Confédération. En 1871, la population du Québec était égale à73% de la population de l'Ontario ; elle s'est abaissée à 70% en 1881 et 1891 et maintenant elle est d'environ 85% de celle de l'Ontario. Quant au revenu personnel, les informations ne sont pas disponibles avant 1926. Mais depuis cette année-là, on constate une détérioration de la situation du Québec, par comparaison avec l'Ontario. Pour les six premières années de la série statistique que nous avons, soit de 1926 à 1931, le revenu personnel per capita du Québec est égal à 74.25% de celui de l'Ontario et pour les six dernières années, de 1951 à 1956, il n'est plus que de 71.75%.

Mais la population totale n'est pas une explication suffisante du phénomène. Une seconde possibilité d'explication consiste dans le fait bien établi que, par rapport à la population totale, la proportion de ceux qui travaillent est plus faible dans le Québec que dans l'Ontario. En 1955, la population active représente 35.1% de la population totale dans le Québec et 39.5% de la population totale dans l'Ontario. Cette différence est considérable. Si le Québec se trouvait dans la situation de l'Ontario à cet égard, on compterait 200,000 travailleurs de plus dans la Province et la main-d'œuvre en serait accrue de 12.5%. À supposer que ces travailleurs additionnels seraient rémunérés aux mêmes taux que les autres, le revenu personnel total serait aussi accru de 12.5%. On peut estimer que sans cette différence dans la population active, l'écart entre les deux provinces dans le revenu personnel moyen serait réduit de 27.5% à 15 ou 20%.

Une troisième explication pourrait tenir à ce qu'on appelle la structure industrielle [5] ou encore la structure des emplois. Les emplois dont les taux de rémunération sont généralement peu élevés peuvent être plus nombreux dans le Québec que dans l'Ontario ; les industries [187] à bas salaires peuvent être plus nombreuses et plus importantes dans le Québec que dans l'Ontario. C'est l'explication à laquelle on a recouru le plus souvent dans le passé. [6] Nous ne croyons pas que la structure industrielle, ainsi entendue, soit si défavorable à la province de Québec. En 1955, par exemple, la main-d'œuvre totale, est un peu moins considérable dans le Québec que dans l'Ontario. Dans le Québec, elle est de 11.8% et dans l'Ontario de 12%. Ce n'est donc pas l'agriculture qui pèse sur le revenu personnel moyen, si on assume pour l'instant des taux égaux de revenus.

Dans les industries manufacturières aussi, on a fait beaucoup état de la prédominance des industries à bas salaires dans le Québec, par comparaison à l'Ontario. Nous avons mesuré, le plus rigoureusement possible, le rôle de la structure industrielle sur les taux moyens de salaires. Il appert que la structure n'est pas l'explication principale des disparités de salaires entre le Québec et l'Ontario. Nos calculs montrent que pour un écart total de 14.53% dans l'industrie manufacturière en 1955, 4.64% seulement tiennent à la structure. Par conséquent, la structure industrielle explique moins du tiers de la différence dans les taux de salaires du Québec et de l'Ontario. [7]

Les deux autres tiers de l'écart de salaires ne sont pas liés à une structure industrielle moins favorable dans le Québec. Ils sont liés, et c'est là notre quatrième explication, au fait que dans les mêmes industries, et souvent dans les mêmes entreprises, on paie des taux de salaires plus bas dans le Québec que dans l'Ontario. Mais à quoi cela tient-il ?

Les taux de salaires sont déterminés par une foule de circonstances et de considérations. En analyse économique, on groupe tous ces facteurs sous les deux catégories fort commodes d'offre et de demande de travail. Parmi les facteurs facilement mesurables, on observe, du côté de l'offre de travail un phénomène tendant à abaisser les salaires [188] du Québec, par comparaison avec ceux de l'Ontario. En effet, la population active où la main-d'œuvre croît beaucoup plus rapidement dans le Québec depuis 1911. Elle a augmenté de 172% dans le Québec et de 121% seulement dans l'Ontario. Comme l'élasticité de l'offre de travail en est accrue pour les entreprises, les taux de salaires tendent à se fixer à un niveau plus bas dans le Québec. [8]

Du côté de la demande de travail, on fait appel au concept de productivité. Celle-ci est généralement liée au capital ou à l'équipement mis à la disposition du travailleur, au degré d'utilisation de ce capital et à son rendement, à la dimension des entreprises, à la dimension du marché, enfin à la compétence professionnelle ou technique des travailleurs de toutes catégories.

À l'exception du degré d'utilisation et de l'efficacité du capital, nous croyons que tous ces facteurs à la fois contribuent à abaisser la productivité du travail dans le Québec, par comparaison à l'Ontario, et conduisent par suite, soit à abaisser les taux de salaires soit à créer du chômage.

Nous aborderons maintenant, en troisième lieu, le cas des entrepreneurs canadiens-français. À ce propos, il y a le thème, et il y a le problème. Le thème est fort connu de tous. Depuis Étienne Parent, sous le régime d'Union des deux Canadas, on réaffirme la même devise et depuis quelques temps, on la répète sans cesse : « Emparons-nous de l'industrie ». Le problème, de son côté, demeure toujours vierge. On n'en connaît rien de plus qu'Étienne Parent n'en connaissait lui-même, il y a plus d'un siècle. Les bonnes intentions, on le remarquera une fois de plus, ne font guère avancer les choses.

Les informations les plus élémentaires sur les entrepreneurs canadiens-français manquent encore. Nous verserons donc au dossier celles que nous avons recueillies nous-même dans une enquête récente.

On compte dans la province de Québec, en 1958, 1,298 établissements de plus de cinquante employés dans l'industrie manufacturière et ces établissements sont la propriété de 1,271 entreprises avec conseils d'administration différents. Notre enquête a porté sur 1,049 entreprises et 1,076 établissements, soit sur 83% des établissements de plus de cinquante employés. Nous avons trouvé dans cet échantillon [189] que 25% des entreprises avaient des conseils d'administration dont 50% et plus des membres étaient des Canadiens français, et 21.7% des entreprises où tous les administrateurs étaient des Canadiens français. On trouve des proportions plus fortes dans les aliments et boissons, dans la chaussure, le vêtement, le papier (l'imprimerie sans doute), le fer et l'acier et dans l'industrie des minéraux non métalliques.

Nous avouerons que ces résultats sont plus favorables à la communauté canadienne-française que nous l'avions cru. Et même s'il est impossible de le démontrer rigoureusement, ces résultats révèlent un progrès sensible sur la situation qui existait en 1936 quand M. Victor Barbeau a publié Mesure de notre Taille. [9]

Sur les raisons qui peuvent expliquer l'absence d'une véritable classe d'entrepreneurs canadiens-français, les économistes ont peu à déclarer. Schumpeter, qui était un grand esprit, n'est jamais parvenu à dépasser l'affirmation générale que la formation des entrepreneurs était déterminée par le climat social.

Au contraire, sur les effets d'un développement industriel dont l'impulsion provient de l'étranger, les économistes peuvent davantage participer au débat. Sans vouloir vider complètement la question, nous exprimerons nos propres vues à cet égard, de la façon suivante :


a) Supposons d'abord que l'entreprise étrangère exploite une ressource ou fabrique un produit pour lesquels aucune entreprise locale ne désire ou ne peut se fonder. Dans ce cas, l'entreprise étrangère présente des avantages incontestables. C'est seulement dans l'hypothèse où on pourrait démontrer que le rythme de développement est trop rapide que la communauté nationale aurait intérêt à restreindre l'importation de capital étranger.

b) Supposons maintenant que l'entreprise étrangère se substitue à une entreprise locale. Une réserve s'impose immédiatement quand le motif exclusif de l'investissement étranger est de desservir le marché local ou national. En effet, l'entrepreneur canadien peut être davantage incité à accroître la dimension de son marché, par les exportations, que l'entrepreneur étranger [190] qui vient au pays. Or un marché plus large entraînerait généralement des économies de taille pour l'entreprise et un niveau plus élevé de productivité. Les flux de revenus seraient plus élevés et la croissance serait davantage accélérée dans les autres secteurs de l'économie domestique.


Pour l'entreprise étrangère qui se substitue à l'entreprise locale pour l'exploitation de ressources spécifiques dont le produit est vendu sur le marché mondial, les résultats diffèrent. Les flux de revenus engendrés demeurent les mêmes dans l'économie après le transfert de propriété. L'importation de capital sera donc avantageuse, du strict point de vue économique, si les ressources en capital qui sont ainsi libérées ont ailleurs dans l'économie nationale un rendement suffisant pour compenser les redevances payables à l'étranger.

Ces considérations sont pour nous des hypothèses de travail que des vérifications empiriques peuvent encore infirmer.

Voilà donc les données que nous considérons essentielles à l'analyse des problèmes économiques de la province de Québec. On aura sans doute remarqué que les phénomènes dont nous avons parlé ou les observations que nous avons faites ont trait à des perspectives de longue période. Cela n'a pas été fait de propos délibéré. Les problèmes majeurs de la province de Québec se posent et s'expliquent à cette échelle et ne peuvent se résoudre qu'à cette échelle.


ANDRÉ RAYNAULD,

professeur à la Faculté des Sciences sociales, (Montréal).



[1] Conférence prononcée au Congrès de l'A.C.F.A.S., le 30 octobre 1959. Le texte en a été légèrement remanié.

[2] Je me range parmi les « aveugles » que l'apparente prospérité de la province de Québec a trompés, selon M. Michel Brunet : La présence anglaise et les Canadiens, Beauchemin, Montréal 1958, p. 128.

[3] La « désagrégation » des données globales peut se faire par l'étude de la structure économique ou plus précisément par l'étude des relations inter-industries. Quand l'analyse est portée à ce niveau, la distinction entre Montréal et l'ensemble de la province de Québec peut être faite implicitement à cause de la localisation spécifique à certaines industries.

[4] Moyenne des taux annuels pour 1926 à 1956, à l'exception des années 1940 à 1945 inclusivement. L'inclusion des années de guerre aurait élargi l'écart davantage.

[5] Par structure industrielle, nous entendons l'importance relative des industries dans l'ensemble d'une économie donnée.

[6] Par exemple : Harvey, Pierre, « The Economy of Quebec », University of Toronto Quarterly, avril 1958, pp. 330-350.

[7] Les calculs ont porté sur douze secteurs de l'industrie manufacturière en 1955. Les taux moyens de salaires de chaque secteur dans le Québec ont été pondérés par l'importance relative de ces secteurs en Ontario. Le taux horaire moyen de l'échantillon est de 126.350 ; le taux horaire moyen pondéré par la structure de l'Ontario donne 132.51¢. La structure du Québec abaisse donc le taux moyen de salaires de 4.64%. L'échantillon comprend 81.58% des employés à gages de l'industrie manufacturière totale dans le Québec, et 77.79% dans l'Ontario.

[8] Ce raisonnement vaut sous la réserve d'un régime identique de concurrence sur le marché du travail, dans le Québec et l'Ontario.

[9] À ceux qui tiennent à représenter la province de Québec comme une région sous-développée, on peut accorder que le petit nombre des entrepreneurs locaux est un trait habituel de sous-développement qui s'applique à la Province.




Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 16 février 2012 12:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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