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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de René-Jean Ravault, “Humaniser le développement par l’enveloppement africain.” Texte inédit rédigé à la suite d’une conférence donnée à l’automne 2011 à un colloque multidisciplinaire sur le développement en Afrique, colloque organisé par le département de communication publique (section développement international) de l’UQAM. Chicoutimi: Les Classiques des sciences sociales, février 2013. [Avec l’autorisation formelle de l’auteur de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales accordée le 23 février 2013.]

René-Jean Ravault

Docteur en communication de masse, professeur associé
au département de communication publique et sociales, UQÀM.

Humaniser le développement global
par l’enveloppement africain
.

Texte inédit rédigé à la suite d’une conférence donnée à l’automne 2011 à un colloque multidisciplinaire sur le développement en Afrique, colloque organisé par le département de communication publique (section développement international) de l’UQAM. Chicoutimi : Les Classiques des sciences sociales, février 2013.

Avertissement

Introduction

1re partieSi l’on doit rendre à César ce qui est à César, il faut aussi restituer à Cléopâtre ce qui lui appartient ! Si les modèles du développement sont occidentaux, la notion d’enveloppement est africaine !

2e partie. “Le développement économique de l’Afrique” ou : Quand les oligarques du Nord ‘civilisateur’ divisent l’humanité pour l’exploiter et s’en approprier les ressources !

3e partie. S’il est vrai que quand on aime, on ne compte pas, pourquoi alors se soumettre au développement quantitativement limité?

Conclusion


Avertissement

Même si, surtout aux niveaux interculturel et transnational, l’étude de la communication est considérée comme un champ multidisciplinaire, je tiens à souligner que, tout en m’imaginant ‘international’ [1] et m’étant doté d’un bagage pluridisciplinaire [2], je suis d’abord Communicologue ! [3]  Diplômé et enseignant-chercheur en étude de la communication, mon intérêt pour l’Afrique est venu s’atteler à ce métier.  Ce continent est donc, ici, ‘le terrain’ qui me permet de confronter mes trouvailles aux relations interculturelles et internationales qui s’y déploient.  Je pars de l’hypothèse que si je parviens à saisir le fonctionnement de la communication humaine, je devrais être en mesure de comprendre l’articulation des mécanismes qui sous-tendent injustices et conflits ; ce qui devrait permettre de les amoindrir et, peut-être, de les stopper.

Ainsi, en 1980, dans ma thèse de doctorat [4] j’opposais ‘l’impérialisme médiatique américain’ au fait que les décideurs ouest-allemands et japonais aient su l’utiliser pour améliorer la situation économique et financière de leur pays aux dépens des États-Unis.  Cette trouvaille, si elle avait été publicisée, aurait dû amener la plus grande puissance du monde à refréner son exhibitionnisme médiatique et à améliorer la maîtrise des langues et des cultures étrangères de ses décideurs. [5] Dans des articles subséquents, je me suis efforcé d’appréhender la façon dont des ‘fanatiques islamistes’ ont décrypté et utilisé le contenu des médias américains pour préparer l’occupation de l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979 [6] et les attentats du 11 Septembre 2001 sur le sol américain. [7]  Toutefois, c’est surtout par mes enseignements sur le rôle que jouent les médias américains dans la mondialisation et sur la place dévolue à la communication dans le développement du Tiers-Monde que j’ai été amené à m’intéresser à l’Islam et à l’Afrique.  J’ai lu de nombreux ouvrages pour préparer mes cours. Je suis allé à Dakar, Abidjan et Riyad afin d’y observer les situations locales, y tester mon enseignement et y livrer quelques conférences.  Mais surtout, j’ai dirigé des thèses de doctorat et des mémoires de maîtrise réalisés par des étudiants originaires de pays africains tels que l’Égypte, l’Algérie, le Cameroun, le Rwanda, et l’Angola et de pays émergents, dits ‘en voie de développement’ tels que l’Indonésie, l’Arabie Saoudite, le Liban et la Colombie.  Grâce à la confiance que ces doctorants et futurs ‘maîtres’ m’ont accordée, J’ai pu saisir les tenants et aboutissants des situations locales sur lesquelles portaient leurs travaux.

Bien que je m’en informe souvent, je ne prétends pas être ‘spécialiste de l’Afrique.’  Dans mon observation du fonctionnement de la communication humaine, je ‘ratisse large’ lorsque j’appréhende les champs d’investigation où surgissent et s’amplifient les problèmes. Je n’ignore pas que l’ampleur de mon champ d’étude puisse affecter négativement la perception que d’autres se font de mes compétences ; surtout lorsque ces ‘autres’ sont des tenants du paradigme de la dissociation et de la simplification, ‘experts’ d’un terrain bien circonscrit et appréhendé in vitro, qui se réclament d’une seule discipline universitaire bien définie et purifiée de toute ingérence de champs connexes.  Ils me suspectent, probablement, d’occulter ces détails où ‘le diable se cache!’

Toutefois, comme l’a constaté, Donald Rumsfeld, « le pire des dangers est d’ignorer ce que l’on ne sait pas que l’on ignore ; » [8] je crois que ma démarche a le mérite de chercher à le prévenir.  Pour Edgar Morin [9], le ‘pire’ découle de l’incapacité de comparer les interprétations d’observateurs d’un même phénomène appartenant à des disciplines variées, voire opposées.  L’occultation de l’histoire des protagonistes, lorsqu’on appréhende les gestes qu’ils posent, comme le refus de prendre en compte les interprétations contradictoires ou divergentes qu’en offrent divers observateurs sont d’autant plus regrettables que, dans l’étude de la communication, ce travail de ‘mise en relation paradoxale’ des observateurs et des observés, qui sont pourtant en relation systémique, constitue ‘la méthode par excellence’ des travaux qui s’insèrent dans le paradigme de la complexité, si cher à Morin. [10]

Ayant ainsi reconnu ce que des tenants du paradigme de la simplification pourraient considérer comme la principale faiblesse de ma démarche : - je parle de l’Afrique sans en être ‘expert,’ - mais ayant aussi souligné l’originalité potentiellement enrichissante de ma perspective : - j’aborde l’étude des phénomènes de communication internationale et interculturelle en me réclamant du paradigme de la complexité, - il m’est maintenant possible d’aborder le sujet de ma présentation.


Introduction

Avant tout, je tiens à rappeler que ma contribution au « Colloque sur le développement en Afrique » [11] s’inscrit dans mon champ de prédilection.  J’y applique ce que je sais de la communication en gardant, comme objectif ultime, l’épanouissement de tous les citoyens de notre Terre-Patrie[12]  Ce qui m’amène à y mettre de l’avant la notion d’enveloppement qui me semble être d’origine africaine bien que je l’emprunte ici aux travaux de Morin [13] qui l’oppose pertinemment aux excès du développement économique, surtout lorsqu’il est évalué exclusivement de façon quantitative. 

Pour le penseur de La méthode [14], le développement économique est insuffisant et réducteur.  Il participe du scientisme [15], caricature de la science, où prévaut le paradigme de la simplification, de l’isolement ‘purificateur’ des constantes et des variables, ainsi que de la fragmentation du savoir.  Hélas, ce scientisme est toujours privilégié par les experts du Nord (Europe, États-Unis et Canada) et semble être largement partagé par leurs émules africains.

Dans ce colloque qui réunit des spécialistes de l’Afrique, pour la plupart issus de ce Continent mais pratiquant des disciplines du Nord, la notion de ‘développement’ est prise pour acquise en dépit de ses ambiguïtés et de ses limites, alors que celle d’enveloppement est ignorée, voire taboue ou censurée. Avant d’y faire ma communication, j’ai eu l’impression que mes collègues ont cru que c’était par erreur que ce terme figurait dans le titre.  Toutefois, même s’il n’est pas étonnant que des spécialistes, surtout s’ils sont économistes ou experts en finance, doutent du sérieux de l’humaniste généraliste systémique que je suis, j’insiste sur le fait que, c’est averti de l’effet de surprise que l’irruption de la notion d’enveloppement risquait de susciter dans un colloque international et interdisciplinaire que je l’ai introduite dans le titre, comme au cœur de ma présentation pour articuler autour d’elle ma proposition centrale. 

Certes, ‘l’enveloppement’ n’est pas une pratique réservée à l’Afrique ! Toutefois, si elle n’en a pas l’exclusivité, elle l’a conçue avec l’être humain et en est encore porteuse ! C’est un concept qui me semble aussi riche et pertinent que celui de ‘développement’ même s’il ne se prête pas aux calculs et donc restera toujours incommensurable !

Je reconnais, toutefois que, comme le développement, il ne saurait être considérée comme la panacée, apte à résoudre tous les problèmes de l’humanité.  Sans aucun doute, ce concept a, lui aussi, des effets pervers bien connus et des inconvénients incontestables qui risquent à court et moyen termes d’en amoindrir les bienfaits.  Aussi, même si ma priorité est d’y recourir pour compenser les dérives du développement économique que poursuit l’Occident au travers de la Globalisation [16], je propose simultanément quelques pistes d’interventions qui devraient contribuer à épurer ‘l’enveloppement africain’ des aspects nocifs ou pervers qu’il recèle encore.


Première partie :

Si l’on doit rendre à César ce qui est à César,
il faut aussi restituer à Cléopâtre ce qui lui appartient !
Si les modèles du développement sont occidentaux,
la notion d’enveloppement est africaine !

En français, ‘l’Occident’ est masculin tandis que ‘l’Afrique’ est féminin. L’Occident ‘développe,’ alors que l’Afrique ‘enveloppe !’ D’où la référence au couple antique : Auguste César, incarnant l’Empire romain en expansion et Cléopâtre, la reine d’Égypte, l’enveloppant.  Par ce coquin clin d’œil à l’histoire - qui peut sembler déplacé dans un colloque international - je veux mettre en lumière deux dimensions indicibles de la notion d’enveloppement.  Après tout, si ce colloque est international et implique le respect d’un certain décorum, il est aussi interdisciplinaire et relève alors du discours scientifique où le sexe a sa place depuis que la psychanalyse l’y a introduit. [17]  Il m’est donc permis de rappeler ici que le ‘développement masculin’ et ‘l’enveloppement féminin’ sont des activités érotiques et reproductrices complémentaires. Ce détour, aussi osé qu’improbable, permet de soutenir, avant tout, que la complémentarité du développement et de l’enveloppement est agréable, plaisante, satisfaisante, jouissive, voire joyeuse ainsi que ‘reproductive’ et donc ‘productive’!

En second lieu, et en restant sur la piste défrichée par Freud, j’irai jusqu’à suggérer que le bonheur voluptueux qu’éprouve l’homme dans sa somnolence post coïtale provient, non pas du désir incestueux de s’accoupler à sa mère, comme l’affirmait à tort, de façon purement autobiographique [18], le fondateur de la psychanalyse qui a, ainsi, inventé le ‘complexe d’Œdipe’ pour se justifier, mais, tout simplement, du bonheur prénatal intra-utérin de l’embryon flottant en apesanteur dans le liquide amniotique, enveloppé qu’il est du placenta maternel.  C’est dans cette béatitude sereine de l’enveloppement maternel que le fœtus croît pour devenir l’être humain qui s’en souviendra inconsciemment en des circonstances aussi exquises qu’exception-nelles ! [19]

Si ce détour par l’inconscient érotique et prénatal met en évidence ce qu’il y a de jouissif dans la notion d’enveloppement et explique pourquoi ce concept séduit, il outrepasse les attraits que Morin lui trouve. 

Dans ses textes, il souligne surtout la complémentarité développement/ enveloppement alors que j’insiste ici sur son côté plaisant. Il néglige l’acception prénatale de l’enveloppement de l’embryon par le placenta alors que je souligne l’aspect agréable de la chose, source de la nostalgie de notre séjour intra-utérin.  Si j’ajoute cette métaphore aux propos de Morin, c’est parce qu’elle me semble faire d’avance écho à la notion d’enveloppement de la biosphère par la couche d’ozone qui est si chère à l’écologiste !

Elle laisse entendre que l’oxygène que l’on respire dans la biosphère comme l’eau que l’on y boit sont aussi nécessaires à la croissance et à la survie de l’homme que le placenta et le liquide amniotique sont indispensables à l’embryon pour qu’il se métamorphose en bébé humain. 

Jouxter ainsi le placenta à la couche d’ozone permet d’affirmer avec Morin que certaines pratiques du développement, mettant en danger la qualité de l’air et de l’eau, risquent de crever la couche d’ozone, véritable ‘placenta’ de notre Terre Patrie.  Ainsi, il devient évident que tout ‘développement’ nuisible à ‘l’enveloppement’ risque de faire avorter la biosphère, porteuse de l’humanité !

Si je crois avoir ainsi montré que l’enveloppement de l’homme dans la biosphère est aussi vital et pourrait être aussi agréable que celui de l’embryon dans le ventre de sa mère, j’admets n’avoir pas encore dit grand-chose de l’origine africaine du concept. Pour ce faire, je pourrais rappeler que l’être humain est d’abord apparu en Afrique [20] ; « Adam n’était-il pas africain ? ». [21] C’est sur ce continent qu’il a d’abord été ‘enveloppé’ avant de naître. Et, une fois expulsé du paradis utérin, c’est en Afrique qu’il s’est retrouvé ‘enveloppé’ par la biosphère.  D’aucuns trouveront ce rappel un peu court pour justifier la présence de Cléopâtre dans le titre de ce chapitre qui veut mettre en évidence l’origine et la spécificité africaine du concept d’enveloppement. 

Pour pallier cette lacune, je rappellerais que, même si le bain ne semble pas prendre une grande place dans les rituels africains – les bains sont turcs et les thermes romains -, on se souviendra que Cléopâtre se baignait dans du lait d’ânesse.  Rituel fort onéreux qui peut être considéré comme sa façon royale de retrouver le bien-être procuré par le flottement prénatal en apesanteur dans le liquide amniotique maternel ! 

Évidemment, ce ne sont pas toutes les Africaines et tous les Africains qui vivent dans le luxe de Louksor ou d’Alexandrie et se baignent quotidiennement dans du lait d’ânesse.  Mais, si nous sortons de l’Égypte antique [22] et du badinage où je me complais un peu trop, nous devons alors reconnaître que c’est en Afrique que le bien-être moral des faibles, des enfants et des vieillards, semble avoir été, spontanément, le mieux assuré ! 

Nombreux sont les anthropologues qui admirent la façon dont les habitants des villages africains prennent collectivement soin de l’éducation de tous les enfants, quels qu’en soient les parents.  Ce sont la communauté, la tribu et surtout les ainés qui élèvent les enfants.  Ces derniers les initient à leur savoir-faire, les affranchissent à leurs pratiques magiques et les remettent sur le droit chemin lorsqu’ils commettent des erreurs ou des fautes.  Plus que les parents ou des enseignants attitrés, c’est tout le village qui ‘enveloppe’ les jeunes pour leur permettre de croître, puis de devenir adultes en les préparant à franchir les épreuves initiatiques de leurs tribus.

Mais, plus que l’éducation des enfants, c’est la façon dont les vieillards sont estimés et valorisés par les Africains qui frappe le plus les Occidentaux.  Dans mes cours, je projetais un excellent documentaire vidéo de l’ONF [23], Distorsions, réalisé en 1981 par Jacques Godbout et Florian Sauvageau. Les perceptions d’étudiants africains en stage au Québec y sont confrontées à celles des deux réalisateurs québécois réagissant aux mœurs et coutumes qu’ils ont rencontrés en Afrique.  Si les réalisateurs du film considèrent que les Occidentaux ont de bonnes raisons de se scandaliser de la façon dont les femmes y sont souvent traitées, les Africains, étudiants en journalisme à l’Université Laval, trouvent, de leur côté, que le sort des strip-teaseuses et des ‘Go-Go Girls’ de Québec et de Montréal n’a rien à envier à celui des femmes africaines. Par ailleurs, ils considèrent comme particulièrement abjecte la façon dont on traite, au Québec, les vieillards oubliés par leur progéniture dans des ‘maisons de repos’ qui leur semblent être de véritables mouroirs. [24]  Ils rappellent que, chez eux, « quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ! »  Ce fameux adage laisse pantois le professeur retraité que je suis.  De fait, j’ai dû constater, à l’instant même où j’ai pris ma retraite, que l’alternative de la boutade de l’humoriste français, Desproges : « Si tout le monde vous donne raison c’est que vous êtes d’une intelligence remarquable ou que vous êtes le patron » s’est figée sur la seconde option!  Les universitaires occidentaux ne considèrent comme ‘remarquables’ que ceux de leurs collègues qui ont un mot à dire sur leur embauche ou leur promotion ou seraient en mesure de les inviter à participer à un colloque se tenant dans un pays éloigné!  En Occident, dès qu’il se retire du circuit décisionnel, l’homme n’est plus qu’une bouche à nourrir et un corps à soigner aux frais des membres actifs de la société.  Face à cette jungle du ‘haut savoir occidental,’ émerge alors comme ‘véritable cure de jouvence’ l’enveloppement collectif qu’offrent les Africains à leurs vénérés aînés qu’ils considèrent comme détenteurs d’une sagesse et d’un savoir-faire d’une éternelle pertinence.

Si, en Afrique, l’enveloppement collectif incite les enfants à se surpasser et donne aux vieillards une excellente raison de continuer à vivre et à penser, les adultes qui génèrent cet enveloppement motivant, jouissent aussi, pendant les festivités liés à la célébration de rituels rassembleurs, d’un enveloppement musical [25] qui les fait vibrer aux rythmes de la communauté d’appartenance tout en harmonisant leur tempo avec celui de la biosphère.  C’est, du moins, à ce constat que me conduit la lecture des travaux de Jérémie Piolar, philosophe français intervenant au Sénégal dans des ONG.  Déçu par l’incapacité créatrice des ex-colonisateurs européens, il rappelle qu’en Afrique, ce sont tous les membres de la communauté qui génèrent et maintiennent ‘l’enveloppement’ culturel : « Nous parlons de culture populaire au sens de cultures apprises, agies en famille, dans les rues, dans les cafés, les fêtes traditionnelles.  Nous parlons de cette culture non dans le sens de cette culture qui fait des gens ‘cultivés’ mais de cette culture qui fait des gens ‘cultivant’, acteurs de leur culture. » [26]  De même, dans ‘L’invention de la vie,’ partant du triste constat que fait Ernst Bloch sur l’art occidental : « Nous sommes pauvres, nous ne savons plus jouer.  Nous l’avons oublié, la main a désappris à bricoler » [27], Simon Njami qui, doutant de « [cette] envie de jouer, ce bricolage qui fait la matière des œuvres des artistes africains contemporains, et qui, au début du siècle, pouvait être perçu comme de l’enfantillage,» n’en conclut pas moins superbement : « qu’y voir d’autre, après tout, que l’expression la plus pure de la vie ? » [28]

Certes, Patrice Yengo argue que de tels propos ne font qu’ajouter au « grouillement hédoniste dont on cherche toujours à affubler [l’Afrique], continent de la danse, de la joie de vivre…  » [29]  À cette critique déstabilisante, je rétorque que ‘l’hédonisme’ contesté par Yengo s’inscrit bien dans l’humanisme africain que Monique Chemillier-Gendreau décrit magnifiquement dans sa présentation de l’ouvrage collectif qu’elle a dirigé et où se trouve d’ailleurs l’article dévastateur de Yengo.  Sa magnifique contre critique constitue d’ailleurs une brillante synthèse de l’argument clef que je m’efforce maladroitement de formuler et de promouvoir dans cet article.

L’Afrique n’est[-elle] pas, malgré tout, un réservoir d’humanité ? Non qu’il soit nécessaire de rappeler qu’elle en est le berceau.  Mais parce que le rire africain, les solidarités africaines, le respect des anciens, des enfants, le sens des longues salutations, l’hospitalité comme nulle part ailleurs, les rituels comme liens de la vie sociale, sont des marques de la vie, de l’amour de la vie, précieuses entre toutes.  Vont-elles disparaître dans la contagion du désastre  ou sont-elles encore le terreau de la résistance à partir duquel nous pourrions tous rebondir, sortir à notre tour de l’étau, moins menaçant pour nous certes, mais néanmoins périlleux de l’évolution mondiale ?  En somme, le continent de l’utopie ? [30]

Et, pour de nombreux Africains, cette ‘utopie’ n’est pas qu’hédoniste ou artistique, elle est (ou plutôt, hélas, fut) aussi politique et économique.  Ainsi, au cœur de l’Afrique, dans les forêts équatoriales du Congo et du Cameroun, jusqu’à ce que les membres de tribus avoisinantes, convertis au darwinisme social et culturel du Nord, finissent par les retrouver pour les disperser et tenter de les assimiler, les Pygmées ont réussi à survivre frugalement, certes, mais en bonne santé et en autarcie efficiente dans des communautés qu’ils géraient eux-mêmes, sans chefs, assumant les responsabilités collectives en fonction des compétences acquises par les uns et les autres au fil des activités quotidiennes.

Pendant ce colloque, j’ai été bouleversé d’apprendre, de la bouche de collègues camerounais, que les Pygmées, délogés par la déforestation sauvage que l’on dit ‘indispensable au développement de la civilisation,’ voient, en ce moment même, leur société frugale disparaître avec les richesses naturelles de la forêt qui les enveloppaient.   J’avais pris connaissance de l’existence de ce peuple admirable, inventeur et porteur d’une méritocratie anencéphale, au travers des imposantes et méticuleuses recherches de Henri-Paul Bolap, qui a obtenu le premier doctorat en communication de l’UQÀM et de qui j’ai eu le plaisir et l’honneur de diriger la thèse. [31]

Si d’aucuns voient en moi, ‘un marginal illuminé’ parce que j’admire la créativité politique des Pygmées [32] ; ils ne sauraient nier que de sérieux pharmacologues du Nord se disent redevables envers les ‘sorciers’ pygmées de leurs découvertes et de leurs heureuses combinaisons de plantes médicinales.  C’est d’ailleurs en partant de cette contribution au secteur clef de la santé de la part de cultures que l’on disqualifie a priori, en les stigmatisant du quolibet de « sous-développées, » que Morin, à son tour, évoque leurs richesses qui font maintenant tellement défaut en Occident. « On a appelé ‘sous-développées’ des cultures qui comportent des savoir-faire (en médecine, par exemple), des sagesses, des arts de vivre souvent absents ou disparus chez nous ; elles recèlent des richesses culturelles, y compris dans leurs religions aux belles mythologies, certaines ignorant les fanatismes des grands monothéismes, préservant la continuité des lignées dans le culte des ancêtres, maintenant l’éthique communautaire, entretenant une relation d’intégration à la Nature et au Cosmos. » [33]

Par ces exemples et ces témoignages, j’espère avoir donné une idée plus précise de ce qu’il y a d’africain dans la notion d’enveloppement telle que je m’efforce de l’évoquer et de la promouvoir ici. 

Si j’y suis parvenu, certains me reprocheront d’avoir une vision idyllique de l’Afrique profonde et traditionnelle.  Ils rappelleront, en l’étendant à mes propos, la boutade de Voltaire selon laquelle Rousseau «aurait voulu nous faire à nouveau marcher à quatre pattes ! »  Et, effectivement, il y à dans mon admiration de l’enveloppement africain, un prolongement de l’idée du « bon sauvage »  (dont les écologistes sont si friands) que répandirent, il y a plus de deux siècles, des Romantiques, tels que Rousseau ou Chateaubriand.

De méchantes langues chercheront alors à me précipiter dans les oubliettes où croupissent ‘Munichois’ [34] et autres ‘Bizounours’ [35] que l’on accuse de militer naïvement pour un monde pacifié, équitable et vert [36], et d’où les séquelles du colonialisme auraient été enfin entièrement extirpées !

De fait, le monde n’étant plus ce qu’il était en 1938, je suis convaincu de la nécessité de poursuivre les objectifs des Pacifistes et des Écologistes d’aujourd’hui !  En 2012, pour 99.9% des Citoyens de la Terre, indignés, révoltés ou occupant Wall Street [37], poursuivre ces objectifs est le cap à suivre, ne serait-ce que pour assurer, au moins, la survie de l’humanité et, au mieux, l’épanouissement du genre humain.  L’instauration de la paix mondiale ne saurait être encore réduit à l’alibi des ‘lâches signataires des accords de Munich !’ La quête d’une équité durable entre sexes, peuples et religions, ne peut plus être considéré comme le rêve de ‘doux utopistes égarés!’

Ceci dit, cet engagement politique ne m’empêche pas de constater que tout ne va pas (et n’a pas toujours été) pour le mieux au Royaume de Cléopâtre. [38]  Comme je l’ai reconnu d’entrée de jeu, l’enveloppement africain, tel qu’il m’apparaît aujourd’hui encore, ne peut constituer, sans altérations majeures, la panacée rêvée pour humaniser une ‘Globalisation Autre !’ [39]

Pour pointer du doigt les principaux aspects négatifs de l’enveloppement africain tels que je les redoute, permettez-moi de retourner pour quelques instants à ma métaphore du coït et de la similarité de l’enveloppement intra utérin de l’embryon humain avec celui des terriens par la biosphère. 

 Je reviens, très sérieusement cette fois, sur cette métaphore érotique pour dénoncer la persistance de l’esclavage sexuel dans lequel sont maintenues trop de femmes africaines.  Ensuite, en abordant sous un nouvel angle le rêve du retour à l’enveloppement intra-utérin, je veux montrer l’énorme aberration que constituent les multiples enveloppes intermédiaires et contre-nature [40] que sont les frontières et les échelons hiérarchiques qui distinguent, divisent et opposent les individus, les tribus et les communautés africaines.  Ces murs absurdes reposent sur des distinctions artificielles (‘man-made’) d’ordre ethnique ou religieux qu’une réflexion très approfondie sur le fonctionnement des mécanismes de la communication humaine pourrait éradiquer à tout jamais. [41]

En ce qui concerne d’abord la métaphore du coït, si la grammaire française ne permet pas de bien différencier : ‘les hommes,’ représentant le genre humain des ‘mâles’ distincts des femmes, je dois souligner que, dans mes précédentes allusions à l’inconscient sexuel et intra-utérin, ce qu’il y avait, hélas, de spécifiquement africain était le fait que, sur une bonne partie de ce continent, seuls les hommes jouissent de l’enveloppement féminin.  

En Afrique donc, si c’est bien le sexe féminin qui enveloppe le sexe développé, c’est plutôt l’Africain - et non toutes les Africaines – qui jouit de cet enveloppement féminin et c’est plutôt le mâle qui, dans sa somnolence post coïtale, ressent l’agréable souvenir du flottement dans le liquide amniotique.   En effet, à moins d’une grossière erreur de ma part, la femme excisée ne peut connaître le plaisir de l’orgasme et de la somnolence béate qui lui succède.

Je rejoins donc mes collègues, Sauvageau et Godbout qui, dans leur film, Distorsions, dénoncent le drame africain qu’est cette pratique encore trop répandue de l’excision.  Pour qu’il soit possible de considérer l’enveloppement africain comme le moyen privilégié par lequel un AUTRE développement global pourrait être humanisé, il est grand temps de mettre un terme à ce rituel contre nature. Les Africains doivent permettre à leur compagne de jouir, comme eux, de l’enveloppement qu’elles leur prodiguent.  Il y a alors beaucoup de chances qu’après l’amour équitable, les femmes éprouvent, elles aussi, dans la somnolence post orgasme, le souvenir du bien-être en apesanteur prénatale. 

Je conclurai donc ce plaidoyer en soulignant que, pour qu’en Afrique, la complémentarité  développement/enveloppement soit aussi séduisante pour les femmes que pour les hommes, il faut éradiquer l’excision clitoridienne des mœurs et des coutumes des communautés qui la pratiquent encore.

En second lieu, et dans un tout autre ordre d’idées, le retour sur le dédoublement du placenta intra–utérin par la couche d’ozone, m’autorise à dénoncer l’arbitraire des frontières et des distinctions qui enveloppent tribus, classes sociales, religions et nations.  Même si l’Afrique n’a ni le monopole des frontières entre les pays ni celui de l’échelonnement arbitraire des hiérarchies sociales ou culturelles, il faut reconnaître que les croyances sur lesquelles reposent ces distinctions exclusivistes sont fondées d’une part, sur la violation du principe universel d’égalité politique et juridique de tous les êtres humains et, d’autre part, sur l’ignorance du fonctionnement des mécanismes anthropologiques, psychologiques et sociaux qui régissent les pratiques communicationnelles dans lesquelles sont enracinées ces distinctions.

Alors que la nature ne connaît que deux frontières : 1) le placenta qui enveloppe l’embryon dans le giron de sa mère et 2) la couche d’ozone qui protège la biosphère ; les êtres humains, arbitrairement parqués en genres, familles, sectes, clans, tribus, communautés, nations, sociétés (secrètes ou pas), classes sociales, fédérations ou confédérations, et autres formes d’alliances exclusives ont, depuis la nuit des temps, éprouvé le besoin mortifère de se distinguer les uns des autres en se hiérarchisant et en excluant ‘l’autre’ de ce qu’ils croient être ‘leur territoire’ et parfois même de la Terre entière, pourtant Patrie de l’humanité, en les exterminant par génocides et autres massacres.

Puisque l’histoire de l’humanité est jonchée de conflits fondés sur ces distinctions totalement arbitraires, beaucoup de nos contemporains qui se disent ‘réalistes’ en concluent trop rapidement que « puisqu’il en a toujours été ainsi, il n’y a pas de raisons pour que ça change! »  Ils ne voient donc vraiment pas pourquoi l’Afrique devrait faire exception et ce, même si de nombreux Européens sont, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, convaincus qu’il faille ‘faire l’Europe’ à tout prix pour que plus jamais les nations qui la constituent s’entredéchirent. [42]  En Europe, il est généralement mal vu d’utiliser les quolibets, ‘collabo’ ou ‘Munichois’ pour disqualifier quiconque demanderait, par exemple, que la France s’accommode de directives financières allemandes.  Par contre, dans les régions dites de la « périphérie» comme le Moyen-Orient ou l’Afrique, l’agression préemptive [43] semble de ‘bonne guerre’ et tout geste visant à éviter les conflits y est banni, voire puni, comme ‘acte de haute trahison!’ [44]

Si, à mon humble connaissance, l’Occident n’a rien à voir dans la création et la reproduction de ce rituel d’une violence intolérable qu’est l’excision clitoridienne et ne peut donc être blâmé que pour avoir péché par omission dans cette affaire [45], par contre, depuis longtemps, de nombreux observateurs lui attribuent la responsabilité d’avoir parfois créé et souvent envenimé les oppositions fratricides et contre-nature qui déchirent les Africains. [46]

Même si on ne peut soupçonner les Occidentaux d’avoir importé dans un monde idyllique l’exploitation de l’homme par l’homme et la barbarie puisque, bien avant qu’ils la conquièrent, « régnaient en Afrique, des despotes terribles, sanguinaires et esclavagistes, » on peut quand même reconnaître la pertinence de la réponse impertinente d’Aimé Césaire à ceux qui lui reprochaient d’avoir idéalisé la période précoloniale dans son Discours sur le colonialisme: « [si]ces roitelets et ces chefs oppresseurs existaient bel et bien avant le colonialisme, […] c’est justement avec eux que les colons ont fait alliance’ ! » [47]

De fait, ce n’est qu’avec les révolutions dites ‘du Jasmin’ ou ‘Printemps arabe’ que ces alliances remodelées (du 0.1% des Occidentaux avec le 0.1% des Africains, oligarques et membres de la ‘Jet-Set’) ont enfin cessé d’être honorées, - du moins en Afrique du Nord -, [48] la situation restant, hélas, des plus confuses au Moyen-Orient (Palestine, Syrie) comme dans la Péninsule Arabe, particulièrement au Bahrein et en de nombreux points d’Afrique noire, tels que les Soudans, le Nigéria, le Congo - RDC., le Mali, la Guinée-Bissau, etc.  

Je conclue cette partie sur la spécificité africaine de l’enveloppement en affirmant que le développement économique de ce continent promu par ‘le Nord,’ comme le furent l’esclavagisme aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et la colonisation aux XIXe et XXe siècles, repose sur l’exploitation des dimensions négatives de l’enveloppement que sont la hiérarchisation et l’exclusion des autres sur des bases ethniques, nationales et religieuses. 

Aussi, avant de chercher à humaniser le développement global en misant sur les dimensions psychologiques, sociales, politiques et culturelles positives de l’enveloppement à l’africaine, je voudrais rappeler les façons dont la colonisation puis le développement ont exploité et exploitent encore les dimensions négatives de l’enveloppement qu’il faudra dompter.


Deuxième partie:

‘Le développement économique de l’Afrique’  ou :
Quand les oligarques du Nord ‘civilisateur’
divisent l’humanité pour l’exploiter
et s’en approprier les ressources !

Après avoir passablement lu sur l’histoire du développement du Tiers-Monde et plus particulièrement sur le rôle qu’y a joué la communication (d’ailleurs soumise à la coerséduction) [49] et après avoir suivi l’évolution des nouvelles internationales pendant quatre décennies, je suis convaincu qu’il y a continuité entre les conquêtes, les massacres, l’esclavagisme, le colonialisme qui ont sévis de 1492 [50] à 1962 [51] et ‘la modernisation’ que le ‘Nord libéral’ impose, aujourd’hui, au ‘Sud libéré’!

N’ayant ni le temps ni l’espace requis pour dresser un portrait exhaustif de l’histoire des rapports Nord-Sud, je vais évoquer ici certains des ouvrages qui m’ont amené à cette conviction et préciser comment ils l’étayent.

Le premier est La conquête de l’Amérique, La question de l’autre [52] de Tzvetan Todorov.  Il y compare la façon dont les principaux acteurs de cette épopée [53], les Espagnols et les Amérindiens ont communiqué avec la nature, les dieux et les hommes. 

L’hédoniste Colon, herméneute de la nature, connaissait vents et marées.  Son goût des découvertes et de l’aventure jouxté à la foi chrétienne ont fait de lui un finaliste [54] dont les erreurs d’interprétation des signes l’amenèrent à découvrir, par hasard, les Antilles alors qu’il voulait, comme Marco Polo, se rendre en Chine mais en passant par l’Ouest.  Par contre, sur le plan humain, c’était un piètre communicateur tant avec ses pairs européens qu’avec les Amérindiens qui, pour lui, se fondaient littéralement dans le paysage.  C’est donc son inaptitude à poser la question de l’Autre qui l’a, évidemment, empêché d’y répondre et explique ses retentissants déboires politiques.

Moctézuma, archétype du colonisé, sait ce qui se passe sur son territoire.  De très rapides coureurs de fond l’informent des allées et venues des Conquistadores et surtout de Cortes ainsi que celles des adversaires de ce dernier qu’ils soient locaux ou espagnols.  En fait, c’est sa culture, son système de décryptage et d’interprétation qui va le perdre.  Son univers conceptuel spatial est clos et se limite aux terres qu’il connaît.  Il n’imagine pas l’existence d’autres Continents d’où auraient pu venir les Espagnols.  Sa conception du temps est cyclique.  L’avenir ne peut être qu’une reproduction du passé.  Pour Moctézuma, Cortes ne peut donc être qu’une divinité ou la réincarnation fantomatique d’adversaires qu’il a jadis mal traités et décimés.  Inconnu, inclassable, Cortes lui paraît invincible.   Il s’en remet alors à la communication religieuse, à ses prêtres, à ses ‘experts du divin’ qui, sacrifices après sacrifices et multiplication des décryptages de présages dans les viscères des sacrifiés, le font passer de la résignation à la capitulation.

Cortes, par contre, est un communicateur moderne, voire machiavélien.   Comme Colon, il a l’avantage de savoir d’où il vient et comment il est arrivé là.  Comme lui, il s’efforce de s’informer sur la nature et la configuration des nouveaux espaces mais, contrairement à Colon et surtout Moctézuma, il ne s’en remet jamais à Dieu pour comprendre les hommes.  Sa force provient du fait, inédit alors, qu’il se pose sans cesse la question de l’Autre.  Qui est-il ? Que fait-il ? Que croit-il ? En qui a-t-il confiance? Et, surtout, comment il le perçoit, lui, Cortes? Enfin, que veut-il faire ?  Cortes cherche toujours à comprendre les Amérindiens !  Il s’efforce de trouver des informateurs qui connaissent le terrain mais surtout la langue, la culture, la mentalité, bref, l’univers mental ou ‘les réalités communicationnelles’ [55] de l’Autre.   Si Colon, le navigateur, a eu la chance de trouver des îles américaines alors qu’il avait mis le cap sur la Chine, trop éloignée pour être rejointe par les navires et avec les ressources de son époque, Cortes, le conquérant a eu le bonheur inespéré de rencontrer la Malinche alors qu’il était en quête d’informateurs et de traducteurs locaux.

Esclave aztèque vendue aux Mayas qui l’ont revendue aux Espagnols, la Malinche connaissait la langue et la culture de deux communautés indigènes qu’elle avait de bonnes raisons d’abhorrer au moment même où Cortès voulait les appréhender.   Attrayante et ouverte, elle prit langue avec lui.  Grâce à elle, Cortes comprit rapidement le caractère de ses adversaires, sut ce qu’ils pensaient, et apprit qu’ils se querellaient souvent et s’enquit du pourquoi! 

Il fut informé des idées que les Amérindiens se faisaient de lui ainsi que des intentions qu’ils lui prêtaient.  Sûr de l’allégeance de La Malinche, Cortès lui confia, en plus du rôle d’interprète, la responsabilité de conduire les négociations avec Moctézuma et d’autres chefs aztèques. Sa loyale complicité permit à Cortes non seulement d’être informé des intentions de ses ennemis mais, en plus, de les désinformer en leur tenant des propos susceptibles d’aggraver leur rivalité et d’exacerber leurs suspicions mutuelles.

Par la suite, les Conquistadors, succédant à Cortès, ont confié ce rôle de traducteur/informateur/manipulateur, inauguré par la Malinche, aux pères missionnaires, Duran, Sahagun et Las Casas, qui avaient préalablement acquis la confiance des autochtones.  Bien qu’appartenant à des ordres catholiques, le fait de privilégier la communication avec les hommes plutôt qu’avec Dieu, fit d’eux des communicateurs modernes, annonciateurs des anthropologues du XIXe et du XXe siècles qui contribuèrent à la colonisation de l’Afrique comme à son prétendu ‘développement’ par les Occidentaux.

Enfin, après avoir longuement et méticuleusement expliqué comment, en privilégiant exclusivement la communication humaine, les Européens ont réussi à comprendre, prendre, détruire et, surtout, à opposer entre elles les communautés autochtones pour les détruire ou les soumettre aux colons, Todorov conclut son ouvrage en invoquant la prophétie de Las Casas.  Les Occidentaux y seraient doublement maudits ! D’abord, pour avoir omis de communiquer avec la nature en l’exploitant aveuglément.  Ensuite, pour ne point avoir communiqué avec Dieu en bafouant les principes fondamentaux de la morale commençant par le respect de la vie humaine. Du temps des conquêtes et des colonies, ils ont exterminé ou soumis l’Autre par la violence pure, puis ils l’ont hypocritement séduit lorsque vint le temps du ‘développement durable!’ 

Je reviendrai sur ‘la malédiction de Las Casas’ dans la conclusion de cet article, mais ici, je retiens de l’ensemble de cet ouvrage qu’il corrobore les trouvailles de ma thèse de doctorat, selon lesquelles, pour vaincre ou convaincre l’autre, il faut le bien connaître. Pour réussir de telles entreprises d’information visant à la domination, l’idéal est de s’infiltrer dans les réseaux de ‘coerséduction’ [56] de l’Autre, comme Cortès le fit grâce à la Malinche. 

Si l’on ne peut pénétrer l’univers intime de l’Autre ainsi que le milieu où évoluent celles et ceux en qui il a confiance, il faut alors repérer et connaître ses principaux codes linguistiques ainsi que ses rituels et artifices culturels les plus significatifs, comme ont réussi à le faire les missionnaires anthropologues, Duran, Sohogun et Las Casas pour le compte des Conquistadores.

Cette stratégie de communication visant à connaître l’autre peut servir le fort comme le faible, la colonisation comme la décolonisation, la conquête comme la résistance, voire demain, la contre pénétration des bases du conquérant par le vaincu [57] d’hier, comme je l’ai soutenu en 1980 dans ma thèse de doctorat et de nombreux  articles subséquents!

Certes, Cortès, en plus d’être fin stratège et habile communicateur, avait l’avantage de la surprise et de passer pour un être mystérieux aux yeux des autochtones, il bénéficiait aussi d’armes qui leur étaient inconnues: navires rapides (caravelles et brigantins), canons, arquebuses ainsi que les chevaux amenés par les Conquistadores.   Par contre, les Espagnols étaient infiniment moins nombreux que les Amérindiens et cela, en toute logique, aurait dû les faire échouer. 

Aussi, pour le sémiologue devenu historien et moraliste en étudiant cet événement, c’est son excellente compréhension du fonctionnement de la communication humaine qui a permis à Cortès de surmonter l’extrême faiblesse numérique de ses effectifs et, donc, de conquérir l’Amérique !

Par cette interprétation de ‘La conquête de l’Amérique,’ Todorov va à l’encontre de ce que croient, encore aujourd’hui, la plupart sinon la quasi totalité des communicologues, y compris ceux-là même qui ont reconnu le rôle crucial que joue le destinataire dans la communication de masse comme Stuart Hall [58] en Angleterre et Michel de Certeau en France. [59]  Bien que convaincus du pouvoir d’interprétation des destinataires, ces deux auteurs restent persuadés que si les destinataires ont bien la capacité d’interpréter les discours dominants et la liberté de s’en distancier, ils restent néanmoins soumis aux ‘Structures de Pouvoir’ en place et leurs moyens de résistance demeurent très limités, un peu comme les serfs du Moyen Âge qui réussirent à braconner sur les terres de leurs seigneurs sans jamais parvenir à échapper à leur servitude.

De mon côté, conforté par l’ouvrage de Todorov qui renforce les conclusions de mes propres recherches et celles de mes étudiants [60], comme par les travaux de collègues de pays émergents [61] ainsi que la lecture critique des théories dominantes du champ [62], je crois que l’avantage de connaître le maître, selon la fameuse dialectique, permet à l’esclave comme au serf de s’en libérer et, parfois, de le renverser, voire même de le dominer à son tour.

Pour moi, la décolonisation découle de ce renversement des savoirs que l’émetteur colonisateur avait sur le récepteur colonisé.  L’inversion des savoirs génère l’inversion des pouvoirs ! Les grands libérateurs du Tiers-Monde ont d’abord été des récepteurs actifs de la langue et de la culture (éthique et esthétique) des colonisateurs. Je ne citerai ici que les cas de Toussaint l’Ouverture en Haïti (1791), Gandhi en Afrique du Sud et aux Indes (1915-1958), Hô Chi Minh en Indochine (1954) et Frantz Fanon en Algérie (1946-1963).  De même, l’histoire de la contestation récente de l’Occident par les Théologiens de la Libération en Amérique Latine ou les Ayatollahs chiites en Iran, se poursuivant par les attentats salafistes de Ben Laden et d’Al Qaida pour finir par les Révolutions du Printemps arabe conforte cette interprétation du rôle des récepteurs actifs dans l’inversion des rapports de domination  de la périphérie par le centre. 

De plus, le constat de plus en plus criant du déplacement de l’axe de l’économie planétaire de l’Atlantique Nord vers l’Asie - Asie Centrale – Moyen Orient - Amérique Latine constitue une autre manifestation de l’activité triomphante des récepteurs de l’ancienne ‘périphérie’ sur le Nord ou l’Ouest, qui persiste à s’autoproclamer ‘Centre.’  L’accaparement de la puissance économique mondiale par les ‘victimes’ de l’impérialisme culturel devenues ‘décrypteurs/décideurs/acteurs’  provoque l’inversion des pôles de l’économie planétaire. Pour moi, il est évident que ce phénomène découle de l’aptitude des récepteurs actifs des puissances émergentes à métamorphoser l’exhibitionnisme linguistique et médiatico-culturel des anciennes puissances dominantes en informations révélatrices de l’agenda de ces dernières. 

Je conclurai cet article en montrant comment et en quoi l’adoption de l’enveloppement africain par l’Occident pourrait constituer le parachèvement de la dialectique maître/esclave.  Mais avant cela je tiens à revenir ici sur la première phase de cette dialectique.  Je vais donc d’abord souligner comment les oligarques du Nord (0.1% de l’humanité) qui ‘dominent’ encore le Sud en prétendant le ‘développer’ (après l’avoir colonisé puis décolonisé), - ce qui implique qu’ils en conservent le contrôle -, se sont servis, exactement comme Cortès, de leur connaissance des faiblesses de l’enveloppement à l’africaine. Comme je l’ai laissé entrevoir plus haut, ces principales faiblesses sont les divisions ethniques et religieuses à l’intérieur des communautés comme entre les diverses régions du continent.   Le maintien, voire l’exaspération de ces enveloppements artificiels et arbitraires que sont les hiérarchies intra-communautaires et les frontières internationales permettent aux Oligarques d’exploiter, à leur avantage exclusif, les ressources de l’Afrique au nez et à la barbe de 99.9% de ses habitants.

L’historien de Cambridge, David Reynolds, consacre trois sous-chapitres de son Magnum Opus, ‘One World Divisible, A Global History Since 1945’ [63] à démontrer comment le « Divide to Conquer », souvent attribué à ‘la perfide Albion’ mais que l’on a vu naître avec Cortès et qui est, en fait, la signature de tout impérialisme, s’applique à l’histoire de l’ingérence du Nord en Afrique.  Rien que les titres des sous-chapitres de l’ouvrage magistral de Reynolds confortent ma conviction selon laquelle d’une part, le développement, même ‘durable,’ contribue à la prolongation de l’exploitation coloniale et, d’autre part, que les enfermements, contre-nature et belliqueusement motivés, des Africains dans leurs tribus ou communautés ethniques, linguistiques et religieuses permettent aux rapports inéquitables Nord/Sud de se perpétuer.

Il me suffit de reproduire ici ces titres dans la langue de l’auteur : ‘Africa and the Persistence of Imperialism’ (pp. 88-98), ‘Ethnicity and Conflict in Black Africa’ (pp. 213-219) et ‘Poverty and Despotism in Sub Saharian Africa’ (pp. 598-608) pour justifier mon constat. L’examen du contenu de ces sous-chapitres le conforte encore plus.  Le premier, sur ‘l’Afrique et la persistance de l’impérialisme’ peut se résumer à la conclusion synthèse qu’en fait l’auteur en rappelant que la décolonisation s’est faite dans la précipitation.

Les Britanniques et les Français ont imposé le rythme et la forme de la décolonisation.  Résolus à transférer le pouvoir à des politiciens légitimés par le résultat d’élections populaires, ils ont contribué à l’invention de partis politiques qui n’étaient souvent que des rassemblements fortuits d’une multitude de groupes ethniques locaux.  Les États qui furent ainsi créés étaient donc, généralement, les sous-produits de politiques coloniales, manquant de cohérence ethnique et de moyens de fonctionner de façon indépendante. En 1964, par exemple, 24 États africains avaient moins de 5 millions d’habitants (dont 4 moins d’un million).  Peu d’entre eux avaient assez de personnel instruit pour faire fonctionner leur bureaucratie et la folie furieuse dans laquelle s’est faite la décolonisation à la fin des années cinquante n’a pas permis aux nouveaux gouvernants d’acquérir une expérience suffisante.  Les compagnies européennes ont gardé le contrôle sur l’essentiel du commerce et des ressources minières, comme des industries du continent.  À la célèbre injonction de Kwame Nkrumah: « Vises d’abord la souveraineté politique et le reste viendra, »  l’histoire subséquente de l’Afrique s’est soldée par un tout autre aphorisme : « Si tu obtiens la souveraineté politique, tout le reste te sera confisqué» comme l’a si bien vu Ali Mazrui. [64]

Si le premier sous-chapitre du livre de Reynolds conforte bien l’idée que, symbolique politique mise à part, les rapports de soumission du Sud au Nord, typique de la colonisation ont persisté après la décolonisation, le sous-chapitre sur ‘l’ethnicité et les conflits en Afrique Noire’ démontre bien que si le tribalisme, comme le communautarisme ethnique, linguistique et religieux ne sont pas problématiques en eux-mêmes, ils peuvent le devenir dès qu’ils sont récupérés et exploités par de cyniques agitateurs politiques.  Or, tout au long de la colonisation, le colonisateur s’est comporté en agitateur.  Pour établir sa domination, il exacerba les différences en opposant les communautés selon l’infaillible recette, ‘Divide to Conquer !’

Une fois le continent maîtrisé, les colonisateurs ont développé des stratégies différentes.  Les Français cherchaient à minimiser les différences interethniques afin d’assimiler les colonisés à une seconde classe de citoyens égaux entre eux ; les colons blancs constituant, bien sûr, la première classe.  Les Belges et les Anglais, par contre, entretenaient les différences ethniques, allant parfois jusqu’à hiérarchiser les tribus dans leur délégation de pouvoirs subalternes.  Excellant dans cet art de diviser, Reynolds rappelle que les Boers d’Afrique du Sud, matés par les Anglais au début du vingtième siècle, se sont efforcés de tribaliser à nouveau [65] les Sud-Africains noirs et parvinrent à maintenir les distinctions entre les Asiatiques, les Gens de Couleurs (Indiens) et les Noirs.  Au Congo, les Belges laissèrent aux différentes tribus le soin de socialiser leurs propres membres. Toutefois, ils parvinrent à désamorcer les conflits interethniques grâce au bon fonctionnement d’un système de santé et de sécurité sociale hors pair. 

Mais cela a cessé le 30 Juin 1960. En effet, dès que, sous la pression populaire, les Belges ont accordé l’indépendance au Congo, il est devenu ingouvernable, laissé en proie aux violences interethniques et interrégionales. Et, pour Reynolds, le cas du Congo est loin d’être exceptionnel.

Les Africains étaient séparés par des rivalités ethniques.  En Rhodésie, par exemple, les guérillas étaient divisées entre ZANU, représentant la majorité Shona et ZAPU constitué surtout de Ndebeles.  Dans les États de l’Afrique centrale du Rwanda et du Burundi, les conflits chroniques entre Tutsi et Hutus n’ont cessé de perturber les politiques nationales depuis le départ des Belges.  On ne peut pas oublier la fracture sanglante opposant Musulmans du Nord et Chrétiens du Sud au Soudan - pays situé à la lisière historique de l’expansion arabe en Afrique.  La férocité de ces combats ethniques et religieux s’est manifestée de façon particulièrement dramatique au cours des guerres civiles du Congo (1960-1964) et du Nigéria (1966-1970). [66]

Pour cet historien britannique, il est évident que c’est l’exacerbation du tribalisme, savamment entretenu par le colonialisme, qui constitue le principal obstacle à l’unification politique et surtout économique de l’Afrique.

Les bains de sang au Congo et au Nigéria furent d’une rare violence, mais leurs causes résultent de tensions qui sont typiques de l’Afrique Noire.  Dans les années 70, l’idée de l’unification panafricaine pour la prospérité qui commençait à poindre au sein de l’Organisation des États Africains (OEA) tenait encore du délire.  Comme l’exprima magistralement Davidson Abioseh Nicol, médecin, diplomate et poète du Sierra Leone,

Afrique, tu n’es pas un pays,
Tu es un concept,
Imaginé par chacun d’entre nous,
Pour cacher nos peurs d’êtres divisés,
Pour rêver nos rêves d’isolés solitaires.

Les causes de division et d’exclusion les plus évidentes provenaient de rivalités ethniques et régionales, bref, du ‘tribalisme,’ comme disent les Européens.  Bien qu’elles aient souvent été considérées comme ‘pré-modernes,’ dans bien des cas, les distinctions tribales ont été exacerbées pour être instrumentalisées par les administrations coloniales.  Après l’indépendance, ce sont les opposants aux nouveaux régimes qui les ont exploitées pour mobiliser les masses contre les élites au pouvoir. [67]

Selon Reynolds, cette exacerbation politique des différences ethniques et religieuses par les leaders locaux n’a fait que s’accentuer durant les années 80. La décennie suivante, les choses s’améliorent quelque peu par endroits.

Les années 80 ont été un désastre pour presque toute l’Afrique, avec des guerres dans le sud tandis que beaucoup d’États s’effondraient.  L’espoir revint toutefois au début des années 90.  À la transmission du pouvoir de la minorité blanche aux peuples noirs d’Afrique du Sud en 1994, fit écho le départ d’autocrates noirs installés à la gouverne de leurs pays depuis trop longtemps, Banda au Malawi ou Mobutu au Zaïre.  Toutefois, ces restaurations du multipartisme ne sont pas parvenues à résoudre les crises sociales et économiques omniprésentes.  Aussi, les années 90 virent se développer une guerre-génocide en Afrique centrale, la famine dans la corne de l’Afrique alors que la tragédie du sida ne cessait de s’amplifier[68]

Reynolds insiste quand même sur la lueur d’espoir qui pointa en Afrique du Sud lors de la passation du ‘pouvoir blanc’ aux Noirs.

Avant tout, cette passation des pouvoirs consacre le triomphe de Nelson Mandela avec la philosophie de conciliation multiraciale qu’il avait imposée à l’ANC.  Lors de son investiture, le 10 mai 1994, il promet de créer « une nation arc-en-ciel en paix avec elle même et le monde. »  Son cabinet est constitué de Noirs, de Blancs, de Gens de Couleur et d’Asiatiques (les quatre races identifiées par l’Apartheid), de même que des capitalistes, des socialistes, un communiste (Joe Slovo) et trois nationalistes zoulous[69]

Malheureusement, le rêve de Mandela de faire de l’Afrique du Sud un État ‘arc-en-ciel’ ne semble jamais avoir été partagé par ses concitoyens, ni même d’ailleurs par ses propres électeurs.  Comme l’affirme encore Reynolds,

En dépit de cette rhétorique, les résultats des élections de 1994 coïncident avec les données du recensement.   Seulement 3 à 4% des Noirs et des Blancs ont voté hors du clivage racial.   Et cela persista lors des élections de Juin 1999 où Thabo Mbeki succéda à Mandela à la tête de l’ANC comme à la présidence du pays[70]

Même si l’Afrique du Sud n’a pas été l’État arc-en-ciel dont rêvait Mendela, je tiens à souligner et retenir ici ce rêve d’un Africain admirable et admiré qui a imaginé la possibilité d’un ‘enveloppement multiethnique et pluripartiste’ réunissant les différentes communautés d’un pays, voire même d’une région.   Il offre une voie royale 1) pour sortir des conflits interethniques dans lesquels le Rwanda, le Burundi, le Congo Kinshasa et beaucoup trop d’autres pays se sont embourbés et 2) pour s’extirper des nouveaux conflits confessionnels [71] qui affaiblissent les deux Soudans ainsi que d’autres pays de la corne de l’Afrique et même de son centre, comme le Nigéria.  Ces conflits religieux sont envenimés par l’ingérence insistante de nouveaux joueurs extérieurs se situant aux antipodes de l’échiquier ethno-religieux.  Ainsi l’Iran et l’Arabie Saoudite promeuvent deux formes opposées d’intégrisme musulman tandis qu’Israël exacerbe les conflits entre Chrétiens (Coptes et Noirs) et Musulmans (Arabes). 

En fait, comme Reynolds l’a bien vu et comme Engelhard le souligne aussi, ce n’est ni la multitude de regroupements ethniques ni l’amplification de la diversité des croyances religieuses qui sont problématiques.  Les pays d’Afrique, surtout animistes ont longtemps fait preuve de tolérance religieuse. Ils devraient être tout à fait en mesure de vivre avec ces différences ethno-religieuses comme les États-Unis d’Amérique le font depuis leur fondation.  Et, si l’on a vu que cette possibilité avait été imaginée par Mandela pour son pays, Engelhard nous rappelle qu’ « Au Sahel, ‘l’identité plurielle’ constitue un mode de gestion quasi unique de la diversité.  L’ethnie voisine est traitée sur le mode de la parenté : de ce point de vue, cette partie de l’Afrique serait plutôt une sorte de modèle pour le monde qui vient ! » [72]  Et ce penseur me semble contribuer au projet que je m’efforce de formuler par cet article puisqu’il soutient dans L’homme mondial[73] que le Sahel, par son modèle de gestion de la diversité ethnique peut contribuer à l’amélioration de l’avenir de l’humanité.[74]

Évidemment, l’invasion de la partie saharienne du Mali par des Intégristes salafistes qui ont fui la Libye après la chute de Khadafi au Printemps 2012 assombrit cette lueur d’espoir sahélienne.  Toutefois, témoignant de la résilience d’un tel espoir, les États voisins s’apprêtent à intervenir et relayer la France pour mettre un terme à cette invasion. [75]

Il est donc évident qu’au travers des rêves de ses leaders les plus estimés et des pratiques intercommunautaires qui prévaudront fort probablement à nouveau au Sahel, comme hier chez les Pygmées, l’Afrique montre qu’elle peut se donner des lois qui transcendent ces ‘sous-enveloppements’ artificiels et arbitraires que sont le genre, la secte, le clan et la tribu.   Comme on l’a vu, les identifications symboliques à caractère ethnique ou religieux, non problématiques quand elles sont ouvertes, ont été exacerbées après avoir été refermées pour semer la zizanie et la confrontation d’abord par les conquérants venus d’autres régions du continent, puis par les colonisateurs et, maintenant, par des agents corrupteurs venus de l’extérieur.  Si, au Mali, ces derniers sont des ‘terroristes intégristes’ ou des ‘islamo-fascistes,’ [76] ailleurs, ce sont des multinationales occidentales et, de plus en plus asiatiques, voire chinoises [77] dont les dirigeants contrôlent des superpuissances oligarchiques capitalistes ou néo-communistes qui s’autoproclament « démocratiques ».

Encore une fois, ce n’est pas l’enveloppement religieux ou ethnique en tant que tel qui pose problème mais son éclatement en fragments fermés     survenu au cours de la colonisation et de la décolonisation ainsi que son exploitation militaro-industrielle par toutes sortes de puissances extérieures. 

Si, dans un proche avenir, (le temps d’écrire La communication soumise à la coerséduction), j’espère pouvoir, en temps que communicologue, contribuer à réunifier les fragments des identités ethniques et religieuses en proposant une meilleure compréhension des mécanismes de la communication humaine par lesquels elles ont été façonnées et opposées ; aujourd’hui et, dans l’état apparent des choses, je ne peux que m’empresser d’appuyer les propos des responsables des organismes mondiaux qui insistent sur la nécessité, pour les dirigeants africains, de réduire leur propension au combat et leurs dépenses d’armements. Très modestement, je me joins donc à Frederico Mayor qui, en 1999, déclarait :

Aucune excuse, dans la situation politique intérieure et extérieure de l’Afrique, ne justifie le niveau aussi élevé en accroissement constant des dépenses militaires (3% du PIB en 1991 contre 0.7% en 1960).   Avec Kofi Annan, j’appelle les pays africains à réduire leurs dépenses d’armements et de munitions, à les faire passer au dessous de 1.5% de leur PIB et à s’engager à ne pas augmenter leur budget de la défense pendant les dix années qui viennent.  Les fonds ainsi dégagés devraient être réinvestis dans les secteurs d’investissement vital que sont l’éducation et la santé, dont la part relative dans le PIB devrait être augmenté d’autant chaque année, puisque ce sont les dépenses sociales qui ont le plus souffert en périodes de conflit[78]

Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour se rendre compte que ces conflits fondés sur l’exacerbation artificielle des histoires d’appartenance et d’exclusion ethniques ou religieuses que se racontent les membres de cette espèce narrative qu’est l’humanité ne bénéficie qu’à une très faible portion d’Africains (le 0.1%, soit les oligarques corrompus), comme aux vendeurs d’armes du Nord (Europe, États-Unis, Russie) et du Moyen-Orient (Israël) ainsi qu’aux propriétaires/actionnaires des multinationales que sont (ou que protègent) les oligarques des ‘grandes puissances occidentales’ d’hier ou des ‘puissances émergentes d’Asie’ (Chine), aujourd’hui.  Il est évident que les conflits intérieurs à l’Afrique permettent aux entreprises externes, d’exploiter ses extraordinaires ressources énergétiques, minérales et agricoles ou forestières, au nez et à la barbe de 99.9% des populations locales.

Puisque les êtres humains sont les seuls responsables des histoires qu’ils se racontent pour appréhender le monde, s’y situer et identifier autrui ; pourquoi les Africains qui s’entredéchirent aujourd’hui ne pourraient-ils pas tous s’envelopper dans une même solidarité tribale ou communautaire, comme l’on fait, chez eux, les Américains avant-hier, les Européens hier et comme les Asiatiques pourraient le faire aujourd’hui si le Japon daignait enfin s’excuser des crimes qu’il a commis durant le seconde guerre mondiale ? [79]  Ils pourraient stimuler leurs différences ethnique, linguistiques et religieuses non plus pour se distinguer dans des hiérarchies infondées et fauteuses de guerres civiles mais, au contraire, pour les combiner de façon synergique afin de recréer, en les modernisant, les systèmes de gouvernance solidaires et équitables, fondés, non sur l’héritage de titres, mais sur la compétence ponctuelle comme le furent les systèmes pygmées et le sont les relations inter-familiales du Sahel et comme le sera un jour la société arc-en-ciel dont rêve Nelson Mandela.  Ceci pourrait se faire très vite puisque « le cas sud-africain est là pour nous rappeler que l’histoire peut avoir, après de longues phases de latence, de ces sauts qui changent la face du monde. » [80]

En plus de compter sur leurs propres conceptions du politique (Pygmées, Sahel, Afrique du Sud, etc.), les Africains pourraient relancer leur système d’éducation en réactivant leurs traditions communautaires vivifiées par les brassages interculturels générés par les conflits, les famines, les épidémies qui sévissent depuis la décolonisation. Catherine Coquery-Vidrovitch, tout en dressant un portrait très sévère de la situation, pense qu’il est possible d’en tirer les leçons et de rebondir en faisant preuve de résilience.

Cette culture émergente est en même temps inter et multiculturelle, fécondée de syncrétismes et de métissages, particulièrement vivante, y compris dans ses drames.  Car une construction de cette richesse ne peut s’édifier dans le calme et la passivité.  Il y faut de la volonté, de la combativité et de l’imagination – donc de la souffrance et de la vie[81]

C’est l’école qui, en dépit de son piteux état présent, pourrait le plus contribuer à accélérer les choses.  Comme elle le dit, « …une arme majeure des sociétés africaines, comme partout ailleurs, c’est l’école.   Quelle que soit la valeur de celle-ci (en général médiocre et menacée), elle existe et se développe à une vitesse extraordinaire. » [82]

En espérant que l’enveloppement africain, fécondé par les apports interrégionaux générés par les malheurs d’hier et d’aujourd’hui, permette aux communautés traditionnelles de retracer ou de créer pour l’enseigner une histoire de la partie subsaharienne du continent où convergeraient, de façon synergique, mais sans amalgame, les diverses identités locales, on peut imaginer que l’Afrique, après l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie, devienne un ensemble économique d’où la violence intra et inter étatique serait bannie, exactement comme elle le souhaitait lors de l’indépendance de ses États et le souhaitent aujourd’hui les membres de l’Organisation de l’Union Africaine. 

Bien que je rejoigne sans réserve les altermondialistes dans leur rêve de construction d’un ‘vaisseau spatial terre’ et Morin dans son idée de doter l’humanité d’une véritable ‘Terre-Patrie,’ à court terme, je pense qu’il est possible d’envisager l’établissement de sous regroupements régionaux. L’Afrique subsaharienne d’une part et, de l’autre : la ‘Ouma musulmane’ recouvrant Maghreb et Mashreb ainsi que la Péninsule Arabe et les régions musulmanes d’Asie Centrale et Orientale.   De tels regroupements feraient pendant à l’Europe et à l’ALENA élargie à l’Amérique latine comme à ceux qui émergent en Asie, sur le pourtour du Pacifique.   Évidemment, ces regroupements d’États à l’échelle sub et trans-continentale n’auraient pas pour but de diviser le monde en ‘épistèmés’ ou civilisations religieuses susceptibles de se confronter comme le redoutait Samuel P. Huntington [83] à la fin du XXe siècle.   Au contraire, ces nouvelles zones, enfin unies et pacifiées, pourraient s’organiser pour fonctionner de façon synergique et harmonieuse sous la gouvernance d’une instance planétaire issue de la volonté de tous les peuples de la Terre enfin reconnue comme ‘Patrie du genre humain !’

On peut imaginer combiner les énergies, les originalités, les valeurs, les apports scientifiques et culturels des différentes communautés pour constituer une seule tribu humaine composée d’une multitude d’entités diverses, voire d’individus qui auraient tous leur propre personnalité.  Les rares bénéficiaires du ‘développement sans enveloppement’ qui sévissent encore aujourd’hui ne pourraient plus y profiter de façon éhontée des guerres intercommunautaires qu’ils provoquent et entretiennent.  Toutefois, si ce ‘rêve’ se réalisait, il faudrait alors faire face aux problèmes que pose l’évaluation exclusivement quantitative du développement contemporain. 

En effet, par leur présente évaluation exclusivement quantitative, les bureaucrates et les technocrates du Nord avec leurs épigones du Sud ne laissent pas le moindre interstice à l’enveloppement qui pourrait enfin humaniser la globalisation économique qui, dans peu de temps [84], sera considérée par 99.9% des habitants de la planète comme absolument intolérable.


Troisième partie:

S’il est vrai que quand on aime, on ne compte pas,
pourquoi alors se soumettre au développement
quantitativement limité?

Ne croyez pas que je sois en train de passer du coq à l’âne ou de quitter la dénonciation de l’aberration des conflits internes et externes pour me lancer, sans transition, dans la critique de la gestion comptable et financière du potentiel économique de l’Afrique!  L’affirmation incontestée : ‘l’argent est le nerf de la guerre’ constitue ici ma transition !  L’argent, comme le regrettent les dirigeants de l’ONU auxquels je me suis joint plus haut, sert trop souvent à payer des bataillons et leurs munitions !

C’est l’effondrement des politiques issues du tyran soviétique qui va me permettre de déserter la force des armées pour rejoindre le camp du pouvoir de l’esprit humain.   On se souvient que Staline,  apprenant que le Vatican condamnait ses propos et gestes, ironisa: « le Pape… Combien de divisions ? »  Certes, s’il n’est pas mort d’une crise cardiaque à la suite de son excommunication, c’est quand même ciblé par les trompettes spirituelles d’un Pape polonais que l’Empire Soviétique s’est écroulé avec le mur de Berlin.

Cette anecdote montre à merveille que le nombre de divisions militaires et la masse monétaire par lesquelles on mesure le niveau de développement [85], peuvent voir leur imposante pertinence se dissiper devant la diffusion - via de clandestins réseaux de coerséduction - de paroles d’enveloppement spirituel prononcées par une autorité religieuse adulée. [86]  À la fin de la seconde guerre mondiale, négligeant eux aussi cette dimension spirituelle de l’enveloppement, les Américains imposent au ‘monde libre’ le règne absolu du chiffre.  Avec le Président Truman, ils promeuvent le ‘développement’ des nations du Nord et du Sud en l’organisant exclusivement autour d’indices quantifiables!

Certes, ce choix comptable avait l’avantage de paraître a-politique, a-culturel et a-religieux [87] mais, comme le révèlent Wolfgang Sachs et Gustavo Esteva en 1995, le mépris économique qu’implique la logique quantitative et statistique du ‘développement’ n’a fait que de prolonger indûment le mépris colonial!

…  Les sociétés qui se considèrent civilisées tiennent pour non-civilisés les peuples différents, tout comme le christianisme identifiât aux païens tout ce qui était en dehors de ses limites.  Toute société impérialiste voit dans l’Autre la négation de l’idéal qu’elle s’efforce elle-même d’atteindre.   Elle cherche à le domestiquer en l’attirant dans le champ d’application de son idéal et en l’y situant au degré le plus bas.  Selon cette logique, la société économique américaine – promue au rang de puissance mondiale – conçoit l’Autre comme la négation de son propre idéal de richesse et de prospérité.

L’un des premiers rapports de la Banque Mondiale, celui de 1948/1949, souligne la nature du problème :

La nécessité et la possibilité du développement sont toutes deux clairement démontrées par les statistiques suivantes : selon le Bureau de la statistique des Nations Unies, le revenu moyen per capita en 1947 dépassait 1.400$ aux États-Unis alors qu’il se situait entre 400 et 900$ dans 14 autres pays […]  Pour plus de la moitié de la population mondiale, toutefois, le revenu moyen était moindre, parfois bien au dessous de 100$ par personne.  L’ampleur de cet écart démontre non seulement à quel point il est urgent de relever le niveau de vie des pays sous-développés, mais aussi qu’il existe d’énormes possibilités de le faire […]

Donc, quand la pauvreté apparut dans les documents des années 1940 et 1950, ce fut en termes de mesures statistiques du revenu per capita qui restait, dans plusieurs pays, ridiculement bas par rapport à celui des États-Unis.  Par là même s’imposa la statistique comme puissant témoignage de la réalité.  Là où la perfection sociale se manifeste par l’importance des revenus, comme dans la société économique, on considère pour ainsi dire chaque société différente, dérogeant à cet idéal, comme étant à faible revenu.  La perception de la pauvreté à l’échelle mondiale n’était donc rien d’autre que le résultat d’une opération de statistique comparée, méthode utilisée pour la première fois par l’économiste Colin Clark, en 1940.  À peine l’échelle des revenus était-elle mise en place que l’ordre était établi dans le monde en pleine confusion ; des univers aussi différents que celui des Zapotèques, des Touaregs ou des habitants du Rajasthan furent classés horizontalement comme similaires tout en étant renvoyés verticalement à une position d’infériorité presque incommensurable par rapport aux nations riches.   Ainsi, la pauvreté définissait des populations entières, non par ce qu’elles sont ou veulent être, mais par ce qui leur manque et ce qu’elles doivent devenir.  Le mépris économique avait atteint le niveau du mépris colonial[88]

Et, si Sachs et Esteva soulignent que l’économisme quantitatif fait fi des valeurs spirituelles et collectives fondatrices de l’identité de ceux qu’il prétend développer, ils montrent aussi que l’occultation des ‘anti-risques’ que portent en elles ces valeurs collectives et spirituelles a des conséquences désastreuses quant à la survie même des populations en ‘développement.’

Par ce moyen [quantitatif et statistique] se constitua également la base cognitive de l’intervention, dont le caractère se dégage de lui-même sitôt que la particularité d’un pays est réduite à l’unité de mesure du niveau de vie : là où le problème s’appelle faiblesse du revenu, la solution ne peut être que le développement économique.  À peine mentionne-t-on l’idée que la pauvreté pourrait être une conséquence de l’oppression et par conséquent, qu’elle pourrait être résolue par l’émancipation ; ou que la frugalité pourrait être une stratégie de prévention des risques qu’il serait frivole de miner par négligence ; et encore moins qu’une société pourrait diriger ses énergies vers d’autres sphères que la sphère matérialiste.  Nenni ! [89]

Comme ils le soulignent, la fierté ou l’estime personnelle de l’autochtone, la frugalité de sa consommation quotidienne et de ses modes de transport,  l’importance des rapports de ‘coerséduction’ dans sa communauté et le respect de son environnement naturel avec sa flore et sa faune constituent des ‘anti-risques’ indispensables à sa survie et à l’élaboration de son avenir. 

Confortant la posture de ces deux auteurs, Morin évoque les risques que les politiques contemporaines de développement et de modernisation du Nord font courir au Sud et à l’ensemble de l’humanité.  Pour lui, la politique de civilisation (où les ‘anti-risques’ de l’enveloppement modèrent les excès du développement) qu’il propose « devrait refouler au second plan le négatif qui aujourd’hui occupe le premier plan, c’est à dire l’hégémonie du profit, la réduction du politique à l’économie, la réduction de la connaissance au calcul (lequel ignore la multidimensionalité de l’existence humaine), la domination de la rationalisation (qui écarte tout ce qui échappe à sa logique close) sur une rationalité ouverte. » [90]

Morin n’a de cesse de déplorer que la conception techno-économique du développement n’ait d’autres instruments de connaissance que le calcul.  Pour lui, dans ce système, « les indices de croissance, de prospérité, de revenus, les statistiques prétendent tout mesurer.  [Et, encore plus que Sachs et Esteva, il insiste sur les conséquences dramatiques de cette obsession quantitativiste.] Le calcul ignore non seulement les activités non monétarisées comme les productions domestiques et/ou de subsistance, les services mutuels, l’usage des biens communs, la part gratuite de l’existence, mais aussi et surtout, tout ce qui ne peut être calculé et mesuré : la joie, l’amour, la souffrance, la dignité, autrement dit le tissu même de nos vies. » [91]

Rejoignant ma métaphore de la biosphère, réplique du giron maternel, Morin souligne que, si l’on a fini par se rendre compte de l’importance de l’environnement en ne jurant que par le ‘développement durable,’ ce n’est là qu’un éloge que le vice rend à la vertu.

L’idée de ‘supportabilité’ [‘sustainable’] (ou de durabilité) ajoute au développement la prise en compte de la sauvegarde de la biosphère et, corrélativement, de la sauvegarde des générations futures.   Cette notion renferme une composante éthique importante.  Mais celle-ci ne saurait améliorer l’idée même de développement.   Elle ne fait que la suaviser, de l’enrober d’une douce pommade[92]

Pour lui, persiste encore un énorme problème qui rend « sous-développée »  l’idée même de ‘développement !

… le développement a longtemps été aveugle aux dégradations écologiques  qu’il continue de provoquer (industries polluantes, villes polluées, agriculture, élevage et pisciculture industrialisés) ; il a mis et met de plus en plus la biosphère en danger par l’exploitation forcenée du pétrole, du charbon, par la déforestation massive, les dénaturations provoquées par les cultures et l’élevage industrialisés.
Aussi l’idée généralement admise du développement est aveugle aux dégâts et dégradations qu’il produit.  L’idée de développement est une idée sous-développée ! [93]

Décrivant les méfaits du développement à l’occidentale, il poursuit en  rejoignant les regrets qu’a suscités, chez moi, la disparition des Pygmées :

Le développement est une formule standard qui ignore les contextes humains et culturels.  Il s’applique de façon indifférenciée à des sociétés et à des cultures très diverses, sans tenir compte de leurs singularités, de leurs savoirs et savoir-faire, de leurs arts de vivre, présents chez des peuples dont on dénonce l’analphabétisme sans percevoir les richesses de leur cultures orales traditionnelles.  Il constitue un véritable ethnocide pour les petits peuples[94]

Puis, il conclut son réquisitoire contre le développement à l’occidentale sans enveloppement à l’africaine en redoutant qu’en voulant offrir au monde ce qu’ils pensaient être ‘leurs grandes qualités,’ les Occidentaux y aient, en fin de compte, refourgué leurs vices.

Le développement donne en fait le modèle occidental comme archétype universel pour la planète.  Il suppose que les sociétés occidentales constituent la finalité de l’histoire humaine.  Produit du sociocentrisme occidental, il est aussi le moteur d’une occidentalisation forcenée.  De fait, il n’apporte pas nécessairement au reste du monde ce que la civilisation occidentale comporte de positif (droits humains, liberté, démocratie), il charrie inévitablement ses vices[95]

En poursuivant l’énumération des catastrophes générées en Occident par l’exacerbation du capitalisme sauvage que l’expansion du développement quantitatif  mondialise, Morin m’offre une voie royale pour conclure cet article.


CONCLUSION

De la fâcheuse habitude des Occidentaux à ne voir en l’Afrique
que ses ‘tares’ et ‘retards’…  à leur ‘appel au secours’ pour que
‘l’enveloppement africain’ les sauve enfin des excès du ‘développement,’
devenu néfaste au sort de notre ‘Terre Patrie’


Lorsque j’ai proposé d’intervenir dans ce ‘Colloque interdisciplinaire sur le développement en Afrique’ à ses organisateurs, je venais de lire La voie…  Pour l’avenir de l’humanité où Edgar Morin oppose la notion ‘d’enveloppement’ à celle de ‘développement’ en insistant toutefois sur leur complémentarité. [96] Comme j’aime provoquer la réflexion et le débat en adoptant des perspectives inhabituelles, je me suis lancé dans ma présentation orale et dans la conversation qui l’a suivie en mettant de l’avant cette notion. Bien sûr, j’y ai greffé des appendices et des exemples issus d’autres lectures ainsi que de réflexions conçues pour nourrir mes enseignements sur ‘le développement et la communication.’ Des ajouts proviennent aussi des conversations que j’ai eues avec d’autres chercheurs lors de colloques internationaux ou durant l’encadrement et l’évaluation de thèses et de mémoires d’étudiants originaires du Tiers-Monde.  Comme je l’espérais, cette présentation a éveillé des curiosités et c’est dans l’espoir de les satisfaire que je me suis plongé dans la rédaction du présent article.  Ce faisant, de surprenantes questions sont venues me tourmenter. 

Je dois avouer qu’au moment de livrer cet article, je n’ai pas réussi à répondre à toutes ces questions de façon satisfaisante.  Aussi, j’ai pensé que le meilleur moyen de sortir de ce dilemme était d’en faire part ici, tout en évoquant les embryons de réponses que j’ai pu leur trouver.

Comme on a l’a ressenti en lisant le début de cet article, j’ai éprouvé un malaise devant des propos tenus en aparté quant à ma présence ‘détonante’ parmi les conférenciers africains.  Le fait que je sois blanc, d’origine et d’éducation française et que j’ai enseigné toute ma vie active dans des universités francophones de trois provinces canadiennes après avoir fait un doctorat aux États-Unis, justifie que l’on questionne le bien fondé de ma présence parmi les experts africains du développement qui constituaient la quasi totalité des intervenants, ce qui, vu l’aspect exceptionnel d’une tel événement au Nord, mérite d’être vivement salué !

Comme on a pu le lire au début de l’article, mon premier réflexe a été d’avouer ma faible connaissance de l’Afrique.  Mais cet incident anodin (qui est peut-être passé inaperçu à la majorité des participants) m’a conduit à ruminer longuement la question de l’incidence de mon identité (qui découle de l’histoire de ma trajectoire) sur ma conception des Africains et de leurs problèmes. 

Mes réponses se sont alors engouffrées dans deux directions opposées mais quelque part ‘complémentaires,’ si l’on me permet de conserver l’optimisme de Morin concernant l’heureuse complémentarité des contraires et l’éventuelle découverte de sources de création dans ce qui, au premier abord, semble être des contradictions !

Sur le champ, je suis monté sur mes grands chevaux ‘d’Universaliste’ !  Ayant, toute ma vie d’exilé, eût l’impression d’être perçu comme le Meursault, ou L’étranger d’Albert Camus, pour ma défense, je me suis mis à répéter à qui voulait bien m’entendre que dans ‘Université’ il y a ‘Cité de l’Univers.’   Si les écoles primaires et secondaires ont pour objectif de former les citoyens productifs de la nation qui les ont conçues et qu’elle se doivent de servir, les universités ont pour but de métamorphoser les ‘chenilles rampantes’ que sont les ‘bacheliers chauvins’ en ‘splendides papillons’ que devraient être les ‘citoyens du monde diplômés des universités.’  Ces derniers devraient pouvoir jeter sur leur patrie d’origine un regard serein fondé sur des perspectives qui doivent situer leur point de vue hors frontières, voire même outre mers.

Étudiant à la Sorbonne, j’avais autant apprécié les cours du philosophe grec, Costas Axelos ou du  sociologue juif russe, George Gurevitch [97] que ceux du politologue, Raymond Aron ou du psychosociologue français, Max Pagès.  J’affirme aussi que Tzvetan Todorov, né et élevé à Sophia en Bulgarie, est beaucoup plus français que moi, pourtant né à Paris et éduqué pendant vingt cinq ans.   Dans la même logique, mais à l’inverse, je considère comme absurde la tendance que de nombreuses stations de télévision françaises et québécoises ont à recourir à des experts qui ont le ‘facies de l’endroit’ pour assurer la crédibilité des propos qu’ils tiennent sur des régions éloignées des téléspectateurs.   À les voir et à les entendre, il semble que, seuls des experts d’origine libanaise puissent nous expliquer ce qui se passe au Moyen-Orient, comme il est indispensable d’être associé d’une façon évidente à la communauté ethnique et religieuse qui contrôle Israël pour exprimer un avis autorisé sur les politiques intérieures et extérieures de cette jeune puissance nucléaire dont le destin qu’elle prétend sien serait écrit dans la Torah.

Je n’apprécie guère que des flatteurs me félicitent de mes origines ou de mon accent.  S’il est vrai que cela me change agréablement des critiques et quolibets qui abondent au Québec sur cet aspect de mon identité, je suis terriblement déçu de voir l’évaluation du professeur/chercheur que je me suis efforcé de devenir, reposer sur des qualités ou des défauts qui ne sont point de mon fait bien qu’indéniablement liés à mon origine nationale.  On ne choisit pas le lieu et le temps de sa naissance, voire même de son éducation !  Par contre, c’est en pleine responsabilité que je me suis efforcé de consacrer toute ma vie à perfectionner la pratique de mon métier, l’étude de la communication.  Pour tenter d’y exceller, j’ai fourni des efforts monstres.  Français, nul en anglais, je suis allé aux États-Unis, super puissance envers laquelle j’éprouve des sentiments contradictoires, pour y faire un doctorat.   À l’époque, c’était le pays qui, pour des raisons démographiques et historiques évidentes, me paraissait le plus avancé dans l’étude et la pratique de la communication.  

Ma quête de déracinement national devrait m’autoriser à affirmer que, de par mes propres efforts, je pensais avoir acquis le droit de tenter d’appliquer à certaines situations du Tiers-Monde y compris l’Afrique, mes trouvailles sur le fonctionnement de la communication humaine (qui, pour moi, ne peut s’appréhender qu’au niveau de relations interculturelles et transnationales).   Je pense que les faits d’avoir œuvré hors de son pays et d’avoir pratiqué une langue autre que celle de sa mère devraient être des SINE QUA NON incontournables à l’exercice du métier de communicologue.

Toutefois, bien qu’ayant eu cette réaction spontanée visant à défendre et promouvoir un universalisme qui découle tout autant de mes principes intimes que de mes réflexions professionnelles, j’ai jugé bon de poursuivre mes lectures pour tenter de combler les lacunes que me faisait découvrir le questionnement croissant de mes compétences face au sujet sur lequel je m’étais publiquement compromis lors de ma présentation orale.  Et, de fil en aiguilles, j’en suis arrivé, sinon à adopter au moins à comprendre, la logique sous-jacente à une posture inverse (bien que complémentaire) à ‘l’universalisme’ dont j’ai spontanément fait la défense et l’illustration.

Tout d’abord, j’avais vite et bien compris que la présence d’un vieil intervenant blanc dans un colloque sur le développement en Afrique, qui se voulait enfin et – justement - confié à des Africains, pouvait poser quelques problèmes ou susciter quelques réticences et soupçons.   Je sais aussi depuis longtemps, - j’ai quand même étudié et enseigné différentes théories du développement -, que ‘la prétention à l’universalisme’ peut servir des postures fort différentes, voire même antagonistes.  La plus classique, et aussi, à juste titre, la plus décriée, est ‘l’universalisme à la française’ que les Américains ont récupéré depuis les années cinquante.  Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’ils en aient été les créateurs à la fin du XVIIIe siècle, lors de leur révolution qui précéda de dix ans la française.  Il est issu des penseurs de la modernité (John Locke et Thomas Paine) et de la révolution française, Voltaire, Rousseau, Diderot et, dans une moindre mesure, - souvenons-nous de sa théorie des climats -, Montesquieu.  Dès que Napoléon 1er a voulu l’imposer aux pays conquis par ses trompes, il se heurta à l’opposition de penseurs dont certains, comme le philosophe teuton, Johann Gottfried Herder [98] inspirent aujourd’hui encore de nombreux mouvements ethno-nationalistes. [99]

Comme je suis d’origine française et que j’ai été éduqué dans ce pays, d’aucuns pourront s’imaginer que c’est de ce vieil universalisme à la française, fortement décrié depuis Herder, que je me réclame.   Universalisme arrogant qui veut que le savoir à la française soit ‘LE savoir universel,’ que la médecine à la française soit ‘LA médecine,’ etc.   De surcroit, je n’ignore pas que c’est effectivement en invoquant cette croyance que le colonialisme a tenté de se justifier et qu’elle a encore des séquelles aujourd’hui dans la promotion des politiques de développement bilatérales.  Depuis 1945,  ce ne sont plus la France, l’Angleterre ou la Belgique qui peuvent affirmer que leur conception de l’économie est celle de l’économie planétaire puisque les États-Unis les ont magistralement remplacées.  Le capitalisme sauvage où la finance oublie l’industrie (et ses ouvriers) au profit de quelques actionnaires est devenu LA SCIENCE ÉCONOMIQUE à l’aulne de laquelle tout s’évalue maintenant.

Puisque j’ai, depuis plusieurs décennies, dénoncé cette filiation néocoloniale dans mes enseignements comme dans mes publications, j’ose espérer que ce n’est pas cet universalisme ‘made in the West’ que l’on me reproche ici.  Mes anciens étudiants savent que l’attraction qu’exerce sur moi la notion de ‘Terre-Patrie’ promue, entre autres, par Morin repose sur la croyance (qui est mienne, même si je la sais terriblement utopique) en la possibilité d’un universalisme qui n’est plus justificateur de l’impérialisme présent ou passé des puissances du Centre mais qui serait le fruit d’une véritable ‘conversation républicaine’ [100] planétaire où tous les peuples et tous les individus qui les constituent seraient considérés comme égaux tout en conservant et cultivant leurs différences, alors devenues d’importantes sources de créativité pour notre ‘Planète Terre’ à venir.

C’est à des anthropologues tant américains qu’européens et, de plus en plus, issus du Tiers-Monde, comme l’Indien, américanisé par alliance, Arjun Appaduraï [101] ou le communicologue britannique d’origine jamaïcaine, Stuart Hall[102] que l’on doit ce passage de l’universalisme centrifuge impérial à l’universalisme centripète post-colonial auquel j’adhère et que je promeus depuis des décennies.

Alors qu’au départ, les anthropologues au service de la colonisation considéraient l’Europe et les États-Unis comme le lieu du savoir où s’inscrivaient les perspectives à partir desquelles le reste du monde, alors qualifié de « primitif ou archaïque », était observé, depuis une trentaine ou une quarantaine d’années, de nouveaux anthropologues ont retourné leur regard sur leur propre société[103] et, peu à peu, les observés d’hier se sont aussi permis de jeter un regard anthropologique ou plutôt ethnologique [104] sur les sociétés de leurs anciens observateurs en partant, cette fois, d’une perspective inversée.  Et c’est dans cette mouvance que j’espère me situer, même si le hasard a voulu que je naisse dans un des pays du Centre, hier ‘observant’ ou ‘jugeant’ et, aujourd’hui, ‘observé’  et ‘jugé.’

Il me semble effectivement que ce sont ces penseurs ‘post-coloniaux’ (surtout les ethnologues issus du Tiers-Monde) [105] qui ont enfoncé le dernier clou dans le cercueil de la prétention des pays du Nord, ex-monopolisateurs du ‘savoir universel’ ou de ‘l’accès au réel.’  Un avant dernier clou y avait été placé par les ‘études féministes’ qui avaient vu dans ce ‘savoir universel’ une supercherie masculine ou machiste, tandis que le premier clou avait été posé par le Jeune Marx et ses épigones contemporains comme Pierre Bourdieu qui rejoint les féministes pour affirmer que le savoir ou la culture/idéologie, n’est qu’un instrument de légitimation du pouvoir des oligarques sur les populations qu’ils dominent et contrôlent.   Quant au cercueil même du ‘savoir transcendant et universel,’ on semble oublier qu’il avait été assemblé dès la Renaissance par les inventeurs de la perspective en peinture (Brunelleschi, Alberti et Piero della Francesca), en science (G.Bruno), en politique (Niccolo Machiavel) et en grammaire (Antonio de Nebrija qui débute son œuvre en affirmant que « La langue a toujours été la compagne de l’empire ».) [106]

Convaincu que le savoir ne peut être ni transcendant, ni universel mais une construction immanente d’êtres humains situés dans le temps et dans l’espace, j’ai poursuivi mes méditations à la lumière d’une relecture des nouveaux ‘classiques.’   Et c’est là qu’a empiré mon doute sur les quasi-certitudes impériales que l’école française avait tenté de m’inculquer en bas âge, profitant de la malléabilité du cerveau de l’enfant que j’étais.

J’avais bien lu, en préparant mes cours dans les années 80, Peau noire, masques blancs et Les damnés de la terre de Frantz Fanon mais, pensant que ce serait une bonne idée pour améliorer cet article de voir ce qu’il avait dit sur ce sujet dans Pour la révolution africaine, je décidais de lire toute son œuvre y compris L’an V de la révolution algérienne.

On connaît le portrait détestable qu’il y dresse du colonisateur français qui aurait pourtant dû faire preuve de plus de compréhension puisqu’il sortait de l’occupation allemande avait subi les tortures nazies.  En le relisant de façon exhaustive, j’ai été foudroyé par l’idée que la France qui menait des ‘opérations comparables à celles des SS et de la Gestapo’ en Algérie, n’était autre que la France qui m’avait ‘élevé’ de 1945 à 1962. 

Ce constat soudain m’a terriblement interpellé puisque je suis convaincu que l’école primaire comme secondaire est sensée former des citoyens efficaces pour la nation où elle se trouve et, j’ajoute ici, dans les circonstances historiques de son temps.   Donc, sans m’en rendre compte, j’ai dû recevoir une instruction qui, quelque part, était porteuse des hallucinations collectives colonialistes d’une France qui devait être d’autant plus outrancière qu’elle était totalement sur la défensive.  Ma formation scolaire coïncide effectivement avec les guerres de décolonisation de l’Indochine et de l’Algérie.  De surcroit, mes parents ayant cru bon de me faire ‘grandir’ dans ‘un milieu bourgeois bien pensant,’ m’ont placé à Fénelon, une école privée de curés parisiens qui, comme on le sait, ont été les suppôts du colonialisme progressant comme de son arrière garde régressant !

Il se peut donc fort bien que l’exposition aux discours de mes éducateurs qui jouissaient d’un pouvoir de coerséduction infiniment plus grand que celui que l’on prête bêtement aux médias, m’ait alors façonné sans que j’en sois conscient.   Et cela a inévitablement des conséquences !

- Du bon côté, je suis conscient de n’être jamais parvenu à renier l’universalisme chrétien que l’Église doit à Paul de Tarse et qui a fort probablement influencé l’échelle éthique établie par Montesquieu et selon laquelle on doit sacrifier, sans hésiter, l’égoïsme personnel ou familial et même la ‘solidarité nationale’ au salut du genre humain. 

- Par contre, du mauvais côté, celui qui était resté inconscient, je me demande maintenant si les réticences, à peine exprimées, des congressistes à me voir intervenir dans ce colloque ne sont pas, quelque part, fondées ?

Les propos que j’y ai alors tenus comme ceux qui constituent le corps de cet article pourraient être tournés contre moi qui, volontairement ou non [107], n’aurait fait que réitérer des valeurs et des perceptions de l’Afrique dignes de ‘l’Orientalisme’ à l’occidental qu’a pertinemment vilipendé Edward Saïd.

On retrouve effectivement dans mes propos, une condamnation catégorique de l’excision que partagent unanimement les Occidentaux.  À cela, je répond maintenant que, bien qu’ayant souvent tendance à faire preuve de relativisme culturel, je crois fermement que, par définition, le relativisme ne peut être absolu.   Il doit donc être ‘relativisé’ à son tour par l’acceptation de l’universel principe du respect de l’intégrité du corps humain.   Sans l’être humain, homme et femme, point de savoir et point de relativisme.  Il faut donc le respecter dans son intégrité.

On trouve aussi dans mes propos ce que l’on pourrait considérer comme une condamnation condescendante et typiquement ‘moderne’ du tribalisme. 

Là, je plaiderais ma cause en rappelant que j’ai bien précisé, avec Reynolds que j’ai suivi sur ce point, que ce n’était ni le tribalisme, ni le communautarisme ethnique, culturel, linguistique ou religieux que je condamnais mais son exacerbation à des fins d’exploitation exclusives d’abord par les colonialistes puis par les politiciens opportunistes locaux.  J’ai même souligné qu’il serait souhaitable que l’on puisse généraliser les vertus de la famille, du clan, de la tribu voire de la communauté pour les réunir, sans les confondre ou les amalgamer, au niveau d’une grande tribu inclusive que serait la ‘Terre Patrie’ !

Il y a aussi, une condamnation, que l’on retrouve souvent dans les critiques de l’Afrique par l’Occident, de la corruption des oligarques locaux de la Jet Set qui, bien que sensés gouverner leurs sujets africains, résident plus souvent en Europe qu’en Afrique et bénéficient illicitement du trafic des armes, de l’exploitation inéquitable des ressources de leur pays par des multinationales étrangères comme du détournement des aides internationales destinées aux populations les plus démunies.  Là, je ne nuancerais pas ma posture qu’on la qualifie d’occidentaliste ou non, je persiste et signe !  C’est un problème à éradiquer partout dans le monde et je reconnais par contre qu’hélas, l’Afrique est loin d’être seule à en avoir le monopole.

J’ai aussi, comme beaucoup d’autres Occidentaux, dénoncé le bellicisme, la propension à guerroyer que l’on retrouve, hélas, presque partout, à un moment ou à un autre, en Afrique.   Toutefois, avec Catherine Coquery-Vidrovitch,  je pense que de ces conflits (et même de leur intensification comme de leur multiplication en cours) va pouvoir finalement naître, dans un magnifique mouvement de résilience, un système d’entente, voire d’Union des peuples d’Afrique, tout comme l’Europe pacifiée est née du constat des horreurs des massacres et du génocide de la seconde guerre mondiale.

Pire enfin, comme je l’ai redouté dans le texte de mon article, on peut me reprocher que tous les propos positifs que je tiens sur ‘l’enveloppement à l’africaine’ rejoignent le discours des romantiques occidentaux sur les ‘bons sauvages.’  C’est d’ailleurs un Africain, Patrice Yengo qui précise que de tels propos ne font qu’ajouter au « grouillement hédoniste dont on cherche toujours à affubler [l’Afrique], continent de la danse, de la joie de vivre…  » [108]  Je n’aurais donc fait ici que de répéter aux Africains ce que les Canadiens anglais disent stupidement aux Québécois : « Vous habitez une Province où il fait bon vivre et où on sait faire la fête ! » 

Très sensible à ce reproche, j’espère y avoir bien répondu en allant chercher Édgar Morin qui affirme que cette notion d’enveloppement recouvre précisément tout ce que le développement occulte systématiquement, à savoir : « les activités non monétarisées comme les productions domestiques et/ou de subsistance, les services mutuels, l’usage des biens communs, la part gratuite de l’existence, mais aussi et surtout, tout ce qui ne peut être calculé et mesuré : la joie, l’amour, la souffrance, la dignité, autrement dit le tissu même de nos vies. » [109]  Dans le même but, j’ai souligné à quel point les propos d’une analyste aussi chevronnée que Monique Chemillier-Gendreau exprimaient parfaitement ce que recouvre, pour moi, la notion d’enveloppement :

L’Afrique n’est[-elle] pas, malgré tout, un réservoir d’humanité ? Non qu’il soit nécessaire de rappeler qu’elle en est le berceau.  Mais parce que le rire africain, les solidarités africaines, le respect des anciens, des enfants, le sens des longues salutations, l’hospitalité comme nulle part ailleurs, les rituels comme liens de la vie sociale, sont des marques de la vie, de l’amour de la vie, précieuses entre toutes.  Vont-elles disparaître dans la contagion du désastre  ou sont-elles encore le terreau de la résistance à partir duquel nous pourrions tous rebondir, sortir à notre tour de l’étau, moins menaçant pour nous certes, mais néanmoins périlleux de l’évolution mondiale ?  En somme, le continent de l’utopie ? [110]

En fait, les deux dernières phrases de cette citation me ramènent aux propos de Morin qui m’avaient conduit à m’engager dans cette conclusion auto critique.  Après tout, pour moi, l’origine des difficultés auxquelles le genre humain est confronté n’est pas en Afrique mais provient bien de l’Occident et de ses politiques étrangères.  Il n’est pas impossible que ceux qui, comme moi, les voient s’aggraver dangereusement soient peut être plus Occidentaux qu’Africains.  C’est, en effet, Morin qui revient sur son propos central et y ajoute :

Le développement qui se voudrait solution ignore que les sociétés occidentales sont en crise du fait même de leur développement.  Celui-ci a en effet secrété un sous-développement intellectuel, psychique et moral.  Intellectuel, parce que la formation disciplinaire que nous, Occidentaux, recevons en nous apprenant à dissocier toute chose nous a fait perdre l’aptitude à relier et, du coup, celle de penser les problèmes fondamentaux et globaux.  Psychique, parce que nous sommes dominés par une logique purement économique qui ne voit comme perspective politique que la croissance et le développement, et que nous sommes poussés à tout considérer en termes quantitatifs et matériels.  Moral, parce que partout l’égocentrisme l’emporte sur la solidarité.   De surcroit, l’hyperspécialisation, l’hyperindividualisme, la perte de solidarité débouchent sur le mal être, y compris au sein du confort matériel.

L’Occident ressent en lui un vide et un manque : de plus en plus d’esprits désemparés font appel aux psychanalyses et aux psychothérapies, au yoga, au bouddhisme zen, aux marabouts, etc.  D’aucuns essaient de trouver dans les cultures et les sagesses d’autres continents des remèdes à la vacuité créée par le caractère quantitatif et compétitif de leur existence.  Nous vivons aussi dans une société où les solutions que nous voulons apporter aux autres sont devenues nos problèmes[111]

Ce qui me permet d’affirmer en fin de comte qu’il est effectivement fort probable que je ne sois qu’un Occidental malade du développement que la communauté épistémique (France mais aussi USA et Canada) qui l’a façonné au cours de ses pérégrinations impose au reste du monde.   Cette maladie m’est d’autant plus pénible moralement que je sais qu’on a tenté de l’amoindrir en la refilant au Tiers-Monde qui en a le plus souffert et ce, pendant des siècles.  Il est donc effectivement très surprenant que sans s’excuser de ses crimes d’extermination, d’esclavagisme et de colonisation, l’Occidental que je suis appelle l’Afrique au secours pour qu’elle lui prodigue le remède de l’enveloppement dont il a tant besoin.  Et ce besoin d’anti venin se fait ressentir non seulement sur les plans psychiques et moral où l’Afrique, comme j’espère l’avoir souligné dans cet article, a beaucoup à donner mais aussi, et là l’Occident a du mal à le concéder, sur le plan intellectuel et épistémologique.

Comme la quasi totalité de son œuvre le démontre, Morin soutient que l’Occident a épuisé l’essentiel des fruits des sciences de la simplification (néo-positivisme ou scientisme) et doit maintenant s’inscrire dans le paradigme de la complexité qui tient compte de ce que l’on sait que le quantitativisme a occulté et peut être aussi d’éléments que nous ignorons encore et à la découverte desquels il faut rester ouvert et attentif.  Or, dans son interprétation du fonctionnement du monde, l’Afrique semble avoir opté, pour une conception Héraclitienne des flux et des procès tandis que l’Europe, suivant plutôt Démocrite et Pythagore, s’est figée sur la notion d’objet et d’atomes.   Curieusement, la physique quantique qui contribue au développement du paradigme de la complexité, réinstaure la notion de flux d’Héraclite en soutenant que l’illusion d’objet fixe est imputable à l’observation que pratiquent les chercheurs occidentaux et non à la nature même des phénomènes observés qui sont en perpétuel mouvement.

Et, ce n’est pas tout !  On sait que, dans son paradigme de la complexité, Morin insiste sur l’importance des relations, des rapports entre les phénomènes observés tout comme sur les rapports entre les observateurs et ce qu’ils observent.  Et, là encore, l’Afrique est bien positionnée.   Pour appuyer cette remarque je conclurais par le passage de l’article de Bishop qui fait état des travaux d’Horton sur ce point précis.

Horton [112] compare l’objectivisme décontextualisé des mathématiques occidentales à l’explication africaine qui fait référence à des idiomes personnels.  Il soutient que cette façon de faire a développé chez l’Africain traditionnel le sentiment que tout savoir est produit par une communauté spécifique et une personne précise.  La tendance inverse, [celle de la prétention à l’accès au réel,] est typique de l’Occident…   On peut donc voir qu’en considérant le rationalisme et l’objectivisme comme des valeurs absolues, les mathématiques occidentales participent d’une vision du monde déshumanisé, objectivé, bref, ‘idéologique’ qui imprègne encore l’enseignement néocolonial des mathématiques[113]

Aussi, pour Bishop, si l’Africain parvient à distinguer son propre univers cognitif de ce qu’il a reçu de l’enseignement colonial, l’Africain réussira, grâce à la connaissance qui lui est propre de l’incidence des rapports humains sur la perception scientifique, à mieux cerner le rôle du chercheur, tant dans ses démarches d’observation que dans le partage de ses trouvailles avec ses pairs.   Et c’est précisément ce rôle du chercheur, être humain culturellement et psychologiquement limité dans ses moyens de communication avec les autres comme avec lui-même et l’univers et que Morin considère comme crucial qui doit encore être mieux circonscrit dans le paradigme de la complexité.

L’enveloppement à l’africaine peut donc sauver l’Occident, (bloqué par ses froids calculs qu’il croyait aptes à lui ouvrir l’accès au réel,) en lui offrant non seulement la chaleur déjà bien reconnue de son capital moral et psychique mais aussi l’immense richesse d’une façon de penser et de voir le monde qui dépasse de loin les simplifications du scientisme occidental.  L’approche quasi quantique de l’enveloppement à l’africaine nous permettra d’avancer de façon inattendue dans la poursuite de l’élaboration du paradigme de la complexité.

D’un côté, c’est en adoptant l’enveloppement à l’africaine que l’Occident pourra enfin s’extirper de la malédiction de Las Casas puisqu’il l’incite à respecter la nature et à écouter le reste de l’humanité.   De l’autre, c’est après avoir bien saisi les différences entre le savoir de son colonisateur d’hier et développeur d’aujourd’hui pour s’en libérer que L’Africain pourra à son tour  sauver l’Occidental de ses visions contraignantes en contribuant à la réouverture de ses paradigmes scientifiques désuets.



[1] Né et formé en France (1942-67), ‘Ph.D’ américain (1980) et professeur en sociologie, marketing, et communication dans trois universités canadiennes francophones (1967 - 2012)

[2] Histoire/géo., sociologie, psychologie sociale, anthropologie, économie, science politique, publicité, marketing et communication.

[3] Personne (enseignant-chercheur) qui étudie les phénomènes de communication.

[4] ‘Some Possible Economic Dysfunctions of the Anglo-American practice of International Communications,’ (The University of Iowa, Iowa City, USA, 1980).

[5] Comme l’y conviaient les recommandations du rapport Perkins ‘Strength Through Wisdom’  réalisé pour le Président Jimmy Carter en 1979-80.

[6] - “Information Flow: Which Way Is the Wrong Way?” (Journal of Communication, Autumn 1981/Vol. 31, N.4. pp. 129-134.) - « Défense de l’identité culturelle par les réseaux traditionnels de coerséduction’, » (International Political Science Review, USA, Vol. 7 N. 3, 1986, pp. 251-280.)  

- “International Information: Bullet or Boomerang?” in David Paletz (ed.) Political Communication Research, Approaches, Studies, Assessments, (Ablex, Norwood, N-J. USA, 1987, pp. 245-265.)  

[7] “Is There a Bin Laden in the Audience?  Considering the Events of September 11 as a Possible Boomerang Effect of the Globalization of US Mass Communication.” In A. Michael Noll (ed.) Crisis Communication, Lessons From September 11, (Rowman & Littlefield, Lanham, Maryland, USA, pp. 205-211.)

[8] Propos tenus à Washington en 2005 au cours d’une conférence de presse expliquant les déboires rencontrés par les Américains alors que l’occupation de l’Irak tourne au désastre.

[9] Si, aux Etats-Unis, l’approche systémique est très développée comme en témoigne en communication l’ouvrage de Lee Thayer, Communication and Communication Systems, (R.D. Irwin, Homewood, Ill. 1968) et dans les autres ‘sciences du comportement,’ celui de Walter Buckley a dirigé, Modern Systems Research for the Behavioral Scientist, (Aldine, Chicago, Ill. 1968), Morin est l’un des principaux précurseurs de cette approche en France, comme le montrent, entre autres: Science avec conscience, (Paris, Fayard, 1982), Pour sortir du XXe siècle (Paris, Fayard, 1981) et Pour entrer dans le XXIe siècle, (2004).

[10] Sur la complexité : Introduction à la pensée complexe, (Paris, ESF, 1990) et La complexité humaine, (Paris, Flammarion, Champs - L’essentiel, N. 189, 1994).

[11] Ce colloque a été organisé à Montréal (Québec, Canada) par des collègues du GERACI du Département de Communication Publique et Sociale de l’UQÀM durant l’Automne 2011. Le 19 février 2012, le GERACI a mis en ligne la vidéo de ma présentation : P4-14 Rene-Jean Ravault (UQAM)(2).mp4 – You Tube www.youyube.com/watch?y=hERX_WBOFMs

[12] Ouvrage réalisé avec Anne Brigitte Kern (Paris, Seuil, 1993).

[13] C’est dans le chapitre 2, ‘Politique de l’humanité’ de La Voie, Pour l’avenir de l’humanité, (Paris, Fayard, 2011) qu’il confronte ‘l’Enveloppement’ au ‘développement’ et oppose : Mondialisation/ Démondialisation, Croissance/Décroissance, Transformation/Conservation.

[14] Edgar Morin a consacré une grande partie de sa vie à la rédaction de six ouvrages fondamentaux sur “La méthode” :  I, La nature de la nature, (Paris, Seuil, 1977), II, La vie de la vie, (1980), III, La connaissance de la connaissance, (1986), IV, Les idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, (1991), V, L’identité humaine, l’humanité de l’humanité, (2001) et VI, Éthique, (2004).

[15] En cinq pages, (30-36) Tzvetan Todorov parvient, dans Mémoire du mal, tentation du bien, Enquête sur le siècle, (Paris, R. Laffont, 2000), à définir ‘le scientisme’ en l’opposant à ‘l’humanisme.’  Pour donner le ton, je reproduis ici le premier paragraphe : « Le point de départ du scientisme est une hypothèse sur la structure du monde : celle-ci est entièrement cohérente.  En conséquence, le monde est comme transparent, il peut être connu sans reste par la raison humaine.  La tâche de cette connaissance est confiée à une pratique appropriée, appelée la science.  Aucune parcelle du monde, matérielle ou spirituelle, animée ou inanimée, ne peut échapper à l’emprise de la science. »

[16] Depuis la publication de l’ouvrage de W.W. Rostow, The Stages of Economic Growth, A Non Communist Manifesto, (London & New York, Cambridge University Press, 1960) on envisage la croissance économique du Tiers-Monde à partir du modèle occidental. Toutefois, deux ouvrages, plus récents, déplorent la persistance de cette pratique : - Serge Latouche, L’occidentalisation du monde. Essai sur la signification, la portée et les limites de l’uniformisation planétaire, (Paris, La Découverte, 1989) et, - Gilbert Rist,  Le développement, Histoire d’une croyance occidentale, (Paris, Sciences-Po. 1996).  Si certains, comme Ché Guévara, ont cru que le développement aurait pu mieux se faire à partir du modèle communiste, pour le Néo-Conservateur américain, Francis Fukuyama, l’écroulement de l’URSS en 1989, consacre La fin de l’histoire et le dernier homme (Paris, Flammarion, 1992), et laisse à l’Occident libéral l’exclusivité absolue des modèles de croissance.

[17] Pour Michel Onfray qui a écrit, Le crépuscule d’une idole, L’affabulation freudienne, (Paris, Grasset, 2010), ce serait là, le principal apport de la psychanalyse !

[18] Onfray, dans son ouvrage, reproche à Freud d’avoir voulu transformer en loi scientifique universelle un désir incestueux qui n’incombait qu’à sa très intime pathologie.

[19] Puisque Onfray insiste sur le fait que Freud est parti de sa propre expérience, de ses propres émotions et sensations, pour faire du complexe d’Œdipe une trouvaille clef de la psychanalyse, pourquoi n’irais-je pas de mes propres sensations post coïtales pour affirmer que le bonheur que l’homme éprouve durant l’état de somnolence consécutif à la jouissance que la femme aimée lui a procuré provient du souvenir confus du bien-être qu’il a éprouvé alors qu’il n’était qu’un embryon flottant en apesanteur dans le liquide amniotique.   Si cette intuition est très personnelle, elle me semble confortée par de nombreuses expressions.  Ne dit-on pas de quelqu’un qui fait l’amour, ‘qu’il s’envoie en l’air’ ? Ne dit-on pas de quelqu’un qu’il est ‘heureux comme un poisson dans l’eau’?  Archimède n’a-t-il pas crié ‘Euréka’ en découvrant la poussée de bas en haut, égale à son propre volume, qu’exerçait,  sous son corps, l’eau du bain ?  Le commandant Cousteau ne veut-il pas faire partager son bien-être sous-marin aux spectateurs de ses films ?   Les astronautes accepteraient-ils de passer des mois dans une station spatiale s’ils n’y flottaient pas en apesanteur comme dans le giron de leur mère ?  Le premier pilote d’aéronef ne courrait-il pas volontiers le risque de se ‘casser la gueule’ pour éprouver le bonheur encore inconnu de ‘flotter dans l’air’ ?  D’où vient le plaisir que prennent celles et ceux qui, après avoir sauté d’un avion, voltigent aussi longtemps que possible avant d’ouvrir leur parachute ?  Pourquoi, dans la plupart des religions, les hommes font-ils ‘décoller’ les Dieux, comme dans le rituel catholique de ‘l’Ascension’?  Pourquoi, dès que la mort survient, nos âmes seraient-elles libérées de la pesanteur pour s’élever vers les cieux ?  Des contes les plus anciens, hébreux ou indiens des Andes ou d’Asie, aux rêves ultramodernes des odyssées spatiales, c’est bien l’apesanteur intra-utérine retrouvée qui fait rêver les hommes et non le fantasme œdipien du ‘nique ta mère,’ si cher aux Freudiens!

[20] Stephen Jay Gould le précise dans l’ouvrage dirigé par Jérome Bindé, Les clés du XXIe siècle, (Paris, Seuil, UNESCO, 2000, pp. 51-58),  «… Homo sapiens s’est développé à partir d’une population africaine d’Homo erectus, il y a environ deux cent mille ans.   Cette population, peu nombreuse au début ne s’est pas propagée hors d’Afrique avant une période d’environ cent mille ans – de sorte que toute la diversité raciale non africaine n’a guère plus de cent mille ans…  Notre façon de parler des « races » est ridicule : il n’y a pas une « race noire » et une « race blanche », par exemple, ou une « race africaine » et une « race européenne », car nous venons tous d’Afrique.  Autrement dit, tous les peuples de toutes les autres « races » non africaines ne sont que des sous-ensembles par rapport à celle des Africains. » (pp. 54-55)

[21] Question que pose ironiquement Patrice Yengo au début de: ‘Survivre en Afrique ou la logique du Zombie,’ dans Peut-on être vivant en Afrique ?  (Forum Diderot, Paris, PUF, (2000) pp. 68.)

[22] Dans son ouvrage, Histoire culturelle de l’Afrique Noire, (Paris, Publisud, 1993) Oscar Pfouma considère que l’Égypte pharaonique est la principale souche de la culture africaine.

[23] Office National du Film (du Canada).

[24] Confortant ce témoignage, Jérémie Piolat, dans Portrait du colonialiste, L’effet boomerang, de sa violence et de ses destructions, (Paris, La Découverte, 2011), cite Zubida, immigrante marocaine en France: « Chez nous avant, c’est toujours les enfants qui s’occupent de leurs parents quand ils sont vieux.  Mais ici, quand la personne est âgée, les enfants… la mettent dans la maison de repos.  Moi, je trouve que c’est triste.  Les parents ont donné toute leur vie et toute leur force pour leurs enfants et à la fin, ils les jettent.  Vivre dans un centre, toute seule, c’est vraiment triste.  Et maintenant, les Marocains qui sont nés en Europe ou sont venus jeunes ici, ça commence qu’ils font la même chose.   Ils mettent leurs parents dans la maison de repos. […]  Chez nous, les parents, avant, ils ont une valeur.  Leurs petits enfants grandissent avec eux.  […]  J’ai vu  des parents dans des centres, ils ont encore leurs enfants mais leurs enfants ne viennent pas.  Ils n’ont pas le temps, ils travaillent, je ne sais pas.  J’ai vu… la personne est comme cassée.   La personne, elle n’existe plus comme un être humain.   Elle devient comme rien du tout, comme… un objet.   Pourquoi on le jette?   Normalement, chez nous, Musulmans, c’est interdit de jeter tes parents. » (pp. 133-134).

[25] Nul n’ignore l’intensité avec laquelle le dynamisme des Africains a affecté la production musicale américaine, mais pour Philippe Engelhard,  « La musque africaine est en passe de ‘coloniser’ la musique européenne – singulièrement la musique française qui se métisse à grands pas.  Ce qui lui vaut même la faveur des jeunes britanniques ! » (Peut-on être vivant en Afrique ? Paris, PUF. 2000, p.12)

[26] Piolar, Jérémie, Portrait du colonialiste..., p. 84.

[27] Tiré de : L’esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1977.

[28] Peut-on être vivant en Afrique ? (Paris, Presses Universitaires de France, 2000. P. 92.)

[29] ‘Survivre en Afrique ou la logique du Zombie,’ dans : Peut-on être vivant en Afrique ? (Forum Diderot, Paris, Presses Universitaires de France, 2000. p. 68.)

[30] ‘Avant Propos’ de Peut-on être vivant en Afrique? (Ibid., pp. 10-11.)

[31] H.P. Bolap leur a consacré sa thèse de doctorat en communication. (UQÀM, 1986, 836 p.).

[32] Les Pygmées, avec les Six Nations amérindiennes, sont les premiers peuples à avoir fondé le ‘leadership ad hoc’ non sur le lignage ou l’hérédité comme les Européens, mais sur la compétence reconnue par leurs pairs aux individus les plus performants dans les domaines essentiels de la communauté.

[33] Edgar Morin, La voie, pour l’avenir de l’humanité, Paris, Fayard, 2011, p 49.)

[34] Le [dis]qualificatif, ‘Munichois’ attribué à Chamberlain et Daladier en 1938 est transposé aux pacifistes contemporains opposés à la guerre d’Iraq en 2003 par les ‘nouveaux philosophes français’ : Bernard Henry Lévy, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, etc. et les Néo-Conservateurs américains tels que Paul Wolfowitz et Dick Cheney.

[35] Ce terme est un néologisme franco-français infantilisant ceux à qui on l’applique. Il vient d’une émission de télévision enfantine dans laquelle un personnage en peluche, Nounours, embrassait les enfants avant qu’ils aillent se coucher, d’où le nom, ‘Bizounours.’

[36] Couleur emblématique des écologistes qui, dans un monde pacifié et autogéré, pourraient mettre en œuvre leurs recommandations.

[37] Je fais, ici, directement allusion aux mouvements contestataires prônant l’occupation de Wall Street.  Ils sont apparus spontanément dans les grandes villes américaines durant l’automne 2011. Ils ont été précédés par le mouvement des ‘indignés,’ anticapitalistes européens qui eux mêmes suivent, avec des objectifs assez distincts, les révoltés du printemps arabe de 2011.   Ces mouvements contestent le pouvoir qu’exerce la poignée (0.1%) d’oligarques qui, aujourd’hui, gèrent l’économie du reste (99.9%) de l’humanité!

[38] Morin l’a bien dit dans La voie, Pour l’avenir de l’humanité, « Il ne s’agit nullement, ici, d’idéaliser les sociétés traditionnelles qui ont leurs carences, leurs fermetures, leurs injustices, leurs autoritarismes. » (p. 49).

[39] On aura compris que je me range du côté des ‘altermondialistes’ qui, tout en condamnant la globalisation capitaliste qui prévaut aujourd’hui, rêvent d’une ‘Terre-Patrie’ unie dans sa diversité et ce de façon équitable et durable.

[40] La seule limite naturelle de l’enveloppement des êtres humains dans la biosphère étant la couche d’ozone.

[41] Hélas, il m’est impossible de développer ici cette argumentation.  Je suis en train de le faire dans un ouvrage majeur que j’espère pouvoir publier dans quelques années.

[42] C’est précisément pour cette raison que le Prix Nobel de la Paix a été décerné à l’Union Européenne le 12 Octobre 2012.

[43] Par l’emploi de ce terme, je tiens à mettre en évidence la différence entre une guerre ‘préventive’ comme ‘la guerre des six jours’ (1967) où les Israéliens ont été les premiers à frapper les pays arabes qui, manifestement, se préparaient à les attaquer et une guerre ‘préemptive’ qui consiste à agresser un pays (l’Iraq par les Etats-Unis en 2003 et demain l’Iran par Israël), sous prétexte qu’il pourrait y avoir des savants suffisamment éduqués pour concevoir, un jour lointain, des armes de destruction massives, voire une bombe atomique.  Une guerre préemptive vise à éviter une agression que l’adversaire pourrait éventuellement commettre un jour lointain et incertain.

[44] L’affaire des fuites via ‘wikipedia’ (wikileaks) de ‘documents secrets’ américains est révélatrice d’une scission qui se dessine entre le 0.1% d’oligarques, qui entretiennent les divisions internationales autour desquelles s’organise la pérennité des conflits et les 99.9% qui réclament un monde pacifié et équitable d’où la corruption et la haine seraient enfin évincées.

[45] J’imagine que les ‘missionnaires’ ne se sont intéressés qu’à l’aspect ‘reproduction’ de la sexualité. Ils ont probablement vu d’un bon œil, chastes qu’ils se prétendent être, le fait que la femme n’éprouve point de plaisir dans le coït.  Ils ont probablement pris au sens littéral l’injonction biblique post paradis terrestre : « tu enfanteras dans la douleur » !  Quant aux colonisateurs et aux administrateurs qui leur ont succédé, ils n’étaient intéressés qu’à la multiplication d’une main d’œuvre bon marché et « payeuse de taxes. »   Le bonheur sexuel de la femme africaine ne semble avoir préoccupé ni les mâles autochtones ni ceux qui les ont d’abord colonisés et ensuite ‘développés’ de façon ‘durable’ mais ‘inéquitable.’

[46] Après les œuvres complètes de Frantz Fanon, l’ouvrage de  Pierre Péan, Carnages, Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, (Paris, Fayard, 2010) m’a particulièrement bouleversé et affligé.  Les Grandes Puissances occidentales (USA, G.B., Canada, France, etc.) y compris Israël sont encore impliquées dans des rivalités géopolitiques aussi déplorables que lamentables!

[47] J’ai reproduis ici quelques lignes tirées de la p. 163 de l’ouvrage de Piolat, cité p.11.

[48] Cet article a été finalisé au cours de l’Automne 2012 avant l’intervention française au Mali dont la nature, au début de 2013, reste des plus ambiguë.

[49] “La communication soumise à la coerséduction“ sera le titre de l’ouvrage que je prépare.

[50] Découverte de l’Amérique par Colomb et début de la mondialisation par le colonialisme.

[51] Accords d’Évian qui consacrent l’indépendance de l’Algérie, dernière grande colonie française.

[52] Paris, Seuil, 1982.

[53] Épopée se déroulant au tout début du XVIe Siècle, immédiatement après la reconquête de l’Espagne sur les Maures et la persécution des Juifs par l’Inquisition catholique en ce pays ‘libéré.’

[54] Todorov emploie ici ce terme dans son premier sens,  celui “qui croit à l’action des causes finales et, en général, à la finalité comme explication de l’univers. » (Petit Robert).

[55] Expression que j’emprunte au communicologue américain, Lee Thayer et que l’on peut traduire en français par ‘univers discursif ou symbolique’ ou encore par le terme valise de ‘représentations.’

[56] J’ai développé cette notion dans « Défense de l’identité culturelle par les réseaux traditionnels de coerséduction’, » (International Political Science Review, Vol. 7 N. 3, 1986, pp. 251-280) en fusionnant les réflexions du psychosociologue Gabriel Tarde avec celle du sociologue Émile Durkheim sur la socialisation (enculturation) de l’être humain.  Le premier insiste sur le phénomène de l’imitation amoureuse des parents par l’enfant et le second met l’accent sur la coercition qu’exercent sur lui les institutions d’enculturations : famille, école, église, police, armée.   Cette combinaison de pressions et de supports sociaux se retrouve aussi dans les travaux du communico-logue américain, Elihu Katz, inventeur de la théorie du ‘2 steps flow’ où les groupes de support (Tarde) et de pression (Durkheim) jouent un rôle de ‘médiation’ entre les médias et leurs publics.

[57] L’ouvrage de Jean Ziegler, La victoire des vaincus, Oppression et résistance culturelle, (Paris, Seuil, 1988) illustre parfaitement ce propos.  L’histoire de Gandhi en Afrique du Sud et aux Indes est une parfaite illustration de cette thèse comme l’est aussi l’itinéraire du psychanalyste martiniquais, Frantz Fanon.  Mais, selon Antonio Francisco Jaca, (un étudiant qui réalisa son mémoire de maîtrise sous ma direction) on retrouve de tels comportements en Afrique dès la Renaissance lorsque le roi, Afonso 1er du ‘Kongo’ sut tirer profit des premières tentatives de conquêtes portugaises.

[58] ‘Encoding and Decoding in the Television Message’ Birmingham, GB. Center for Contemporary Cultural studies, (CCCS. Stenciled Occasional Paper, 1973).

[59] L’invention du quotidien, 1) arts de faire, (Paris, Gallimard, 1990), en particulier, le préambule, ‘Histoire d’une recherche’ et le Ch. XII, ‘Lire, un braconnage.’ (pp. 239-257).

[60] Parmi les 15 thèses de doctorat que j’ai dirigées 10 portaient sur les communications internationales et interculturelles dont 5 sur l’Afrique.  Quant aux mémoires de maîtrise, sur les 54 que j’ai dirigés à l’UQÀM, 28 portaient sur des aspects des communications internationales dont vingt touchaient plus spécifiquement l’Afrique ou le tiers-monde.

[61] Tehranian, Majid, « Communication and Revolution in Iran : The Passing of a Paradigm » in Iranian Studies (Vol. XIII, Nos. 1-4. 1980, pp. 5 -30) &  Mowlana, Hamid, ‘Technology Versus Tradition : Communication in the Iranian Revolution’ in Journal of Communication, Summer 1979, N.3, pp. 107-112.

[62] René-Jean Ravault, ‘The Western blind spot in global communication research’ conference prononcée lors du “Community Partnership in the Field of Scientific Research, Symposium II: Research Industry in the Kingdom of Saudi Arabia” à Riyadh, les 26 et 27 Avril 2011.

[63] New York, Norton & Co. 2001 (861 p.)

[64] Traduction libre de : “The British and French had also forced the pace and shape of decolonization.  Determined to transfer power to politicians who had proven their legitimacy at the ballot box, they helped invent political parties that lacked ethnic coherence or independent viability. In 1964, for example, some 24 African states had populations of less than five millions (four had populations of less than one million).  Few had sufficient educated personnel to staff the bureaucracies, and the frenzied decolonization of the late 1950s allowed scant experience of government before independence.  European companies still controlled much of Africa’s trade, mining and industry.  In a famous phrase, Kwame Nkrumah had declared: “Seek ye first the political kingdom, and all things shall be added to it.”  Subsequent African history, according to Ali Mazrui, suggests a different aphorism: “Seek ye first the political kingdom – and all else will be subtracted from it.” (p. 98)

[65] Reynolds. Op. cité p. 91.

[66] Traduction libre de: “Africans themselves were fragmented by ethnic rivalries.  In Rhodesia, for instance, the guerillas were split between ZANU, representing the majority Shona peoples, and ZAPU, with its largely Ndebele base.  In the Central African States of Rwanda and Burundi, the seesaw struggle of Hutu and Tutsi has characterized national politics ever since the Belgians departed.  Nor can one forget the bloody north-south divide between Muslim and Christians in the Sudan – A country on the historic frontier of Arab expansion into Africa.  The ferocity of such ethnic and religious feuds was evident above all in two devastating African civil wars – in the Congo in 1960-1964 and in Nigeria in 1966-1970. (p. 214)

[67] Traduction libre de :  The bloodbath in the Congo and Nigeria were extreme, but their underlying causes typified tensions in much of black Africa. By 1970, the OAU’s early ideals of pan-African unity and prosperity seemed like preposterous delusions.  In the words of Davidson Abioseh Nicol, a doctor, diplomat, and poet from Sierra Leone,

You are not a country, Africa,

You are a concept,

Fashioned in our mind, each to each,

To hide our separate fears,

To dream our separate dreams.

The most obvious sign of separateness was ethnic and territorial rivalry – what Europeans called tribalism.  Although often considered “premodern,” tribal distinctions had, in many cases, been sharpened tools of colonial administration.  After independence, they were then used as weapons by opposition politicians to mobilize support against ruling elites. (p. 216)

[68] Traduction libre de :   The 1980 were a disaster for most of Africa, with war across the south and the effective collapse of many states.  The early 1990s, however, seemed more hopeful.  South Africa’s transition from white minority rule in 1994 was matched by the demise of long-standing black autocrats, from Banda in Malawi to Mobutu in Zaire.  But the revival of multiparty politics did not resolved Africa’s underlying social and economic crises.   The 1990 also saw genocidal civil war in Central Africa, famine across the Horn, and the inexorable spread of AIDs. (p.598).

[69] Traduction libre de :  Above all, it was a triumph for Nelson Mandela and the philosophy of multiracial conciliation that he had pressed on the ANC.  And his inauguration on May 10 1994, he pledged himself to create “a rainbow nation at peace with itself and the world.”  His new cabinet included blacks, whites, coloreds, and Asians (all four of Apartheid’s racial groups), as well as capitalists, socialists, a communist (Joe Slovo), and three Zulu nationalists. (p. 600).

[70] Traduction libre de :  Despite the rhetoric, the 1994 elections had been largely an “ethnic census.”  Only 3 or 4 percent of black and whites voted across racial lines.  The same was true in the election of June 1999, after which Thabo Mbeki succeeded Mandela as ANC leader and State president. (p. 601)

[71] On ne rappellera jamais assez que, comme le souligne Philippe Engelhard dans  “Existe-t-il une ‘fatalité africaine?” dans Peut-on être vivant en Afrique ? (Paris, PUF, 2000, p.21) « traditionnellement, les cultures africaines sont assez plastiques, vouées au syncrétisme et à l’identité plurielle plutôt qu’à l’intégrisme religieux ou ethnique. »

[72] Philippe Engelhard, “Existe-t-il une ‘fatalité africaine?” dans Peut-on être vivant en Afrique ? (Paris, PUF, 2000, p.14)

[73] Paris, Arléa, 1996

[74] Évidemment, ces propos ont été écrits avant que se répandent en cette région les sectes intégristes contre lesquelles les Français sont intervenus au début de 2013.

[75] Là encore, je rappelle que cet article a été finalisé début 2013 au moment de l’intervention française au Mali.

[76] Expression fréquemment utilisée par Benjamin Netanyahou dans Combattre le terrorisme, comment les démocraties peuvent venir à bout des réseaux terroristes, Montréal, l’Archipel, 2002.

[77] Michael T. Klare, “La Chine est-elle impérialiste?” in Le Monde diplomatique, (Septembre 2012)

[78] Un monde nouveau, (Paris, Odile Jacob, 1999, p. 390)

[79] Comme on reconnait maintenant qu’il n’y a pas plusieurs races d’hommes mais une seule, la race humaine, on devrait admettre qu’il n’y a pas des tribus et des communautés mais une seule tribu et une seule communauté, celles des êtres humains !   En attendant ce regroupement planétaire pourtant si urgent, on pourrait se contenter, pour l’heure, de réunifications continentales, comme l’Union européenne en donne l’exemple.

[80] Catherine Coquery-Vidrovitch, ‘Peut-on être vivant en Afrique, le point de vue d’une historienne’ in Peut-on être vivant en Afrique ? (Paris, Forum Diderot, PUF. 2000, p. 65.)

[81] Catherine Coquery-Vidrovitch, ‘Peut-on être vivant en Afrique? Le point de vue d’une historienne.’ In Peut-on être vivant en Afrique ? (ibid.) p. 65

[82] ibid. p. 65.

[83] Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997-2000.

[84] Les révoltes du ‘Printemps arabe’ ne font que commencer.  Les indignés d’Europe se muent en manifestants ouvriers et paysans contre les politiques de rigueur en Europe.  L’émergence de l’Inde et de la Chine repose sur de telles inégalités que les tensions ne peuvent que se multiplier. Enfin., l’intensification de la rareté des ressources énergétiques signera la fin du capitalisme.

[85] Voir l’immense part du budget des États-Unis, puissance développée par excellence, consacrée à ‘la Défense.’

[86] Il est intéressant de constater que si c’est aux propos du Pape, Jean XXIII que les pays d’Europe de l’Est doivent leur libération de l’emprise soviétique et non aux injonctions manichéennes du Président de la plus grande puissance militaire du monde, Ronald Reagan, c’est aussi plus aux leaders d’une autre religion, l’Islam, que plusieurs pays arabes doivent leur émancipation de l’emprise de tyrans soutenus par l’Occident qu’aux prétendus services rendus par les nouvelles technologies américaines de télécommunications personnalisées.

[87] Cet argument est évoqué et, comme on le verra plus loin, critiqué par Alan J. Bishop qui, débute son article : « Western Mathematics, The Secret Weapon of Cultural Imperialism » (in Bill Ashcroft, Garteh Griffiths & helen Tiffin [eds.] The Post-Colonial Studies, Reader, London & New York, Routledge, 1995-2002, p. 71) en rappelant que :

…Whereas educational arguments have taken place over which language(s) should be taught, what history or religion, and whether, for example, ‘French civilisation’ is an appropriate school subject for pupils living thousands of kilometres from France, mathematics has somehow always been felt to be universal and, therefore, culture free.  It had, in colonial times, and for most people it continues to have today, the status of a culturally neutral phenomenon in the otherwise turbulent waters of education and imperialism…

Up to [1980], the conventional wisdom was that mathematics was culture free knowledge… Surely, therefore, it follows that mathematics must be free from the influence of any culture ?

[88] Des ruines du développement (Montréal, Ecosociété, 1996,   pp. 24-25)

[89] ibid. pp. 25-26.

[90] La voie, Pour l’avenir de l’humanité, (p. 50).

[91] La voie, Pour l’avenir de l’humanité, (p. 25).

[92] La voie, Pour l’avenir de l’humanité, (p. 27).

[93] La voie, Pour l’avenir de l’humanité, (p. 26).

[94] Ibid. (p. 26)

[95] Ibid. (p. 26)

[96] Comme il le fait toujours lorsqu’il s’agit des concepts centraux autour desquels pourrait s’opérer la mutation en ‘Terre-Patrie’ de l’humanité de nos civilisations encore engluées dans ‘l’âge de fer’!

[97] Né en Russie qu’il quitta lors de la révolution bolchévique pour l’Allemagne qu’il dût fuir lors de la folie nazie pour les États-Unis d’où il revint finir sa vie à la Sorbonne, me donnant ainsi la chance d’assister à son dernier cours et de lire ses ouvrages.

[98] Une autre philosophie de l’histoire, Paris, Aubier, 1964 et Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, Paris, Presses Pocket, 1991.

[99] Voir le concept de  ‘Gemeinschaft’ de Ferdinand de Tönnies.

[100] Pour James W. Carey, communicologue américain, s’appuyant sur les travaux d’Alexis de Tocqueville, c’est de cette pratique qu’est née la démocratie américaine.

[101] Après le colonialisme, Les conséquences culturelles de la globalisation, (Paris, Payot, 2001.) & Géographie de la colère, La violence à l’âge de la globalisation, (Paris, Payot, 2007.)

[102] “Race, culture, and communications: looking backward and forward at cultural studies” in John Storey (ed.)  What Is Cultural Studies? A Reader, London, Arnold, 1996.)

[103] C’est évidemment l’ouvrage de Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains, (Paris, Aubier, 1994.), où l’auteur est attentif aux ‘rituels’ des sociétés modernes, qui vient à l’esprit du chercheur francophone.  Ensuite on pense à François Laplantine qui, dans son Je, nous et les autres, Être humain au delà des appartenances, (Paris, Le Pommier-Fayard, 1999.) prend une distance épistémologique pour s’éloigner de l’appartenance nationale de l’anthropologue.   Mais, de son côté, Georges Lapassade, dans l’ethno-sociologie, analyse institutionnelle, (Paris, Méridens Klincksieck, 1991.) nous rappelle que c’est à l’École de Chicago que l’on doit l’idée d’appliquer aux sociétés modernes les méthodes de l’ethnologie et de l’Anthropologie.  Plus récemment, aux États-Unis, c’est Clifford Geertz qui, dans plusieurs de ses ouvrages mais surtout dans Available Light, Anthropological Reflections on Philosophical Topics, (Princeton, N.-J., Princeton University Press, 2000.) questionne l’Occident et sa mondialisation à l’aulne de l’anthropologie.  Enfin, l’idée de faire de l’anthropologie, jadis orientée vers le Tiers-Monde, un instrument de critique culturelle des sociétés modernes, semble se généraliser depuis la fin des années 80, comme en témoigne : Anthropology as Cultural Critique, (Chicago & London, Chicago University Press, 1986 – 1989) de George E. Marcus & Michael M. J. Fischer.

[104] Ce mouvement a probablement été inauguré par le fameux ouvrage d’Edward W. Said, Orientalism, (New York, Vintage Books, 1979.) dans lequel il examine comment de grands auteurs occidentaux se sont représentés ce qu’ils ont appelé: l’Orient.

[105] Leela Gandhi, Postcolonial Theory, A Critical Introduction, (New York, Columbia University Press, 1998.) & Bill Ashcroft, Gareth Griffiths & Helen Tiffin (eds.), The Post Colonial Studies, A Reader, (New York, Routledge, 2002.)

[106] Comme le rappelle Todorov, dans son ouvrage: La conquête de l’Amérique.

[107] Comme l’École catholique m’a classé dernier en tout (la formation reçue à Fénelon de 1947 à 1961 ne m’a pas permis de passer le bac, c’est après avoir fréquenté le cours Bergson, juif, que j’y suis parvenu) et venant de comprendre, grâce à Frantz Fanon, la nature des hallucinations collectives dominantes, je m’imagine résistant à l’idéologie néo-colonialiste dès l’enfance.

[108] ‘Survivre en Afrique ou la logique du Zombie,’ dans : Peut-on être vivant en Afrique ? (Forum Diderot, Paris, Presses Universitaires de France, 2000. p. 68.)

[109] La voie, Pour l’avenir de l’humanité, (p. 25).

[110] ‘Avant Propos’ de Peut-on être vivant en Afrique? (Ibid., pp. 10-11.)

[111] La voie, pp. 26-27.  Les italiques sont miennes.

[112] “African Traditional Thought and Western Science” in Africa, N.37, 1967.

[113] Traduction libre de: Horton compares [objectivism of decontextualised western mathematics] with what he sees as the preferred African use of personal idiom as explanation.  He argues that this has developed for the traditional African the sense that the personal and social ‘world’ is knowable.  The opposite tendency holds for the westerner… We can see, therefore, that with both rationalism and objectivism as core values, western mathematics presents a dehumanized, objectified, ideological world-view which will emerge necessarily through mathematics teaching of the traditional colonial kind.   Citation tirée de « Western Mathematics, The Secret Weapon of Cultural Imperialism » (in Bill Ashcroft, Garteh Griffiths & helen Tiffin [eds.] The Post-Colonial Studies, Reader, London & New York, Routledge, 1995-2002, p. 71)



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 12 mars 2013 16:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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