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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “Paradis, âge d’or, royaume millénaire et cité utopique. Note sur la différenciation des formes de l'état idéal de perfection sociale.” Un article publié dans la revue Diogène, no 122, 1983, pp. 130-147. Paris : Les Éditions Gallimard. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[130]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

Paradis, âge d’or,
royaume millénaire et cité utopique
.
Note sur la différenciation des formes
de l'état idéal de perfection sociale
.”

Un article publié dans la revue Diogène, no 122, 1983, pp. 130-147. Paris : Les Éditions Gallimard.


Introduction
I.  Opposition du mythe paradisiaque et de l'utopie
II.  Passage du mythe à l'utopie
1. Les âges cycliques de l'humanité.
2. Millénarisme, messianisme et eschatologie.
3. L'utopie.
Bibliographie


Introduction

Quelle est la différence entre le paradis terrestre, l'âge d'or et la cité idéale ? Cette question est centrale pour quiconque s'intéresse aux diverses façons qu'ont eues les sociétés humaines d'imaginer un état idéal de perfection ou d'harmonie sociale. Si on ne veut pas confondre des systèmes de représentations aussi différents que la pensée mythique, le millénarisme et l'utopie, il est absolument nécessaire de ne pas réduire les descriptions du paradis terrestre et de l'âge d'or à de simples précurseurs de la cité idéale des utopistes [1]. Il ne faut surtout pas appeler utopique toute représentation d'un état social idéal, l'utopie n'étant qu'une des modalités (la plus récente) de celui-ci [2]. L'imaginaire utopique à la fois reprend et altère l'imagination paradisiaque et millénariste : il serait difficile de croire que le passage des sociétés primitives aux grandes civilisations urbaines, puis de ces dernières à la société moderne, s'est effectué sans répercussion majeure sur l'imaginaire de ces sociétés, que de l'une à l'autre l'état idéal de perfection sociale n'a pas varié.

Il nous faut donc chercher aussi bien les traits communs que les variations lorsque l'on passe du paradis terrestre à [131] la cité utopique, et accorder toute l'importance nécessaire aux points tournants de ce passage : mythe des âges cycliques, messianisme et millénarisme. Cette démarche nous conduit à constater que ce qui varie, ce n'est pas tant le contenu de l'imaginaire de l'état idéal de perfection sociale que sa localisation spatio-temporelle et les moyens mis en œuvre pour y accéder. Si l'on fait abstraction de la conception du temps et de l'espace où est situé l'état idéal de perfection sociale, et abstraction aussi des moyens de passage du monde social vécu au monde social imaginé comme idéal, on retrouve plusieurs traits communs dans les descriptions du paradis, du royaume millénaire et de la cité idéale des utopistes [3] : a) absence de travail (pénible), de souffrance physique et morale, absence aussi du vieillissement et/ou de la mort (longévité, immortalité) ; b) fonctionnement harmonieux des rapports sociaux, communication parfaite avec autrui [4] (qu'il s'agisse des autres humains, des animaux, des dieux ou du cosmos entier). Il va sans dire que la réalisation de chacun de ces traits peut varier considérablement, selon le type d'imaginaire auquel on se trouve confronté. L'absence de maladie peut aussi bien être assurée par la protection des dieux que par la médecine moderne, l'absence de travail tout autant par des pratiques magiques que par l'automation complète de l'industrie, l'éternelle jeunesse aussi bien par l'élixir de vie que par les progrès de la biologie, la communication parfaite tout autant par la fusion télépathique que par la révolution télématique...

De façon quelque peu surprenante, l'égalité ne représente pas un trait universel de l'imaginaire du monde social idéal. Toutes les utopies ne sont pas égalitaires, ni tous les millénarismes, ni tous les mythes concernant l'âge d'or ou le paradis [5]. Ce qui se rencontre toujours, toutefois, c'est la [132] conception d'un fonctionnement social harmonieux, où chacun(e) se trouve parfaitement satisfait(e) de remplir le rôle qui lui est assigné, que le fonctionnement des rapports sociaux soit hiérarchique ou égalitaire, organisé ou spontané.

Par ailleurs, si on en vient maintenant aux différences, on se rend compte que, dans les représentations du paradis et de l'âge d'or, le monde social idéal ne se situe ni dans un temps ni dans un espace profane, accessible par des moyens humains ordinaires, contrairement à l'utopie qui présente ce monde comme accessible par des moyens purement humains. Pour les conceptions relevant de l'imaginaire paradisiaque, le passage entre le monde social vécu et le monde social idéal se fait par des moyens symboliques et rituels, tandis qu'il se fait par des moyens matériels pour la pensée utopique. Les principales formes de millénarismes représentent des transitions et des mixtes entre ces deux extrêmes.

L'utopie conçoit l'état de perfection sociale comme réalisable en ce monde, dans un avenir plus ou moins rapproché, et ce par le moyen de la technique, de la science, de la rationalisation des rapports sociaux. La pensée millénariste et les pratiques qui lui sont rattachées diffèrent de l'utopie sur un point essentiel : les moyens mis en oeuvre ne relèvent pas ici de la raison et de la science, mais d'attitudes et de comportements religieux comme la foi et la prière, l'attente d'un Sauveur et la lecture des signes ; et aussi d'attitudes socio-politiques comme la révolte ou la marginalisation communautaire. Quant à la pensée mythique (paradis, âge d'or), elle ne situe pas l'état de perfection sociale dans un temps et dans un espace accessibles à la majorité des humains de façon durable avant la mort : seuls des rituels périodiques ou des techniques spirituelles plus ou moins élaborées permettent, sur cette terre, de rejoindre temporairement l'état paradisiaque. Par contre, le royaume [133] millénaire a en commun avec la cité utopique de pouvoir être réalisé en ce monde [6].


I. OPPOSITION DU MYTHE PARADISIAQUE
ET DE L'UTOPIE

Reprenons plus systématiquement l'analyse des différences entre le mythe paradisiaque et l'utopie. Comme nous l'avons déjà mentionné, les critères essentiels sont ici la conception de l'espace et du temps, et le lien établi entre le monde social vécu et l'état de perfection sociale imaginé.

Pour la pensée utopique, cet état est réalisable en ce monde, dans l'avenir, par des moyens rationnels [7] (science, technique, planification des rapports sociaux). Pour la pensée mythique, au contraire, cet état ne se situe pas dans l'avenir, mais plutôt dans un paradoxal passe immémorial, qui se confond avec l'éternel présent [8]. Jamais le paradis n'est l'oeuvre de l'humanité, mais plutôt celle des dieux. Le rôle de l'humanité c'est : a) de réactualiser périodiquement le souvenir paradisiaque, par des rites, des fêtes et des orgies évoquant symboliquement retour au chaos primordial et régénération [9] ; b) de se libérer des contraintes du monde par une ascèse spirituelle de type chamanique, qui permet à certains individus de réintégrer temporairement l'état paradisiaque avant la mort [10].

Mais ce qui oppose sans doute le plus fondamentalement le mythe paradisiaque à l'utopie, c'est la conception du temps. Le mythe met en jeu une conception cyclique du temps, où le passage de ce dernier est valorisé négativement ; l'utopie implique par contre une valorisation positive d'un temps conçu comme linéaire et irréversible. Dans le premier cas, seules la réintégration périodique du présent éternel et la destruction symbolique et rituelle des effets du passage du temps sont libérateurs. Dans le second, le temps [134] coule vers un avenir conçu comme seul lieu de la libération humaine, sans retour possible vers un passé que valorise partiellement son rôle d'ébauche du présent et de l'avenir.

Le tableau suivant résume les principales oppositions entre le mythe paradisiaque et l'utopie [11].

Temps

Espace

Localisation du monde idéal

Direction

Valorisation

Lien entre le monde social vécu et le monde social idéal

Mythe

Passé immémorial
présent éternel

Cyclique
Répétitif

Négative (destructeur)

Inaccessible
en ce monde de manière durable

Symbolique (rites, fêtes, chamanisme, etc.)

Utopie

Avenir

Linéaire
Irréversible

Positive (progrès)

Accessible en ce monde de façon permanente

Rationnel (technique, science, planification des rapports sociaux)


Il s'agit bien entendu de cas extrêmes, correspondant aux mythes paradisiaques des sociétés de chasseurs/cueilleurs et aux utopies libérales ou socialistes de l'Occident industriel. Le passage [12] d'un extrême à l'autre se fait par une série de transitions, dont les points centraux sont la conception cyclique des âges de l'humanité et la pensée millénariste (messianisme et eschatologie).


II. PASSAGE DU MYTHE À L'UTOPIE

À l'instar de la pensée utopique, les messianismes et les millénarismes [13] peuvent s'accommoder d'une conception [135] voulant que l'état idéal de perfection sociale soit réalisable sur cette terre, de façon durable et dans un avenir plus ou moins rapproché. Par contre, messianismes et millénarismes diffèrent de l'utopie et se rapprochent du mythe paradisiaque en ce qu'ils savent s'accommoder d'une conception cyclique et négative du temps historique, et aussi parce qu'ils ne donnent pas à la science et à la raison un rôle déterminant dans le passage du monde social vécu au monde social idéal (tout en ne privilégiant pas nécessairement les rites et les symboles propres à la pensée mythique).

Pour mieux saisir le sens du passage du mythe paradisiaque au millénarisme et de celui-ci à l'utopie, il faut tenir compte d'une variante de la pensée mythique, présente dans les grandes sociétés urbaines d'il y a quelques milliers d'années. Cette variante est plus complexe que la conception des sociétés de chasseurs/cueilleurs, car la théorie des âges cycliques de l'humanité introduit dans la pensée mythique certains éléments de linéarité temporelle et d'attente eschatologique (retour de l'âge d'or).

1. Les âges cycliques de l'humanité.

En ce qui concerne l'imaginaire paradisiaque, la pensée mythique primitive implique une conception du temps cyclique relativement simple. Au temps de l'origine et de la création a prévalu pour l'humanité un état social de bonheur et d'harmonie, état aboli à la suite d'une faute rituelle expliquée par des récits mythiques particuliers, du genre de celui de Prométhée ou de celui de la Chute d'Adam et Ève. Alors a commencé le temps et les conditions de vie coutumières à l'humanité actuelle : mort, sexualité, travail et souffrance, avec leur cortège de destruction et de dégénérescence.

Périodiquement, et en général annuellement, rites et cérémonies vont venir symboliquement annuler les effets du passage du temps : ainsi les fêtes et les orgies, où s'abolissent les règles sociales, témoignent d'un retour au chaos qui prélude à toute nouvelle création, et permettent de réactualiser le temps paradisiaque des origines. C'est par ces rites que tous et toutes peuvent temporairement réintégrer collectivement la condition paradisiaque, les pratiques [136] initiatiques et chamaniques étant réservées à quelques privilégiés [14].

Après la mort, tous auront durablement accès à cette condition. Dans plusieurs cas, toutefois, la croyance en la réincarnation des âmes confère un caractère temporaire au séjour paradisiaque post mortem.

La conception d'une évolution cyclique du cosmos et de l'humanité à travers plusieurs âges différents va venir complexifier cette doctrine temporelle initiale, en permettant d'introduire une certaine linéarité au sein du cycle des âges. Dans les premières civilisations agraires et urbaines du Proche-Orient, mais aussi en Inde, en Chine et dans le bassin méditerranéen, va se développer une conception du temps voulant que l'humanité et le cosmos soient périodiquement détruits et recréés [15].

À l'intérieur d'un cycle, toutefois, les conditions d'existence ne sont pas les mêmes d'un âge à l'autre : d'idéales et paradisiaques (âge d'or) au départ, elles se dégradent ensuite progressivement durant les âges suivants pour aboutir à une description assez sombre de l'actuelle condition humaine (âge de fer des anciens Grecs et Romains, Kali-yuga des Hindous). Comme dans la conception primitive, on voit ici que le passage du temps est valorisé négativement, qu'il implique destruction et déchéance morale. La succession inéluctable des âges introduit bien une certaine linéarité du temps, de manière explicite, au sein du processus cyclique, et cette linéarité est précisément celle d'une dégradation des conditions d'existence humaines. L'aspect cyclique prédomine toutefois, puisque chaque déroulement linéaire des âges est suivi d'un cycle identique.

Ce n'est pas seulement parce qu'elle introduit une linéarité temporelle relative que la théorie cyclique des âges diffère de la conception primitive, mais aussi parce qu'elle permet d'établir entre le monde social idéal et le monde vécu un lien différent de celui impliqué par la pensée mythique initiale. La reprise constante du cycle des âges suppose [137] en effet qu'à chaque âge d'or, après une destruction cosmique, l'humanité pourra revivre de façon paradisiaque pour un temps assez long (le premier âge étant toujours le plus long).

Sans avoir à renoncer aux cérémonies périodiques de régénération et de réactivation du souvenir du paradis primordial, la théorie cyclique des âges va ainsi frayer le chemin aux premières conceptions millénaristes, où l'espoir en un retour de l'âge d'or se doublera de messianisme et d'eschatologie [16].

2. Millénarisme, messianisme et eschatologie.

En plus du fait que la théorie cyclique des âges permet l'espérance en un retour de l'âge d'or sur la terre, deux autres phénomènes symboliques liés à la culture des sociétés agraires et urbaines vont faciliter le passage graduel au millénarisme. D'abord, tout comme les sociétés primitives de chasseurs/cueilleurs, les sociétés agraires ont souvent conçu la vie comme une alternance entre création et retour au *os : dan# cette perspective, tout signe d'un cataclysme imminent peut être considéré comme le prélude d'une destruction cosmique puis d'un retour de l'âge d'or.

En deuxième lieu, dans leurs rituels périodiques de régénération, les sociétés agraires ont souvent lié le passage à une nouvelle création à un rituel de purification des fautes ([...] bouc émissaire expulsé, etc.), symbolisé par le sacrifice réel ou simulé d'un être humain. De plus, ces sociétés placent souvent le passage vers un âge nouveau sous l'égide d'un nouveau roi représentant les divinités créatrices. La combinaison de ces deux caractéristiques permet de comprendre que, dans l'attente d'un retour de l'âge d'or, on cherchera tous les signes de la venue d'un personnage héroïque ou royal, d'un messie sauvant l'humanité en prenant sur lui le fardeau de ses fautes [17].

On s'éloigne ainsi de plus en plus, dans les civilisations agraires et urbaines, de la pensée mythique originelle, en ce qui a trait à la localisation spatio-temporelle du paradis et en ce qui touche les moyens mis en oeuvre pour y parvenir. L'action héroïque ou messianique humaine peut permettre [138] l'accès au paradis, contrairement à ce que supposait la pensée mythique primitive.

Avec le judéo-christianisme, la coupure va se consommer encore plus, le temps va devenir linéaire et irréversible, la durée historique sera valorisée positivement et transformée en histoire sainte (sacrée) [18]. L'attente de l'âge d'or devient attente du retour du Christ, du Jugement dernier devant partager définitivement les bons des méchants, les justes des injustes, les élus des damnés. Après la résurrection finale des corps, l'eschaton représente un retour au paradis, mais celui-ci n'est plus à l'origine des temps, il est à la fin et hors du temps [19].

3. L'utopie [20].

Ainsi vont se trouver peu à peu réunis, dans la pensée orientale, tous les éléments essentiels qui seront ensuite laïcisés par la démarche des utopistes : projection du paradis dans un avenir accessible, conception linéaire et positive d'un temps irréversible, intervention active de l'humanité dans l'établissement de l'âge d'or.

Pour la pensée judaïque ancienne, le temps n'est pas le lieu d'une inévitable dégénérescence, c'est une suite d'interventions de Dieu dans l'histoire, interventions positivement orientées dans le sens d'un salut progressif du peuple élu. Puis, dans le christianisme, on voit que si la venue, la mort et la résurrection de Jésus reprennent les scénarios régénérateurs des sociétés agraires, c'est pour en faire des événements historiques irréversibles.

Ni la pensée juive ni le christianisme ne sont absolument clairs quant à la possibilité d'instauration d'un nouveau paradis sur terre à la fin des temps, contrairement à la théorie cyclique des âges [21] (dont l'âge d'or advient bien en ce monde, de façon récurrente). Il y aura de nouveaux cieux et une nouvelle terre.

C'est saint Augustin [22] qui va le premier définir la ligne de [139] pensée du christianisme officiel en ce domaine. Pour l'évêque d'Hippone, la seule perfection possible est celle de la Cité de Dieu ; il lui semble vain et illusoire d'en tenter la réalisation en ce monde. D'où toute une polémique avec divers représentants des sectes gnostiques [23], qui croyaient possible de vivre le paradis sur terre en se retirant en petites communautés. Pour la pensée chrétienne officielle, la seule façon de faire le lien entre le monde social vécu et le paradis céleste, c'est de mériter ce dernier, pour après la mort, en vivant fidèlement à l'exemple du Christ et selon les enseignements de son Église. Sur cette terre, la seule communauté authentique est celle de l'esprit (ecclesia).

Dans sa lutte contre le courant gnostique, saint Augustin combattait ainsi les effets d'une contamination de la pensée chrétienne par les conceptions religieuses du monde greco-romain, où l'on confondait facilement, selon le syncrétisme hellénistique, la venue de l'eschaton et le retour de l'âge d'or. Mais la victoire de la pensée augustinienne contre le gnosticisme ne sera jamais définitive. Tout au long du Moyen Âge, l'Église sera en butte aux tendances millénaristes et escatologiques rêvant de l'établissement d'un royaume millénaire de justice, de paix et de bonheur sur la terre, avant le retour définitif du Christ et la fin des temps [24].

Puis, vers la fin du Moyen Âge, Joachim de Flore élabore une théorie des âges de l'humanité irréversible et progressive. De l'âge du Père à celui du Fils et à celui de l'Esprit, la condition de l'humanité s'améliore constamment. L'abbé Calabrais avait d'ailleurs fortement tendance à confondre l'âge de l'Esprit (qu'il croyait déjà arrivé), le royaume millénaire et l'eschaton [25]. Cette façon de voir le déroulement des âges de l'humanité eut une énorme influence, laissant la voie libre pour toutes sortes de tentatives visant à rétablir en ce monde la communauté paradisiaque.

Tout au long du Moyen Âge, les divers millénarismes ont été divisés quant à la façon de faire advenir le royaume des justes. Une première tendance est passive : lecture de tous les signes annonçant la fin des temps, pratique de la pénitence, espoir dans la venue du personnage devant instaurer [140] le règne millénaire (empereur des derniers jours, sébastianisme). Une autre tendance est plus active et violente : on dénonce l'Église, qui est identifiée à Babylone et à la Bête de l'Apocalypse, on persécute les juifs [26].

Cette dernière tendance culminera avec la prédication de gens comme Thomas Müntzer et avec le règne messianique de Jean de Leyde à Münster [27]. Pour faire advenir le royaume sur la terre, il suffit ici d'opérer immédiatement le partage apocalyptique entre les bons et les méchants (assimilés aux riches et aux pauvres) : les méchants se convertiront, ou bien on les exterminera. On sait à quel point cette façon de faire advenir l'état de perfection sociale sera reprise par les penseurs et les politiciens de la Révolution française, qu'il s'agisse de Saint-Just ou de Robespierre (et aussi dans l'Angleterre de Cromwell) [28].

Avec les révoltes paysannes puis le siège de Münster, inspirés par le courant violent de l'anabaptisme, on est au seuil de la prise en relais du millénarisme par le courant utopique : le temps est conçu comme linéaire, irréversible et positif ; le royaume peut être réalisé sur terre grâce à l'action de l'homme ; les moyens de cette action font de plus en plus appel à la violence politique des riches contre les pauvres et à l'idéal de l'égalitarisme économique.

Restait toutefois à remplacer la pensée religieuse par la raison, les pratiques symboliques et rituelles par la pratique scientifique. Un tel courant de pensée ne date pas de la Renaissance : on en trouve les premiers signes dans la Grèce ancienne [29]. Bien qu'avec son système de fonctions sociales scrupuleusement réparties et définies, la république imaginée par Platon puisse apparaître comme suprêmement rationnelle, on ne doit pas oublier que le fondement de toute cette organisation est représenté par les philosophes. Et que la philosophie platonicienne accorde aux idées un fondement ésotérique inspiré sans doute par le pythagorisme. Il ne saurait ici être question d'un fondement exclusivement rationnel à l'état idéal de perfection sociale, et [141] encore moins de prévalence de la science et de la technique.

À la Renaissance, on renoue avec la théorie platonicienne de l'idéal de perfection sociale en n'en modifiant tout d'abord que des détails. Mais, de More à Comenius, Campanella et Leibniz, les modifications vont toutes dans le même sens : la perfection sociale ne peut être réalisée si on n'accorde pas à l'activité scientifique et à la recherche technique une place majeure. Peu avant l'ère des Lumières, les philosophes pansophistes, qui rêvaient de rétablir une république chrétienne universelle et de guérir le grand schisme religieux entraîné par la Réforme protestante, en étaient arrivés à décrire l'idéal de perfection sociale comme attribuable au plein développement de la raison, de la science et de la technique, sous l'égide de la foi [30].

C'est sans doute avec la Nouvelle Atlantide de Bacon que la science et les techniques vont prendre leur autonomie, dans le projet utopique, face à une foi de plus en plus abstraite et désincarnée. À partir du siècle des Lumières, il deviendra difficile de décrire l'état de perfection sociale sans donner à la raison, à la science et à la technique une part essentielle. La part de la raison est évidente chez des penseurs comme Rousseau, Turgot, Condorcet, Kant : ici, l'état de perfection sociale repose sur la raison, l'égalité économique, la justice, et la compréhension « scientifique » du social commence à être jugée indispensable pour l'instauration d'un ordre social idéal. Ce rôle central de la compréhension « scientifique » du social dans son processus d'amélioration se renforcera beaucoup chez les penseurs socialistes et anarchistes, de Fourier et Owen à Marx, Proudhon et Saint-Simon, en passant par Babeuf, Blanqui, Cabet et Sorel [31].

Même des penseurs marginaux comme Sade et Fourier n'échappent pas à cette emprise de la démarche scientifique sur la démarche utopiste : que le premier classe les vices et le second les passions, en attribuant à ces aspects de la vie humaine un rôle beaucoup plus important que ne le font les autres penseurs utopistes, plus soucieux de l'égalité économique [142] et politique, il n'en reste pas moins qu'ils soumettent la définition de l'état de perfection sociale à l'ABC de la démarche scientifique (l'observation et la classification des phénomènes). Le très grand souci de Sade et de Fourier pour la tolérance, pour le respect de la diversité et des différences entre les humains, les éloigne de l'égalitarisme homogénéisateur de la plupart des autres penseurs de leur temps, mais il ne les soustrait pas au rationalisme et à la « scientificité » de la démarche utopique [32].

Au dix-neuvième siècle, tous les penseurs qui réfléchissent sur la définition de l'état de perfection sociale sont d'accord sur plusieurs points : cette perfection sera atteinte dans l'avenir grâce à la science aidant à dominer (exploiter) la nature et à rationaliser les rapports sociaux, en instaurant une forme ou une autre d'égalitarisme politique et économique. Le bonheur affectif, les rapports harmonieux entre les sexes et entre les âges sont relégués au second rang (malgré la dissidence fouriériste), aussi bien en ce qui concerne la définition de l'état de perfection sociale qu'en ce qui a trait aux moyens de l'instaurer.

C'est d'ailleurs sur ce dernier point que les divergences vont s'accentuer. Si, comme l'a dit Saint-Simon, l'âge d'or n'est pas en arrière de nous, mais en avant, si la nouvelle religion c'est la science et la nouvelle magie la technique, encore faut-il préciser comment on atteindra cet âge d'or redéfini, et quel sera le rôle exact de la science, des techniques et de la politique dans ce processus.

Sur ce point, il semble bien que trois tendances principales se soient affrontées : celle issue de Marx, celle issue de Proudhon et Owen, celle issue de Saint-Simon. Marxisme, anarchisme et saint-simonisme ne sont toutefois pas des courants de pensée et des pratiques étanches : à divers moments, les influences furent nombreuses et importantes [33].

Pour le courant saint-simonien, l'essentiel c'est le développement des techniques, et particulièrement des techniques de communication. On assurera ainsi l'égalité des chances et la justice distributive en remplaçant pacifiquement et progressivement le gouvernement des hommes par [143] l'administration des choses, dans un processus dirigé en grande partie par la classe des entrepreneurs industriels. La priorité est donnée à l'application de la technologie dans l'industrie, et il est facile de constater à quel point ce courant reste prédominant aujourd'hui : dès qu'une crise socio-économique se dessine, on nous propose de nouvelles solutions technologiques devant enfin assurer le bonheur universel. Aujourd'hui, il s'agit de la bio-industrie, de l'industrie de l'espace, de la télématique [34].

La vision des marxistes et des anarchistes est moins simpliste. Il faut ici faire appel à la classe ouvrière, au peuple, plutôt qu'à l'élite industrielle. La science et la technique doivent être mises au service de la classe laborieuse, par un processus démocratique réel et non simplement formel, si on veut atteindre à un état de perfection sociale valable pour tous et pour toutes. Marx a d'ailleurs sans doute été le plus cohérent dans cette démarche, en prétendant prouver scientifiquement que l'appropriation des moyens de production par une minorité freinait le développement technoscientifique et retardait l'avènement de l'état de perfection sociale défini comme communauté des producteurs directs.

Entre les marxistes et les anarchistes, les divergences vont surtout concerner les moyens politiques à mettre en œuvre afin d'assurer le passage à l'état de perfection sociale. Selon le courant anarchiste, dans la lignée de Fourier, Owen, Cabet, Proudhon, etc., il importe plus d'établir des communautés de producteurs directs autonomes que de lutter contre l'ordre social capitaliste. Selon le courant marxiste, par contre, la priorité est accordée à l'organisation des travailleurs en syndicats et en parti, dont la lutte politique devra viser à remplacer puis à détruire l'État bourgeois. La place de la lutte clandestine ou violente dans ce processus donnera lieu, comme on le sait, à toutes sortes de débats et de schismes au sein du marxisme lui-même.

On voit que plusieurs recoupements existent entre les trois courants : certains anarchistes et certains marxistes sont d'accord pour l'utilisation de la violence dans la lutte [144] contre l'État bourgeois, certains marxistes utilisent les procédures démocratiques comme les saint-simoniens, etc. Ce qui nous importe ici n'est pas d'analyser ces détails, mais de souligner la problématique commune aux socialistes utopiques, aux saint-simoniens, aux anarchistes et aux marxistes en ce qui concerne l'état de perfection sociale. Plusieurs des éléments de cette problématique commune représentent manifestement une laïcisation du millénarisme : la science joue le rôle de la religion, les masses laborieuses ou les industriels ont un rôle messianique, la violence politique rappelle les rituels de retour au chaos avant la régénération sociale, le partage religieux entre les riches et les pauvres est remplacé par un partage égalitaire des biens matériels selon des critères économiques et scientifiques. On ne se libère pas facilement de la pensée symbolique, de l'imaginaire religieux et des grands rituels initiatiques.

Il est très intéressant, à partir des remarques précédentes, de constater que l'énorme succès idéologique du marxisme, qui résiste encore à tous les démentis pratiques et théoriques, peut en partie s'expliquer du fait qu'il constitue une synthèse unique entre les aspects fondamentaux du millénarisme et de l'utopie. Du premier, il retient que le passage à l'état idéal de perfection sociale doit se faire par l'élimination des riches ; de la seconde que cet état sera rationnel, égalitaire, scientifique. Mais il y a plus encore, et c'est sans doute l'essentiel : Marx prétend qu'une analyse scientifique de l'histoire et du fonctionnement de la société capitaliste permet de déduire le rôle messianique du prolétariat (enchaînement = crucifixion) et la nécessité scientifique d'une disparition des riches (capitalistes propriétaires des moyens de production). L'intégration de l'eschatologie millénariste et du rationalisme utopique ne saurait être poussée plus loin. Devant une doctrine qui relie si intimement la fascination magique face à la technique « libératrice » et l'imaginaire apocalyptique du Jugement dernier en faveur des pauvres, aucun argument logique et aucune confrontation avec les faits ne tiendra [35]. Peu [145] importe que l'histoire de l'humanité ne soit pas essentiellement l'histoire de la lutte des classes, et qu'il n'y ait pas eu de classes sociales avant la dernière phase de cette dernière ; peu importe qu'aucune classe dominée n'ait remplacé une classe dominante, que les seigneurs féodaux n'aient pas été d'anciens esclaves ou plébéiens, que les bourgeois n'aient pas été d'anciens serfs. Peu importe que la priorité en dernière instance de l'économique soit un leurre, puisque le langage est aussi nécessaire à la vie sociale humaine que la production. Peu importe que les changements révolutionnaires faits au nom du marxisme n'aient pas produit autre chose que des autocraties nouvelles et que le paradis ne soit pas plus en Union soviétique qu'à Cuba, en Chine qu'au Viêt-nam ou en Albanie. La force persuasive du marxisme auprès des masses populaires ne saurait relever principalement de sa logique ni de sa conformité avec les faits historiques, mais beaucoup plus facilement de sa conformité avec les aspirations humaines à la réalisation magique du bonheur paradisiaque et au châtiment des méchants par les bons.

*
*   *

Ce bref aperçu du cheminement à la fois historique et logique qui a conduit l'imaginaire humain du mythe paradisiaque à la raison utopique, en passant par la théorie cyclique des âges et par les diverses formes de messianismes et de millénarismes, pour aboutir à une synthèse laïcisée des principaux éléments des trois types fondamentaux de représentation de l'état idéal de perfection sociale (paradis et âge d'or, royaume millénaire, cite utopique), permet de poser quelques questions de fond. Puisque toutes les tentatives pour faire advenir en ce monde de façon durable un état social idéal se sont jusqu'à maintenant soldées par un échec, aussi bien dans le cas du millénarisme que de l'utopie, du socialisme que du libéralisme, ne faut-il pas procéder à une remise en cause du but et des moyens proposés par ces représentations et par les pratiques qu'elles ont inspirées. Ne faut-il pas douter de la croyance qui veut que la science et la technique soient les meilleures voies vers l'amélioration de la condition humaine ? Plus encore, ne faut-il pas remettre en question [146] la possibilité d'arriver à réaliser en ce monde, de façon permanente, un état de perfection sociale, même si l'on conçoit ce dernier comme une tendance asymptotique et idéale de l'histoire ? Et méditer sur le fait que toutes les grandes religions universelles, de l'hindouisme au taoïsme, du bouddhisme au christianisme, ont chacune affirmé à leur façon que le royaume n'est pas de ce monde, que le paradis est hors du temps ? C'est-à-dire à tous les moments du temps, aussi bien dans le passé que dans le présent ou dans l'avenir, dans le mouvement même qui fait l'incessante transmutation d'un instant dans l'autre ?

Luc RACINE.

(Université de Montréal.)


BIBLIOGRAPHIE

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[1] Les principales approches d'une analyse des divers genres d'imaginaires concernant l'état idéal de perfection sociale (mythe paradisiaque, royaume millénaire et cité utopique) se trouvent chez, LAPLANTINE, 1974, et chez WUNENBURGER, 1979. Ce dernier s'inspire largement de l'approche de l'imaginaire élaborée par G. DURAND, 1979a et 1979b).

[2] Même les approches sociologiques de l'utopie ont tendance à confondre celle-ci avec l'imaginaire de l'état de perfection sociale en général. Cf. DUVEAU, 1961, MANNHEIM, 1956, SERVIER, 1967. Aussi BLOCH, 1976.

[3] Sur la présence générale de ces traits aussi bien dans les mythes paradisiaques que dans le millénarisme et l'utopie, on verra les travaux de M. ELIADE (en particulier, 1971), p. 139-205 ; 1962, p. 181-232 ; 1957, p. 40-59 et 78-94). Cf. aussi WUNENBURGER, 1979. Sur les représentations du paradis dans l'humanité, Cf. GUHL, 1972, pour une revue générale ; CORBIN, 1953 et 1963, et SODERBLOM, 1901, pour la tradition iranienne ; DANIÉLOU, 1953, pour le christianisme. Cf. aussi GILLET, 1975, pour des exemples littéraires.

[4] Fonctionnement qui implique généralement nudité et liberté sexuelle. Cf. ELIADE, 1962, p. 181-232 ; DESROCHES, 1978.

[5] Les mythes du paradis et de l'âge d'or parlent de justice et d'abondance plutôt que d'égalité : Cf. ELIADE, 1952, p. 73-119 ; et le mythe de l'âge d'or dans HÉSIODE (Les Travaux et les Jours, 90-110) et VIRGILE (lVe Bucolique). Dans les messianismes et millénarismes, il n'y a jamais d'égalité politique entre le leader, ses acolytes et les fidèles, pas toujours égalité économique réelle, et rarement égalité entre l'homme et la femme : cf. BARRET et GURGAND, 1981, COHN, 1970, pour les millénarismes occidentaux, LANTERNARI, 1962, et QUEIROZ, 1968, pour ceux du Tiers-Monde. Quant aux utopies, on sait qu'il serait difficile de dire égalitaire la République de Platon ou l'Abbaye de Thélème de Rabelais ; l'égalitarisme de More est strictement économique, il n'y a pas sur son île d'égalité politique ou d'égalité entre l'homme et la femme (sur l'utopie, Cf. SERVIER, 1967, LAPOUGE, 1978, MANUEL et MANUEL, 1979.

[6] Pour tout ce qui concerne l'utilisation de la conception de l'espace et du temps et des moyens de passage entre le monde social vécu et le monde social idéal comme critères de différenciation du mythe paradisiaque, du royaume millénaire et de la cité utopique, cf. ELIADE, 1963 et 1969, DESROCHES, 1969 et 1973, WUNENBURGER, 1979.

[7] Sur le lien entre science, rationalisme et utopie, cf. EURICH, 1967, WUNENBURGER, 1979, SUVIN, 1977.

[8] Sur tout cet aspect de la pensée mythique, cf. ELIADE, 1963 et 1969.

[9] Cf. ELIADE, 1969 et 1949, chap. VII-XII.

[10] Cf. ELIADE, 1951 et 1979.

[11] Comparez aux schémas donnés par DESROCHES, 1973, et par WUNENBURGER, 1979.

[12] Sur la place de ce passage au sein de l'évolution religieuse de l'humanité, une mine d'indications et de renseignements dans ELIADE, 1980.

[13] Il existe une littérature considérable sur le millénarisme et el messianisme. On trouvera les informations et bibliographies essentielles dans BURRIDGE, 1969, DESROCHES 1969 et 1973, THRUPP, 1962. Pour l'Occident, Cf. COHN, 1967 et 1970, HOBSBAWN, 1963. Pour le Tiers-Monde, aperçu général dans LANTERNARI, 1962, et QUEIROZ, 1968. Parmi les plus intéressantes études de cas, celle de WORSLEY, 1957, sur le culte du cargo en Mélanésie, et celles de MÉTRAUX, 1928, et de CLASTRES, 1975, sur le messianisme contesté des Indiens guaranis.

[14] On retrouve dans les deux paragraphes précédents l'essentiel de l'analyse d'ELIADE, 1963, 1967, qui est reprise par WUNENBURGER, 1979.

[15] Sur la théorie cyclique des âges, cf. l'analyse classique de ELIADE, 1969. Les versions les plus élaborées du mythe des âges de l'humanité se trouvent chez les anciens Grecs (HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 110-126) et Romains (OVIDE, Les Métamorphoses, 90-110), dans l'Inde (ELIADE, 1952, chap. 11). Chez les anciens Mexicains, Cf. RACINE, 1965, YAÑEZ, 1964.

[16] Ce passage est particulièrement clair dans la IVe Bucolique de VIRGILE.

[17] Pour les deux points précédents, je m'inspire directement de ELIADE, 1963 et 1969, et 1949, chap. VII-XII.

[18] Sur le messianisme juif, cf. KLAUSNER, 1956 et ELIADE, 1980.

[19] Cf. COHN, 1970, DESROCHES, 1969, RIGAUX, 1932, et VULLIAUD, 1952.

[20] À l'instar du millénarisme, l'utopie est un sujet très étudié. On trouvera les principales études de synthèse et les bibliographies dans MANUEL et MANUEL, 1979, SERVIER, 1967, SVIN, 1977, VERSINS, 1972 et WUNENBURGER, 1979. Quelques études intéressantes : BUBER, 1977, CIORANESCU, 1972, MUCCHIELLI, 1960, MUMFORD, 1966 et RUYER, 1950. Voir aussi les références de la note 2.

[21] Cf. DANIÉLOU, 1953, sur les différentes localisations du paradis chrétien.

[22] Sur la pensée augustienne, Cf. SALIN, 1926.

[23] Sur les débats entre saint Augustin et les gnostiques, cf. DECRET, 1974. Sur la pensée gnostique en général, cf. LEISEGANG, 1971, et PUESCH, 1978.

[24] Sur la lutte des mouvements millénaristes contre l'Église, cf. COHN, 1970.

[25] Sur la pensée et l'influence de J. de Flore, Cf. BLOOMFIELD, 1957.

[26] Sur les courants du millénarisme en Occident, Cf. COHN, 1970, et DESROCHES, 1969 et 1973.

[27] Sur T. Müntzer, Cf. COHN, 1970. Sur Jean de Leyde, cf. COHN, 1970, et 13ARRET et GURGAND, 1979.

[28] Cf. MANUEL et MANUEL, 1979.

[29] Sur la pensée utopique dans le monde gréco-romain, Cf. MANUEL et MANUEL, 1979, LAPOUGE, 1978, et FERGUSON, 1975. Aussi SERVIER, 1967.

[30] Sur la pensée utopique de More et des pansophistes, et sur l'émergence de la primauté de la rationalité scientifique, cf. MANUEL et MANUEL, 1979, EURICH, 1967, DESROCHES, 1972.

[31] Sur cette phase de la pensée utopique, cf. MANUEL et MANUEL, 1979, DESROCHES, 1972, et DESANTI, 1970.

[32] La place particulière de Sade et de Fourier au sein de la pensée utopique est bien traitée par LAPOUGE, 1978. Sur Fourier, cf. DESROCHES, 1975, et DEBOUT, 1978.

[33] Ces interinfluences sont bien mises en évidence par DESROCHES, 1975, et DESANTI, 1970.

[34] Sur l'utopie télématique, cf. TOFFLER, 1980. D'une certaine façon, l'utopie actuelle opposée, axée sur une mutation de la conscience, et exposée récemment par M. FERGUSON, 1981, n'est pas sans évoquer un retour à la vision des pansophistes.

[35] Ce phénomène n'est pas propre au marxisme. Dans une étude de cas faite sur un groupe américain prophétisant la fin imminente du monde, L. FESTINGER, 1956, a montré le paradoxe voulant que la faillite d'une prophétie eschatologique soit 'considérée par les adeptes du prophète comme une confirmation de ses prédictions.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 13:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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