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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles Bourque, Michel Pichette, Narcisso Pizarro et Luc Racine, “Organisation syndicale, néo-capitalisme et planification.” Un article publié dans Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 4, nos-7-8, mars-avril 1967, pp. 5-27. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[5]

Gilles Bourque, Michel Pichette,
Narcisso Pizarro et Luc Racine

Organisation syndicale,
néo-capitalisme et planification
.”

Un article publié dans Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 4, nos-7-8, mars-avril 1967, pp. 5-27.

Introduction
syndicalisme, capitalisme et domination
conséquences du morcellement structurel
1. capitalisme d'état et monopoles
le néo-capitalisme au Québec
la stratégie syndicale
2. syndicalisme et planification
on planifie pour qui ?
planification et démocratie
planification et politique économique
les syndicats et la planification
3. relations intersyndicales
conditions de réalisation d'un comité intersyndical permanent
fonctions du comité intersyndical
politisation
action politique
conclusion



Introduction

Un système comme le capitalisme n'a de force et d'emprise que dans la mesure ou il parvient à mouler tout à fait à son image le comportement des personnes et les structures de la société dans laquelle il prend place. En somme, épris lui-même d'une volonté de cohérence et d'efficacité, ce système ne parvient à prendre racine qu'en autant qu'il peut empêcher, à la base même, toute organisation collective d'atteindre à une cohérence telle qu'elle puisse en venir à le mettre lui-même en question. Le système néo-capitaliste dans lequel nous vivons a édifié ses structures et son organisation sociale, économique, politique et culturelle de telle façon qu'il rend impraticable ou en tout cas difficile l'existence d'une organisation dont la pratique, en s'étendant, puisse seulement inventer des structures nouvelles qui aient pour effet de le mettre en péril. Plus que cela encore, atteignant le comportement de chacune des personnes, prises individuellement ou collectivement, de la société dans laquelle il prend corps, le système capitaliste en est [6] arrivé à créer une habitude "capitaliste" de vivre, évitant ainsi que puisse apparaître ses tares et sa foncière inhumanité.

Le système établi est cohérent jusqu'au bout avec lui-même. Et nous souffrons de cette cohérence jusque dans nos organisations syndicales.

Le syndicalisme au Québec est modelé sur le type même de notre société. Située dans le contexte nord-américain, la société québécoise est structurée sur les lignes de force du système néo­capitaliste en plus d'être une société dominée.


syndicalisme, capitalisme
et domination

Nous vivons dans une société dépossédée de ses moyens de contrôle économiques et politiques ayant par ailleurs atteint un stade avancé d'industrialisation modelé sur les structures du capitalisme. Partant, il était pratiquement impensable que, baigné dans une situation semblable, le syndicalisme québécois connaisse un sort différent de celui de toute notre société. Il devait même, ou presque, se modeler sur les structures du monde capitaliste pour seulement en arriver à faire ce qu'il a fait jusqu'ici. Mais comment se présente, dans cette perspective, le syndicalisme québécois ?

Le syndicalisme québécois s'est, à son tour, structuré comme le système établi voulait qu'il le fasse. Il est ainsi devenu une organisation pourvue de moyens importants mais inoffensifs, une organisation qui ne pouvait pas mettre le système établi en péril bien que, fondamentalement, le syndicalisme ait pour objectif ultime et en même temps quotidien de jeter par terre les structures dépersonnalisantes et aliénantes du capitalisme lui-même. On n'a ici qu'à se rappeler les origines historiques et sociales dg syndicalisme.

Épris de la crainte de se faire ébranler dans ses racines mêmes, le système établi a eu tôt fait d'imposer à l'organisation syndicale nord-américaine et québécoise une orientation théorique et pratique inoffensive. Le syndicalisme en Amérique du Nord a perdu le caractère révolutionnaire de ses origines et a rapidement pris le style de l'entreprise d'affaires plus particulièrement spécialisée dans ce qu'on pourrait appeler les "relations industrielles". Cela nous amène alors à parler de "syndicalisme d'affaires" souvent pas très éloigné de l'organisation corporatiste. Pas besoin d'insister ici pour souligner la déviation importante que lui a fait subir le système. Ce dernier a réussi un coup de maître ; il s'allie malgré eux et à leur insu les syndicalistes et par, eux les travailleurs : ce qui a pour conséquence de lui permettre d'évoluer en toute sécurité. Le syndicalisme devient ainsi une médecine [7] sociale. Il devient un agent du système.

Le système capitaliste craint les remises en question : ceux qui l'animent prennent les moyens de faire taire la majorité de ceux qui leur permettent d'exister. Le système établi craint à un plus haut point la naissance d'une conscience de classe chez ceux qu'il opprime, c'est-à-dire ceux qui n'ont jamais à participer aux décisions des minorités possédantes et dirigeantes. C'est ainsi que, logique avec lui-même, le système sait structurer la majorité de ceux qu'il aliène de telle façon qu'ils soient morcelés et suffisamment divisés entre eux pour qu'ils n'aient ni le temps ni les énergies suffisantes pour s'attaquer au système lui-même et le dénoncer. C'est là le tour de force qu'a réussi ici, dans nos organisations syndicales, le système capitaliste. Le monde ouvrier québécois est structurellement brisé et morcelé.

Ainsi l'organisation syndicale au Québec est structurée de telle façon qu'il n'y a pas de possibilités de communications et d'actions communes continues au niveau de son organisation elle-même. Les travailleurs syndiqués québécois sont divisés en trois grands secteurs, chacun répondant à des caractéristiques socio-économiques précises, et particulières. Les cultivateurs appartenant à l'U.C.C. relèvent du primaire. Les travailleurs manuels sont affiliés à la F.T.Q. et forment en grande partie la main-d'oeuvre du secondaire. Enfin, le tertiaire est représenté par les syndiqués membres de la C.I.C., de l'U.G.E.Q. et, de plus en plus, de la C.S.N. Ainsi organisé, le monde syndical québécois offre le spectacle d'une atomisation structurelle empêchant d'une part chaque groupe de syndiqués d'avoir conscience de son appartenance réelle à l'ensemble des salariés du pays, chacun limité et fermé à la "classe" à laquelle la société capitaliste le confine et veut le confiner n'ayant alors d'autre réaction que celle de tenter de s'approprier le plus d'avantages possibles au détriment des autres groupes syndiqués et aussi, bien souvent, de l'immense majorité des non-syndicables, sans compter tout le jeu destructeur des rivalités et des "compétitions" intersyndicales qu'une telle situation amène nécessairement. D'autre part, cette atomisation structurelle provoque, cela va de soi, un cloisonnement plus ou moins étanche entre les centrales syndicales ce qui a pour effet, une autre fois, d'empêcher toute tentative de politisation réelle et du syndicalisme en général et des travailleurs syndiqués. Tout en laissant à l'organisation syndicale des attributs "syndicaux", le système en fait et veut en faire ni plus ni moins, de petites corporations qu'il sait tenir tranquille lorsqu'elles parlent et agissent trop fort. Il l'a fait dernièrement avec l'imposition du Bill 25. [8] Et si une telle loi a pu "passer" c'est précisément parce que le pouvoir établi, composant avec le système, savait fort bien que, structuré comme il l'est, le mouvement syndical québécois ne pouvait pas aller tellement plus loin qu'il ne l'a fait alors ...

Enfin, subissant lui aussi les effets de l'absence d'indépendance du Québec vis-à-vis le contrôle de son économie et de ses politiques, le syndicalisme québécois se trouve à nouveau scindé et divisé en devant composer avec deux types de forces dont il dépend à un plus haut point. D'une part, la F.T.Q. et, dans une large mesure, l'U.C.C. doivent affronter le capitalisme monopolistique anglo-canadien et américain, tandis que d'autre part, la C.S.N., la C.I.C. et l'U.G.E.Q. font face à l'État québécois lui-même entre les mains d'une bourgeoisie parasitaire canadienne-française, comme nous le montrerons dans la première partie de cet article.


conséquences
du morcellement structurel

Ce morcellement de l'organisation syndicale québécoise correspond et provoque en retour, sur le plan fonctionnel, l'élaboration d'une conduite syndicale qui ne s'attaque pas au coeur même du système colonial et capitaliste. On s'est souvent attaqué au syndicalisme québécois en décriant sa politique uniquement centrée sur une escalade des salaires, ses luttes intersyndicales nombreuses, son impuissance à idéologiser son action, sans se rendre compte des véritables causes de cet état de fait.

Il est vrai que les syndicats ont souvent tendance à développer une vision restreinte de leur action, uniquement centrée sur les intérêts particuliers et à court terme de leurs membres. Mais il faut bien se rendre compte que cette attitude est provoquée directement par le système établi, de la même façon que ce dernier a modelé les structures elles-mêmes de notre syndicalisme. Il existe même une relation dialectique fonctionnelle-structurelle de l'organisation syndicale empêchant l'élaboration d'une pratique qui nécessiterait la disparition de l'atomisation structurelle et l'élaboration d'une pensée plus englobante. Tout le jeu du système consiste à enfermer les travailleurs manuels et non-manuels dans ce cercle vicieux qui empêche la remise en question et conserve à son service, hors des cadres syndicaux une armée de sous-développés non syndiqués.

Il s'agit donc, on l'aura deviné, de briser ce cercle vicieux en établissant une véritable communication entre les différentes centrales syndicales et partant, entre les travailleurs eux-mêmes, ce qui conduira inévitablement à l'élaboration d'une pensée remet [9] [.../...] caux, une armée de sous-développés. *

Cette "réunion" des syndicalistes et des syndiqués aura, outre l'avantage de provoquer à long terme l'établissement d'une société plus humaine, d'empêcher la création toujours possible d'une organisation sociale dirigée contre les travailleurs manuels par une technocratie formée à même le syndicalisme des travailleurs non-manuels dont l'importance grandit de jour en jour au Québec. La classe moyenne en voie de formation au Québec, formée de fonctionnaires, d'employés de bureau... pourrait en effet profiter de la division structurelle du syndicalisme québécois pour prendre le pouvoir à la faveur d'une "révolution" indépendantiste en s'appuyant sur l'ensemble des travailleurs pour ensuite diriger à son profit. Ce nouveau groupe social, faisant "fonctionner" actuellement l'information, l'éducation et nombre d'autres secteurs importants de notre société pourrait, en effet, profiter de sa situation pour transformer la société capitaliste à son seul profit.

Une pratique syndicale plus englobante empêcherait cette usurpation du pouvoir par une partie de la population syndicale et permettrait à cette dernière d'ajuster ses visées à celles de l'ensemble de ceux qui s'opposent à la dépossession et à l'aliénation que nous subissons. La réunion des syndicats permettrait la création d'une conscience véritablement collective qui seule peut assurer l'élaboration d'une organisation sociale, politique, économique et culturelle ajustée aux réels besoins de l'homme québécois.

Précisons ici que lorsque nous parlons de la nécessité d'une "réunion" des syndicats, nous n'entendons pas une fusion des centrales syndicales existantes en une seule. Préconiser une telle chose serait, actuellement, manquer tout à fait de réalisme. Par "réunion" des syndicalistes et des travailleurs nous entendons l'établissement d'un centre intersyndical qui permette, d'une part, de pallier fermement et concrètement à l'atomisation structurelle du monde syndical québécois et à ses conséquences et, d'autre part, qui permette l'élaboration commune d'une action syndicale globale visant à contrecarrer les volontés du système et à mettre progressivement en place les moyens d'en arriver à l'établissement d'une société responsable et maître de son agir collectif.

En fonction de l'analyse qui précède, il apparaît nécessaire que la stratégie syndicale repose sur une con, naissance adéquate de la situation socio-économique actuelle au Québec. Dans cette perspective, la première partie de cet article s'attachera à dégager les principales caractéristiques du néo-capitalisme au Québec. Les deux parties suivantes traiterons de la [10] nécessité d'élaborer un plan de développement socio-économique adapté aux besoins de la majorité de la population, et de la mise en place de structures intersyndicales qui seules le permettront.


1. CAPITALISME D'ÉTAT
ET MONOPOLES

Jusqu'à maintenant, les socialistes québécois se sont fort peu préoccupés d'analyser la société québécoise dans une perspective socio-économique ; et ce fait, qui s'explique lui-même par l'inégal développement du pays, a eu de profondes répercussions sur la stratégie et la tactique du mouvement socialiste et des syndicats. La faiblesse grande partie liés à cette lacune qu'il nous apparaît de plus en plus nécessaire et urgent de combler. C'est dans cette voie que nous allons dégager rapidement ici les principaux aspects de la situation socio-économique actuelle du P.S.Q., le manque d'organisation des relations entre les syndicats et entre les syndicats et le parti, sont en [.../...] tuelle * du Québec afin d'indiquer dans quel sens des recherches plus détaillées et appliquées pourraient éventuellement se développer sur ce point.


le néo-capitalisme au Québec

Depuis la fin de la dernière guerre, à laquelle a succédé dans les sociétés occidentales et particulièrement en Amérique du nord une phase de développement nouvelle de l'économie, le Québec s'est de plus en plus intégré à la société nord-américaine et partage maintenant, bien que de façon propre à sa situation de secteur économique dominé, les principales caractéristiques d'une société industrielle avancée : développement très inégal au niveau régional, concentration urbaine, développement du secteur tertiaire, automation croissante de la production, centralisation économique, etc. L'administration du Québec sous le régime duplessiste, en vendant systématiquement "la province" aux intérêts américains, n'a pas peu contribué à faire du Québec ce qu'il est aujourd'hui : une société dont l'économie est en majeure partie déterminée de l'extérieur et gouvernée par une élite de souche traditionnelle et cléricale que sa mentalité et sa situation objective rendent tout-à-fait incompétente à administrer le pays et à faire face de façon tant soit peu conséquente aux pressants besoins de la population. Cette contradiction entre une structure socio-économique propre à une société industrielle avancée et un système politico-culturel désuet est sans doute la faiblesse dominante du régime actuel, le point sur lequel l'action de la gauche, et de tous les salariés organises en syndicats ou non, doit se concentrer.

[11]

Toutefois, pour qu'une telle action se révèle efficace, il nous semble qu'elle devrait se fonder sur une connaissance adéquate des principales manifestations du néo-capitalisme nord-américain dans le contexte québécois.

Schématiquement, on peut définir le capitalisme d'organisation, ou néo-capitalisme, comme la concentration des décisions économiques, au niveau tant de la production que de la distribution et de la consommation des biens et des services, concentration qui conduit à une fusion de plus en plus poussée du capital financier et du capital industriel, ainsi qu'à l'intégration verticale et horizontale des principaux secteurs de l'économie. De cette façon, le néo-capitalisme consiste essentiellement en un ensemble plus ou moins bien intégré de techniques diverses visant au meilleur fonctionnement possible de mécanismes régulateurs ayant pour rôle d'empêcher la chute du taux de profit par réduction de la concurrence. Toutefois, cette dernière joue quand même jusqu'à un certain point entre les monopoles, ou entre les monopoles et l'État qui lui-même devient organisé selon un modèle monopolistique et soumis en grande partie aux décisions économiques des premiers. La transposition de la concurrence au niveau inter-monopolistique, et l'anarchie que cela implique du point de vue de la planification globale de l'économie, est sans doute la faille nécessaire à exploiter en vue de faire s'effondrer un tel système économique qui n'est d'ailleurs que l'ultime phase d'évolution d'une organisation désuète des relations sociales à tous les niveaux. [1]

Au Québec, l'implantation d'un tel capitalisme monopolistique revêt deux formes principales, dont le type particulier de combinaison définit assez bien ce qu'il y a de spécifique à la structure socio-économique de notre société.

En premier lieu, dans les secteurs industriels comme les mines, le bois, et aussi dans, la plus grande partie de l'industrie de transformation, les monopoles américains détiennent depuis fort longtemps un contrôle quasi exclusif, les restes de pouvoir de décisions étant d'ailleurs dans les mains des anglo-canadiens. Le capital financier (banques, etc.,) est aussi géré en grande partie par ces derniers. On peut ainsi constater que les anglo-canadiens gardent encore aujourd'hui un contrôle plus ou moins centralisé sur des secteurs économiques ou para. économiques dont l'essor ancienne, monte au temps de la Confédération ou même de l'Union : transports et communications, construction, banques. D'autre part, tous les secteurs demandant pour se développer un capital financier et un équipement coûteux ont été, depuis le début du siècle [12] et à l'occasion des deux guerres mondiales, graduellement pris sous contrôle par les intérêts américains : matières premières, industrie textile et manufacturière en général. Depuis plus de cinquante ans, les grandes compagnies américaines ont investi au Québec de telle façon qu'elles y contrôlent maintenant presque tout le secteur primaire et secondaire. Ce phénomène s'explique d'ailleurs par un ensemble complexe de facteurs historiques qu'il serait trop long d'examiner ici. Et nous voulons plutôt insister sur une des conséquences majeures, de ce développement historique : le fait que le seul domaine qui soit maintenant laissé au contrôle de l'État (provincial ou fédéral) est celui des services ; éducation, information, etc.

C'est justement dans cette perspective que peut s'éclairer tant la signification politico-économique du récent régime libéral que l'essor aussi récent dit syndicalisme et particulièrement de la syndicalisation croissante des cadres, professionnels et fonctionnaires ou employés de l'État. En effet, par le jeu de la modernisation progressive de l'équipement et les phénomènes qui sont liés à cela (réduction de la main, d'oeuvre nécessaire et automation, etc.), le développement économique du Québec a progressivement libéré du travail manuel une couche de plus en plus importante de la population qui se trouve maintenant employée comme salariée dans le domaine des services nécessaires au fonctionnement d'une économie dont le contrôle est ailleurs mais dont l'administration est au Québec (et de moins en moins à Ottawa, sauf dans certains domaines comme celui de l'information, dont il ne faut cependant pas négliger l'importance). Et ainsi, représentée politiquement par l'administration libérale, une certaine élite nouvelle de la bourgeoisie québécoise a tenté, par un renforcement de l'État et du fonctionnarisme administratif, de prendre le contrôle et de planifier jusqu'à un certain point le secteur des services publics. La réforme de l'éducation, la création de la S.G.F. et de Sidbec s'inscrivent dans ce contexte, comme aussi la syndicalisation des cadres et des fonctionnaires.

Toutefois, l'évolution, qui était assez prévisible, de la politique économique des États-Unis, la crise dans les relations de ce pays avec ceux du Tiers-Monde (dont la guerre au Vietnam est la manifestation la plus éloquente), ont rendu de plus en plus difficile aux libéraux québécois de garder le contrôle relatif qu'ils avaient conquis dans le domaine des services, et surtout d'étendre ce contrôle à d'autres secteurs plus cruciaux de l'économie. Les tentatives comme Sidbec et la S.F.G., en vue de donner à l'État québécois un rôle moteur dans le développement économique, se sont lamentablement [13] enlisées. En plus, le B.A.E.Q., projet visant à remédier à l'inégal développement du Québec, a connu le même sort. Le seul contrôle qui reste aujourd'hui à l'État québécois demeure celui de la production hydro-électrique, de la fonction publique et de l'éducation. Et c'est justement dans ces domaines que les récentes grèves ont témoigné l'État ne réussissant manifestement d'une crise d'une extrême gravité, pas a administrer les seuls secteurs dont il a pu (au profit d'une minorité dirigeante plus ou moins réactionnaire et incompétente) acquérir le contrôle. Nous verrons par la suite que c'est précisément cette faiblesse de la bourgeoisie québécoise dans l'administration des seuls secteurs économiques où elle a un certain pouvoir de décision qui donne les plus grands espoirs de succès à une action syndicale coordonnée et planifiée dans le but de réaliser au Québec une véritable démocratie économique et sociale.

Il est d'une assez grande importance de remarquer que cette faiblesse de la classe dirigeante du Québec n'est pas occasionnelle ou même transitoire, mais plutôt structurelle, indissolublement liée à la structure socio-économique du Québec et à la façon dont s'y manifeste la double concentration monopolistique dont nous venons de faire état. Le fait que la presque totalité de l'industrie lourde et de transformation soit sous contrôle d'intérêts étrangers est la première cause de la faiblesse dont nous parlons. Il est, en effet, impossible qu'une concentration monopolistique dans le domaine des services, sous contrôle de l'État ou non, soit vraiment effective si les intérêts qui contrôlent les secteurs de base de l'économie diffèrent radicalement de ceux qui contrôlent la gestion de cette économie et les domaines para-économiques qui en dépendent (éducation, information, banques, etc.). Dans cette perspective, le nationalisme de la bourgeoisie québécoise s'explique comme une compensation idéologique à son impuissance face au contrôle des secteurs-clefs de l'économie du Québec. En plus, l'orientation de cette tendance nationaliste (ou "autonomiste", "maîtres chez nous", etc.) est significative d'une impasse : même si le Québec, en proclamant l'indépendance politique (au profit des intérêts de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, des technocrates et de certains cadres), réussissait à se réapproprier le contrôle de certains secteurs tels que l'information, les banques, la fiscalité, actuellement détenus par Ottawa, nous ne contrôlerions pas pour autant la base même de notre développement économique, c'est-à-dire l'industrie lourde et de transformation.

[14]

la stratégie syndicale [2]

L'examen attentif du type de concentration monopolistique propre au Québec et la faiblesse de la classe dirigeante politiquement peut nous permettre de voir plus justement la stratégie que les syndicats pourraient élaborer conjointement et comment une telle stratégie serait apte à amener à la réalisation d'une véritable démocratie socio-économique où une minorité, étrangère ou pas, ne contrôlerait plus la société au détriment de l'immense majorité des travailleurs.

Tout d'abord, puisque le contrôle des différents secteurs de l'économie québécoise ne relève pas de la concentration monopolistique des décisions aux mains d'un seul groupe déterminé, mais de deux, dont l'un est étranger et l'autre se confond avec une classe s'appropriant l'État pour compenser sa faiblesse due à son rôle d'intermédiaire par rapport au premier, il est nécessaire de tenir compte des répercussions de ce phénomène sur le mouvement syndical québécois. Sur ce point, et en gros, il est en effet possible de dire que la F.T.Q. représente surtout les travailleurs du secteur primaire et secondaire, tandis que la C.S.N. tend de plus en plus à représenter les travailleurs du secteur public. En plus, la C.I.C. et l'U.G.E.Q. se trouvent alors à représenter une part fort importante des employés de l'État dans le secteur public, c'est-à-dire tous les travailleurs non-manuels dans le domaine de l'éducation (étudiants et professeurs à divers niveaux). Enfin, le caractère isolé jusqu'à maintenant de l'U.C.C. se trouve lié au fait que cette centrale représente un groupe de travailleurs dans un secteur laissé pour compte dans le développement économique du Québec.

Ce qui précède permet bien de mettre en évidence comment la division entre les syndicats reproduit, au niveau des classes de travailleurs et non plus des classes dirigeantes, le double contrôle monopolistique au Québec. Et il est à noter que, de ce point de vue, les divisions et les frictions entre les syndicats ne font pas seulement que refléter les désaccords entre les développements respectifs des différents secteurs de l'économie québécoise, les oppositions entre la classe dirigeante autochtone représentée par l'État et les intérêts des monopoles américains dont l'État québécois n'est d'ailleurs jusqu'à maintenant que le serviteur plus ou moins récalcitrant. En même temps qu'elles s'expliquent par ce qui précède, les divisions syndicales affaiblissent les travailleurs organisés face au patronat et à sa politique d'ensemble plus ou moins coordonnée.

Ainsi, une coordination systématique de l'action de la C.S.N. et de la F.T.Q. d'une part, de l'U.G.E.Q. et de la C.I.C., d'autre part, dans le domaine [15] des revendications non seulement quant au salaire mais aussi quant à la gestion du travail, serait une menace inquiétante pour la classe dirigeante au Québec qui se verrait ainsi d'autant plus affaiblie face au monopoles américains. La récente adoption du bill 25, qui, entre autres mesures anti-syndicales, empêche pour deux ans la liberté d'affiliation, montre à quel point le gouvernement et ceux qu'ils représentent sont conscients de cela.

D'autre part, à un niveau supérieur, la coordination systématique des revendications de toutes les centrales syndicales du Québec représenterait alors une menace non seulement pour la bourgeoisie anglo-canadienne mais aussi pour les intérêts monopolistiques des grandes compagnies américaines au Québec. En effet, une telle action coordonnée remettrait implicitement en question, par des revendications planifiées globalement, non seulement le principe d'un contrôle monopolistique de l'économie et de la société par une minorité mais aussi les modalités particulières de ce con. trôle monopolistique dans la société québécoise.

Les problèmes qu'une telle analyse pose ne peuvent évidemment pas se résoudre à un niveau strictement économique, et la politisation graduelle des syndicats québécois en fait une preuve éloquente. Car si une action intersyndicale planifiée et systématiquement coordonnée globalement est absolument nécessaire pour que cesse l'asservissement des travailleurs et qu'advienne une société vraiment démocratique, il est impossible de ne pas admettre qu'une telle action économique des syndicats pose la question du contrôle politique de l'économie dans notre société. Sans prétendre apporter une réponse définitive à ce problème fondamental que les syndicats se posent d'ailleurs de plus en plus eux-mêmes, nous allons nous limiter ici à quelques suggestions préliminaires et d'intérêt pratique immédiat.

Si, comme nous le croyons, la situation socio-économique de la classe dirigeante québécoise rend cette dernière trop faible pour opérer une planification cohérente visant à la réappropriation du contrôle (même relatif) de l'économie - et de tous les phénomènes qui en dépendent plus ou moins directement -, une pareille entreprise ne nous paraît pas vouée à l'échec pour autant. Loin de là. Cette reprise en main du contrôle de l'économie nous semble au contraire pouvoir être réalisée par ceux qu'elle concerne, i.e. par la majorité de la population du Québec : les travailleurs, manuels et non-manuels, organisés en syndicats. Dans cette perspective, la planification des revendications syndicales, et l'établissement de structures intersyndicales que cela implique [16] (nous allons revenir plus en détail sur ces deux points), devrait en gros s'inspirer de la stratégie suivante :


- dans les secteurs laissés pour compte par le développement néo-capitaliste, i.e. l'agriculture, les professions libérales, etc., procéder à des pressions graduées auprès de l'État pour qu'il développe ces domaines en fonction des véritables besoins de la société et non pas en fonction des intérêts d'une minorité ; l'organisation du syndicalisme agricole et l'action du B.A.E.Q. pourraient être prolongées et critiquées dans cette optique.

- dans les secteurs passant sous le contrôle monopolistique de l'État, comme l'éducation, les soins médicaux, les services publics, les revendications porteraient alors plus immédiatement sur la gestion et iraient dans le sens d'un établissement progressif de structures autogestionnaires à coordonner entre elles au besoin par un organisme central relevant des syndicats.

- enfin, dans les secteurs relevant du contrôle des monopoles anglo-canadiens (l'État fédéral ou les compagnies privées) et surtout américains, c'est-à-dire dans les secteurs déterminants de l'économie, les revendications pourraient porter sur la nécessité de développement autonome par intervention de plus en plus dirigiste de l'État québécois (nationalisations ou expropriations, investissements pour créer de nouvelles industries dans les secteurs de pointe, protection pour limiter la concurrence, etc.) ; des revendications de ce genre devraient être liées aux problèmes résultant de l'automation et du dépérissement : de certaines industries (chômages, etc.). [3]


Il est évident que, de la part des syndicats, l'application d'une telle stratégie implique la création d'un centre de recherches sur la situation socio-économique du Québec, du point de vue des travailleurs, l'étude des possibilités d'une planification globale du développement du Québec dans le sens de la démocratie socio-économique, la mise en place de structures intersyndicales assurant le bon fonctionnement de l'action revendicative et éventuellement la création d'un organisme politique [4] susceptible à moyen terme de prendre le pouvoir et de voir à l'application, dans une conjecture internationale donnée, d'un plan de développement socio-économique nécessitant entre autres choses l'intégration de l'économie québécoise dans un réseau d'échanges autre que celui dans lequel le Québec est actuellement inséré.

Ces deux points, c'est-à-dire établissement d'une planification et mise en place de structures intersyndicales, [17] font l'objet des deux parties suivantes de notre exposé.


2. SYNDICALISME
ET PLANIFICATION

"Cependant, nous ne nous associerons pas à n'importe quel type de planification ; nous entendons bien qu'il devra s'agir d'une planification réellement démocratique, qui exprimera la volonté de tous les citoyens d'abord, en leur proposant des choix entre les options fondamentales qui paraîtront possibles. C'est au peuple dûment informé que les décisions fondamentales appartiennent".
Marcel Pépin,
Rapport moral au congrès de la C.S.N. [5]


on planifie pour qui ?

Une des idées fondamentales que la pensée socialiste a introduite dans les sociétés occidentales est celle de planification. Pour les socialistes, la planification économique s'intègre dans une certaine conception de la société. Cette conception diffère de celle des sociétés néo-capitalistes qui n'ont retenu de l'idée de planification qu'un ensemble de moyens techniques coordonnés dans le but d'obtenir une augmentation du revenu national. Une telle augmentation n'implique alors pas un changement des structures économiques de la société, ni une meilleure distribution du revenu national. La planification indicative des sociétés néo-capitalistes est déterminée par les intérêts des monopoles. Il est ainsi évident que les effets d'une telle planification ne sont pas ceux qui conviennent à la majorité de la population. À moins que l'on croit possible de gouverner pour le peuple, mais sans lui. En France, par exemple, où il existe un plan indicatif depuis plusieurs années, on a développé un armement atomique très coûteux tandis que les routes, les hôpitaux et les équipements scolaires sont restés dans un état stagnant. Au Québec, les velléités de planification du récent régime libéral n'ont guère eu plus de succès.


planification et démocratie

Dans les pays socialistes, le choix des objectifs et la liste des priorités du plan ont été établis d'une façon impérative. La planification soviétique a favorisé les investissements dans l'industrie lourde et dans le domaine des moyens de productions, au détriment du secteur ayant trait à la consommation. Cette option a entraîné une lente augmentation du niveau de vie comparativement aux pays occidentaux. Mais aujourd'hui, les infrastructures économiques soviétiques permettent un développement rapide de l'industrie de consommation. De plus, le taux de croissance de l'économie soviétique a été et demeure l'un des plus élevés qui soient. Si les priorités n'ont pas été établies démocratiquement, il ne faut pas oublier que, dans les sociétés néo-capitalistes, le choix des [18] secteurs d'investissements n'a pas tenu compte non plus des besoins de la population dans son ensemble.

Si l'on considère que la démocratie économique est indispensable à une véritable démocratie politique, il devient évident qu'il faut planifier le développement économique en fonction des priorités que la majorité de la population, dûment informée, établit. Ce qui implique la participation la plus large pour l'établissement des priorités du plan et, pour rendre possible cette participation, l'existence de mécanismes d'information et de consultation de la population.

D'autre part, la centralisation des décisions économiques qui caractérise le néo-capitalisme exige des syndicats des préoccupations qui dépassent l'entreprise ou le secteur industriel et rejoint le niveau de l'économie dans son ensemble. Une planification vraiment démocratique ne peut se faire sans les syndicats, à moins de se résigner à une nouvelle forme de paternalisme qui fait des salariés des enfants devant accepter sans un mot les décisions de ceux qui, éclairés par le Saint-Esprit, connaissent et imposent le meilleur des biens : le leur.


planification et politique économique

La crise actuelle de l'enseignement est un bon exemple de ce que donne la politique économique d'un gouvernement quand les syndicats n'ont pas de moyens d'action sur cette dernière. La crise actuelle illustre la notion de coût social dans un secteur précis de l'économie : les objectifs explicites du Bill 25 étant de faire entrer les salaires des professeurs dans le cadre d'une politique économique, cela s'est réalisé sans que les principaux intéressés aient un mot à dire. Le coût social de cette mesure économique sera le pourrissement de l'ambiance scolaire, l'abandon de la profession par les professeurs les plus qualifiés et donc les plus nécessaires, le ralentissement des changements du système d'éducation dans son ensemble. Et cela parce que, ayant à choisir entre les divers moyens possibles de résoudre un problème financier, le gouvernement est allé dans le sens des intérêts qui le soutiennent électoralement.

Ce problème montre bien comment jouent les rapports de force politique dans l'établissement de la liste des priorités au sein d'une politique économique donnée. C'est parce que les rapports de force ne favorisent pas les enseignants que le Bill 25 a été adopté, c'est parce qu'une modification du régime fiscal est inconcevable dans la situation politique actuelle qu'une telle mesure n'a pas été appliquée. Lorsqu'il faut faire des investissements dans un secteur donné, et que le budget actuel global ne le permet pas, il y a deux solutions : ou bien diminuer [19] les dépenses dans un autre secteur, ou bien augmenter les recettes. Le gouvernement, incapable d'augmenter le budget de l'éducation par une véritable réforme du régime fiscal, a choisi de diminuer les dépenses dans le secteur du budget où la résistance politique est électoralement moins importante : les salaires des enseignants. Toutefois, une politique économique différente aurait permis de contrôler les dépenses des Commissions scolaires en centralisant l'administration et en supprimant les Commissaires. De la même façon, il aurait été possible de remplacer la taxe foncière par un impôt sur le revenu, ce qui aurait été plus équitable pour les petits propriétaires et aurait permis d'assumer les dépenses imposées par la réforme du système scolaire. Mais cela aurait indisposé ceux qui bénéficient du système actuel et qui, par leur pouvoir économique, sont très favorisés politiquement. On a ainsi préféré se rabattre sur les salaires des enseignants pour pouvoir affecter les capitaux nécessaires à l'investissement dans le secteur de l'éducation. Ceci montre clairement que l'établissement des priorités dans le développement économique n'est pas seulement un problème technique, mais aussi un problème politique. Pour être entendu, les salariés doivent compter sur une force politique.


les syndicats et la planification

Lorsque l'on pose comme condition préalable à l'élaboration et à l'application d'un plan de développement économique le changement radical des structures du pouvoir politico-économique, on se trouve vite pris dans un cercle vicieux que seule pourrait briser une problématique d'action révolutionnaire. Néanmoins, un changement des structures économiques nous semble pouvoir être accéléré par l'exercice des pouvoirs réels des organisations syndicales, même avec les limitations actuelles de ces organisations. Les syndicats regroupent aujourd'hui des centaines de milliers de membres et possèdent une organisation dont les moyens de pression et de revendication sont encore a peine utilisés. De plus, les syndicats reconnaissent l'urgence d'une mise en place de mécanismes de planification au Québec : "C'est en effet par l'instrument de la planification qu'une économie en pleine croissance, surtout lorsqu'elle est dépendante des centres de décision extérieurs, comme le sont les économie québécoise et canadienne, doit être orientée dans l'intérêt général de la population" [6]. Cette planification, on la veut démocratique, ce qui entraîne le besoin d'informer et le besoin de consulter tous les travailleurs, et de "trouver les moyens pratiques pour reconstituer des synthèses à partir des volontés de la [20] base et sur lesquelles la population sera appelée à se prononcer" [7].

Pour rendre cela possible, il paraît de plus en plus nécessaire que les syndicats fassent effectuer des études de caractère socio-économique sur différents aspects de la société québécoise. À l'occasion, de telles études ont déjà été effectuées. Mais il s'agissait là de travaux isolés, servant à appuyer les revendications syndicales sur un aspect, particulier. Il serait pourtant nécessaire que les syndicats mettent sur pied un organisme capable d'effectuer de telles études d'une façon coordonnée et systématique, visant à avoir une vision claire de l'ensemble des problèmes à résoudre. Cela nous semble la seule manière de choisir les solutions et de prendre les décisions d'ordre stratégique de façon à ce qu'elles correspondent à la réalité de la société néo-capitaliste vers laquelle le Québec évolue. Il faudrait donc créer un organisme syndical susceptible d'élaborer de façon démocratique un plan économique. Tout en en découlant ce plan servirait de cadre à l'élaboration d'une stratégie des revendications syndicales et serait un instrument de discussion avec le gouvernement. Les arguments se situeraient alors à un niveau global. Bref, les syndicats ne peuvent pas s'attendre que l'État planifie car, même si tous les organismes pour ce faire étaient en place (ce qui est loin d'être le cas, la planification étatique, dans le contexte actuel, respecterait, les objectifs et les intérêts des groupes qu'il représente ; et ce au détriment de tous les travailleurs. Il faut donc que ce soit les syndicats qui, par le truchement d'une stratégie politique cohérente, et après l'élaboration d'un plan de développement économique impliquant une aussi large participation de la base que possible, introduisent ses objectifs au niveau politique.

Par ailleurs, le travail d'un organisme syndical de planification devrait se faire sur deux plans : celui d'un bureau du plan, qui ferait les études socio-éronomiques nécessaires, qui ferait l'inventaire des ressources et des besoins des différentes régions du Québec et qui élaborerait des synthèses, jusqu'au niveau régional, où la consultation et l'information de la population seraient effectuées. Le bureau du plan travaillerait avec l'aide de comités régionaux de planification qui enverraient au niveau supérieur les renseignements nécessaires, qui feraient des enquêtes sur place et y organiseraient les structures d'information et de consultation nécessaires. Ces comités régionaux de planification auraient pour rôle de transmettre les choix fondamentaux de la base, d'informer et de proposer des options à la population.

Le plan ainsi élaboré demeurera [21] toutefois lettre morte si une force politique n'inclut pas dans son programme ses options fondamentales et ses décisions de base, si une stratégie réaliste et adéquate n'est pas mise en oeuvre pour le réaliser. Ce qui implique que les organismes de planification soient des structures intersyndicales où collaborent étroitement toutes les centrales. La collaboration de ces dernières devrait aller au-delà du financement d'un bureau de recherches chargé  de faire des enquêtes socio-économiques, au-delà aussi de la création d'organismes régionaux de consultation et d'information. Une fois les études socio-économiques effectuées, une fois déterminés les moyens les plus efficaces pour orienter la croissance économique avec la participation des travailleurs, il faudra que les centrales syndicales s'entendent sur une politique commune de revendications. Face à une centralisation et à une coordination des intérêts monopolistiques et de l'État, il faut aussi une coordination et une centralisation de l'action syndicale. Les alliances temporaires pour lutter dans une situation particulière ne suffisent plus. Il faut une stratégie commune à plus long terme, il faut que s'intègrent dans un plan d'ensemble inspiré par la connaissance adéquate les revendications les plus particulières de la situation socio-économique et politique globale au Québec.

Comme nous l'avons déjà souligné, cette perspective mène de plus en plus les syndicats à se sensibiliser au problème politique. L'indifférence traditionnelle des syndicats pour la politique dans un pays à régime électoral fondé sur le bipartisme était justifiée par la conscience de la similarité des deux partis dans leur attitude face aux salariés. Toutefois, lorsque le bipartisme en vient à masquer un régime de parti unique, quand les intérêts économiques défendus par les partis traditionnels se coordonnent, les syndicats, pour être fidèle à leur tâche et conséquent avec leur passé, doivent modifier leur action, l'élargir, quitte à entrer sur la scène politique en créant un parti qui les représente et sur lequel ils puissent avoir la même emprise que celle qu'ont les actuels détenteurs du pouvoir économique sur les partis en place. Un tel parti, qui n'existe pas encore, faciliterait la réalisation des objectifs d'une planification démocratique et remplirait le vide existant dans l'actuel système de représentation et de délégation des pouvoirs. Les aspects socio-économiques et politiques du Québec sont trop étroitement reliés pour qu'il soit possible de concevoir une action planificatrice qui prétendrait se passer des instruments politiques appropriés. En l'absence de tels instruments, l'action des syndicats au niveau de la planification ne pourrait que suppléer de façon bien insuffisante [22] à leur fonction spécifiquement politique.

Pour toutes ces raisons, il nous semble maintenant opportun d'insister sur les modalités d'une mise en place de structures Pouvant servir à établir des relations plus systématiques et plus constantes entre les diverses centrales syndicales au Québec.


3. RELATIONS INTERSYNDICALES

Plusieurs facteurs nous permettent aujourd'hui d'affirmer qu'il est tout à fait possible de mettre sur pied un Comité Intersyndical Permanent. Malgré l'existence des luttes intersyndicales, malgré l'existence de l'atomisation structurelle du monde syndical québécois dont nous avons parlé plus haut, les Centrales syndicales du Québec ont tout de même acquis une habitude de collaboration et de dialogue. Il existe même entre elles un consensus sur un certain nombre d'objectifs importants et concrets. En somme, s'il y a eu jusqu'ici une certaine forme de collaboration intersyndicale, il s'agit là d'un acquis fort précieux qui peut servir de base au commencement d'une forme d'action commune et de recherche nouvelle, plus profonde, plus globale et permanente.

Aujourd'hui même il est possible d'affirmer que les cinq grandes centrales syndicales du Québec : C.S.N., la F.T.Q., la C.I.C., l'U.C.C. et l'U.G.E.Q. s'accordent sur les lignes de fond des objectifs et des politiques suivantes. Toutes souhaitent l'établissement d'une société dans laquelle sera assurée la sécurité économique et sociale de chaque citoyen, et dans laquelle auront disparues les inégalités régionales. Toutes s'accordent sur la nécessité d'établir au Québec un système d'éducation accessible à tous, démocratique et répondant aux besoins réels de notre société. Nos syndicalistes sont aussi conscients de la domination économique dont souffre le Québec : ils souhaitent que nous maîtrisions de plus en plus nos richesses naturelles et que nous puissions en même temps voir à leur exploitation rationnelle. Ils s'accordent sur la nécessité d'établir une planification réelle au Québec. Planification dont l'élaboration devrait tenir compte de la nécessaire participation des travailleurs. Quant au problème constitutionnel, la C.S.N., la F.T.Q. et l'U.C.C. ont déjà rejeté le statu quo et opté pour une amélioration de la situation actuelle. La majorité d'entre elles refusent l'exploitation des travailleurs par les minorités dirigeantes du capital et revendiquent une participation effective des travailleurs dans la société. Toutes s'accordent sur la nécessité d'une intervention accrue de l'État dans les services essentiels et dans l'exploitation des richesses naturelles. Bref, sans ici prétendre d'aucune façon que les centrales syndicales [23] québécoises sont d'accord sur des objectifs oui remettent tout à fait en question l'ordre socio-économique, politique et culturel au Québec actuel, il nous est toutefois possible d'affirmer que, tout au moins, elle n'acceptent pas que notre réalité collective soit marquée par la dépossession et la déshumanisation capitalistes. Ce n'est certes pas là une conscience qui annonce une intention ferme et arrêtée d'en arriver à une transformation radicale de nos institutions et de nos structures. C'est tout de même, à notre avis, le commencement d'une possibilité de lutte commune qui, fortement aidée de l'apport de connaissances et de recherches déjà faites ou à faire sur la situation réelle du Québec, connaissances qui jusqu'ici n'ont pas réussi à franchir la porte de nos centrales syndicales pour plusieurs raisons dont l'une est sans contredit le langage utilisé par la gauche québécoise et les attaques dont ont été à maintes reprises victimes les leaders syndicaux, pourra en tout cas s'asseoir de plus en plus sur des objectifs correspondants aux besoins réels de toute la population québécoise.

S'il existe un accord réel et parfois tacite des leaders syndicaux du Québec sur un certain nombre d'objectifs socio-économiques et politiques importants d'une part, l'organisation syndicale québécoise a aussi à son crédit une certain nombre d'expériences, sporadiques certes mais non moins réelles, de collaboration allant jusqu'à une forme concrète de revendication et de lutte. On a qu'à se rappeler ici les divers fronts communs intersyndicaux des deux ou trois dernières années au Québec. Il y eût le front commun C.S.N., F.T.Q. lors du Bill 54, touchant le Code du Travail ; le front commun des deux mêmes centrales sur le Régime des rentes, le front commun F.T.Q. C.S.N., U.G.E.Q. lors de la grève des employés de la Cie Coca-Cola, le front commun CSN, UGEQ lors de la grève à Lagrenade enfin, la présentation conjointe C.S.N., F.T.Q., U.C.C. de deux mémoires dont l'un sur la question constitutionnelle et l'autre sur l'assurance-maladie. Il faudrait ajouter ici une liste un peu plus longue faisant état des diverses autres formes de collaboration et d'appuis qui se sont opérés dans notre monde syndical à l'occasion d'un certain nombre d'autres questions. Enfin, la dernière en liste, et non la moindre à la condition qu'elle se poursuive, est certainement la lutte commune de nos centrales syndicales contre le Bill 25.

Partant d'un acquis qu'il serait futile de négliger, la création d'un Centre Intersyndical Permanent ne serait déjà, à ce stade-ci, que la formalisation structurelle de gestes et de travaux faits à divers niveaux sans l'apport d'un cadre précis, que ce serait déjà un pas important de fait.

[24]

Il existe déjà une habitude de travail en commun. L'existence de cette faible expérience est suffisante pour nous démontrer la possibilité autant que la nécessité d'un travail, plus poussé et plus continu cette fois, à l'intérieur d'un cadre précis et permanent.


conditions de réalisation
d'un comité intersyndical permanent


Il est selon nous divers types de conditions essentielles à la réalisation et à l'efficacité d'un Comité Intersyndical Permanent au Québec.

Les conditions que nous formulons ici peuvent apparaître simples. Mais nous croyons que c'est autour de ces dernières que les syndicalistes auront explicitement à se mettre d'accord si jamais ils veulent faire de ce Comité que nous jugeons nécessaire de créer, un organisme vivant et efficace, créateur et utile à toute la collectivité québécoise.

1. La première de ces conditions peut se formuler de la façon suivante : une action intersyndicale efficace et permanente ne sera possible que si chacun des participants ne voit pas derrière la ou les positions de l'autre une volonté plus ou moins ferme et arrêtée de se servir de ce Comité et, en définitive des autres Centrales syndicales en place, à des fins politiques pour sa propre Centrale et pour ses membres. En somme, il est nécessaire que chacun des participants rejette toute méfiance et considère seulement les objectifs qu'ils auront à donner en commun à un tel Comité. Bref, chaque Centrale syndicale doit participer aux travaux d'un tel organisme sans qu'il y règne le spectre des rivalités intersyndicales et des dissensions.

2. Il apparaît nécessaire en second lieu qu'on y recherche ensemble, non vas les points sur lesquels existent des désaccords de quelqu'ordre qu'ils soient, mais qu'on tente plutôt de dégager, à partir de l'expérience passée de chacune des Centrales en présence et de leurs intentions à court et à long terme, les lignes de force autour desquelles existe manifestement un accord. Il ne serait pas inutile que, dans une phase préliminaire aux travaux d'un tel Comité l'on ait l'occasion de se rendre compte d'une manière explicite cette fois, des lignes de forces communes qui animent, malgré tout, chacune des Centrales en ce que juste, ment elles se proclament d'une philosophie syndicale.

3. Une autre condition, l'une des plus importantes, est que chacun des groupes en présence reconnaisse le caractère nécessaire et fondamental lié à la création de ce Comité et d'une action commune permanente menée au niveau de la société globale par ces derniers. Si poser une telle condition [25] suppose une conscience réelle de la situation actuelle de l'homme québécois et de l'urgente nécessité de mettre en oeuvre communément des énergies qui à long terme humaniseront cette situation, une telle condition suppose aussi une conscience commune de l'importance politique d'une semblable action intersyndicale. Nous pensons qu'une telle conscience est possible à la suite des événements qui ont entouré la lutte menée par les cinq centrales syndicales autour du Bill 25.

4. Une quatrième condition, étroitement liée à la précédente est que l'on réalise, après une examen sérieux de l'action menée par l'organisation syndicale québécoise, la nécessité pour notre syndicalisme de savoir où le conduisent ses actuelles revendications. En d'autres mots, il nous apparaît indispensable que, réunis à l'intérieur d'un Comité Intersyndical, les représentants des syndiqués essaient ensemble et progressivement de dégager les grands traits du type de société qu'ils croient nécessaire de réaliser au Québec pour que la philosophie qui les inspire et les revendications et les luttes qu'elle les amène à livrer, prennent un visage concret.

5. Il faudrait de plus que chacun des participants aux travaux de ce Comité reconnaisse l'importance d'une permanence du Comité Intersyndical dont nous parlons ici. Les conditions qui viennent d'être énumérées et l'envergure qu'aurait à prendre un tel Comité, supposent un travail à long terme. Ce n'est certes pas en se réunissant occasionnellement seulement que chaque centrale syndicale pourra en venir à établir un dialogue sérieux avec les autres et aboutir ensemble à une action qui ait des répercussions autant sur les syndiqués que sur toute la population du Québec. Il existe déjà une certaine base commune de pensée et d'expérience entre les Centrales syndicales québécoises qui permet un commencement de travail en commun, mais l'une des plus grandes difficultés que ces dernières auront à affronter est sans nul doute une difficulté qui se situe au niveau du langage ; chacun parle souvent de la même chose que l'autre en des termes différents. Ce n'est qu'en poursuivant un travail commun régulier et assidu que ces premières difficultés pourront être contournées.

6. Enfin, il est nécessaire de donner à ce Comité Intersyndical Permanent un statut nettement défini qui lui permette d'exercer son action avec le plus de moyens et d'efficacité possibles.


fonctions du comité intersyndical

Trois types d'action devraient selon nous retenir l'attention du Comité que nous préconisons. D'une part, une action menée au niveau de la recherche, [26] de l'autre au niveau de la politisation des syndiqués et enfin, au niveau de l'action politique proprement dite.

Recherches :

La mise eh commun de ressources financières pourrait utilement servir à l'élaboration de recherches dont l'intérêt que pourrait en retirer chacune des Centrales autant que toute la collectivité québécoise ne fait pas de doute. Il y a en effet des types de recherches socio-économiques, des recherches relatives à la législation ouvrière et à l'action syndicale proprement dite que pourraient financer conjointement les Centrales syndicales sans pour autant qu'elles les empêchent de mener par elle-même des recherches plus particulières à leur syndicat comme cela se fait présentement. Une recherche sur le problème de la participation des syndiqués à l'intérieur de leur syndicat comme dans la société serait d'un intérêt certes important. Enfin ce service de recherches commun aux Centrales syndicales pourrait avoir pour tâche, à long terme, d'élaborer un Plan, comme cela a été plus longuement souligné dans la seconde partie de cet article.


politisation

Relié aux problèmes de la participation, le problème de la politisation des travailleurs, en somme toute la question de l'éducation politique, est certainement suffisamment importante et urgente pour que les Centrales syndicales tentent de voir, en commun, comment elles pourraient agir en ce domaine.

Le Comité Intersyndical Permanent pourrait par exemple avoir pour tâche de mettre sur pied un certain nombre de services conjoints tels : publications, informations, camps d'éducation politique pour les syndiqués, sessions d'informations (teach in, conférences, semaines d'activités spéciales, etc.). Ce même Comité pourrait aussi travailler à la mise sur pied de bureaux d'action et d'information politique régionaux répartis à travers tout le territoire québécois, etc...


action politique

Ce que nous entendons ici, de manière restreinte d'abord, par action politique, est probablement le type d'action que le Comité Intersyndical pourrait entreprendre le plus rapidement. C'est probablement la première phase par laquelle il pourrait passer.

Cette "action politique" à court terme pourrait porter sur l'élaboration conjointe de stratégies visant à faire connaître la position de syndiqués sur des problèmes tels que le Bill 25, le Bill 21, l'Assurance maladie, la Législation ouvrière, etc... Cette stratégie, élaborée en commun comporterait alors deux plans importants d'action : d'une part, au niveau des syndiqués [27] eux-mêmes, par des campagnes d'information et de propagandes visant à les renseigner sur les problèmes en cause et sur la position de leur syndicat et, d'autre part, au niveau de la société globale, par la présentation claire et complète de la position du monde syndical et par divers types de manifestations publiques.

Enfin, à long terme, il y va de soi que les Centrales Syndicales réunies à l'intérieur du Comité Intersyndical auront à étudier les possibilités et les conditions de formation d'un Parti politique de travailleurs pouvant seul donner une solution de rechange satisfaisante aux objectifs globaux des centrales syndicales et des travailleurs québécois syndiqués ou non-syndiqués.


CONCLUSION

Si nous croyons aujourd'hui possible d'entrevoir la formation d'un Comité Intersyndical Permanent au Québec répondant aux objectifs dont nous venons de parler, il ne fait pas de doute que les travaux d'un tel Comité seraient stériles à la longue si, au bout dit compte, il n'entrevoit pas la possibilité d'instituer des canaux de communication qui permettent une participation réelle des militants aux travaux de ce Comité. Il faudrait en définitive que l'inspiration de l'action de ce Comité vienne de plus en plus de la base, des membres de chacune des Centrales syndicales. C'est là une perspective à long terme, certes, mais qui doit être envisagée dès le début. Il faudra par exemple que le Plan dont nous avons parlé, une fois élaboré par une équipe de chercheurs et discuté au sein du Comité Intersyndical, puisse ensuite être présenté et discuté à nouveau par les travailleurs eux-mêmes afin qu'il réponde aux réels besoins et aux véritables volontés de ces derniers et qu'il devienne une revendication faite et voulue par les travailleurs eux-mêmes.

Gilles Bourque, Michel Pichette,
Narciso Pizarro et Luc Racine



* [Tel quel dans le texte original. JMT.]

* [Tel quel dans le texte original. Erreur due à l'éditeur.]

[1] Cf. Mandel, E., Traité d'économie marxiste, t. 2, Julliard, Paris, 1962, chap. XII, XIII, XIV.

Sur le néocapitalisrne, on pourra consulter aussi les études de G. Mathieu, G. Rocard et A. Michel, In Les Temps Modernes, nos 196-197, Septembre-Octobre 1962, pp. 403-509. Pour le Canada, certaines données de base se trouvent dans l'ouvrage de J. Porter, The vertical Mosaïc, University of Toronto Press, 1965. Pour le Québec, on peut consulter avec profit l'ouvrage d'A. Raynauld, Croissance et structure économiques de la province de Québec. Ministère de l'industrie et du Commerce, Province de Québec, 1961.

[2] Sur cette question, on pourra consulter le numéro déjà cité de la revue Les Temps Modernes dont une bonne partie est consacrée à la stratégie ouvrière (pp. 509-736). Voir aussi les ouvrages suivants : André Gorz, Stratégie ouvrière et néo-capitalisme, Seuil, Paris, 1964 ; Serge Mallet, La nouvelle classe ouvrière, Seuil, Paris, 1963.

[3] Pour plus de détail sur ce point, voir, dans le présent numéro, l'article de Gabriel Gagnon.

[4] Cf. Gaëtan Tremblay, "Le P.S.Q. et le pouvoir des travailleurs", Parti-pris, vol. 4, no. 5-6, janvierfévrier 1967, pp. 71-74.

[5] Cf. Marcel Pépin, "Une société bâtie pour l'homme", Socialisme 67, février-mars 1967. no. 11, pp. 46-65.

[6] Voir la note 5.

[7] Voir la note 5.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 9:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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