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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “Les mouvements nationalistes au Québec et la lutte pour le socialisme.” Un article publié dans Socialisme 68, revue du socialisme international et québécois, no 15, octobre-décembre 1968, pp. 37-46. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[37]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

Les mouvements nationalistes
au Québec
et la lutte pour le socialisme
.”

Un article publié dans Socialisme 68, revue du socialisme international et québécois, no 15, octobre-décembre 1968, pp. 37-46.

I.  Les élections de juin 68 et le nationalisme québécois
II. Les étapes de la lutte pour le socialisme au Québec

Quels sont le sens et la portée des élections fédérales de juin '68 pour l'évolution des mouvements nationalistes au Québec ? Quelles conclusions les socialistes québécois doivent-ils tirer de la réponse à cette première question ? L'analyse qui suit, avec un caractère hypothétique et des lacunes dont l'auteur est très conscient, tente de préciser ces deux points.


I. Les élections de juin 68
et le nationalisme québécois

On ne peut pas, pour expliquer la victoire, libérale aux dernières élections fédérales, se contenter d'évoquer la personnalité particulière de Trudeau et la volonté des anglo-canadiens de se venger des "Séparatistes" québécois. Plus qu'un roi-nègre utilisé par la société dominante anglo-canadienne pour mystifier la société dominée canadienne-française, Trudeau est le porte-parole de la bourgeoisie nationale anglo-canadienne. L'anti-nationalisme dont fait preuve le nouveau premier ministre à l'égard du Québec reflète les intérêts centralisateurs et néo-capitalistes de la bourgeoisie nationale anglo-canadienne face à J'emprise croissante de l'impérialisme au Canada. De plus en plus, les filiales canadiennes des grandes entreprises américaines tendent à prendre le contrôle des secteurs et des régions économiques les moins intégrés dans l'économie canadienne. Le Québec étant l'une de ces régions, il est normal que les intérêts américains y portent une attention particulière. C'est à cela que réagit la bourgeoisie anglo-canadienne, en s'opposant au nationalisme québécois qui, selon elle, risque de faire le jeu des corporations américaines à ses dépens.

La bourgeoisie nationale anglo-canadienne est devenue graduellement la gestionnaire des intérêts américains au Canada (le Québec compris) : elle ne tient pas à perdre ce rôle dans l'une ou l'autre région moins bien intégrée, d'où les efforts de centralisation du gouvernement fédéral. [38] La bourgeoisie nationale anglo-canadienne, celle que les monopoles américains dépossèdent de plus en plus du peu de contrôle qu'elle exerce encore sur certains secteurs de l'économie canadienne, ne peut se permettre de perdre en plus, par une éventuelle sécession du Québec, le peu de contrôle qu'elle détient encore sur l'économie québécoise. De là son opposition farouche aux mouvements nationalistes, de là son recours à Trudeau pour défendre ses intérêts et bloquer l'évolution du Québec vers l'indépendance nationale ou toute autre forme de changement constitutionnel. Le programme des libéraux fédéraux est absolument clair par rapport à cela. Aucun réaménagement constitutionnel qui pourrait permettre ou faciliter la sécession du Québec : la campagne de Trudeau s'est faite sur le thème principal de l'unité nationale. L'unité du Canada ne pouvant profiter qu'à la bourgeoisie nationale anglo-canadienne. Le deuxième thème de la campagne de Trudeau, l'aide au développement des régions défavorisées du Canada et du Québec, montre cependant que la bourgeoisie nationale anglo-canadienne est prête à faire des concessions sur le plan social au Québec, afin d'empêcher qu'une détérioration de la situation socio-économique dans certaines régions du Québec ne puisse être un prétexte aux revendications des mouvements nationalistes et une occasion pour ces derniers d'exploiter le mécontentement populaire. Il s'agit pour la bourgeoisie nationale anglo-canadienne d'accorder au Québec le plus possible de miettes sur le plan socio-économique afin d'empêcher que, sous l'impulsion de conditions de vie et de travail qui vont graduellement se détériorer, les travailleurs québécois n'appuient les mouvements nationalistes. C'est dans cette perspective que l'on accorde des fonds pour le développement de la Gaspésie, pour le recyclage de la main-d'oeuvre, etc ...

Toutefois, cette bourgeoisie nationale anglo-conadienne est extrêmement dépendante des monopoles américains et c'est pour cette raison qu'il serait tout-à-fait inexact de croire qu'elle puisse envisager de faire l'unité nationale du Canada d'une façon qui lèserait, ne serait-ce que quelque peu, les intérêts qu'ont au Canada, et au Québec, les filiales des corporations américaines. L'unité nationale que vise à réaliser la bourgeoisie nationale anglo-canadienne, est une unité nationale qui profite avant tout aux compagnies américaines ; le parti conservateur canadien, qui n'a pas su comprendre cela, a été évincé de la scène politique, car les mesures de nationalisme économique qu'il tolérait agaçait les monopoles d'outre-frontières ; il en a été de même, au sein du parti libéral, avec des hommes comme Walter Gordon, qui ont été progressivement éliminés pour leur nationalisme excessif. Le nationalisme de la bourgeoisie anglo-canadienne ne peut et ne pourra jamais dépasser d'un pouce les limites que lui fixent les intérêts des corporations américaines, qui, a toutes fins pratiques, contrôlent l'ensemble du développement économique canadien et québécois. La bourgeoisie nationale anglo-canadienne ne peut pas être progressiste et s'opposer à l'impérialisme américain, avec lequel elle vit en symbiose depuis très longtemps et auquel elle s'identifie de plus en [39] plus pour en devenir la servante à mesure qu'elle perd tout contrôle effectif sur les secteurs vitaux de l'économie canadienne. Pour avoir parfaitement compris cela et avoir parlé et agi en conséquence, Pierre E.-Trudeau a été élu chef du parti libéral et premier ministre du Canada.

Une conclusion très importante découle de cette analyse : la bourgeoisie anglo-canadienne prône une unité nationale qui sert les intérêts des filiales des corporations américaines au Canada, et si la bourgeoisie nationale anglo-canadienne, représentée par le parti libéral et Trudeau à sa tête, s'oppose au nationalisme québécois, ce n'est pas parce qu'elle s'appuie sur le Québec pour lutter contre l'emprise américaine au Canada, c'est au contraire parce que les intérêts des corporations américaines, qui contrôlent le développement de l'économie canadienne dans son ensemble, s'opposent à la sécession du Québec. Cela s'explique d'ailleurs assez simplement : il est plus commode d'exploiter un pays, avec des conditions d'impositions fiscales et douanières identiques dans toutes ses régions, que deux pays avec des conditions différentes dans l'un et dans l'autre. S'il existait au Canada une bourgeoisie nationale plus forte, prête à prendre des mesures restrictives sérieuses face à l'emprise de l'impérialisme américain, les corporations américaines pourraient, pour des raisons politiques, appuyer les mouvements nationalistes québécois afin d'affaiblir la bourgeoisie nationale en question et afin d'obtenir de meilleures conditions d'exploitation au Québec. Mais, comme on l'a vu, une bourgeoisie nationale anglo-canadienne prête à résister à l'emprise de l'impérialisme américain n'existe pas au Canada, cela étant dû à un processus historique datant d'avant la Confédération, processus qui a fait vivre la bourgeoisie nationale anglo-canadienne en symbiose avec l'impérialisme et qui mène aujourd'hui à son assimilation. Cette bourgeoisie nationale, en autant qu'elle puisse vraiment être ainsi désignée, ne peut avoir que de rares velléités de résistance à l'impérialisme. Une dernière de ces velléités fut le rapport Watkins.

De toutes façons, une chose est claire : la bourgeoisie anglo-conadienne, même dans ses couches les plus nationalistes, n'est pas prête à accorder au Québec son indépendance et ce, non pas parce qu'elle cherche à se servir de son emprise sur l'économie québécoise pour préserver son indépendance propre face à l'impérialisme américain mais parce que ses intérêts coïncident avec ceux de ce dernier en ce qui concerne le Québec : le Québec dans la Confédération, et non pas un Québec "république de bananes", est ce qui convient le mieux à l'impérialisme américain et à la bourgeoisie anglo-conadienne dans son ensemble. Les mouvements nationalistes québécois ne pourront jamais jouer Washington contre Ottawa parce que Washington et Ottawa obéissent aux mêmes impératifs qui sont ceux des corporations américaines.

Cela nous amène à voir quelles sont les conséquences de ce qui précède sur la situation et l'évolution des mouvements (ou partis) nationalistes québécois. Si l'on considère d'abord l'Union Nationale, il est évident que [40] la venue au pouvoir des libéraux à Ottawa ne la favorise pas particulièrement. Depuis sa fondation par feu Maurice Duplessis, l'U.N. a toujours représenté les couches les plus rétrogrades, cléricales et provinciales, de la petite bourgeoisie québécoise : notables de paroisse, patroneux de toutes sortes, Chambres de commerce, petits et moyens entrepreneurs, commerçants, industriels et financiers, parasites et bénéficiaires traditionnels de l'exploitation impérialiste américaine au Québec. Cette couche de notre petite bourgeoisie a toujours été plus ou moins autonomiste, voulant que l'État québécois garantisse la venue vers elle de la plus grande part possible des miettes du festin d'outre-frontières. Le combat que M. Duplessis mena après la dernière guerre pour rapatrier au Québec une partie des impôts fédéraux est un bon exemple de cette quête de la manne yankee.

Toutefois, depuis la fin de la dernière guerre, justement, la bourgeoisie anglo-canadienne ayant perdu progressivement, avec le contrôle de l'économie, ses velléités nationalistes au besoin anti-américaines, l'U.N., qui a toujours cherché à promettre plus et mieux aux Américains qu'Ottawa, s'est trouvée de plus en plus privée de son principal cheval de bataille : un autonomisme creux qui ne faisait d'ailleurs que refléter et justifier ses tentatives de faire pour les corporations américaines mieux que le gouvernement d'Ottawa. Maintenant que, à la suite de leur essor d'après-guerre, les monopoles américains ont brisé toutes les tentatives sérieuses d'indépendance de la part de la bourgeoisie nationale anglo-canadienne, il ne leur est plus nécessaire de se servir de l'autonomisme de l'U.N., Ottawa leur accordant tout ce qu'ils désirent, inutile de faire jouer le gouvernement du Québec contre le gouvernement fédéral pour obtenir ce qu'ils veulent. De plus en plus, les monopoles américains se fient au gouvernement d'Ottawa pour s'assurer partout au Canada les conditions d'investissement et d'exploitation idéales.

Ce processus, accompagné par l'éviction croissante des petites et moyennes entreprises québécoises due à l'extension de la domination américaine, pousse de plus en plus les couches les plus défavorisées de la petite bourgeoisie, particulièrement dans certaines régions du Québec comme l'Abitibi et le Lac Saint-Jean, à opter pour l'indépendance politique du Québec et à se regrouper derrière un parti comme le RN (maintenant fusionné avec le MSA) et à exploiter le mécontentement des travailleurs et agriculteurs de ces régions dans le sens de leurs aspirations propres. Ce processus affaiblit l'U.N. qui se trouve ainsi à perdre une partie de sa clientèle en province. C'est précisément pour éviter cela que l'U.N. avait inscrit dans son programme l'indépendance, au cas où l'égalité ne puisse être obtenue. À mesure que la base sociale de l'U.N., la fraction de la petite bourgeoisie la plus affectée par les fermetures d'entreprises dans diverses régions du Québec, penche de plus en plus vers des solutions indépendantistes, les bailleurs de fonds américains de ce parti sont de moins en moins enclins à encourager une exploitation du sentiment nationaliste dont les potentialités révolutionnoires [41] ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde au détriment des intérêts des monopoles américains (Cuba, etc.). Face à ce dilemme, l'U.N. ne peut qu'insister de plus en plus sur la nécessité de réformes constitutionnelles tout en restant prise dans une salade fort éloignée de l'indépendance politique.

Un phénomène semblable, quoique relevant de changements d'orientation politique et de situation économique d'autres couches de la petite bourgeoisie québécoise, a mené à une scission au sein du parti libéral provincial. Le parti libéral québécois défend principalement les intérêts de la bourgeoisie anglo-canadienne du Québec appuyée par une fraction de la petite bourgeoisie québécoise consistant surtout en professionnels des milieux urbains et cadres des entreprises anglo-canadiennes et américaines. Sous le gouvernement libéral de "révolution tranquille", de 1960 à 1966, le parti libéral du Québec a trouvé un appui dans les nouvelles classes moyennes salariées (enseignants, fonctionnaires du gouvernement provincial aux échelons moyens et supérieurs), chez les étudiants et chez les cadres moyens québécois des entreprises anglo-saxonnes ; appui qui lui a permis, sous un nationalisme de façade, de mettre à exécution certaines réformes, dans le domaine de l'éducation (rapport Parent), de l'industrie (nationalisation de l'hydro-électricité) et de la finance (mise sur pied, sous contrôle de l'État québécois, de la Caisse de Dépôts et de la Société Générale de Financement) ; réformes dont le but était de favoriser la concentration industrielle et la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée nécessaires à l'extension des intérêts américains au Québec (et au Canada où le gouvernement libéral fédéral prenait des mesures analogues).

Cependant, l'échec relatif des mesures prises par le gouvernement Lesage a provoqué la désaffection graduelle des couches moyennes qui l'avaient précédemment appuyé. En effet, ces couches avaient intérêt à ce que l'État, dont elles dépendent plus ou moins directement, se renforce au Québec, elles voyaient dans les réformes libérales un moyen de renforcer l'État québécois et ainsi d'améliorer leur position. Devant le relatif insuccès de ces réformes, elles glissèrent de plus en plus rapidement vers une position politique indépendantiste, rejoignant la minorité d'intellectuels et de petits bourgeois progressistes qui avaient déjà donné son appui au R.I.N..

C'est dans ce contexte, et à la suite de longues discussions au sein du parti libéral provincial au sujet de la position constitutionnelle que ce dernier devait prendre, que René Lévesque et ses partisans quittèrent le parti libéral. Ce dernier, sous l'influence de la bourgeoisie anglo-canadienne de Montréal, avait opté pour une solution constitutionnelle prônant un statut particulier sur le contenu duquel les diverses factions du P.L.Q. ne se sont d'ailleurs pas encore entendues.

La thèse de René Lévesque fut refusée par le P.L.Q. et servit en quelque sorte de plate-forme lors de la fondation du M.S.A. par Lévesque et ceux [42] qui l'ont suivi hors du parti libéral. Cette thèse se résume en deux mots : souveraineté du Québec dans une association avec le reste du Canada. Il s'agit d'un compromis propre à rallier beaucoup d'hésitants parmi les classes moyennes salariées dont nous avons parlé plus haut, compromis également susceptible de rallier une partie de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie anglo-canadienne à une solution de "bon sens". Lévesque est en effet prêt à négocier avec la bourgeoisie anglo-canadienne sur des points vitaux en ce qui a trait à l'indépendance nationale ; contrôle de la fiscalité, de la monnaie et des douanes, politique de défense et attitude à prendre face aux minorités anglophones du Québec (unilinguisme du système d'éducation subventionné par l'État). Face à l'impérialisme américain, l'attitude du M.S.A. en est évidemment une de bonne-ententisme, pour ne pas dire d'à-platventrisme. Les concessions que le M.S.A. est disposé à faire dans une association avec le reste du Canada sont d'une telle ampleur, et l'attitude de ce futur parti face aux intérêts américains au Québec est si complaisante, qu'il devient absolument clair que la fraction la plus libérale de la petite bourgeoisie québécoise doit, sous prétexte de réalisme et d'efficacité, chercher à rallier le peuple québécois, et particulièrement les intellectuels, les étudiants et les couches moyennes salariées de fonctionnaires, d'enseignants et de cadres moyens, sous l'étendard d'une souveraineté qui n'est en fait qu'un écran de fumée. Quant au socialisme, la question ne saurait même pas se poser.

En fusionnant avec le R.N. et en absorbant par la base la grande majorité de la clientèle du RIN, le M.S.A. tente évidemment de rejoindre les couches les plus défavorisées de la petite bourgeoisie de province et des villes. Ce mouvement vise en sorte à faire l'unanimité de la petite bourgeoisie québécoise et des couches moyennes salariées autour d'une solution politique dont le caractère bâtard reflète bien l'incapacité de cette petite bourgeoisie, et des classes moyennes salariées qu'elle tente de se rallier, à trouver une solution politique qui lui permettrait d'assumer le pouvoir et de faire l'indépendance nationale du Québec tout en n'incommodant pas la bourgeoisie nationale anglo-canadienne et les corporations américaines installées au Québec. Le seul changement politique que le M.S.A. peut opérer au Québec, c'est un remplacement de la petite bourgeoisie traditionnelle par la frange supérieure des couches moyennes salariées comme gestionnaire, au niveau de l'État québécois, des intérêts américains au Québec. Ce réaménagement supposerait certains changements constitutionnels qui ne pourraient toutefois pas aller jusqu'à l'indépendance nationale, les intérêts des filiales québécoises et canadiennes des corporations américaines exigeant des conditions identiques d'investissement dans l'ensemble du territoire canadien qui devient, pour les monopoles américains, un lieu privilégié d'exploitation. Dans un réaménagement constitutionnel, ce sera toujours Ottawa qui, d'une façon ou d'une autre, conservera le contrôle final sur la fiscalité, les douanes, la monnaie, la politique de défense.

[43]

La naissance du M.S.A., après la démission de René Lévesque du parti libéral, a été accompagnée d'une crise profonde au sein du R.I.N., crise dont ce parti, qui fut le premier à prôner l'indépendance nationale du Québec dans les cadres du système politique actuel, ne se relèvera sans doute pas. Issu d'éléments plus ou moins radicaux de certaines couches (professionnels, artistes, journalistes, intellectuels, étudiants) de la petite bourgeoisie urbaine, le RIN fut d'abord un mouvement qui se voulait uniquement un organe de pression et de propagande en faveur d'une indépendance politique du Québec très peu précisément définie. Il fut amené à se transformer en parti politique lorsque ses dirigeants en vinrent à croire possible la réalisation de l'indépendance du Québec par la voie purement électorale et sans remettre en cause la structure capitaliste de la société québécoise et sa soumission, par l'intermédiaire de la Confédération canadienne et de la bourgeoisie anglo-canadienne, à l'impérialisme américain.

Cette ligne politique demandait logiquement de renoncer à toutes les actions de masse (manifestations, appuis aux grévistes, etc.) qui avaient caractérisé la conduite du RIN à ses débuts. Mais une telle orientation ne fut jamais acceptée par la gauche du parti qui, à partir surtout des élections provinciales de juin '66, s'organisa de plus en plus et entreprit de nombreuses manifestations en faveur de grévistes (Ayers à Lachute Seven-Up à Montréal, Baribeaucraft à Québec, etc.). Cela permit à la gauche du parti de se structurer graduellement, de mobiliser les meilleurs militants et finalement, à la suite du congrès d'octobre '67, où Andrée Ferretti fut élue vice-présidente, de contrôler l'appareil et les cadres du parti. La gauche voulait faire du R.I.N. un parti des travailleurs québécois, un parti révolutionnaire dont l'objectif aurait été la libération politique, économique, sociale et culturelle du peuple québécois, et cela par une action systématique d'agitation, de propagande et d'organisation des masses travailleuses. Cela impliquait de faire passer l'action électorale au second plan et de définir l'indépendance non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan socio-économique et culturel : cela impliquait la lutte pour le socialisme au Québec et la lutte contre l'impérialisme américain.

La démission de René Lévesque et la fondation du MSA furent un excellent moyen pour les dirigeants centristes du RIN, représentés par Bourgault et André d'Allemagne, de se débarrasser d'une gauche de plus en plus encombrante et dangereuse pour eux. Bourgault et d'Allemagne, qui avaient en cela l'appui de la majorité des membres du R.I.N. entreprirent alors une chasse aux sorcières eh règle contre la gauche du parti, l'accusant de nuire à l'indépendance en s'opposant à une fusion avec le MSA sous prétexte que ce dernier n'aurait pas été indépendantiste. La position de la gauche du R.I.N. quant à l'attitude à adopter face au M.S.A. était la suivante : le M.S.A. n'est pas indépendantiste, la souveraineté de Lévesque, c'est une duperie pour couvrir une association où le Canada garderait en main l'essentiel des pouvoirs [44] politiques (contrôle de la fiscalité, des douanes, de la monnaie, de la défense extérieure).

Une campagne de diffamation systématique contre la gauche du parti permit à Bourgault et à d'Allemagne de reprendre en main les cadres et l'appareil du R.I.N.. Un Congrès spécial avait été convoqué pour le début d'avril, où les délégués des comtés et des régions du parti devaient trancher entre les deux thèses qui s'opposaient sur l'attitude à adopter face au M.S.A. : la gauche soutenait que la meilleure position était de négocier sérieusement avec le M.S.A. et d'en arriver à former un Front commun avec ce mouvement, le groupe Bourgault-d'Allemagne prônait la fusion le plus rapidement possible. Voyant que les dés étaient jetés avant même le Congrès, les délégués de gauche ayant été graduellement évincés par une propagande anticommuniste, la gauche décida de se retirer du R.I.N. et de travailler à la formation d'un mouvement indépendantiste et socialiste voué à la libération nationale du Québec sous la conduite des travailleurs. Le R.I.N. se retrouva face au M.S.A., privé de son dynamisme et de ses meilleurs militants, avec une base qui fuyait de plus en. plus vers le M.S.A. : toute force de négociation était perdue. Par la suite, les divergences entre le R.I.N. et le M.S.A. sur la question de l'unilinguisme, où le M.S.A. reculait considérablement en préconisant un système d'écoles anglaises subventionnées par l'État québécois, démontra la justesse de la position qu'avait eue la gauche du R.I.N. en affirmant que Lévesque n'était pas, en fait, pour l'indépendance nationale du Québec mais pour un changement constitutionnel ambigu digne des tergiversations et de la démagogie de l'Union Nationale. La gauche du M.S.A., qui s'était regroupée autour de François Aquin, fut défaite sur la question de l'unilinguisme aux Assises du M.S.A. et François Aquin démissionna ultérieurement en laissant entendre qu'il divergeait d'avec l'ensemble de la direction du, M.S.A. sur l'attitude à prendre face aux minorités anglophones et à l'impérialisme américain. Lévesque pourra maintenant dénoncer en paix ceux qui manifesteront contre Trudeau, dénoncer encore la violence des indépendantistes et du peuple québécois sans parler de la violence des policiers et de l'ordre colonial et impérialiste que ces derniers défendent.


II. Les étapes de la lutte
pour le socialisme au Québec

Au Québec, société politiquement dominée par la société anglo-canadienne au moyen de la Confédération, société économiquement dominée par la bourgeoisie nationale anglo-canadienne et l'impérialisme américain, il n'est pas possible de dissocier la lutte pour le socialisme de la lutte pour l'indépendance nationale. Toute stratégie qui ignore cela est vouée d'avance à l'échec. On ne peut pas non plus dire que la lutte pour l'indépendance nationale est une chose et que la lutte pour le socialisme [45] en est une autre, et privilégier l'une au dépens de l'autre. Il ne s'agit pas de deux luttes différentes, mais de deux étapes d'une même lutte. Reste à savoir maintenant, et ce point est essentiel, quelles sont les classes sociales qui, au Québec, ont intérêt à mener cette lutte, et dans quelles conditions.

Pour répondre à cette question, il faut d'abord bien déterminer quelles sont les classes sociales actuellement existantes au Québec. A ce sujet, nous devrons nous limiter, dans le cadre de cet article, aux remarques suivantes.

Il n'existe pas, au Québec, de bourgeoisie nationale, c'est-à-dire une classe dominante dont les intérêts soient de développer son contrôle sur les secteurs-clefs de l'économie et du marché nationaux. La Conquête anglaise de 1760, en évinçant les commerçants français, a empêché la formation d'une telle classe. Les Québécois n'ont jamais eu aucun contrôle sur le développement de leur économie. Ce contrôle fut d'abord assuré par les anglo-canadiens et ensuite par les américains. Les quelques grands financiers que nous avons, les Carrière, Faribault, Desmarais et Cie ne constituent en aucune façon une bourgeoisie nationale : leurs intérêts sont de profiter ici des restants de l'exploitation impérialiste américaine en s'appropriant pour leur profit l'épargne des travailleurs québécois ; ils constituent, avec les quelques cadres supérieurs et les quelques hommes que nous avons sur les directorats des filiales de compagnies américaines ou anglo-canadiennes, ce que l'on a coutume d'appeler une bourgeoisie "de compradore", c'est-à-dire une classe parasitaire économiquement et politiquement réactionnaire, une classe qui vit aux dépens de l'impérialisme et qui s'opposera toujours à toute revendication d'indépendance nationale au Québec.

L'inexistence au Québec d'une bourgeoisie nationale susceptible de s'opposer jusqu'à un certain point à l'impérialisme américain et à la bourgeoisie anglo-canadienne pour faire l'indépendance et raffermir ainsi son contrôle sur l'économie québécoise, démontre l'inanité de toute la stratégie qui fut celle du R.I.N. et aussi celle préconisée encore aujourd'hui par ce qui reste de l'équipe de Parti-Pris. Cette stratégie pourrait se résumer comme suit : l'indépendance du Québec sera faite par la bourgeoisie nationale québécoise ; les travailleurs doivent donc appuyer cette bourgeoisie nationale dans sa lutte pour l'indépendance, quitte à s'opposer ensuite à elle dans la lutte pour le socialisme. Les tenants de cette théorie voient dans le M.S.A. l'organisation politique de la bourgeoisie nationale québécoise optant pour l'indépendance et en concluant que le rôle actuel des socialistes québécois est d'entrer au M.S.A. pour gauchir ce parti, quitte à s'en retirer lorsque l'indépendance sera faite et qu'il deviendra alors nécessaire de lutter pour le socialisme contre la bourgeoisie nationale et l'impérialisme américain au Québec.

La fausseté de cette orientation stratégique est claire. puisqu'il n'y a pas de bourgeoisie nationale au Québec, le M.S.A. ne saurait en aucun cas [46] être l'organisation politique d'une classe inexistante. Le M.S.A. n'est pas l'organisation de la bourgeoisie nationale québécoise optant pour l'indépendance, c'est l'organisation politique de la petite bourgeoisie québécoise et particulièrement de ces couches urbaines et rurales défavorisées par les conséquences de l'actuelle expansion de l'impérialisme au Québec, petite bourgeoisie qui, en cherchant à se rallier les couches moyennes salariées relevant de l'État, veut obtenir au sein de la Confédération un réaménagement constitutionnel au Canada, réaménagement qui ne peut en aucun cas aller plus loin qu'à un nouveau partage entre la bourgeoisie nationale anglo-canadienne et cette petite-bourgeoisie, des pouvoirs de taxation et de fiscalité, d'émission de monnaie et de défense extérieure compatibles avec les intérêts des corporations américaines établies au Québec et au Canada. Nous avons vu plus haut que ces corporations ne sont nullement intéressées à une sécession du Québec. Les couches de la petite bourgeoisie et des classes moyennes salariées qui appuient le M.S.A. se retrouveront assez vite dans l'impasse suivante : ou bien renoncer à l'indépendance et devenir de plus en plus soumises aux intérêts de l'impérialisme américain au Québec, ou bien s'appuyer sur les travailleurs pour réaliser une indépendance qui serait alors la première mesure d'un socialisme québécois.

Dans cette éventualité, il est tout probable que la petite bourgeoisie choisira l'appui à l'impérialisme et la soumission devant la bourgeoisie anglo-canadienne elle-même assimilée de plus en plus organiquement à l'impérialisme américain. Ce choix, quasi-inévitable pour l'ensemble de la petite-bourgeoisie, risque alors de rompre l'alliance entre cette dernière et les couches moyennes salariées relevant de l'État (enseignants, fonctionnaires de niveau intermédiaire, "technocrates", etc.). Ces couches, pour qui le développement de l'État québécois est d'une importance majeure, risquent alors de pencher du côté des travailleurs si ces derniers sont alors politiquement organisés et savent adopter à l'égard des couches moyennes salariées une attitude correcte, basée sur l'unité d'intérêt à renverser un système social, économique, politique et culturel qui les opprime communément.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 11:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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