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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “L'inévitable indépendance du Québec: pour qui et au profit de qui ?” Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 5, no 4, janvier 1968, pp. 9-11. Chronique: "Québec politique". [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

L'inévitable indépendance du Québec:
pour qui et au profit de qui ?


Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 5, no 4, janvier 1968, pp. 9-11. Chronique: "Québec politique."



Récemment, M. François Aquin déclarait que l'indépendance du Québec se ferait inévitablement et qu'il fallait maintenant définir au plus tôt quel sera le contenu de cette indépendance. L'ancien député libéral, qui s'est prononcé en faveur d'un Québec socialiste et souverain en quittant le P.L.Q. à la suite de la venue de de Gaulle l'été dernier, a posé ainsi le problème dans toute son urgence. Après les prises de positions fortement indépendantistes des délégués aux assises nationales des États Généraux, après les dernières déclarations du Président de la République française affirmant de nouveau l'appui de la France à la libération du Québec, la question n'est plus de savoir si l'indépendance se fera ou si elle ne se fera pas. Ce dont il s'agit maintenant, c'est de savoir par qui et dans l'intérêt de qui elle se fera.

À ce sujet, certains indices sont faciles à déceler. D'abord, et sans vouloir reprendre les arguments des fédéralistes en mettant en doute la représentativité des États généraux, il est clair que ces derniers ont attiré surtout des membres de la petite bourgeoisie québécoise: avocats, médecins, commerçants, etc. Ces gens, qui jusqu'à maintenant voyaient leurs intérêts adéquatement représentés par les vieux partis provinciaux traditionnels, ont saisi l'occasion d'exprimer leur nationalisme toujours plus ou moins latent par le truchement d'une structure politique nouvelle et hybride qui leur permettait d'aller beaucoup plus loin dans leurs revendications que les partis traditionnels trop liés à des intérêts financiers et industriels étrangers pour ne pas être très très prudents en tout ce qui concerne la question nationale au Québec.

Une chose est significative: les grands absents des États Généraux sont les représentants des milieux d'affaires et des syndicats ouvriers (F.T.Q. et C.S.N.) et étudiants (U.G.E.Q.). Les deux adversaires principaux à l'intérieur de notre société, les travailleurs et les patrons, étaient donc absents des délibérations de notre petite bourgeoisie sur l'avenir du Québec et de la nation canadienne-française. Cela n'empêche pas, évidemment, que les positions prises lors des assises nationales ne répondent de façon implicite aux aspirations des travailleurs et de certains financiers ou industriels québécois. Mais cela veut dire que les deux protagonistes essentiels, sur le plan socio-économique, ne sont pas encore prêts à s'engager dans le débat sur l'avenir politique du Québec. À cause de certaines raisons, différentes bien entendu, les travailleurs et les milieux d'affaires québécois ont des intérêts trop vitaux à défendre pour s'engager à la légère, ou prématurément, dans une voie politique dont les conséquences et les implications économiques seront considérables. Pour les financiers et les industriels québécois, l'indépendance représenterait au mieux un moyen politique de s'assurer une position économique moins défavorisée face aux puissants intérêts anglo-canadiens et surtout américains. Pour les travailleurs, ouvriers ou cols blancs, enseignants ou techniciens, etc., l'indépendance représenterait un moyen de libération économique par rapport à la domination de plus en plus dure qu'exerce sur eux la collusion existant entre lès milieux d'affaires américains, anglo-canadiens et québécois.

*

On voit ainsi que, pour les protagonistes principaux à l'intérieur de notre société, l'indépendance politique signifie des possibilités et des voies d'émancipation qui se contredisent. L'indépendance politique du Québec ne pourrait à la fois satisfaire les travailleurs et les milieux financiers et industriels québécois. D'où l'hésitation de ces deux classes à se prononcer clairement. Notre petite bourgeoisie, de son côté, a défendu, la plupart du temps, les intérêts des milieux d'affaires, que ces derniers soient québécois ou étrangers. Rien ne nous porte à croire, dans le cas où cette petite bourgeoisie prendrait sur elle-même de faire l'indépendance, qu'elle changerait d'attitude. Quand, par exemple, on voit M. Daniel Johnson prêcher à la fois pour l'autonomie de plus en plus grande du Québec et aller courtiser les investisseurs new-yorkais sous les conseils d'un financier bien de chez nous (M. Marcel Faribault), on peut raisonnablement croire que les milieux financiers et industriels québécois n'appuieront l'indépendance du Québec qu'à condition que cela se fasse par l'intermédiaire d'un mouvement politique qui respecterait là sainte alliance existant depuis toujours entre eux et les grandes entreprises américaines et canadiennes. Le but de cette alliance étant d'assurer à ces entreprises le plus grand profit possible au détriment des travailleurs québécois, on constate alors aisément qu'une indépendance de cette sorte n'a rien qui puisse rassurer les travailleurs et entraîner leur adhésion. Tant que [10] rien ne nous dira explicitement que l'indépendance politique souhaitée par la majorité des délégués aux États Généraux n'implique pas aussi une libération socio-économique des travailleurs québécois, il faudra donc se méfier des déclarations patriotiques de notre petite bourgeoisie et prendre face aux États Généraux une attitude très critique.

D'un autre côté maintenant, on peut se demander quel est le sens de l'appui que le Président de Gaulle donne, de façon de plus en plus claire, à la cause de l'indépendance du Québec. Cela aussi peut nous aider à comprendre quels intérêts aspirent pour l'instant à profiter d'une prochaine souveraineté du Québec.

*

Depuis l'arrivée de de Gaulle au pouvoir, et surtout depuis le terme qu'il a fort habilement mis au conflit algérien, l'industrie française a connu un processus de renforcissement et de concentration fortement favorisé par l'intervention étatique et la planification économique mise au service des intérêts privés. Cette politique économique du régime gaulliste avait comme but de renforcer la position de l'industrie et de l'économie française par rapport à l'économie américaine. Sur le plan européen, le marché commun a été utilisé par le gaullisme à cette fin, et l'exclusion de l'Angleterre visait à éviter que les intérêts américains ne prennent plus d'emprise sur le marché commun, et ainsi sur la France, par le biais d'une Grande-Bretagne trop dévouée et dépendante par rapport aux U.S.A.

D'autre part, sur le plan international, la politique du régime gaulliste a été de s'opposer partout dans le monde à l'hégémonie américaine: Vietnam, Proche-Orient, Amérique Latine et aujourd'hui Québec. Bien que cette opposition à l'hégémonie des U.S.A. se soit en général bornée à des discours sans suite concrète (comme celui de Phnom Penh contre l'intervention U.S. au Vietnam), cette orientation du gaullisme peut nous permettre de comprendre pourquoi le général s'intéresse de si près au Québec et à son émancipation nationale. De Gaulle, qui est un homme fort intelligent et un fin politique, sait très bien qu'un Québec indépendant politiquement devrait diversifier ses échanges économiques afin de s'assurer d'un minimum d'autonomie sur le plan économique. Ce qui amènerait éventuellement à une ouverture du marché québécois pour les intérêts français. Pour de Gaulle, et pour les intérêts qu'il sert en France, concurrencer l'emprise américaine au Québec représente un atout Politique majeur que l'indépendance politique du Québec pourrait grandement faciliter.

Toutefois, Pour que cela soit possible, il faudrait évidemment que les besoins des travailleurs québécois soient oubliés au profit d'un État planificateur et technocratique du même genre que l'actuel État français. Le prix d'une indépendance politique appuyée par la France gaulliste serait ainsi payé, une fois de plus, par les travailleurs.

*

Ainsi, il est clair que, jusqu'à maintenant, la plupart de ceux qui appuient l'indépendance du Québec ne considèrent pas cette indépendance comme un moyen de libération de la majorité de la population québécoise. Qu'il s'agisse, à l'intérieur, d'une petite bourgeoisie constituée en États Généraux résolument muets sur la libération économique des travailleurs, ou, à l'extérieur, du représentant d'un régime politique et économique qui a toujours mis les intérêts des patrons français avant ceux des travailleurs de ce pays, cela s'équivaut.

Cependant, il ne faut pas en conclure que l'indépendance du Québec n'est l'affaire que des bourgeois et des impérialistes. Si, en France la classe dirigeante, par l'intermédiaire du Général, trouve profitable d'appuyer l'indépendance du Québec parce que cela ennuie la bourgeoisie anglo-canadienne et agace les grandes entreprises américaines, on ne pourrait en conclure qu'il s'agit alors, Pour les travailleurs du Québec, de s'aligner sur les intérêts dominants au Canada et aux États-Unis plutôt que sur les intérêts dominants en France et en Europe. Cela serait ridicule mais satisferait pleinement nos fédéralistes. Non, la bourgeoisie anglo-canadienne et québécoise, toute comme les grandes compagnies américaines, sont tout autant les ennemis du peuple québécois que les intérêts qu'appuie le régime gaulliste en France, ils le sont même beaucoup plus. Il ne saurait être question pour les travailleurs, de passer, par l'indépendance, d'un maître à un autre, d'un impérialisme à un autre, d'une clique d'exploiteurs à une autre clique d'exploiteurs. Bien au contraire, il s'agit de se débarrasser, par l'indépendance, de tous les exploiteurs et de toutes les sangsues qui profitent de cette exploitation. Pour arriver à cela, les travailleurs doivent s'organiser politiquement et ne pas laisser notre petite bourgeoisie faire seule l'indépendance pour ensuite nous vendre encore plus aux intérêts financiers et industriels anglo-canadiens et américains. Cette organisation politique peut être amorcée très bientôt par l'élimination du centre opportuniste hors du R.I.N., ou encore par la formation Prochaine d'un mouvement socialiste et révolutionnaire, ou par quelque autre voie que ce soit. De toute façon, les travailleurs québécois organisés politiquement devront se préparer à lutter contre la répression dont sont déjà victimes la plupart des peuples du [11] monde de la part des U.S.A. Nous sommes voisins des États-Unis, de ce pays dont le gouvernement réel devient chaque jour plus la C.I.A., le F.B.I. et l'armée. Les relations entre ce gouvernement et celui du Canada, comme du Québec, s'améliorent de jour en jour...

*

Les commerçants anglophones de Montréal,
les États Généraux et le Général


Un journal de quartier de Montréal, bourré d'annonces de commerçants divers, publiait récemment un éditorial destiné à inciter les gens" "bien-pensants" à répondre fermement à la poussée indépendantiste. Voici en quels termes:

"Le temps est venu, pour les habitants du Québec, tout autant les francophones que les anglophones, de faire un effort concerté pour faire savoir au reste du Canada (et à de Gaulle) que, une fois pour toutes, nous n'acceptons PAS un Québec séparé... Le temps est venu de nous organiser, dans notre pensée et notre action, par un programme constructif d'activité" (The Suburban, vol. 5, no 37, mercredi, 29 novembre, 1967, p. 1).

Ainsi, tous les fédéralistes de bonne volonté, francophones et anglophones du Québec, doivent entreprendre une résistance organisée contre les élucubrations des séparatistes, selon nos commerçants. Écoutons ce vibrant appel à la résistance contre le mal:

"Le Québec ne se séparera pas à cause d'une poignée de nationalistes qui exposent leurs théories, ou encore à cause du fait qu'un arrogant vieillard veut posséder le monde avant de mourir.

Le Québec se séparera si vous et moi, et nos voisins français, nous nous asseyons et enfouissons notre tête dans le sable, et pensons seulement dans des termes comme "comment cela touchera-t-il mes affaires". Les affaires sont une chose mais, à la fin, c'est l'élément humain qui est le plus important. La peur et la lâcheté ont fait se dissoudre et disparaître des nations. Cela reposera sur notre conscience, ici au Québec, si la nation canadienne disparaît.

Faisons quelque chose - n'importe quoi - mais au moins réveillons-nous, tenons-nous, tenons-nous debout et résistons" (ibid.).

Peut-on souhaiter un plus bel exemple d'impuissance et de ridicule de la part de petits-bourgeois apeurés?



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 9:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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