RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “Le m.l.f. et la laïcisation de l'éducation.” Un article publié dans la revue Parti pris, vol. 4, no 3-4, novembre-décembre 1966, pp. 109-113. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[109]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

Le m.l.f. et la laïcisation
de l'éducation
.”

Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 4, nos 3-4, novembre-décembre 1966, pp. 109-113.



La parution successive, en une même année, de deux courts essais sur la laïcité, marque une nouvelle étape de l'évolution du M.L.F. Tant à travers Le mouvement du 8 avril de Jacques Godbout * qu'à travers le texte de Marcel Rioux **, on voit se dessiner une pensée précise et rigoureuse sur ce que sera un Québec laïque. Ainsi, le rôle du M.L.F. à l'intérieur de la société québécoise actuelle se trouve plus clairement défini: provoquer l'avènement d'une morale et de valeurs éthiques plus conformes aux besoins d'une société évoluant très rapidement dans le sens d'une industrialisation avancée et d'une modernisation radicale affectant tous les secteurs de la vie.

Laïcité et modernité

Le texte de Godbout est presqu'entièrement consacré à ce thème majeur. Selon l'auteur, la déconfessionnalisation qui s'opère au Québec depuis quelques années, processus que le M.L.F. veut à la fois favoriser et canaliser, est fonction de la transition de la société québécoise vers l'être technologique : "La déconfessionnalisation se fait toute seule, sans qu'on la pousse, par la simple opération [110] des nouvelles valeurs de la révolution technologique" (J. Godbout, p. 9). Sous l'effet de divers facteurs, qui sont tous plus ou moins liés à l'industrialisation, la prédominance des valeurs religieuses dans la vie quotidienne tend de plus en plus à s'estomper. "La déconfessionnalisation, c'est-à-dire la disparition de la dominante religieuse, est le résultat net et pratique d'une évolution quotidienne de l'homme vers une plus grande rationalisation et possession des choses" (p. 9).

Or, il va sans dire, un phénomène d'une telle ampleur place l'Église et tous les intérêts associés au cléricalisme dans une situation précaire: "... la révolution technologique est une révolution totale, et l'Église catholique qui est une invention de la civilisation agricole peut n'y pas survivre, pas plus que ne peuvent survivre les entreprises familiales ou les artisans : le christianisme, lui, peut survivre. Pourtant, personne, même pas l'athée militant, ne souhaite vraiment la disparition de l'Église catholique; mais personne n'est en mesure de dire - aujourd'hui - si celle-ci va passer l'hiver du XXe siècle" (p. 12). De là les résistances du clergé face à la déconfessionnalisation de l'enseignement et à la laïcisation générale de la société. Le pouvoir traditionnel de l'Église (et de la bourgeoisie cléricale) était le résultat de la structure de classes d'une société agricole et dominée; l'effondrement de cette structure de classes, qui a débuté dès le début du siècle et qui est pratiquement complet maintenant, entraîne la perte de l'hégémonie du clergé sur la société et de la religion dans la culture. Dans un tel contexte, la monopolisation de l'enseignement par le clergé, et le maintien de la confessionnalité qui en découle, sont une absurdité. Un tel enseignement, qui transmet, en plus d'un savoir inadéquat, des valeurs périmées, ne saurait correspondre aux besoins pressants d'une société en rapide évolution.

Ainsi, laisser la déconfessionnalisation se faire toute seule, et l'éducation décoller de plus en plus de la réalité pour aboutir à une véritable schizophrénie, ce serait exposer le Québec à l'emprise complète de la culture de masse en provenance des U.S.A. Le M.L.F. représente justement les intérêts de certaines fractions de la société québécoise (nous reviendrons là-dessus en commentant le texte de M. Rioux) dont l'action vise à empêcher "une déconfessionnalisation qui ne mènerait pas à la laïcité. Une déconfessionnalisation qui ne mènerait nulle part, qui ne serait pas une laïcisation" (p. 10). Le changement des structures socio-économique exige de nouvelles valeurs et une nouvelle morale. C'est sous cet angle que la laïcité se présente alors comme "la morale de la cité moderne, c'est-à-dire une probité et une générosité sociales qui n'ont d'autre motif que le bien des citoyens et leur vie harmonieuse" (p. 1).

Ce qui précède permet de comprendre dans quel contexte s'inscrivent l'action et les [111] revendications du M.L.F. : l'industrialisation du Québec ayant entraîné l'effondrement des valeurs traditionnelles définies par le clergé et enseignées par lui, il faut créer de nouvelles valeurs, culturelles et éthiques, correspondant de façon plus adéquate à une société qui participe de plus en plus à la civilisation technologique. Tant que cette tâche ne sera pas accomplie, il y aura un dangereux décalage entre les valeurs et le système d'éducation d'une part, et les structures socio-économiques de la société d'autre part. C'est seulement "lorsque, dans notre société, un individu pourra naître, se marier, avoir des enfants, ou n'en pas avoir, en adopter, se prévaloir des services sociaux et des tribunaux, assurer à ses fils et filles l'école et le travail, puis mourir sans qu'intervienne obligatoirement l'Église, (quel la liberté de conscience, tant des croyants que des incroyants, y sera respectée" (p. 26).

l'État laïque

Le court essai de M. Rioux traite principalement de deux thèmes qui sont d'ailleurs connexes à ceux touchés par J. Godbout : il s'agit des interrelations entre le laïcisme, le socialisme et le nationalisme à la suite de la montée de nouvelles couches sociales au Québec, et de la prise en main de l'enseignement par l'État.

Dans une première partie, l'auteur insiste sur un des points les plus importants pour la compréhension d'une nouvelle idéologie axée sur les idées de laïcité, de socialisme et d'indépendance : l'importance croissante prise par un nouveau groupe socio-économique à l'intérieur de la société québécoise : "Des couches sociales - nouvelles et variées - se sont bientôt senties impliquées dans la construction de cette nouvelle société et veulent maintenant participer à sa mise en marche et à sa réalisation ; ces nouvelles élites - éducateurs, fonctionnaires, étudiants, syndicalistes, cadres - sont en voie de supplanter les élites traditionnelles du clergé et des professions libérales. On peut donc dire que la nouvelle idéologie que la révolution tranquille a sécrétée est résolument tournée vers l'avenir et qu'elle s'appuie essentiellement sur l'idée que le Québec est une société en voie de développement et que toutes les couches de la société doivent participer à son évolution. Plus concrètement, cette nouvelle idéologie s'incarne en trois idées forces: nation, socialisme et laïcité" (M. Rioux, p. 3).

D'autre part, il ressort clairement qu'un État correspondant à la nouvelle structure de la société doit représenter les intérêts et répondre aux besoins de toutes les couches de la population, et non pas refléter et privilégier des aspirations particulières : "Un État moderne, un État laïque, met sur pied des services, des institutions de toute nature; dont les citoyens sans distinction d'aucune nature peuvent bénéficier" (pp. 7-8). Dans cette Perspective, il est évident qu'avant de [112] favoriser l'épanouissement d'une religion quelconque, l'État doit assurer le développement et l'épanouissement de la communauté nationale" (p. 17), et que "si les catholiques continuent d'insister pour que l'école publique soit confessionnelle, ils mettront ainsi en danger les progrès de la communauté québécoise" (p. 14).

De cette façon, un État représentant toutes les couches nouvelles de la société québécoise et défendant les intérêts des diverses catégories de la population devrait prendre l'éducation en main et, par l'établissement d'un enseignement laïque à tous les niveaux, favoriser le développement actuel de notre société. L'avantage d'une telle politique serait de faire de l'enseignement un puissant facteur d'évolution et d'identification de la communauté nationale. Ainsi, le système d'enseignement deviendrait un agent de cohésion et non plus de dispersion ou de disfonctionnement dans la société. "Devant toutes les forces centrifuges qui contribuent à amoindrir, à morceler, à diviser le Québec, il faut que l'État québécois, dont c'est la tâche première en tant qu'État national des francophones de cette partie de l'Amérique du Nord, établisse un réseau de forces centripètes qui ait pour fonction de faire du Québec un État national viable. Or, il n'est pas de force centripète, de force de rassemblement plus forte que l'école. C'est à l'école que les nations modernes donnent à leurs citoyens le sens d'un destin commun" (p. 15).

L'importance, pour ce qui est de l'avènement d'un Québec indépendant et socialiste, d'une prise en main de l'éducation par un État laïque, tient ainsi au fait majeur que "c'est à l'école, pendant cette période de formation, que s'opérera le brassage des traditions, des valeurs, des aspirations et que se créera un consensus national qui permettra l'épanouissement de la nation québécoise" (pp. 15-16).

Une telle position nous semble avoir l'avantage de concilier, au sein d'une même stratégie, les trois pôles principaux d'un certain socialisme : contrôle de l'économie nationale et de l'éducation par un État fort représentant les intérêts de la population du pays dans son ensemble.

éducation et autogestion

Que le contrôle de l'éducation passe des mains du clergé à celle de l'État, ce qui implique la laïcisation radicale de l'enseignement, contribuerait certainement à développer au Québec un système d'éducation plus adéquat aux besoins d'une société en rapide évolution. Toutefois, il reste que cette solution n'est compatible avec le socialisme qu'en autant que l'État auquel on veut confier la responsabilité ultime de l'enseignement représente vraiment la population dans son ensemble et ne privilégie pas un groupe socio-économique particulier. Le socialisme étatique, qui implique une éducation nationale laïque, représente toujours soit un équilibre [113] instable entre les intérêts des diverses classes de la société (avec prédominance donnée aux travailleurs), soit la soumission des intérêts de tous les groupes à celui d'une élite de technocrates finissant inévitablement par se scléroser. Comme étape dans la voie de la réalisation du socialisme autogestionnaire, le socialisme étatique peut se justifier; d'autre part, lorsqu'un gouvernement socialiste n'entreprend pas radicalement de remettre graduellement le contrôle des décisions aux divers groupes de travailleurs, il risque fort de verser dans le totalitarisme ou de faire le jeu du néo-capitalisme.

Tout cela a d'ailleurs des conséquences pour ce qui est du système d'éducation. En effet, l'enseignement peut relever de l'État de diverses façons, soit par centralisation, le rôle du clergé étant alors remplacé par celui de fonctionnaires, d'administrateurs et de bureaucrates prenant toutes les décisions importantes au détriment des enseignants et des enseignés ; soit, d'autre part, par décentralisation, l'État de contentant alors de coordonner les activités relevant de l'éducation, où les décisions majeures sont prises de concert par les enseignants et les enseignés, et celles des autres secteurs de la vie socio-culturelle.

C'est peut-être dans le fait de ne pas suffisamment tenir compte d'une telle problématique que réside la faiblesse de la stratégie politique du M.L.F., telle qu'exprimée du moins dans les deux essais que nous avons examinés. La laïcité n'implique pas nécessairement le socialisme, mais elle peut s'y intégrer en autant que le système d'enseignement qu'elle préconise ne suppose pas de remplacer purement et simplement l'autorité cléricale par celle de l'État. Si ce dernier intervient dans le but de remettre à fa population le contrôle de l'éducation, il n'y a aucune objection. Mais si la main mise de l'État sur le système d'éducation signifie que le contrôle de l'enseignement passe d'un groupe particulier à un autre groupe particulier, il y a radicale opposition entre une semblable laïcisation et le socialisme. Le M.L.F. gagnerait beaucoup en précisant ses positions sur ce point.

Luc Racine



* Jacques Godbout, Le mouvement du 8 avril, Coll. M.L.F., no 1, Montréal, 1966.

** Marcel Rioux, La Nation et l'École, Coll. M.L.F., no 2, Montréal, 1966.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 7:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref