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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Bertrand QUENTIN, “Hegel était-il perméable aux totalitarismes ?” (2008)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bertrand QUENTIN, “Hegel était-il perméable aux totalitarismes ?” Un article publié dans la revue CAUSE COMMUNE, revue citoyenne d’actualité réfléchie, 2008. Paris: Éditions du Cerf. [Autorisation accordée conjointement par l'auteur et le directeur de la revue, Cause commune, M. Dupuis, le 9 janvier 2009 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Hegel a à l’esprit des images fortes de réconciliation du particulier et de l’universel au niveau politique. La Cité grecque a longtemps représenté pour lui la « belle totalité » qu’il faut arriver à retrouver à travers le concept moderne d’Etat. L’individu s’accomplit ainsi de la manière la plus élevée dans une communauté forte. Mais du constat de l’insuffisance de l’individu, à l’allégeance totale à la réalité collective, il n’y a qu’un pas qu’une certaine interprétation du hégélianisme peut faire. B.Gilson nous dit par exemple : « (Hegel) affaiblit les éléments, déjà insuffisants, d’individualisme rationaliste auxquels Fichte reste fidèle. Il critique les lois tracassières, mais semble donner tort d’avance à toutes les protestations impuissantes. Qu’arrive-t-il si la « belle société » n’est pas belle ? Qu’arrive-t-il si elle étouffe la liberté au lieu de la favoriser ? Le hégélianisme politique consiste-t-il à tout accepter ? ». [1] Hegel va être ainsi accusé de ne pouvoir nous offrir en politique autre chose qu’un conformisme qui épouse les méandres de l’histoire sans pouvoir  jamais prendre le parti de l’individu. B. Bourgeois se sent ainsi obligé de concéder la remarque suivante : « Certes, dans son contenu total, la spéculation hégélienne n’érige pas la liberté humaine en principe absolu de l’être ». [2] À ce propos, Hegel a, il est vrai, des formules sans ambiguïté pour l’individu :

« Toute grandeur dans le monde a au-dessus d’elle-même quelque chose de plus élevé : voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue. Le Droit de l’Esprit du Monde dépasse toutes les justifications particulières ». [3]

Une atmosphère inquiétante semble soudain prendre à la gorge le lecteur. Un « Esprit du Monde » mystérieux aurait le droit d’écraser l’individu ? Mais comment se définit cet « Esprit du Monde » qui surplomberait de façon inquiétante l’individu ? Kojève, dans son cours sur Hegel, précise : « comprendre l’Histoire comme le devenir de la Vérité – c’est l’hégélianisme. Les autres se trompent en croyant qu’ils peuvent par la seule raison parvenir à la connaissance de la vérité ». [4] L’Histoire répondra donc pour nous. Une analyse de raison sera toujours insuffisante car en matière de vérité l’individu sera toujours un infirme. Comment, dès lors, mettre un frein au mouvement qui s’accusera dans le marxisme ? Marx nous expliquera que même la classe qui a pour objectif de supprimer tout rapport de domination entre les individus (le prolétariat) est obligée pendant un certain temps de maintenir une domination violente contre les individus par l’intermédiaire du Parti. Cette domination violente est justifiée comme étant de l’ordre de l’urgence. Le problème qui se pose alors est de savoir quand l’urgence doit cesser ? On en arrive aux dérives de Lénine et surtout de Staline dont les discours marxistes masquent un passage à une domination et à un climat de terreur politique permanents. La tendance à délégitimer toute analyse rationnelle de l’individu apparaît nettement dans le discours d’un Trotski : « Nous ne pouvons avoir raison qu’avec et par le Parti, car l’histoire n’a pas fourni d’autre moyen d’avoir raison. Les anglais ont un dicton, « Tort ou raison, c’est mon pays » (…) Nous avons une bien meilleure justification historique en disant : qu’il ait raison ou qu’il ait tort dans certains cas concrets et individuels, c’est  mon parti ». [5] Le « Parti » remplace ici pour un temps l’ « Esprit du Monde » hégélien mais on repère très bien la filiation qui d’un déni de l’autosuffisance de l’individu rationnel passe à une allégeance à une réalité collective qu’on ne se donne plus le droit individuel de questionner.  

La manière hégélienne de philosopher contiendrait également en germe ce que Popper appelle des « stratégies auto-immunisantes ». [6] Lorsque Hegel nous dit :

« la profondeur se mesure à la grandeur de l’opposition ». [7]

Plus une difficulté apparente semble grande, plus elle nous permet de faire un progrès considérable. Hannah Arendt, dans Le Système totalitaire, illustre alors concrètement l’application à un contexte politique de cet état d’esprit : « la dialectique hégélienne fournit un merveilleux instrument pour avoir toujours raison, car elle permet d’interpréter toutes les défaites comme le commencement de la victoire. L’un des plus beaux exemples de ce genre de sophisme fut fourni après 1933, lorsque les communistes allemands, pendant près de deux ans, refusèrent d’admettre que la victoire de Hitler avait été une défaite pour le parti communiste allemand ». [8] H. Arendt parle de la dialectique hégélienne utilisée comme un instrument. Mais il peut y avoir un écart considérable entre l’état d’esprit de Hegel dans son travail philosophique et la façon dont d’autres penseurs (Marx compris) vont se saisir de ce qu’ils voient comme la « méthode hégélienne ».



[1] B.GILSON  Présentation de la différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling de Hegel,  Paris, Vrin, 1986. p.69.

[2] B. BOURGEOIS,  « Histoire et géographie : le destin de l’inhumain selon Hegel » ; conf. à Basse-Terre en 1989 ; in Etudes hégéliennes,  Paris,  PUF, 1992 ; p.251.

[3] HEGEL, Cours donnés à Berlin (1822, 1828, 1830), die Vernunft in der Geschichte, ed. par Hoffmeister, Hamburg, F.Meiner Verlag, 1955 ; trad : La raison dans l’histoire, par K.Papaioannou, Paris, Plon, 1965,  p.133/134.

[4] A. KOJEVE, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947 ; p.249.

[5] TROTSKI cité par B.SOUVARINE Staline, Aperçu historique du bolchevisme, Paris, 1935 ; p.361.

[6] Karl POPPER, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985.

[7] HEGEL, Cours de Berlin, années 1820, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, publié en 1833 par K.L.Michelet ; trad. Par P. Garniron Leçons sur l’histoire de la philosophie T7 (La philosophie moderne), Paris, Vrin, 1991, (noté Leçons-hist-philo  T7), « Résultat », p.2111 ; G19, p.684.

[8] H.ARENDT, Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972 ; Note 22 p.256.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 janvier 2009 12:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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