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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

De la volonté de tout contrôler à l’isolement:
l’expérience paradoxale de la maternité chez de jeunes mères
”. (20003
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Anne Quéniart et Stéphanie Vennes, “De la volonté de tout contrôler à l’isolement: l’expérience paradoxale de la maternité chez de jeunes mères”. In Recherches féministes, vol. 16, no 2, 2003. pp. 73-106. Numéro intitulé: “Également mère l'obligation de compétence.” Québec: La Faculté des sciences sociales, Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Quéniart le 7 août 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Le présent article analyse les représentations de la maternité de jeunes mères c’est-à-dire de femmes qui ont eu leur premier enfant au sortir de l’adolescence, dans ce moment de transition entre l’adolescence et l’« entrée dans la vie adulte », ce « passage introduisant aux rôles adultes » (Galland 1977 : 135). Par représentation, il faut entendre un système cognitif et symbolique permettant à tout individu d‘interpréter et de re-construire un objet social, en l’occurrence ici la maternité (Herzlich 1969, Jodelet 1989, Moscovici 1984). La dimension sociale des représentations intervient de plusieurs façons : par le contexte et les conditions dans lesquelles vivent les individus, par les idéologies, valeurs et codes culturels liés à leurs positions ou appartenances sociales spécifiques et par leur cadre de référence « d‘origine », leur bagage sociofamilial (Jodelet 1989). Les représentations sont donc un outil privilégié pour étudier les « manières dont une famille se parle à elle-même, élabore son univers normatif, c’est-à-dire son type de rationalité » (Kellerhals et Roussel 1987 : 28). 

Les études sur les représentations des acteurs, notamment des mères, sont peu nombreuses dans le champ de la sociologie de la famille. Celle-ci a longtemps pris pour objet, sous l‘influence du paradigme fonctionnaliste, les rôles des membres de la cellule familiale (Parsons et Bales 1955) ou bien la question de la gestion des ressources (Blood 1970, Cromwell et Olsen 1975). La famille, décrite comme le lieu du bonheur familial — le « home sweet home » —, y repose sur une différenciation nette des rôles entre les sexes : au père le rôle instrumental de lien avec la société (il est le pourvoyeur des biens matériels, il détermine le statut de la famille), à la mère le rôle expressif (elle donne de l’affection, prend soins des enfants). Dès la fin des années soixante, cependant, les perspectives féministes vont opérer une rupture épistémologique dans le champ de la sociologie de la famille et mettre à mal ces analyses fonctionnalistes. Questionnant la pertinence même de cette problématisation en termes de rôles conjugaux harmonieux, les sociologues féministes montrent les a priori, notamment naturalistes, sur lesquels elle repose (Michel 1978, Bernard 1974, Chodorow 1978, Collectif APRE 1985, Collectif : le sexe du travail 1984). Elles proposent alors une analyse de la famille comme un lieu où se nouent, à l’instar de la société dans son ensemble, des rapports sociaux déterminés — de sexe, de classes — (Hartman 1981, Haicault 1984). Quant à la maternité, elles vont en analyser le caractère à la fois individuel — elle est une expérience liée à l’histoire de vie de chaque femme- et social — elle est une institution, objet de contrôles sociaux, médicaux, économiques, etc.— (Oakley 1972, 1974, Rich 1980, Chodorow 1978). Elles vont également rendre visible le travail domestique (tâches ménagères, soins aux enfants, etc.) jusque là considéré comme faisant partie de la « nature féminine ». Cette question du travail des femmes à l’intérieur de la famille, puis celle de leur double tâche (travail salarié et travail domestique) ont été, depuis les année 1980, des objets d’études privilégiés des chercheuses féministes (Barrère-Maurisson 1984, 1992, 2003, Kergoat 1984, Chabaud-Richter et autres 1985, Cahiers de l’APRE 1985-1986, Corbeil et al. 1990, Descarries et Corbeil 1996, Soares 1998, Malenfant 2002). Aujourd’hui, les analyses montrent que malgré certains progrès, les femmes continuent d’assumer la majeure partie des responsabilités — la « charge mentale » (Haicault 1984)- et des tâches familiales et ce, qu’elles soient ou non sur le marché du travail. Les explications amenées renvoient pour la plupart au fait que l’organisation sociale est « toujours profondément traversée par la division sexuelle du travail et des rôles familiaux » (Descarries et Corbeil 2002 : 461). Plus qu’un problème individuel revenant à chaque mère, les difficultés de conciliation entre la vie familiale et le travail sont analysés dans cette perspective comme un problème social, collectif, se situant sur le plan de l’articulation même entre les structures du travail et de la famille (Barrère-Maurisson 1992, 2003). Une autre explication a cependant été avancée posant au contraire que la prise en charge, par les femmes, de la majeure partie du travail domestique et familial, s’expliquerait par le fait que certaines mères voient la maternité comme leur « chasse gardée » (« maternal gatekeeping »), cette expression décrivant : (Allen et Hawkins 1999 : 200) 

« […] a collection of beliefs and behaviors that ultimately inhibit a collaborative effort between men and women in family life by limiting men’s opportunities for learning and growing through caring for home and children ». 

Pour les femmes « gatekeepers », une plus grande implication des pères dans la vie familiale est vécue comme une atteinte à leur identité de femme et de mère, d’où l’importance pour elles de conserver la responsabilité du travail familial en prenant en charge le travail domestique et parental et en fixant les standards à respecter dans le domaine. 

Peu d’études au Québec se penchent sur la façon dont les mères elles-mêmes envisagent leur maternité, la famille, le rapport à l’enfant. Pourtant, l’analyse des représentations de la maternité nous apparaît importante dans un contexte où la famille subit de profonds bouleversements quant à ses formes d‘organisation et à ses valeurs : augmentation de l’union libre, de la monoparentalité, des recompositions familiales, reconnaissance des unions entre conjoints de même sexe et de l’adoption d’un enfant par ceux-ci, etc. Ces changements, liés à la redéfinition des relations entre hommes et femmes dans le couple, et à la définition de ce qu’est la famille, la filiation, la parenté, posent différentes questions à qui s‘intéresse à la maternité d’un point de vue féministe : que sont ou que veulent être les mères aujourd’hui ? Quelle place prend la maternité dans la définition que les femmes donnent d‘elles-mêmes ? Que recouvrent les fonctions maternelles, le maternage — à une époque où les mots mêmes de « paternage » et de « paterner » ne font toujours pas partie du dictionnaire ? Comment s‘articule la maternité aux autres dimensions de la vie des femmes ? 

C‘est à ces interrogations que nous avons voulu répondre ici à partir des résultats d’une recherche qualitative exploratoire menée auprès de mères âgées de moins de 25 ans ayant au moins un enfant d’un an ou plus. C’est en effet une catégorie de mères dont sait peu de choses [1], les études se centrant plutôt sur les mères adolescentes (Marsiglio et Ménaghan 1990, Ose et Fine 1991, Klerman 1993, Manseau 1997, Charbonneau 2001), ou sur les mères en général (Dandurand et Saint-Jean 1988, Hartrick 1993, Quéniart 1994, Willen 1994, Hays 1996, Corbeil et Descarries 1997, Chase et Rogers 2001, Descarries et Corbeil 2002). Pourtant, il s’agit d’une catégorie intéressante d’un point de vue sociologique puisque, nées entre les années 1976 et 1984, ces jeunes femmes sont parmi les premières à avoir été marquées, comme enfants, par les mutations qui ont secoué la famille au Québec, qu’il s’agisse de la réduction du nombre d’enfant par famille, de l’augmentation fulgurante des taux de divorce, ou de la baisse de la nuptialité (Dandurand 1991, 1995). Les jeunes femmes que nous avons rencontrées font donc partie de cette génération d’enfants nés au sein de familles restreintes — un ou deux enfants —, dont les deux parents ont été actifs — et le sont encore — et qui se sont séparés dans presque un cas sur deux. 

Étudier les représentations des jeunes mères nous apparaît intéressant également parce que « le passage à l’âge adulte » est une période charnière dans la vie des jeunes, et notamment des femmes. C’est d’abord une période importante dans la définition de soi, dans la construction identitaire (Arnett 1997). L‘entrée dans l‘âge adulte, c’est également le moment des premiers engagements significatifs non seulement face aux institutions sociales avec, sur un plan juridique l‘acquisition de la majorité et du droit de vote qui l‘accompagne, mais aussi en ce qui a trait à la vie amoureuse (Gaudet 2001). C‘est enfin une période qui met les jeunes, notamment les jeunes femmes, devant des choix à faire sur les plans personnels et professionnels. À cet égard, si des jeunes femmes décident de devenir mères et donc d‘entrer dans le monde adulte, cela n‘implique pas nécessairement qu‘elles aient franchi les autres seuils d‘entrée, comme la fin de leurs études ou leur insertion professionnelle. En effet, rappelons, à la suite de Galland (1977), que les façons d‘entrer dans la vie adulte ont changé depuis trente ans. Il y a aujourd‘hui un allongement dans le temps de certaines étapes associées à l‘adolescence, comme la cohabitation avec les parents et la poursuite des études et une désynchronisation des différents seuils d‘entrée. Ceux-ci ont acquis une sorte d‘autonomie les uns par rapport aux autres, produisant chez les jeunes des trajectoires diversifiées d’entrée dans la vie adulte. Il n’empêche cependant que socialement, le modèle de réussite le plus valorisé est celui de la scolarisation, de l’intégration professionnelle et de l’autonomie financière, surtout chez les femmes. Comme le souligne de Koninck (2002 : 390), « le choix de la maternité n’est pas valorisé dans notre société », notamment lorsqu’il s’agit des jeunes femmes à l’égard desquelles « les attentes concernent maintenant de plus en plus la vie professionnelle ». La trajectoire des jeunes mères apparaît ainsi compromettre la conformité à ce modèle, d’où l’intérêt d’une recherche sur leurs représentations de cette expérience. 

Cet article abordera plus spécifiquement d’une part le sens accordé par les jeunes femmes à la maternité, la place qu’elles donnent à cette expérience dans leur vie, notamment en regard des autres projets —études, travail— ou dimensions —vie amoureuse, amitiés— et d’autre part, les valeurs qu’elles privilégient dans l’exercice de la maternité au quotidien. Il veut mettre au jour le caractère paradoxal de la maternité pour ces jeunes femmes, cette expérience étant à la fois source d’autonomie et de reconnaissance sociale mais aussi de repli sur soi, voire d’isolement social.


[1] Une recherche a été menée auprès de jeunes familles monoparentales, des femmes pour la plupart, âgées de 20 à 30 ans. Cependant, la majorité des répondantes se situaient dans la tranche d’âge des 25 à 29 ans. De plus, l’enquête portait sur l’insertion professionnelle et sociale de ces jeunes familles et non sur leur expérience de la maternité. Voir René et autres, 1995.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 9 août 2008 9:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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