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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Anne Quéniart, “La paternité sous observation: des changements, des résistances mais aussi des incertitudes”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Francine Descarries et Christine Corbeil, Espaces et temps de la maternité, pp. 501-522. Montréal: Éditions du Remue-ménage, 2002. [Autorisation accordée par Mme Quéniart le 24 mars 2008 et par M. Hurtubise le 3 juin 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Anne Quéniart

Sociologue, professeure, département de sociologie, UQÀM 

La paternité sous observation: des changements,
des résistances mais aussi des incertitudes
”. 

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Francine Descarries et Christine Corbeil, Espaces et temps de la maternité, pp. 501-522. Montréal : Les Éditions du Remue-ménage, 2002, 543 pp.
 

Introduction
 
1. Une paternité dite traditionnelle mais qui a plus à voir avec la modernité
 
La paternité comme source d'intégration sociale
Un partage inégal entre père et mère dû à des capacités différentes
Entre l'autorité et le jeu: le droit au repos
Quels constats tirer sur la paternité dite traditionnelle?
 
2. Une paternité nouvelle, aux accents post-modernes
 
La paternité comme source de satisfaction personnelle et relationnelle
Un partage égal des tâches dû à l'interchangeabilité des rôles
Quels constats peut-on faire sur la nouvelle paternité?
 
3. Entre deux repères: une paternité qui se cherche
 
La paternité comme source de tensions identitaires
L'art du coup demain plutôt qu'un partage des tâches
Une relation personnelle à l'enfant mais construite par bourrée
Quels constats tirer sur cette paternité qui se cherche?
 
Conclusions
 
Références
 
Note biographique

 

«Le confinement de la sexualité, de la reproduction, des soins aux enfants et du travail domestique à la sphère privée féminine a encore une autre implication, à savoir que les sexualités et les activités reproductrices masculines sont également reléguées dans l'ombre, tout comme le rôle de l'homme dans la garde et l'éducation des enfants et dans l'accomplissement des tâches ménagères» (Bacchi 1991, rapporté par Carver 2000: 491-492). 

 

Introduction

 

Dans cet article, je me propose de parler de la paternité, à la fois comme sociologue et comme féministe. Pourquoi préciser cette double attache? Essentiellement parce qu'elle n'a pas été facile à concilier au cours de mes dix dernières années de recherche au Québec, me plaçant en position de double marginalité [1]. En effet, peu de sociologues se sont intéressés aux pères. Il suffit de consulter les banques de données des sciences sociales, telles socio file ou, pour le Québec, Familia, pour s'en convaincre. Encore aujourd'hui, le champ de la paternité reste dominé très largement par les études en psychologie, en psychologie sociale, en psychanalyse et en psycho-éducation. Ainsi, dans Familia, si l'on exclut les termes de « psychologie » et de « psychologique », des deux cent titres au départ sous la rubrique « père/paternité »,  il n’en reste plus qu’une quarantaine. Parmi les articles ainsi recensés, plusieurs relatent ou suggèrent des expériences ou des modalités d'intervention auprès des pères (Ménard 1999, Lévesque 1996, Messier 1986, Bronstein 1988) ou traitent plus spécifiquement des dimensions psychologiques de la relation pères/enfants ou encore du rôle paternel dans le développement de l'enfant (Beauchamp et al. 1996, Sharpe 1994, Lamb 1997, Phares 1999, Delécluse et Vautrin 1998, LeCamus, 1999, 2000), rarement des aspects sociaux de la paternité. En outre, peu de féministes ont osé s'aventurer dans ce champ davantage réservé aux chercheurs en études masculines, et masculins pour la plupart. Étudier les pères, c'est un peu "trahir" les chercheures féministes, dans la mesure où de nombreuses études restent à faire pour mettre au jour les inégalités vécues pare les femmes, tant au travail ou au sein de la famille que dans l'ensemble de la société. Ceci explique sans doute le fait que d'un point de vue féministe, la paternité a été abordée surtout indirectement, notamment par le biais des études de budget-temps. Celles-ci démontrent que les hommes consacrent toujours moins de temps aux travaux domestiques que leur conjointe et que la situation n’a pas beaucoup évolué depuis dix ans. Ainsi, une enquête sur le partage des tâches réalisée en 1987 auprès de 1332 ménages québécois révélait que chez les couples où les deux conjoints travaillent à l’extérieur, il y a un meilleur partage mais qu’on est loin de l’égalité en termes stricts. De plus, l’étude faisait ressortir que la multiplication des charges familiales en raison de la présence d’enfants d’âges préscolaire avait un impact plus déterminant sur le temps de travail domestique des femmes que sur celui de leur conjoint (Le Bourdais, Hamel et Bernard, 1986). Cette situation amenait les auteurs à conclure que, marginales dans le cas des hommes, les tâches domestiques demeuraient une composante majeure du travail quotidien des femmes et ce, qu’elles occupent ou non un emploi. Les recherches réalisées depuis ont toutes confirmé ces résultats (Statistique Canada, 1986; CROP-EXPRESS, 1994; Corbeil et al., 1994; Descarries et al., 1995; Lefebvre et al., 1996). Le conjoint consacre encore plus de temps au travail rémunéré (44 heures en 1986 [2], 41.9 heures en 1992 [3]) qu’au travail domestique (13 heures en 1986, 17.6 heures en 1992[4]) alors qu’inversement, les femmes consacrent moins de temps au travail salarié (32 heures par semaine en 1986, de 32.3 [5] à 36.1 [6] heures en 1992) et plus au travail domestique (29 heures en 1986, 33.2 heures en 1992 [7]). Plus récemment, des données statistiques [8] montrent qu'au sein des couples mariés ayant un enfant de moins de 18 ans, les femmes consacrent quotidiennement presque autant de temps au travail domestique (331 minutes) qu'au travail salarié (337,1 minutes) alors que les hommes passent encore presque deux fois de temps au travail salarié (429,4 minutes) qu'au travail domestique (213,7 minutes). Enfin, dans l'ensemble de la population de 15 ans et plus, les femmes consacrent quotidiennement deux fois plus de temps aux travaux ménagers (2 heures 21 minutes) que les hommes (1 heure 09 minutes) [9]. 

Globalement, le bilan quant au partage des tâches domestiques est donc plutôt négatif et ceux qui sont souvent pointés du doigt, notamment dans les media, ce sont les pères. Il y a en effet, dans certaines analyses, un glissement du constat de la non participation des hommes au domestique à leur désengagement comme pères : 

«L'immense majorité des pères agissent comme s'ils n'étaient pas connectés affectivement à leurs enfants. Ils ne leur consacrent qu'une part congrue de leur temps hors travail, ne partageant ni leurs joies ni leurs peines de manière soutenue, se contentant, parfois, d'aider leur mère dans quelques tâches connexes à l'intendance, sans parler du cirque des pensions alimentaires et des pères qui disparaissent sans laisser d'adresse [...]» (Émond, 1996: 29). 

Pour ma part, je me distancie de ce type de conclusion dans la mesure où je ne crois pas que l'on puisse, à partir d'une seule approche comptable comme celle des budgets-temps, centrée sur l'énumération de tâches, apprécier, analyser le rapport affectif des hommes à leurs enfants, ni les transformations sociales qui affectent la famille et la paternité depuis une vingtaine d'années. Pour être en mesure de dégager ce qui émerge de nouveau, dans les rapports de couple, dans les familles, du point de vue de l'exercice de la paternité, une autre démarche m’apparaît s'imposer: dégager et décrire, à partir du témoignages des pères, les représentations et les pratiques paternelles et analyser les contextes sociaux dans lesquels elles sont produites ou s'inscrivent, tout comme on l'a fait pour les mères (Mercier, 1990; Quéniart, 1994; Corbeil et Descarries, 1994; Descarries et Corbeil, 1995). De plus, sur le plan théorique, deux postures me semblent importantes à adopter. En premier lieu, celle de reconnaître que la division traditionnelle des deux sphères a des conséquences non seulement pour les mères -dont l'utérus les produirait nécessairement maternelles, douces et douées pour les tâches domestiques-, mais aussi pour les pères - définis comme des êtres publics asexués, voués à la domination et à la violence ou à l'immobilisme. Autrement dit, il est nécessaire d'adopter une posture anti-essentialiste, c'est-à-dire de partir du refus de la naturalisation des catégories femmes et hommes en termes de biologie et de corps, du rejet de l'idée d'une masculinité et d'une féminité naturelles. En second lieu, l'on se doit d'accepter l'idée que des changements entre les hommes et les femmes peuvent avoir lieu dans la famille même si, globalement, la domination masculine se maintien dans la société. Ce sont ces deux postures que j'ai tenté de mettre en œuvre depuis une dizaine d'années au cours de mes recherches [10] sur la maternité (Quéniart 1988,1991, 1998) puis surtout, plus récemment, sur la paternité (Quéniart 1994, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000), rejoignant à cet égard plusieurs autres chercheurs (Ferrand 1981, 1984; Dulac 1993, 1997; Dyke et Saucier 2000). 

À cet égard, notons que le champ des études sur la paternité s'est d'abord développé, peut-être en raison justement du regard fortement teinté d’essentialisme que l'on y favorisait, autour de "quelques paradigmes bien précis: la passivité, l’absence, la violence et l’abus" (Dulac, 1997: 133). Par la suite, dans la foulée des études masculinistes et des analyses en psychologie montrant l'importance fondamentale du rôle du père dans le développement de l'enfant (Naouri 1985, Hurstel 1996, Robinson et Barret 1986), ce domaine de recherches s'est ensuite articulé autour d'une problématique inverse, celle de l'engagement paternel. Ainsi, en Amérique du Nord, une grande partie des recherches, venant du champ de la psychologie sociale, se centre sur l'analyse des détermi­nants de l'implication ou de l'absence d'implication paternelle (Barnett & Baruch, 1987; Cowan & Cowan, 1987; Crouter et al, 1987; Lewis & O'Brien, 1987; Grossman et al, 1988; Lamb, 1987; Volling & Belsky, 1991). D'autres recherches, cette fois en sociologie et en histoire, ont voulu se distancer d'une approche en termes de mesure de l'implication paternelle, que l'on retrouve dans la majorité des recherches sur les déterminants, pour faire valoir un modèle d'analyse plus ouvert à l'expérience des pères: analyse des modes de paternage, du rapport à l'enfant, de la vie de couple, de la conciliation paternité/travail, etc. (Ferrand 1984, Sullerot 1992, Delumeau et Roche 1990, Lamb 1987; Quéniart 1999, 2000; Dulac et Groulx 1998, Dyke et Saucier 2000). 

Partant essentiellement de ce dernier type d'études, j'identifie et analyse dans ce texte, à partir de données d'enquêtes quantitatives et qualitatives, trois formes de paternité, au sens d'idéaux-types -et non de miroirs de la réalité- permettant l'accès à la complexité de cette expérience. Car en effet, malgré leurs divergences et quels que soient leurs horizons théoriques, tous les auteurs s'entendent pour dire qu'il serait vain, aujourd'hui, de vouloir parler de «La» paternité comme d'une réalité uniforme et identique pour tous: il y a de multiples façons d'être pères qui dépendent de nombreux facteurs socio-culturels [11], familiaux, conjugaux et personnels (Turcotte, 1994): les représentations qu'a le père de la famille, du rôle paternel et des rapports entre les sexes (Russel, 1982; Barnett et Baruch, 1987; Palm et Palkovitz, 1988; Crouter et al., 1987); son sentiment de compétence ou d'incompétence parentale (Verheyen, 1987; Lamb, 1987; Bleton1987); son rapport à son propre père et à l’image du père (Cordell, Parke et Sawin,1980; Hurstel, 1984; Soule, Standley et Copans, 1979); la qualité de la relation conjugale et le statut d'emploi de la conjointe (Benokraitis, 1985; Weingarten, 1978; Ferrand, 1984); son rapport au travail; etc.

 

1. Une paternité dite traditionnelle
mais qui a plus à voir avec la modernité
 

La paternité comme source d'intégration sociale

 

Une première forme de paternité identifiée dans plusieurs recherches, dont les miennes [12], est ce que l'on peut appeler une paternité traditionnelle ou familialiste. Chez certains hommes en effet, la notion de père équivaut à celle de père de famille et celle-ci renvoie à la seule fonction de pourvoyeur et de protecteur: «La responsabilité d’être père, c’est leur donner le plus gros confort que je pouvais leur donner, puis la sécurité, puis dire qu’ils manquent de rien» [13] (père de 39 ans, 3 enfants). D'ailleurs, ils se sentent responsables d'assurer la permanence du nid familial devant divers périls. Le divorce, les familles monoparentales, les foyers avec des adolescents délinquants ou drogués, tout cela marque beaucoup leur imaginaire et renforce leur attachement à l'idée de famille, d'une famille unie à tout prix. Le sentiment le plus typique par lequel ces pères expriment leur «état» de paternité, c'est l'orgueil, la fierté de se donner une descendance, de se perpétuer, de s'inscrire dans une continuité intergénérationnelle; c'est aussi la satisfaction d'acquérir un statut social, un soi statutaire (de Singly, 1996) chargé de sens pour eux, celui de père de famille. En ce sens, la paternité est vécue comme un mode d'intégration sociale: en devenant père, ils ont le sentiment de «devenir quelqu'un» simultanément pour eux et pour les autres.
 

Un partage inégal entre père et mère
dû à des capacités différentes

 

Ces pères ont une vision très stéréotypée des rapports à l'intérieur de la famille, chacun y ayant une place et un rôle bien déterminés: il y a, d’une part, une hiérarchie entre le monde des adultes et celui des enfants et d’autre part, une division claire des rôles entre les parents: au père, le travail à l'extérieur à temps plein, certains travaux liés à la symbolique matérielle de la famille (maison, jardin, automobile), ou exigeant de la force physique. À la mère, toutes les tâches associées aux besoins quotidiens des enfants et au bon fonctionnement de la famille et ce, même dans les situations où elle aussi travaille à l'extérieur. Cette division des rôles est souvent légitimée par le recours à la nature biologique des êtres: on met de l'avant les figures archétypales de l'homme et de la femme, le premier étant, «par nature», peu doué, peu compétent pour les choses domestiques, la seconde étant au contraire plus naturellement portée vers les enfants et, par nature également, plus patiente, plus douce, etc. Chez la plupart des pères, il y a donc un déni des inégalités de genre, les différences étant expliquées par l'idée d'apports respectifs, de complémentarité «naturelle» entre les deux membres du couple. À cet égard, pour ces pères, le travail représente une activité à la fois personnelle et familiale (Ferrand, 1984), il fait partie de la définition même de ce que recouvre le rôle paternel: «je dirais que c’est 50/50: moi je vais travailler pour acheter du manger que ma femme sert à mes enfants. Si j'allais pas travailler, ma femme pourrait pas servir les enfants, puis y aurait pas de bouffe. Moi puis ma femme, on n'a pas de problème là-dessus, sur qui en fait plus ou moins. Elle sait ce que moi j'ai à faire, puis elle sait ce qu'elle a à faire» (père de 31 ans, 3 enfants).
 

Entre l'autorité et le jeu: le droit au repos

 

La relation père/enfant, quant à elle, est impensée dans sa dimension plus personnelle: tout ce qui relève d’une connaissance plus intime de l’enfant se voit clairement médiatisée par la mère. C'est elle qui informe le père ou lui parle de ses enfants, en particulier quand ils connaissent des difficultés. Les deux seuls rôles que ces pères s'octroient spontanément c'est, d'une part, l'exercice de l'autorité, visant entre autres à imposer chez les enfants les valeurs de respect et les bonnes manières et, d'autre part, l'initiation, notamment pour les fils, au sport, au bricolage, etc. Certains, tout en avouant qu'ils ne sont «pas souvent là à cause du travail», précisent néanmoins que le dimanche, ils «vont jouer au parc avec les enfants, pour libérer la mère un peu» et qu'ils y prennent du plaisir. 

En plus de favoriser la prépondérance affective maternelle, la relation père/enfant s'inscrit aussi dans le cadre du principe du «droit au repos». Les hommes partagent leur temps à la maison entre la disponibilité qu’ils octroient à leur famille, y compris à leurs enfants, et celle qu'ils se donnent à eux-mêmes puisqu’en arrivant chez eux, ils peuvent se féliciter d’avoir accompli leurs principales obligations, le travail étant perçu, on l'a souligné, comme faisant partie de leur rôle paternel: «La grosse différence c’est que la mère est obligée d’avoir de la patience. Le père peut aller travailler dans son établi quand il est tanné, mais la mère est obligée de dealer avec les enfants tout le temps» (père de 36 ans, 3 enfants). 

La relation père/enfant n’a donc pas une vie indépendante, elle n'a d'existence et de sens que dans un cadre global, que dans le contexte des activités familiales. D’ailleurs, typiquement, quand on demande à ces pères ce qu'ils apportent à leurs enfants, leur réponse se situe moins sur le terrain de la relation à l'enfant que sur celui de leur contribution à la bonne marche de la famille.
 

Quels constats tirer sur la paternité dite traditionnelle?

 

Selon plusieurs enquêtes américaines et québécoises, cette façon d'être père se retrouve chez des pères de tous les milieux et de tous les âges mais particulièrement chez les moins scolarisés d'entre eux et chez ceux dont l'emploi laisse peu de possibilité d'initiative (Lévesque, Perrault, Goulet, 1997, Arama et Bouchard, 1996, Lamb 1997, Erickson et Gecas 1991). Ce sont aussi des pères qui, pour la plupart, ont des horaires de travail chargés et dont les conjointes sont plus souvent que les autres au foyer ou dans un travail où elles ont peu d'autonomie. Ils ne se valorisent pas dans rôle de père (au sens de relation l'enfant) comme tel, se définissant essentiellement comme pourvoyeur. Or, l'on sait que le niveau d'implication concret des pères auprès de leurs enfants est fortement lié au fait, pour ceux-ci, de croire en l'importance du rôle paternel pour le développement de l'enfant, importance spécifique et distincte de celle de la mère (Turcotte, 1994), et au fait de ne pas s'identifier au seul rôle de pourvoyeur (Day et Mackey 1986, Atkinson 1987, Russel et al. 1988, Pittman et al. 1989) . Ainsi, dans les familles où le père est chômeur, cette variable est le seul facteur prédictif de l'implication (Radin et Goldsmith 1985). Autrement dit, le seul fait d'avoir du temps ne suffit pas à favoriser l'implication chez ces pères. Leur définition de ce qu'est la famille de même que leurs croyances en l'importance de leur rôle comptent beaucoup plus. Les attitudes de la conjointe interviennent aussi dans l'implication paternelle: plus celle-ci encourage des comportements non stéréotypés à l'égard du rôle masculin, plus l'implication sera favorisée, surtout dans les familles où les deux parents travaillent (Barnett et Baruch 1987, MacHale et Huston 1984, Dufour 2000). 

L'importance du sens que la conjointe elle-même donne à la fonction paternelle, relevée dans plusieurs études américaines, rejoint mes propres observations. En effet, ces pères, que l’on a appelé «familialistes», ressemblent, presque point par point, aux conjoints de certaines mères que j'ai rencontrées lors d’une recherche précédente. J'y montrais que pour un premier groupe de femmes [14], la maternité représente ce qui distingue fondamentalement les femmes des hommes, l'expérience même autour de laquelle se noue la différence des sexes. À l'instar d'Adrienne Rich (1980), elles conçoivent la maternité comme «une expérience profondément féminine», comblante et auto-suffisante. Cette conception de la maternité influence bien sûr le rôle et la place accordés à leur conjoint comme père. Chez beaucoup d'entre elles, la dimension du désir paternel disparaît ou se trouve marginalisée. Elles lui assignent plutôt un rôle de pourvoyeur, qu'elles estiment d'ailleurs important, et ne s'attendent pas à ce qu'il assume le «maternage»: «pour être un bon père, oui, j'ai pas à me plaindre. C'est une personne qui est précieuse parce que c'est lui qui travaille...» (une mère de 2 enfants). Autrement dit, c'est de familles -et non seulement de pères- familialistes dont il faudrait parler. 

Ces pères et ces mères, souvent nommés traditionnels, sont en fait loin, sur le plan de la réalité quotidienne et des valeurs, du père et de la mère des sociétés traditionnelles, qui vivaient et travaillaient au sein de la famille. Les pères, en particulier, avaient un rôle important dans l'éducation, la transmission d'un métier à leurs fils mais surtout, ils possédaient et exerçaient l'autorité sur femme et enfants. L'autorité était même un attribut essentiel de la fonction paternelle (Hurstel 1996). Les pères et mères dits traditionnels d'aujourd'hui s'inscrivent plutôt, sur le plan identitaire, dans le modèle de famille qui a émergé avec la modernité, à savoir le modèle de la famille conjugale, dit aussi du pourvoyeur et de la ménagère. Dans ce modèle, les hommes se définissent d'abord par le travail alors que les femmes le sont plutôt par leur rôle domestique et ce, qu'elles soient ou non le marché du travail. Dominant dans les années 50 et 60 au Québec, certains aspects de ce modèle perdurent même si, aujourd'hui, la réalité économique et démographique de ces familles n'est plus la même. En revanche, on peut noter un recul de l'autoritarisme -qui n'est plus perçu comme l'attribut idéaltypique du bon père- et la pénétration de valeurs liées à la psychologisation de la société contemporaine, comme l'importance de la présence du père pour l'enfant, la nécessité, pour les hommes de montrer à leurs enfants qu'ils les aiment etc.
 

2. Une paternité nouvelle,
aux accents post-modernes
 

La paternité comme source de satisfaction
personnelle et relationnelle

 

Une seconde forme de paternité est souvent identifiée dans les recherches, celle dite «des nouveaux pères» pour qui être père c'est être un parent, c'est-à-dire quelqu'un dont la responsabilité est d'abord à l'égard de l'enfant et non de la famille en laquelle on croit d'ailleurs plus ou moins. Ces pères sont en effet souvent mal à l'aise avec les termes de «famille» ou de «père de famille», bref à l'égard de tout ce qui rime pour eux avec passé, tradition ou hiérarchie. Ce qui existe, pour eux, ce n'est pas la famille définie comme «un tout», mais plutôt une addition de relations interpersonnelles, certes interdépendantes, mais qui ont chacune leur autonomie et leur dynamique propre: la relation de couple, la relation de co-parentage, la relation des parents avec les enfants et la relation des enfants entre eux. À cet égard, pour ces parents, la présence de l'enfant constitue un défi permanent à la fois en termes d'organisation -les deux travaillant souvent à l'extérieur-, et pour la vie de couple. Pour ces pères, le conjugal doit ou devrait demeurer le lieu distinct, non routinier, de la vie de couple et de l'intensité amoureuse; jamais réduite à leur rôle de mère, leur conjointe conserve, en principe du moins, son statut d'amante et vice-versa. 

La paternité, quant à elle, est plus d'ordre relationnel, intime, que statutaire: c'est dans la relation personnelle et quotidienne avec leur enfant qu'elle acquiert sa signification. En ce sens, et par comparaison avec la première forme de paternité, celle-ci fait partie de la dimension privée, plutôt que sociale, de l'identité personnelle de ces hommes. Si, pour ces pères, pourvoir aux besoins de la famille fait partie des obligations, des nécessités, cela ne structure pas leur représentation de la paternité. C’est la dimension expressive de leurs pratiques, c’est-à-dire le rapport à l’enfant (plutôt que les dimensions matérielle et instrumentale), qui est centrale pour eux, dont ils parlent plus spontanément et qui les définit comme père.

Un partage égal des tâches dû
à l'interchangeabilité des rôles

 

Par ailleurs, et contrairement à ce que l'on observait chez les pères familialistes, ici le sexe, ou plutôt le genre, n’est pas le principe fondamental qui organise ou qui sous-tend la logique de division des rôles, même s’il n’en est pas toujours complètement absent dans la pratique. La répartition des tâches et des responsabilités s'ordonne en fonction des disponibilités respectives des partenaires. C'est une complémentarité improvisée, souvent à renégocier en fonction des horaires, notamment chez les jeunes couples dont la situation de travail est souvent faite d'emplois à temps partiel, de contrats etc. Autrement dit, il n'y a pas division des rôles ici, mais plutôt partage des tâches, notamment en ce qui a trait aux soins aux enfants: «On s’était bien dit qu’il fallait pas se mettre dans la situation où ça c’est ton travail, ça c’est le mien. On voulait pas que ce soit comme ça. Si je l’ai dans les bras puis qu’il y a de quoi dans sa couche, c’est moi qui m'en occupe» (père de 28 ans, un enfant). L'ensemble des tâches domestiques et parentales deviennent, en principe, interchangeables. Bref, ces pères se représentent leur rôle paternel en termes de co-responsabilité envers toute tâche, toute nécessité afférente à la bonne marche et à l'entretien de la maisonnée et co-responsabilité envers les besoins en tout genre de l'enfant. Cette responsabilité est perçue d'ailleurs comme étant «illimitée», et potentiellement «de tout instant», plutôt que circonscrite. Sans pouvoir affirmer que tous ces pères en font nécessairement autant que leurs conjointes, on sait qu'ils développent en tout cas la capacité d'accomplir toute tâche relative à l'enfant et qu'ils disposent, à cet égard, d'un fort degré d'autonomie parentale.

Quels constats peut-on faire sur la nouvelle paternité?

 

Selon les enquêtes américaines et québécoises déjà citées et d'autres (Hurstel 1984, Cordell et al. 1980), on constate que des pères de tous les milieux peuvent se définir de cette façon. Néanmoins, cette forme de paternité se retrouve en grande partie chez des pères avec un profil très particulier: ce sont des hommes très scolarisés, vivant avec des conjointes qui ont toujours été sur la marché du travail, avant comme après la naissance des enfants c'est-à-dire faisant partie des familles à double revenu, et qui ont des emplois valorisant ou bien permettant beaucoup de marge de manœuvre, d'initiative. Selon les enquêtes sur les déterminants, tous ces facteurs favoriseraient l'implication paternelle (Turcotte 1994), de même que le fait de valoriser la paternité, de la voir comme une expérience enrichissante, d'accorder une place centrale à l'enfant dans sa vie, ce qui est le cas pour les hommes vivant cette seconde forme de paternité. 

Là encore, il est surprenant de constater la concordance entre le discours de certaines des mères rencontrées au cours de mes recherches et celui des pères. En effet, mes analyses faisaient ressortir que pour un second groupe de femmes que j'avais interrogées, être mère, c'est «être un parent», c’est «assumer un rôle éducationnel» qui consiste prioritairement à doter son enfant des ressources, des compétences, des attitudes qui en feront un être socialement intégré, autonome et heureux. Le projet d'enfant, quant à lui, est élaboré en commun: le désir de paternité est ainsi présent, individuellement reconnu et parfois même déterminant dans la décision. De plus, au quotidien, ces femmes attendent du père de l'enfant qu'il s'implique, tant au plan des responsabilités matérielles qu'au plan affectif. Elles refusent de le cantonner simplement dans un rôle instrumental. Dans l'ensemble des entrevues avec ces femmes, le conjoint est décrit en des termes relevant, selon les stéréotypes traditionnels, d'attributs plutôt maternels que paternels: il est «présent», «affectueux», «patient», «proche des enfants», «capable de montrer ses sentiments à son enfant», disent-elles. 

Ces pères sont au plus près des valeurs associées à la post-modernité. Ainsi, ils valorisent l'autonomie en général, et celle de l'enfant en particulier. Leur relation à celui-ci est marquée par un désir de proximité, par une attitude relativement spontanée d’empathie, c’est-à-dire par un souci de se mettre au niveau de l’enfant, d’être attentif à ce qu’il dit, de jouer le jeu de son propre monde [15]. De plus, ces pères font montre d'une indifférenciation sexuelle des rôles: toutes les tâches se partagent sur la base des affinités, de la disponibilité de chacun et non selon le sexe. La notion même de père ou de mère n'a plus rien à voir avec le genre chez certains: «Pour moi la notion de père, sans être féministe là, c'est pas quelque chose qui est sexué pour moi. Donc, père, mère pour moi c'est la même affaire, c'est un parent» (père d'un enfant, 21 ans).
 

3. Entre deux repères:
une paternité qui se cherche
 

La paternité comme source de tensions identitaires

 

Si la plupart des études s'en tiennent et opposent souvent les deux premières formes de paternité, une troisième est ressortie de mes recherches, une paternité faite de tensions entre d'une part des représentations plutôt nouvelles et des pratiques plutôt traditionnelles. Chez certains pères en effet, la paternité est plus un «état» objectif qu'une expérience intériorisée. Dans certains cas d'ailleurs, elle ne sera jamais assumée, dans d'autres l'engagement va croître avec l'usage, si l'on peut dire ainsi, par désir ou par nécessité (lors du retour sur le marché du travail de la conjointe, par exemple). Ces pères se sentent responsables de l'enfant mais ne s'impliquent pas beaucoup concrètement avec lui, ou en tout cas de manière inconstante.
 

L'art du coup demain plutôt qu'un partage des tâches

 

En ce qui a trait au partage des tâches, Il porte la marque du «contrat». De ce point de vue, l'implication de ces pères semble se déployer au gré de la disponibilité qu'ils décident ou non d'accorder, au gré des demandes de leur conjointe ou de leurs enfants. Ils sont tous préoccupés par le fait de participer à la vie quotidienne de la famille: certains le feront davantage dans les tâches domestiques qu’avec le nourrisson, d’autres plus volontiers et plus activement avec des enfants un peu plus vieux que dans les travaux ménagers. Mais globalement, ils manifestent assez peu d'initiative et d'autonomie parentale et se voient comme ceux qui donnent un coup de main à leur femme: «Quand je suis là, je donne un coup de main, c'est normal» (père de 40 ans, 2 enfants); «faut que tu saches lui en enlever un peu» (père de 33 ans, 5 enfants). C’est la conjointe qui accomplit l’essentiel des tâches, mais ils se sentent dans l’obligation -que certains, mais pas tous, vivent comme un fardeau - de devoir faire au moins leur petite part. Hommes et femmes ne semblent pas toujours accorder la même importance à l'entretien domestique et on sent que cette question-là fait l’objet d'âpres discussions au sein du couple. D’ailleurs, plusieurs font valoir une représentation somme toute traditionnelle de leur conjointe, définie en termes de douceur, de patience, ayant «les enfants dans le sang», etc., attributs que les hommes, en tout cas eux-mêmes, ne posséderaient pas. Celle-ci demeure, à leurs yeux, le parent principal, la figure parentale centrale du point de vue du rapport à l’enfant, assurant au quotidien la continuité des soins aux enfants.

Une relation personnelle à l'enfant
mais construite par bourrée

 

Ce sont des pères qui construisent leur relation à l'enfant par bourrées, par cycles de rattrapage: indisponibles à certaines périodes, plus disponibles à d'autres. Ils se définissent eux-mêmes comme étant écartelés entre leurs rôles de père et de pourvoyeur, comme s'il y avait une impossibilité à assumer les deux fonctions. Leur travail occupe une place fondamentale dans leur vie de même que leur vie sociale qu'ils voudraient «comme avant» les enfants. Quant à l’autorité, ils l’exercent mais dans un cadre qui ne néglige pas le relationnel; ils essaient de convaincre plutôt que d’imposer et rejettent généralement l’autoritarisme de leur propre père, parce qu’il s’exerçait dans un contexte où, justement, la relation avec celui-ci était anémique plutôt que dynamique. 

Au total, beaucoup de ces pères, venant d'un milieu socio-culturel qui valorise l'engagement paternel, se sentent coupables de n'être «pas assez présent à l'enfant, ni dans la tête ni concrètement». Il y a, de fait, un décalage entre leurs représentations et leurs pratiques, et ils font des efforts pour rendre tout cela cohérent. Ils négocient avec leur culpabilité en valorisant leur rôle de pourvoyeur et en disant que leur conjointe est "une excellente mère". En fait, leur «idéal de proximité affectueuse» (Lefaucheur 1997) entre parfois en contradiction avec le fait qu'ils ne renoncent pas à se définir comme devant être des pourvoyeurs de leur famille, et qu'au fond, ils définissent leur travail comme une partie intégrante de leur rôle paternel (de Singly 1996).
 

Quels constats tirer sur cette paternité qui se cherche?

 

Dans mes recherches, si aucune mère ne vit la maternité comme une tension entre plusieurs facettes de leur identité, certaines en revanche se disaient peu satisfaites de leur relation de couple ou de leur vie familiale, ou encore avouaient ne pas vivre la vie dont elles avaient rêvée. Dans leurs regrets, figurait surtout l'attitude de leur conjoint qu'elles auraient voulu «plus près des enfants», «plus câlin» ou sur un autre plan, «un peu plus débrouillard dans une maison», «moins préoccupé par son travail». Peut-être les conjoints de ces femmes auraient-il fait partie de ces hommes vivant une paternité incertaine? 

Sur le plan des caractéristiques, on retrouve, selon mes propres recherches, des pères de tous les milieux sociaux, certains sont très scolarisés, dans des emplois très valorisés socialement et qui demandent beaucoup d'investissement et dont les conjointes ne sont pas obligées de travailler sur un plan financier. On retrouve aussi, à l'inverse, des hommes qui ont de la difficulté à intégrer le marché du travail ou à le réintégrer, après une période de chômage par exemple. Ces pères illustrent bien le décalage entre les valeurs de la nouvelle paternité, qui s'imposent de plus en plus, et les comportements, qui ne suivent pas toujours. D'ailleurs, plusieurs de ces pères ont été socialisés selon une éducation traditionnelle mais, en même temps, ils font partie d'une génération qui a dû s'ajuster au féminisme très tôt, cela créant des tensions identitaires. Ils sont souvent en rupture avec une paternité plus traditionnelle, notamment celle de leur propre père mais ne savent pas par quoi la remplacer. Cette forme de paternité représente peut-être un modèle de transition, entre des normes "traditionnelles" -liées à la modernité- et des normes contemporaines que l’on retrouve surtout dans les classes moyennes scolarisées, notamment chez les 35-45 ans. Mais elle constitue aussi la part d'échec, la part d'errance produite par les transformations de la famille, des valeurs familiales, des rapports entre les sexes et de l'individualité contemporaine. Mais c'est une part d'échec qui est peut-être transitoire et donc temporaire, à la fois sur un plan personnel et historique.

Conclusions

 

Mes recherches, comme celles d'autres chercheurs, font donc ressortir non pas un modèle de paternité mais bien de multiples façons d’être pères [16], et mettent en lumière des transformations dans le rapport de certains hommes à leur paternité, non pas dans son amplitude, mais dans ses manifestations concrètes. En effet, ce qui distingue les formes de paternité entre elles ne se résume pas simplement à une question de nombre de tâches accomplies ou encore d’heures passées en compagnie des enfants. Ce qui les différencie se retrouve tout autant dans la manière de vivre au quotidien la réalité familiale que dans la façon dont les pères articulent le rapport entre leur famille et les autres dimensions de leur existence: la place qu’ils laissent occuper à la famille dans leur vie, les modalités par lesquelles leur identité s’y rattache, la manière dont ils conçoivent leurs responsabilités et leurs apports à la famille, les occasions par lesquelles ils manifestent leur présence dans la vie de famille, etc. Tout en convenant aisément que les changements familiaux sont «lents» par rapport à ce que l’on pourrait souhaiter, le fait de «voir» ce qui change, d’éclairer les changements, permet d’en apprécier le sens et la vigueur et de créer des oppositions entre ce qui change et ce qui ne change pas. Autrement dit, plusieurs cas de figure coexistent aujourd’hui et cela serait limitatif de dire que rien n’a changé et que la «nouvelle paternité» n’est qu’une aberration statistique et une construction idéologique. 

Par ailleurs, l’accès à la vie des familles, permise par les enquêtes-terrain invite aussi à nuancer l’analyse selon laquelle la dialectique hommes/femmes et père/mère dans la sphère privée, se fait essentiellement sous le mode, à un pôle, de la «résistance des hommes» (automates consentants du patriarcat, repliés sur leur pouvoir et leurs privilèges) à en faire plus et, à l’autre pôle, de la tolérance des femmes (en raison de leur dépendance économique) à l’égard du partage inégal des tâches. En fait, les témoignages recueillis chez les pères comme chez les mères, s’ils ne sont pas dénués de mentions au caractère souvent difficile du partage des tâches, aux «irritants» à ce point de vue, ne mettent pas l'accent sur cette seule question. 

Bref, le masculin, tout comme le féminin, n'est ni homogène, ni univoque et il serait plus juste de parler de masculinités et de paternités plurielles, comme d'ailleurs de maternités plurielles et de reconnaître, comme le suggèrent les éditrices de ce livre, l'existence de vécus maternels, mais aussi paternels, diversifiés et complexes. En effet, complexité il y a à tirer des conclusions à propos des rapports des hommes à la paternité dans la mesure où tout ne dépend pas seulement du genre. Comme on l'a vu, plusieurs études montrent l'importance des inégalités de classe dans le rapport des hommes à leurs enfants. Il m'apparaît donc important, dans les recherches à venir sur la famille, d'articuler rapport de sexe et rapport de classe. À cet égard, on assiste aujourd'hui à: 

«Un décalage entre l'évolution des normes, la diversification des modes de vie, l'expérimentation de nouvelles relations amoureuses, les aspirations à l'égalité entre les sexes, d'une part, et la rigidité des formes sociales de division du travail, dans la famille et dans l'entreprise, la persistance de formes communautaires de domination des hommes sur les femmes, dans la sphère domestique et dans le champ politique d'autre part» (Dubar, 2000: 70). 

C'est donc dire que le sens des transformations de la famille est et sera fortement lié à l'évolution des rapports sociaux de classe et de sexe, de même qu'à la question des statuts socio-professionnels et des nouvelles formes de travail -atypique, à temps partiel, au noir, etc- qui touchent particulièrement les femmes.

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Notice biographique:

 

Anne Quéniart enseigne la sociologie de la famille et la méthodologie à l'Université du Québec à Montréal. Ses publications portent essentiellement sur les représentations et pratiques de la maternité et de la paternité. Elle a notamment été, au Québec, une pionnière dans le domaine de recherche du désengagement paternel.



[1]    Ce qui se vit très concrètement lors de colloques par exemple, où il est difficile ou, en tout cas, peu intéressant, en termes de débats, de présenter une communication sur les pères dans une section féministe et inversement, une analyse féministe dans une section de type sociologie de la famille.

[2]    Les données de 1986 vienne de Le Bourdais et al. (1987)

[3]    Ces données de 1992 vienne de Descarries et al. (1994, 1995) et représentent les estimations faites par les mères.

[4]    Ces données de 1992 viennent de Lefebvre et al. (1996)

[5]    Données de Lefebvre et al.

[6]    Données de Descarries et Corbeil.

[7]    Données de Descarries et Corbeil.

[8]    Données compilées par F. Descarries à partir de l'enquête générale de 19198 (n = 10749) de Statistique Canada, par Zuzanek, Jiri, « Le temps consacré aux enfants : est-ce assez ou trop peu ? ISUMA, Volume 2 No 2, Été 2001, page 7/14.

[9]    Données de 1998 tirées de l'enquête de statistique Canada qui sont en cours d'analyse et que G. Pronovost nous a aimablement fait parvenir. Voir aussi Pronovost (1998).

[10]  Toutes les recherches que j'ai menées sont des recherches qualitatives qui adoptent la méthode d'analyse de la théorisation ancrée et dont la plupart, notamment plusieurs de celles sur les pères, ont été réalisées avec la collaboration de François Fournier. Ce dernier a également participé à l'écriture d'une première version, jamais publiée, de ce texte, remanié depuis et qui n'engage aujourd'hui que moi.

[11]  Précisons ici que je laisse de côté dans ce texte les recherches sur la paternité en contexte ethnique. Voir à ce sujet, pour le Québec, la récente étude de Dycke et Saucier (2000).

[12]  Je me base essentiellement sur les résultats de quatre recherches: la première, menée à Montréal auprès d'une vingtaine de pères de tous les milieux, la seconde auprès de quinze pères vivant en milieu semi-rural, la troisième, en cours, auprès d'une vingtaine de jeunes pères (de moins de 25 ans) de divers milieux, la quatrième .auprès de quinze pères de milieux défavorisés voyant peu ou plus du tout leurs enfants. Dans les trois premiers cas, on retrouvait des pères vivant en couple et des pères séparés. Je me base également sur plusieurs recherches menées au Laboratoire de recherche en écologie humaine et sociale, auxquelles j'ai participé entre 1992 et 1996, en particulier sur une enquête menée dans le cadre du groupe de recherche sur la victimisation des enfants.

[13]  Toutes les citations des pères sont tirées de mes recherches et notamment de Quéniart et Fournier (1994) et de Quéniart, Bouchard et al. (1997).

[14]  L’analyse transversale des données a donné lieu à la construction de deux types de représentations de la maternité: pour un premier groupe de mères, la maternité occupe la place centrale de leur vie, elle est au coeur de leur identité. Pour un second groupe de mères, la maternité conçue comme un rôle parmi d’autres s’insère dans un projet parental. Voir: Quéniart (1994).

[15]   Lors d'une conférence non publiée présentée au Laboratoire de recherches en écologie humaine et sociale en 1995, de Singly utilisait l'image du «père cheval», un père qui est à quatre-pattes par terre avec son enfant sur le dos, pour illustrer la paternité contemporaine, par opposition à celle du «père élévateur», celui qui porte l'enfant à bout de bras, le soir en rentrant du travail, qui renvoyait à la paternité traditionnelle.

[16]  Cette hétérogénéité dans le rapport à la parentalité des pères, nous l’avons également observée dans une recherche auprès de pères ayant peu ou pas de contact avec leur(s) enfant(s), ceux qu’on appelle parfois «pères décrocheurs». En effet, il n’y a pas une trajectoire de décrochage mais bien de multiples qui renvoient à diverses façons d’envisager la famille, de vivre le rapport à l’enfant, etc. Inversement, dans chacune des formes de paternité relevées ici, on trouve des trajectoires de désengagement, mais qui ne sont pas vécues de la même façon. (Voir Fournier et Quéniart 1996 et Quéniart 1999).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 9 août 2008 14:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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