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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Laurence Pourchez, “Philtres d’amour à La Réunion: transgression et alliance”. Un article publié dans la revue Ethnologie française, no 3, juillet-septembre 2004, pp. 443-451. Paris: Les Presses universitaires de France. [Autorisation accordée par l'auteure le 21 septembre 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Laurence Pourchez

Anthropologue - umr 8098 cnrs-mnhn et umr 306 – cef (mnatp) 

Philtres d’amour à La Réunion:
transgression et alliance
”.
 

Un article publié dans la revue Ethnologie française, no 3, juillet-septembre 2004, pp. 443-451. Paris : Les Presses universitaires de France.
 

Résumé
 
Introduction
 
Venin, poison et philtre d’amour
Amarrer : de l’usage du sang féminin et masculin dans les philtres d’amour
Sang et alimentation
Sang et substitut
Sang et sperme
Démarrer
Philtres d’amour, empoisonnements, sorts et envoûtements
Organisation sociale et règles matrimoniales à La Réunion
Transgression ?
 
Références bibliographiques

 

Résumé

 

À l’île de La Réunion, de nombreuses traditions impliquent l’usage des philtres d’amour. On les utilise à des fins d’envoûtement, et de façon transgressive, notamment dans le cadre des règles matrimoniales. L’état de conscience modifié engendré par l’absorption du philtre, légitime alors, aux yeux de la communauté, une relation amoureuse qui, sans ce recours, aurait été considérée comme improbable, voire socialement réprouvée. 

Mots-clefs : Philtres d’amour. Parenté. Alimentation. Corps. Ile de La Réunion.

 

Laurence Pourchez
Anthropologue - umr 8098 cnrs-mnhn
57, rue Cuvier
75005 Paris
et
umr 306 – Centre d’Ethnologie Française (cef)
Musée national des arts et traditions populaires (mnatp)
6, avenue du Mahatma-Gandhi
75116 Paris

 

Introduction

 

Fin octobre 2001, île de La Réunion, dans les Hauts de Sainte-Marie. Sous la varangue [1] de la petite case (maison) en dur sous tôle, Mathilde, soixante-seize ans, et son époux Antoine, soixante-dix-huit ans. Autour de nous, dans un enchevêtrement savamment organisé, se mélangent feuilles de palmiers, de songes (taro), de fougères de plusieurs variétés, de capillaires auxquels se mêlent diverses orchidées aux fleurs délicates, colorées et subtilement parfumées. Un pied géant de jasmin de nuit, formant une tonnelle, embaume l’atmosphère de cette fin d’après-midi. Nous sommes assis face à face, moi dans le fauteuil, mes hôtes dans le canapé en rotin blanc, et buvons à petites gorgées le café vanille coulé [2] brûlant que Mathilde vient de servir dans les tasses. Nos entretiens se déroulent ainsi : sous la varangue le café, dans la petite cuisine longtemps (traditionnelle) en tôles, sur les petits bancs bas de bois, le rhum arrangé. Chaque chose à sa place et selon son heure. 

Antoine prend la parole : « mon momon l’avait dit à moin, allez pas mange chez madame T.! Son ti fille là, elle y sa arrange a zot ! Ben voilà, moin l’a pas écoute mon momon, moin la parti, et koméla (les propos sont interrompus par des éclats de rire du couple, mais également de l’enquêtrice) nous fête nout soixante ans de mariage ! » [3]. 

Car en société réunionnaise, des sentiments qui durent ou paraissent trop ouvertement exprimés sont susceptibles d’être interprétés comme la manifestation d’un sortilège. Ainsi, les entretiens laissent supposer qu’Antoine, fils de l’ancien régisseur du domaine aujourd’hui entretenu par le couple, a bel et bien été ensorcelé, il y a près de soixante ans, par Mathilde, fille de l’un des employés de la plantation, qui souhaitait l’amarrer [4]. Et la substance venimeuse ingurgitée, poison agissant à la manière d’un philtre d’amour, est présumée être à l’origine de son attachement originel à son épouse.
 

Venin, poison et philtre d’amour

 

À l’origine du terme « venin », écrit Corinne Boujot [2001 : 13-14], « se trouve une potion magique dédiée à Venus, un ‘‘venesnom’’, philtre d’amour venu du monde latin pour lequel venenum désignait une décoction de plantes magiques, un charme ». C’est au xiie siècle que ce mot fait son apparition dans la langue française. Il est alors synonyme de « poison », boisson médicinale, potion élaborée aux vertus salutaires ou mortelles, philtre d’amour. Une telle conception est, comme l’a montré Marcelle Bouteiller [1950], inséparable d’un rapport au sacré et à des pratiques que l’on pourrait qualifier de magico-religieuses, voire de « sorcellaires ». Et si, en Europe, les philtres d’amour n’apparaissent plus que dans la littérature, ils font encore, à La Réunion, partie des traditions vivantes. 

L’usage de philtres d’amour est très ancien et extrêmement fréquent de par le monde. Il est attesté par les travaux de nombreux chercheurs dans la plupart des aires géographiques : dans l’ancienne Europe [Flandrin, 1976], en Afrique [Hamy, 1970], en Chine [Granet, 1959] ou en Nouvelle-Guinée [Godelier, 1976]. L’analyse de l’article consacré par Solange Petit-Skinner dans l’Histoire des mœurs [1991] à « l’Homme et la sexualité » montre que le terme « philtre d’amour » possède en fait deux définitions correspondant à deux types d’usages : le philtre d’amour se détermine comme une substance permettant d’agir sur les performances sexuelles de celui qui le consomme, mais s’envisage également comme un agent, utilisé par une personne donnée, afin d’envoûter un individu et de provoquer son amour. Afin d’illustrer le premier sens possible du mot, Solange Petit-Skinner cite l’exemple de Socrate invoquant, dans le dialogue avec la courtisane Théodote, les raisons pour lesquelles il ne lui rend pas visite : « J’ai d’ailleurs des maîtresses qui ne me permettent pas de les quitter, ni le jour, ni la nuit ; elles ont appris de moi des philtres… » [1991 : 932]. La seconde acception du terme, la seule qui nous intéressera ici, est, quant à elle, parfaitement illustrée par l’histoire de Tristan et Yseult dont nous reparlerons.
 

Amarrer : de l’usage du sang féminin et masculin
dans les philtres d’amour

 

Retour sur le terrain : Les premières informations que j’ai pu recueillir au sujet des philtres d’amour ont été collectées de manière presque « accidentelle », alors que je menais des recherches consacrées aux conduites familiales associées à la petite enfance. Je conduisais mon enquête dans les Hauts de Sainte-Marie, dans le Nord-Est de l’île, auprès d’une population qui se disait elle-même créole (au sens émique du terme, à savoir née dans l’île et métissée). Un nombre important de mes interlocuteurs était constitué de descendants de colons d’origine européenne alliés aux descendants de ceux qui travaillaient jadis dans les plantations, pour la plupart d’origine indienne ou malgache. 

Ce sont les aînées, âgées de plus de soixante-dix ans, qui, les premières, ont abordé ce sujet. Mais les propos recueillis relevaient davantage de sous-entendus que du récit clair de pratiques de sorcellerie. Dans un premier temps, j’ai mis ces données de côté, au nombre des informations à exploiter plus tard, quand mon étude serait achevée. Cependant, d’entretien en entretien, je me suis aperçue que ces sous-entendus étaient décidément récurrents. J’ai alors tenté d’approfondir mon enquête. Il s’est avéré que ces conduites, que j’avais dans un premier temps considérées comme des survivances, étaient connues, non seulement des grands-mères, mais aussi de nombreuses jeunes femmes ainsi que d’un nombre d’hommes assez conséquent. Évidemment, les gens ne venaient pas me dire « Les philtres d’amour, je sais ce que c’est, j’en utilise ! ». Quand j’amenais la conversation sur ce terrain, mes interlocuteurs étaient assez surpris, parfois gênés, puis amusés. On me parlait d’usages de grands-mères, de mères qui rêvaient pour leur fille d’un mariage hypergamique, de filles amoureuses de garçons qui ne leur étaient a priori pas destinés (au statut social supérieur au leur, originaires d’autres secteurs de l’île, à la religion ou au phénotype différent) mais qui souhaitaient tout de même se les attacher… C’était toujours chez les autres, c’était les anciens. Et souvent, s’agissant d’éléments issus de traditions supposées en train de disparaître, ces données m’étaient décrites de façon extrêmement précise. 

Passé ou présent ? Je dois avouer n’avoir pu trancher la question. Sans doute les deux : les informations que je vais présenter ici m’ont été finalement fournies par des hommes comme par des femmes, de tous âges, même s’il est vrai que les grands-mères, sont, à ce sujet, les plus bavardes, ce que leur permet sans doute leur grand âge. Et si, chez les plus jeunes, la crainte de se faire ensorceler ne détermine plus totalement les réseaux de sociabilité et les rapports sociaux en général, la connaissance de ces diverses pratiques par de jeunes gens d’une vingtaine d’années montre que dans les îlets (hameaux), une partie au moins des relations à autrui reste déterminée par les anciennes représentations et peurs[5]. 

Alliances, philtres d’amour, aliments, poisons, corps, magie. Il s’agira ici de rechercher les relations entre ces différents éléments présentes à l’île de La Réunion. Nous poserons, dans cet article, l’hypothèse d’une interprétation possible de l’usage des philtres d’amour : l’utilisation, afin d’amarrer quelqu’un, de ces substances destinées à modifier la perception sensorielle d’un individu (donc assimilables à des poisons). N’est-elle pas significative d’une tentative de transgression, d’une remise en cause d’un ordre social déterminé notamment, par les relations matrimoniales ?
 

Sang et alimentation

 

La pratique associée à l’eau de bandège est la plus fréquemment rapportée. Le bandège, qui s’utilise de moins en moins, était la cuvette en fer blanc ou émaillée qui, traditionnellement, servait à la toilette intime des filles. Charlotte, soixante ans, raconte que lorsqu’une fille voulait amarrer [6] un garçon, elle devait faire en sorte de lui faire ingurgiter un peu d’eau de bandège. Ce liquide était, en l’occurrence, un résidu de sa toilette intime,  : un peu de sang menstruel dilué dans de l’eau, qu’il convenait de dissimuler dans une boisson ou dans de la nourriture offerte à celui que l’on souhaitait s’attacher. Mais l’eau de bandège, de couleur rouge, devait passer inaperçue dans la nourriture… 

Il était indispensable que l’absorption ait lieu à l’insu de la personne à envoûter faute de quoi, disent plusieurs interlocutrices, le philtre n’aurait pas été efficace. Aussi, différents subterfuges pouvaient être employés, variables selon la force que l’on souhaitait donner à la composition. La plus efficace, rapporte Christine, trente-deux ans, est le vin chaud : on ajoute un peu de sang menstruel à du vin chaud, aromatisé avec de la cannelle [7] ou avec une autre plante. Il convient alors de faire ingurgiter ce breuvage à son destinataire. Le vin chaud, renforce, dit Christine, le pouvoir du sang [8]. D’autres préparations étaient également classiques comme le bouillon z’haricot rouge. Celui-ci était préparé avec des grains [9] rouges. La cuisson devait durer longtemps, jusqu’à ce que les haricots forment une sorte de crème. Il devenait alors facile de dissimuler dans le plat un peu d’eau de bandège. 

Sang, vin, haricots rouges : tout se passe ici comme si les propriétés magiques du sang menstruel pouvaient être transmises à un autre ingrédient de même couleur, ou comme si ce dernier était, par une relation d’équivalence lié à sa couleur, assimilable au fluide corporel. Ce type de représentations, de même que les pratiques à l’œuvre, s’inspirent de la « médecine des signatures », théorisée à la Renaissance par Paracelse [10] à partir de la médecine populaire de cette époque. Cette théorie met en relation les qualités des végétaux, des composés organiques ou minéraux utilisés et une partie du corps humain à laquelle ces différents éléments s’identifient. La qualité (aspect, couleur, odeur, consistance) de chaque élément constitue la « signature » de sa parenté avec ce fragment corporel. Françoise Loux rappelle la tradition présente en Europe [Loux, 1979] comme à La Réunion, qui voulait que l’on donne un verre de vin à celle qui venait d’accoucher afin de régénérer son sang, le vin étant ici l’équivalent symbolique du sang. 

Les philtres sont fréquemment absorbés par voie orale. Ce mode d’absorption n’est pas le fruit du hasard : « L’alimentation, écrit Fishler, constitue une voie royale pour accéder aux manifestations de la pensée magique. C’est que le rapport à la nourriture touche, chez nous, au plus intime, au sens étymologique du terme : intimus en latin, est le superlatif d’interior. Consommer un aliment, ce n’est pas seulement le consommer, le détruire, c’est le faire pénétrer en soi, le laisser devenir partie de soi. Il s’agit bien en effet, avec l’aliment, d’une substance que nous laisserons pénétrer au plus profond de notre intimité corporelle, se mêler à nous, devenir nous… » [1994 : 10]. Nous amplifions, par cette consommation, la relation de « mêmeté » présente entre l’homme et la substance ingurgitée. Ainsi, absorber le sang de l’autre, que cette consommation soit réelle ou symbolique, revient à incorporer une partie de sa substance, à devenir l’autre, ce qui explique l’attirance qui doit, normalement, découler de l’empoisonnement. 

Mais revenons à notre grand-père du début de l’article, qui déclare avoir été ensorcelé par son épouse, il y a quelques soixante ans. Il dit avoir été pris en allant déjeuner chez celle qui allait devenir sa future belle-mère. Nous pouvons remarquer deux choses : c’est la future belle-mère qui intervient pour sa fille, l’agent de l’ensorcellement est la nourriture. Le rôle de la future belle-mère est ici particulièrement intéressant et nombreux sont les témoignages qui rapportent des faits similaires. Agissant de la sorte, la mère choisit le mari qu’elle destine à sa fille, favorisant, nous y reviendrons un peu plus loin, le plus souvent un mariage hypergamique qui fera entrer l’épousée dans une classe sociale supérieure à celle de ses parents. Ce type de conduite rejoint d’autres traditions réunionnaises comme celle qui voulait que les parents spirituels d’un bébé soient parfois choisis en fonction de leur statut social prestigieux [Pourchez, 2002]. Certaines mères sont également suspectées, si le prétendant ne leur convient pas, de faire en sorte de « semer la zizanie » dans le couple, par des procédés de sorcellerie de type manipulatoire : enterrer certains éléments dans la kour [11] du garçon, laisser sur le sol certaines graines, comme les graines de cascavel qui ont la réputation de générer la discorde dans les ménages. 

Dans son étude consacrée à l’alimentation à La Réunion, Patrice Cohen écrit : « Le recours à la sorcellerie et les croyances qui s’y rattachent interviennent dans une large mesure sur l’alimentation. En effet, la nourriture peut être un vecteur de mauvais sort et de ce fait ‘‘empoisonner’’ ou envoûter la personne qui la consomme » [2000 : 207]. L’action se fait ici, non pas directement par le biais de la nourriture elle-même, mais au moyen de la manipulation (dissimulation du sang) dont elle est l’objet. Elle se poursuit par l’ingestion, qui permet l’intégration, par celui qui est « empoisonné », du principe vital essentiel du corps de l’autre (le sang), provoquant un phénomène de l’ordre de l’osmose. Le choix du sang menstruel n’est, lui non plus, pas anodin : le sang des règles, est, à La Réunion, considéré comme extrêmement dangereux, susceptible d’être utilisé dans diverses pratiques de sorcellerie visant soit, à nouer l’aiguillette [12] d’un homme (souvent un mari ou un ami épris d’une autre), soit, au contraire, à le rendre amoureux. Il était d’usage, lors de leurs menstrues, que les filles fassent elles-mêmes leur lessive en devant la soustraire à la vue de leurs frères : la vue de cette lessive impure aurait été susceptible de les rendre impuissants. La crainte du sang était telle, rapporte Claudine, quarante-deux ans, que certains maris n’hésitaient pas à laver eux-mêmes le linge souillé de leur épouse, de crainte que le sang ne soit récupéré par d’autres et utilisé à des fins sorcellaires.
 

Sang et substitut

 

Quand le sang n’est pas directement absorbé par le garçon, son pouvoir demeure par le biais d’une présence, réelle ou symbolique : Françoise, cinquante-sept ans, rappelle, par exemple, que pour amarrer un homme, il faut prendre un morceau de bois de mamzelle, le mettre dans sa poche, puis, discrètement, le glisser dans la poche de celui que l’on veut s’attacher. Dès lors, il est pris. La magie, ici, opère par le contact, par un transfert des propriétés symboliques du végétal utilisé. Il faut préciser que le bois de mamzelle est un bois de couleur qui, lorsqu’il est laissé à tremper dans de l’eau, rend le liquide rouge, comme s’il s’agissait de sang dilué, d’où la variante de cette recette, également fournie par Françoise, qui ajoute que cette eau pouvait être ajoutée au bouillon z’haricot, comme s’il s’agissait d’eau de bandège. 

Autre témoignage : celui de Ghislaine, quarante-neuf ans. Il fait état d’une conduite d’amarrage ayant pour objectif d’envoûter un amoureux afin de le garder : « Tu dois aller devant une Vierge, la Vierge Noire, ou la Vierge au parasol, ou Notre Dame de la Salette, enfin une Vierge, quoi, et puis là, tu fais une prière et tu demandes que ton amoureux reste avec toi. Tu peux faire une promesse [13] aussi. Et puis, il faut que tu lui donnes un genre de garanti (amulette) qu’il va garder avec lui, et dedans tu mets ta prière, avec une petite médaille de la Vierge ou une croix et un peu de ton sang ». Dans son Journal d’un exorciste, le Révérend Père Dijoux relate un fait assez semblable : « …Il ne pouvait plus parler, ne mangeait pas et dormait jour et nuit […] Il avait conquis les bonnes grâces d’une jeune infirmière qui lui avait remis en gage de son affection un cœur surmonté d’une croix et portant en son milieu une goutte de sang recouverte d’une pellicule plastifiée. À chaque fois qu’il voulait porter ce bijou, il se mettait à trembler comme s’il avait froid » [1995 : 112]. Le danger et la force du garanti apparaissent ici : d’une part, la possession d’un fragment corporel étranger modifie le propre équilibre corporel du garçon ; d’autre part, celui qui en est porteur risque une punition divine en cas d’infidélité. Les données fournies par Pascale, vingt-et-un ans, sont, à ce sujet, encore plus claires : « Mon mari, je l’ai emmené devant le Saint-Expédit de La Rivière des Pluies, à midi, et puis là, je l’ai fait promettre et puis prendre un petit bout de tissu rouge, et je l’ai dit, tu vois, là, tu peux plus faire le couillon, parce que le petit museau rouge, là, il veille a ou (il te surveille) ». Le « petit museau rouge » auquel Pascale fait allusion est Saint-Expédit, recours des causes difficiles, toujours habillé de rouge. Placé dans de petits autels construits au bord des routes, il fait l’objet d’un culte syncrétique, adoré tant par ceux qui pratiquent l’hindouisme que par les catholiques. Souvent, des morceaux d’étoffe rouge, couleur de sa cape [14], sont déposés à proximité de l’autel. Le choix de l’heure n’est pas anodin, midi est une heure considérée comme forte, heure des esprits, et le fait de prendre un petit morceau de tissu rouge, substitut du sang ou marque de la promesse, devant ce dieu à la réputation d’ambivalence [15], condamne Patrick, le mari de Pascale à une fidélité absolue, faute de quoi le saint le punira.
 

Sang et sperme

 

L’élément présent était jusqu’alors le sang. Mais une recette met en évidence l’homologie entre sang et sperme. Elle nous est fournie par Geneviève, trente-huit ans : « Pour ne pas être trompée par son mari, il faut prendre un petit morceau de toile noire de la longueur de son sexe en érection, récupérer un peu de son sang ou de son sperme sur ce tissu, faire sept nœuds sur le tissu. Puis, il faut prendre un petit couteau de poche et le refermer sur le tissu. Alors, il faut jeter le tout et le mari ne peut plus tromper sa femme ». Cette recette montre la relation, chez l’homme, entre sang, philtre d’amour et sperme : si la présence de sang scelle l’acte magique, le sperme est souvent considéré, soit, comme du sang ayant subi une coction, soit comme le résidu de la nourriture, donc, du philtre d’amour ingurgité. De telles représentations sont très anciennes : on les retrouve chez Aristote qui, dans le traité intitulé : De la génération des animaux, considère le sperme comme « un produit de dissolution ou un résidu […] », résultant de la nourriture absorbée [I, 18, 725b]. Le sperme de l’homme envoûté est donc supposé contenir certains éléments propres à celle qui l’a empoisonné, alors susceptible d’agir directement, afin d’empêcher tout rapport sexuel avec une autre. Le chiffre sept, présent dans bon nombre de conduites à visée thérapeutique ou magico-religieuse, voire sorcellaire, possède ici une fonction d’empêchement. Enfin l’action de jeter le tout signe l’aspect définitif du sort. Il existe cependant, selon, Bernadette, jeune femme âgée de vingt-huit ans, une manière de lever le sortilège.
 

Démarrer

 

« Pour démarrer (désenvoûter) un mec, il doit aller au marché. Il va voir une vendeuse, une dame, il prend un paquet de thym vert. Il demande à ce qu’on enlève le fil et à ce qu’il soit séparé en deux paquets. Il ne doit pas y avoir de fil ou de nœud. Et puis il prend les deux paquets et il doit partir sans payer ». Ce qu’une femme a fait, une autre va le défaire : le thym vert est, à La Réunion, utilisé à la fois comme abortif et pour liquéfier le sang. Par cet acte symbolique, par l’utilisation du thym, c’est le sang ingurgité qui doit disparaître par liquéfaction. Les deux paquets de thym signifient le retour à une unité corporelle, et la transgression (non-paiement à la vendeuse) vient contrecarrer l’acte initial. Il évite également de mettre celui qui se fait désenvoûter à nouveau en position de faiblesse, le don d’argent, constante des pratiques magico-religieuses, mettant celui qui l’effectue en situation de dépendance.
 

Philtres d’amour, empoisonnements,
sorts et envoûtements

 

L’utilisation de diverses substances, peut donc avoir, dans les recettes familiales en usage à La Réunion, un but bienveillant ou malveillant : concoctés dans un but salutaire, les remèdes traitent la maladie ; préparés dans l’objectif de nuire ou d’envoûter, ils empoisonnent, favorisent ou défendent le commerce amoureux, empêchent la lactation des animaux ou la fertilité des champs. Ainsi, l’art de soigner (mais parlons-nous ici de conduites thérapeutiques ?) est ambigu, ce qu’attestent les procès conduits au Moyen-Âge en Europe à l’encontre des « sorcières ». En témoigne également la réputation de sorcières faites aux matrones du siècle des Lumières [Gélis, 1984]. Plus récemment, Jeanne Favret Saada [1977] fait état de pratiques similaires dans le bocage, de vaches auxquelles on a fait avaler certaines substances et qui n’ont plus produit de lait. 

Cette place du magique est fondamentale dans les conduites traditionnelles liées au corps. Marcelle Bouteiller note par exemple que : « La place dévolue au magique dans les procédés des thérapeutes ou ceux du savoir commun, apparaît fondamentale quand on soigne par conjuration (pansement de secret ou lever des sorts) ; elle demeure au premier plan dans les démarches associées, par la mentalité populaire, au Pèlerinage et à l’invocation des Saints guérisseurs. Elle n’est pas exclue néanmoins de maints procédés empiriques. De même que, par exemple, la prière magico-religieuse est récitée trois fois, s’accompagne de trois Pater et trois Ave, de même que le pèlerin tourne trois fois ou un nombre multiple de trois, autour des fonts baptismaux, la composition d'une tisane s'avère souvent tripartite. » [1966 : 249]. Cet aspect des choses est essentiel dans les données relevées à La Réunion  : les recettes recueillies s’accompagnent souvent de petites formules rituelles, destinées à amplifier l’effet du philtre d’amour absorbé. 

Comprendre les logiques inhérentes à l’absorption d’un philtre d’amour nous conduit à la recherche des liens existants à La Réunion, entre représentations du corps et de la maladie, et interprétations sorcellaires du mal. Jean Benoist [1993], analysant le système de représentation du corps, de la maladie et du malheur identifiable en société créole, rappelle que la médecine populaire visible aujourd’hui à La Réunion est en partie l’héritage de celle, observable en Europe aux xviie et xviiie siècles, et importée par les chirurgiens et agents de santé lors du peuplement de l’île. L’apport européen s’est ensuite enrichi des contributions fournies par les autres composantes de la population — éléments de médecine traditionnelle d’origine indienne et malgache notamment. De ces diverses influences est née une alternative à la biomédecine, système spécifique au sein duquel s’entremêlent recherche d’une étiologie de la maladie, pratiques thérapeutiques et rapport au sacré [16]. 

Parallèlement ou de manière complémentaire à ces diverses représentations du corps et de la maladie, la détermination des causes du mal passe souvent par la recherche, non du comment, mais du pourquoi des symptômes présents. C’est alors, comme l’a montré Jacqueline Andoche [1988], l’interprétation du mal qui est recherchée. Que s’est-il passé ? Une personne est-elle susceptible de nuire au malade ? Lui a-t-on offert quelque chose ? A-t-il touché un objet inhabituel ou mis le pied sur quelque chose ? A-t-il mangé quelque chose de son plein grès? Peut-on lui avoir fait consommer quelque chose à son insu ? Nous pouvons alors nous poser la question de la raison d’être des philtres d’amour, de leur rôle dans la société.
 

Organisation sociale et règles matrimoniales
à La Réunion

 

Georges Augustin, dans l’ouvrage intitulé :Comment se perpétuer ? juge que l’équilibre entre parenté et résidence est au cœur de l’organisation sociale. Cet équilibre se définit selon des règles de succession et d’héritage culturellement variables et associées aux représentations locales de la propriété et de la famille. L’auteur ajoute qu’« il y a tout lieu de supposer que ces règles peuvent être affectées, dans leur définition, dans leur mise en œuvre, par des facteurs multiples relevant tant de l’évolution des mœurs, que de changements intervenant dans les modalités du prélèvement fiscal, tant des fluctuations démographiques que des innovations techniques » [1989 : 161]. Plus loin, il définit plusieurs systèmes de résidence dont « l’aire des systèmes à parentèles ». Il remarque [1989 : 220], dans cette aire correspondant aux lieux de France dont sont originaires les colons européens ayant peuplé La Réunion aux xiie et xviiie siècles, que les mariages s’effectuent selon des règles assez précises : mariages entre consanguins, réenchaînements d’alliances, unions entre personnes résidant dans des hameaux proches. 

S’appuyant sur les travaux de Georges Augustins, Paul Ottino détaille « L’organisation familiale des Blancs des Hauts », et, concernant les unions, écrit que « bien loin d’interdire la mobilité des individus, la forte endogamie de parentèle (et de condition) la suppose et l’encourage, en même temps qu’elle lui donne son caractère structural. » [1996 : 263]. Cette analyse s’applique tout à fait à la population concernée par mon enquête. Dans ce contexte, la résidence patrivirilocale (la femme suit son mari) est valorisée alors que le contraire ne l’est pas et Paul Ottino précise que cette endogamie « est une endogamie de parentèle qui, par les mariages d’échanges de germains, les mariages obliques et les réenchaînements d’alliances, développe, à l’intérieur des familles alliées qui en font partie, des noyaux de très proches parents, dont les réticules de liens de parenté et d’alliance sont doublés des liens de parrainage catholique. Cette endogamie de parenté est encore renforcée par une endogamie de condition sociale […] » [op. cit : 280]. Les filles sont donc traditionnellement supposées se marier à la fois au plus proche ainsi qu’à une personne de même condition qu’elles.
 

Transgression ?

 

La fonction du philtre d’amour ne serait-elle pas, justement, de transgresser les règles, de permettre à une fille d’épouser un homme de religion, de phénotype ou de condition inégale à la sienne ? Car c’est bien le thème de la transgression qui se trouve au cœur des histoires de philtres d’amour : dans Tristan et Yseult, c’est le philtre, (« décoction d’herbes — équivalent symbolique du sang — et de vin » [Boujot, 2001 : 77] qui, absorbé par erreur, va justifier la relation, théoriquement prohibée, entre Tristan et celle qu’il est supposé conduire au roi Marc. Le charme signe ici la transgression qui va sceller le destin des amants. 

Un premier constat : dans les informations recueillies à La Réunion, la notion de philtre d’amour est, de façon presque systématique, associée à un principe d’alliance. Comme si l’un et l’autre étaient liés. Et ils le sont effectivement : ce qui provoque les rumeurs de sortilège ou d’amarrage, c’est moins le sentiment ouvertement amoureux d’un homme envers sa compagne, que le fait qu’elle soit aussi son épouse. En effet, et je m’accorde en cela avec Claude Gaignebet : « La transgression ne peut être reconnue qu’à travers ses résultats » [1991 : 882] et sans la réalisation d’un mariage normalement prohibé, il n’y a pas de transgression des règles sociales. 

D’autres indices sont présents dans les discours réunionnais et laissent supposer que divers types de transgressions existent, associés à des envoûtements conduisant à des mariages hypergamiques, ou justifiant des mariages vécus comme hypogamiques, donc dévalorisants et impensables pour certaines familles. 

Pour comprendre la place et la valorisation accordées au mariage hypergamique, reprenons d’abord l’histoire des deux aînés présentés au début de cet article : quand la mère de Mathilde a, à la demande de sa fille, invité Antoine à manger, c’était bien dans l’espoir d’une transgression, d’un mariage que seul le passage par un acte magique pouvait permettre. En fait, sans doute, le philtre agit-il (également ?) comme prétexte à la transgression. Les géniteurs d’Antoine, de rang plus élevé que ceux de Mathilde, auraient-ils accepté sans cela le mariage de leur fils ? 

Regardons ensuite les indices liés à la résidence : si les plus jeunes de mes interlocutrices rient à l’évocation de recettes de philtres d’amour (que certaines d’entre elles connaissent), et me disent que cela serait bien utile pour amarrer des zoreils (métropolitains), n’est-ce pas une manière de signifier qu’elles cherchent à échapper au carcan des règles matrimoniales et de résidence ? En effet, nombreuses sont les femmes interrogées qui disent souhaiter garder leur fille à proximité (autrement dit, désirent les voir épouser quelqu’un de proche, au moins du point de vue de la résidence). 

Puis, considérons le désir, souvent exprimé, d’un mariage homogamique : la condition sociale implique ici, bien que les choses ne soient pas toujours clairement exprimées, la couleur de peau. Car, même si aucun problème lié à la couleur ne semble avoir jamais existé à La Réunion (en tout cas, pas avec la même rigidité qu’aux Antilles) [Bonniol [1992], le phénotype et la religion du futur marié sont importants et de nombreux parents préfèrent que leur enfant épouse quelqu’un de même religion et de phénotype équivalent. 

Enfin : nous pouvons noter que, dans cette société réunionnaise à tendance patrivirilocale, dans laquelle une femme est supposée partir vivre chez son mari, l’usage de philtres d’amour à des fins d’amarrage d’un homme est le fait des femmes. Cette tentative de rupture de l’ordre social, tentative de transgression d’un ordre établi s’inscrit alors dans le cadre de ce qu’écrit Françoise Héritier : « L’exercice de la violence par les femmes est vu comme la transgression ultime de la frontière entre les sexes. » [2002 : 84]. Les femmes, par leur usage de poisons susceptibles de modifier l’ordre social, ne tentent-elles pas, justement, de contrebalancer le pouvoir des hommes (des pères en l’occurrence) ? 

Les conduites réunionnaises associées aux philtres d’amour révèlent donc une double consonance des pratiques : les préparations utilisées empoisonnent, modifient l’état physique et de conscience d’un individu par ingestion, mais ce faisant, permettent son envoûtement à des fins amoureuses. L’agent d’envoûtement destiné à amarrer les hommes peut apparaître, dans une société à tradition endogamique très forte, comme l’arme des femmes face à la rigidité de l’ordre social. Ainsi, l’usage de philtres d’amour peut (ou pouvait) apparaître comme le moyen d’envisager une transgression de l’ordre établi, ce, même si la réponse masculine était possible, notamment par la pratique du démarrage, assimilable à un désenvoûtement. 

Dans les recettes relevées, le poison/philtre se compose d’éléments corporels ou symboliques assimilés. Les différentes pratiques employées pour s’attacher un homme associent l’incorporation d’un fragment corporel à la prise de possession du corps et de l’âme de la personne empoisonnée par celle dont provient le fragment corporel. Et l’attachement par trop visible d’un homme pour sa compagne peut être interprété par la présence, dans le corps de l’homme, de fragments corporels féminins qui relient physiquement les deux êtres l’un à l’autre. Ceci constitue en outre, un justificatif social à un mariage qui, sans l’absorption du philtre d’amour, n’aurait sans doute pu avoir lieu.
 

Références bibliographiques

 

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[1]    Véranda. Les termes créoles sont signalés, dans le texte, en italique. Les prénoms employés sont, pour des raisons de respect de l’anonymat, fictifs. Seuls les âges de mes interlocuteurs sont réels.

[2]    Le café coulé à la vanille, recette traditionnelle créole, est préparé de manière variable selon les familles. Il est généralement obtenu avec des grains de café grillés de manière artisanale. Jadis, ceux-ci provenaient des pieds de café du jardin. Cet arbuste, planté à proximité de la maison, avait la réputation de protéger ses habitants des attaques des bébètes (mauvais esprits ou âmes errantes) ainsi que des atteintes des sorts jetés. Les grains sont broyés dans un moulin à café, laissés quelques jours à séjourner dans une boîte en fer blanc avec quelques gousses de vanille afin de s’imprégner de leur arôme. Il est enfin, avant dégustation, passé goutte-à-goutte dans une cafetière de métal.

[3]    « Ma maman me l’avait bien dit ! Ne va pas manger chez madame T. ! Sinon sa fille va t’ensorceler ! Hé bien voilà, je n’ai pas écouté ma maman, j’y suis allé, et aujourd’hui, nous fêtons nos soixante ans de mariage ! »

[4]    Se l’attacher, le terme possédant une connotation sorcellaire.

[5]    Je rejoins ici ce qu’écrit Patrice Cohen à propos des peurs associées à l’alimentation : « Ces peurs et ces attitudes de convivialité qu’elles engendrent sont de moins en moins répandues chez les jeunes qui ont l’habitude de se moquer de la méfiance de leurs aînés, mais elles ont néanmoins toujours de leur importance dans les rapports sociaux » [2000 : 208].

[6]    Terme créole qui signifie attacher solidement.

[7]    Végétal lui aussi considéré comme chaud.

[8]    Le fait est également attesté, pour la France, par Yvonne Verdier [1979].

[9]    Terme générique qui désigne les légumes secs, haricots rouges ou blancs, lentilles.

[10]   Alchimiste et médecin suisse, né vers 1493, mort en 1541.

[11]   Partie avant de l’habitation. Lire, à ce sujet, la thèse de Michel Watin [1991].

[12]   Rendre impuissant. Cette expression, issue de l’ancien français, a été employée par Andréa, née en 1906, ancienne matrone.

[13]   Une promesse faite devant une divinité, qu’il s’agisse d’hindouisme ou de religion catholique, implique le plus souvent un don en retour. Voir à ce sujet Pourchez [2002].

[14]   Mais également de la déesse Kali dans l’hindouisme. Je renvoie, pour de plus amples informations, le lecteur à Benoist [1998].

[15]   Saint-Expédit possède en effet une réputation de « double visage » : correctement honoré, par des promesses tenues, il exauce les vœux. Trahi ou oublié, il se venge et punit les fidèles irrespectueux de leur promesse.

[16]   Jean Benoist précise qu’il existe « un lien étroit et très constant entre l’étiologie de la maladie et les comportements envers les ancêtres » [1993 : 43]. Pour illustrer ce lien, voir  : [Benoist 1993, 1998  ; Pourchez, 2001],



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 21 septembre 2008 15:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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