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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Richard Poulin, “Pornographie, rapports sociaux de sexe et pédophilisation.” (2009). Un article mis en ligne en février 2009 sur le site Les Rencontres Bellepierre. [Autorisation accordée par l'auteur le le 13 septembre 2011 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Richard Poulin

Sociologue, professeur titulaire,
département de sociologie et d’anthropologie,
Université d’Ottawa.

Pornographie, rapports sociaux de sexe
et pédophilisation
”.

Un article mis en ligne en février 2009 sur le site Les Rencontres de Bellepierre.

Résumé
Introduction
Domaine controversé et pauvreté des recherches
Libération sexuelle et liberté des femmes
Domination et pornographie
L’influence sociale pornographique
Les femmes à l’épreuve de la beauté
Pouvoir


Résumé

Sociologue, Richard Poulin est professeur à l’Université d’Ottawa. Spécialiste du marxisme et de la mondialisation, il s’intéresse depuis de nombreuses années aux questions de la prostitution [1] et de la pornographie [2] qu’il pense d’abord − dans le cadre d’une gigantesque industrie du sexe que favorise la mondialisation ultralibérale − comme des formes de marchandisation et d’exploitation du corps des femmes et des enfants.

Dans cet article inédit, il rappelle d’abord que la pornographie, et notamment la pornographie pédophile, n’est pas neuve, en revanche ce qui est nouveau, c’est sa visibilité et sa disponibilité dans l’espace public, son explosion commerciale, qui en fait un des secteurs économiques les plus rentables, et plus encore sa banalisation voire sa légitimation. Néanmoins, malgré cette démesure, cette omniprésence et une très probable influence croissante et profonde sur les comportements et les valeurs, le phénomène est peu étudié par les sciences sociales et n’est pas pris en compte dans les analyses de la mondialisation capitaliste.

On imagine bien pourtant, compte tenu de la puissance des images, que les incidences sociales et culturelles sont importantes ; la pornographie, produite de plus en plus massivement, mais aussi consommée de plus en plus librement et précocement, détermine, à l’évidence, les représentations collectives dominantes, elle influence et codifie les rapports sociaux et singulièrement la sexualité, sa pratique et ses normes. Longtemps marginale ou confidentielle, taboue, condamnée ou interdite, elle est aujourd’hui légalisée, décomplexée et parfois même défendue au nom de la libération sexuelle. Mais à qui « profite » − et il faut entendre aussi : qui en tire les bénéfices ? − cette libération sexuelle ? N’est-ce pas d’ailleurs, plus qu’une libération, une libéralisation qui exploite, instrumentalise et rentabilise le corps et le sexe des femmes, et pas seulement dans les films pornos, mais aussi dans la réalité la plus quotidienne voire la plus innocente ?

Il est vrai que les femmes et les jeunes filles semblent parfois partie prenante d’une hypersexualisation de leur comportement et d’une obéissance docile aux impératifs esthétiques. Les normes n’ont pas disparu, elles ont été intériorisées, non sans douleur, non sans violence : diktat de l’apparence, tyrannie du jeunisme, obligation de jouissance… et l’on fait passer l’asservissement aux règles pour un libre souci de soi, et la dictature de la performance pour un droit au bien-être. On est bien dans une situation patriarcale de domination masculine, et l’on peut se demander si les revendications féministes, le droit au plaisir, la liberté de son corps, le refus des interdits, la transgression des normes… ne se retournent pas, en régime libéral, contre les femmes, pour servir au contraire la soumission et le conformisme, voire l’humiliation et la violence − et notamment dans les relations sexuelles.

On le voit, Richard Poulin est un sociologue engagé, la pornographie [3] n’a rien à voir, selon lui, avec une sexualité libre entre adultes consentants, elle relève de l’esclavage sexuel et atteste une régression symbolique, matérielle et politique de la situation des femmes et des enfants.


Introduction

En 1953, naissaient le magazine Playboy et la pornographie contemporaine. En 1963, était créé en France le magazine Lui. En 1965 au Royaume-Uni et, en 1968, aux États-Unis, paraissait Penthouse tandis qu’en 1972, le film Gorge profonde [Deep Throat] obtenait une audience débordant le ghetto des salles des cinémas pornographiques. Fondé en 1974, le magazine Hustler poussait plus loin les limites. L’arrivée successive des vidéocassettes, des DVD puis du Web engendrait une explosion de la production et de la consommation de la pornographie tout en modifiant profondément la structure des marchés. En Occident, les magazines voyaient décroître leur audience. Les nouvelles technologies favorisaient la consommation dans les lieux privés ; en conséquence, les salles de cinéma X disparaissaient. Dans un même mouvement, la production pornographique se transformait : le gonzo (un « divertissement d’humiliation » ou, en anglais, « humilitainment ») et la pornographie dite « amateur » envahissaient les marchés. Du coup, la pornographie facilement disponible devenait plus violente et humiliante. Elle influençait la pornographie « traditionnelle ». Les hardeuses étaient esquintées sur les lieux de tournage. En outre, la pornographie mettait en scène des jeunes femmes de plus en plus jeunes, des adolescentes, des écolières… Au point tel qu’il est maintenant difficile de distinguer cette pornographie utilisant des jeunes femmes à peine d’âge légal (barely legal) de celle qui exploite des mineures. En fait, à partir des sites Web annonçant des « teenies », des « youngies », des « jeunes filles », etc., et qui assurent que les jeunes sont âgées de 18 ans et plus, le surfeur accède facilement à des images, à des pages et à des sites de pornographie infantile.

Dans les années 90, cette industrie et ce commerce du « fantasme sexuel » envahissaient l’ensemble des moyens de communication et influençaient la publicité, les médias, y compris les magazines féminins, la mode, la littérature, etc. Ses codes et son idéologie s’imposaient et transformaient les imaginaires ainsi que les pratiques sociales et intimes. La pornographie faisait désormais « chic » et branchée; elle était même considérée comme un facteur de libération sexuelle (et non plus de soumission sexuelle). Les références à la pornographie étaient tellement systématiques qu’on en oubliait qu’il n’en avait pas toujours été ainsi. Elle participait à la sexualisation de la sphère publique ainsi qu’à l’hypersexualisation (ou la sexualisation accentuée) des filles.

De son côté, l’industrie mondiale de la pornographie visait la reconnaissance, proclamait sa légitimité et s’achetait une vertu. Elle a désormais sa presse spécialisée, ses festivals du film, ses salons et ses foires, ses chaînes spécialisées de télévision, ses créneaux horaires sur les chaînes généralistes, ses émissions promotionnelles, ses sites qui foisonnent et qui sont parmi les plus rentables de la toile mondiale. Elle a également ses animatrices à la radio et à la télévision, ses invités aux talk shows populaires, ses séries télévisées et ses téléréalités, ses stars, etc. Bref, la pornographie s’est banalisée tout en offrant une idée glamour et excitante de ce que serait une « carrière » dans l’industrie. Le recrutement en est facilité. Elle serait même devenue pour les femmes une expression non seulement de leur liberté sexuelle, mais une façon de prendre confiance, d’exprimer leur sensualité et de renforcer leur « pouvoir sexuel », particulièrement de séduction.

Depuis le milieu des années 90, avec l’explosion de l’exploitation sexuelle des enfants à l’échelle mondiale, la communauté internationale se mobilise contre la pornographie mettant en scène les enfants. En 1996, le premier Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, tenu à Stockholm, estimait qu’un million d’images pornographiques et quarante millions de pages Web étaient consacrées à cette pornographie. Sans compter le foisonnement de la pornographie pseudo-infantile que l’on retrouve sous les menus « teens », « teens for cash », « schoolgirls », « cheerleaders », « babysitters », etc., et qui sont très populaires, notamment en termes de téléchargement.

Selon un sondage commandé par le Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes, au moins 60 000 personnes au Canada ont déclaré, au début des années 1980, avoir été photographiées dans leur enfance dans des poses pornographiques [4]. La pédopornographie n’est donc pas une activité nouvelle, ce qui est nouveau, c’est son industrialisation, sa massification et sa facilité d’accès. En outre, avec les nouvelles technologies, la possibilité de produire une pornographie à la maison avec des enfants de son entourage s’est accrue ainsi que le potentiel d’en tirer des revenus en la commercialisant sur le Web.

Beaucoup trouvent inacceptable l’utilisation des enfants dans la pornographie (bien que tous n’aient pas la même définition de l’enfant), cependant le débat sur la pornographie reste généralement circonscrit à celle qui met en scène des adultes, comme s’il y avait un mur infranchissable entre les deux types de pornographie. À ce titre, il apparaît symptomatique qu’un dictionnaire sur la pornographie − « objet de savoir » − ait été publié malgré l’absence d’une entrée sur la pornographie infantile [5]. Cette absence, que l’on pourrait qualifier de négationniste, est révélatrice de l’air du temps : la pornographie est une affaire d’adultes consentants. Ce qui est fort contestable, entre autres, parce que la pornographie, dans un seul et même mouvement, infantilise les femmes et sexualise les filles ou, autrement dit, les présente comme sexuellement matures.

Le fantasme masculin de la Lolita est de plus en plus commun. Lolita est à la fois une fillette et une femme enfantine, mi-ange, mi-pute, qui séduit des hommes d’âge mûr. La pornographie promeut l'idée que les adolescentes sont des partenaires sexuelles convenables aux hommes matures. En tapant sur un moteur de recherche « Lolita sex », on obtient 2 510 000 résultats. Pour « teen sex », c’est-à-dire pour les filles âgées de 13 à 19 ans, le nombre d’entrées s’élève à près de 24 000 000 : pour « preteen porn » (fillettes âgées de moins de 13 ans), 1 500 000. Les sites Web mettant en scène des fillettes impubères, mais non dévêtues, aux poses sexualisées jusqu’à la caricature, pullulent (1 400 000 résultats). Cela donne une idée de l’importance de la pornographie usant et abusant d’enfants ou de pseudo-enfants dans le cas des adolescentes (teenagers), qui peuvent être tout aussi bien âgées de 18 ou de 19 ans que de 13 à 17 ans.

Par ailleurs, certains minimisent la pornographie enfantine en la reléguant dans le domaine de la « panique morale du public [6] » ou de la « grande anxiété contemporaine » face à l’abus sexuel des enfants [7]. Selon une telle interprétation, c’est ce qui aurait entraîné l’adoption de différentes législations contre cette pornographie durant la seconde moitié des années 90 dans les pays capitalistes dominants de l’Occident. Cependant, c’est précisément au cours de cette décennie qu’il y a eu une explosion de la production et de la commercialisation de la pornographie, y compris de la pornographie exploitant les enfants. Cette « panique » et cette « anxiété », si panique et anxiété il y a, reposent sur des bases raisonnables.


Domaine controversé
et pauvreté des recherches

La pornographie est un domaine délicat, sujet aux controverses morales, religieuses, philosophiques, politiques et scientifiques. Ses enjeux économiques et sociaux sont imposants. L’industrie de la pornographie, qui est multinationale, engendre des revenus mirobolants évalués, en 2006, à près de 100 milliards de dollars américains par année. Malgré cela, la pornographie reste fort peu étudiée aujourd’hui, comme si elle n’était qu’un phénomène relevant de la sphère privée, sans impact social notable. Il n’existe pratiquement pas de recherches sur les personnes qui œuvrent dans cette industrie. Sur les consommateurs, là aussi, il y a eu peu de recherches. Lorsque, au Canada, il y a eu au cours des années 80 la tenue d’une enquête importante sur la pornographie, aucune étude n’a été commandée sur les effets de sa consommation. La pornographie envahissait pourtant la sphère publique et commençait à s’imposer à tout un chacun. Aujourd’hui, les personnes qui ne désirent pas en consommer finissent quand même par en consommer. C’est la grande différence avec ce qui se passait voici 20 ans [8]. Les deux autres différences importantes sont que désormais les femmes en consomment, contrairement à auparavant où la consommation était essentiellement masculine ou en compagnie de partenaires masculins, et que les consommateurs sont de plus en plus jeunes. Près de trois garçons sur quatre et plus d’une fille sur deux ont commencé à consommer avant l’âge de 14 ans. Ce qui n’est pas sans avoir d’effets sur leur sexualité, leur rapport au corps et à l’autre [9].

Après des décennies de libéralisation pornographique, la pauvreté des recherches dans le domaine déconcerte. Qu’un phénomène aussi important concernant la représentation des hommes et des femmes (et des enfants) ainsi que leurs rapports réciproques n’intéresse pratiquement pas les chercheurs, qu’il n’intéresse pas non plus les gouvernements et ses organismes de subvention, laisse pantois. Alors que nul n’ignore la puissance des images dans notre société, peu de gens semblent s’en soucier lorsqu’il est question des industries du sexe.

Comme dans la prostitution, au cœur de nombreux écrits, revient comme un leitmotiv la question du consentement. « Affirmer que la pornographie est une forme de littérature haineuse explique mal pourquoi des milliers de femmes semblent disposées à la propager », soutient Bernard Arcand [10]. La notion du consentement est décisive pour ces auteurs dans l’acceptation de la pornographie. L’examen des parcours de vie n’est plus nécessaire pour comprendre le recrutement ; la notion du consentement permet l’économie de telles recherches. Elle permet également de ne pas tenir compte de la pornographie qui exploite les enfants, lesquels constituent un vivier de recrutement pour la pornographie dite adulte. Pourtant, et c’est bien connu, des stars de la pornographie comme Traci Lords et Jenna Jameson ont été recrutées par l’industrie à un âge mineur (respectivement à 15 et à 16 ans).

Ces auteurs s’intéressent surtout à la question de la censure ou, plutôt, font la promotion de la non-censure, tout en n’enquêtant pas sur les possibles torts faits à autrui ou à soi-même, bien que cela reste fondamental dans la condamnation de la pornographie infantile, mais la notion du consentement y est inopérante. En quelque sorte, favoriser la non-censure de la pornographie « censure » la recherche. Il n’est plus nécessaire d’analyser la pornographie, sa production et sa consommation, seule la liberté d’expression compte. En relevant ainsi de la liberté d’expression, la pornographie est réduite, suivant Catharine MacKinnon [11], à des mots et à des idées, ce qui par conséquent ne causerait aucun préjudice. Certains pornophiles iront même jusqu’à prétendre que la « consommation de X par des enfants » n’est pas si grave que cela puisque les produits disponibles sont « peu susceptibles de heurter ceux des jeunes qui s’y intéressent [12] ». D’autres, plus cyniques, ajouteront : « On peut exclure le danger physique personnel pour le consommateur de pornographie. Aucun jeune, je suppose, ne s’est retrouvé aux urgences médicales après avoir vu un film ou lu un livre pornographique (à moins d’avoir essayé de l’avaler !) [13] ». En même temps, pour ces pornophiles, même si la pornographie a envahi la sphère publique et s’impose à ceux qui ne veulent pas en consommer, elle n’en relève pas moins strictement du privé. En conséquence, les gouvernements ne devraient pas s’en mêler − ils limiteraient ainsi la liberté d’expression et toute atteinte à la pornographie serait lourde de conséquences sur l’ensemble des libertés publiques et individuelles [14] −, si ce n’est pour la financer à même les fonds publics, comme le réclame Frédéric Joignot [15], pour prétendument améliorer ses conditions de production et la qualité de ses produits.

Sur la pornographie, les discours − les mots − ont pris largement le dessus sur la recherche. Les enquêtes empiriques sont donc rares, les analyses scientifiques sur ses effets, tant au niveau de la production que de la consommation, sont exceptionnelles aujourd’hui. L’air du temps est à la pornographie, à sa défense [16], si ce n’est à sa promotion, ce qui est le cas d’une bonne partie des magazines féminins [17].

Pourtant, dans le monde réel, la pornographie est devenue le principal moyen d’éducation sexuelle pour les jeunes. De nombreux jeunes hommes croient qu’elle leur permet de découvrir ce que désire véritablement une jeune femme lors d’un rapport sexuel. Les jeunes consommateurs y découvrent les corps et y apprennent des techniques et des positions, tout en étant imprégnés d’une vision particulière de la sexualité humaine. La pornographie se focalise sur le plaisir masculin − qui est à la fois l’apogée et le but du spectacle, car après l’éjaculation tout est terminé −, et l’humiliation des femmes, laquelle se trouve renforcée par une hiérarchisation particulièrement raciste. Les codes et les stéréotypes pornographiques ont colonisé non seulement les fantasmes et les désirs, mais aussi les comportements, ce qu’a révélé notre enquête auprès des jeunes consommateurs.

D’autre part, on constate à l’échelle internationale un rajeunissement des personnes exploitées par les industries du sexe (l’âge moyen du recrutement dans la prostitution au Canada tourne autour de 14 ans). On constate également un rajeunissement des auteurs d’agressions sexuelles [18]. Ce rajeunissement est vraisemblablement lié à la consommation de pornographie qui est de plus en plus précoce (en moyenne à l’âge de 12 ans pour les garçons et de 13 ans pour les filles) [19].

Enfin, selon différentes enquêtes nord-américaines : −1°) de 10 à 15 % des hommes abuseraient sexuellement d’un enfant s’ils étaient sûrs d’échapper aux rigueurs de la justice ; −2°) l’attirance sexuelle d’adultes de sexe masculin pour les adolescentes âgées de 13 ou 14 ans est très répandue ; −3°) de 21 à 25 % des étudiants universitaires ont admis une telle attirance ; −4°) les préadolescentes stimulent sexuellement des « mâles normaux » c’est-à-dire « non pédophiles » selon les critères médicaux ; −5°) selon le ministère québécois de la Sécurité publique, les femmes constituaient, en 2006, la grande majorité des victimes d’agressions sexuelles (83 %) ; −6°) 67 % des victimes étaient d’âge mineur au moment du crime. En outre, 20 % des jeunes filles de 14 à 16 ans ont déclaré avoir consenti à des relations sexuelles qu’elles ne désiraient pas.

Comment comprendre cette régression significative − cette oppression accentuée − dans une ère marquée par des gains importants quant à l’égalité juridique des femmes ?


Libération sexuelle et liberté des femmes

En 1974, Diana Russell nous avertissait dans The Politics of Rape [Les politiques du viol] que « si la libération sexuelle ne s’accompagne pas d’une libération des rôles sexuels traditionnels, il peut s’ensuivre une oppression des femmes encore plus grande qu’auparavant [20] ». Cette prophétie semble réalisée. Les phénomènes d’hypersexualisation et de pornographisation montrent que, dans les domaines de la sexualité et des corps du genre féminin, cette oppression s’est accentuée. À cela s’ajoute l’expansion considérable des industries du sexe à l’échelle mondiale. Des dizaines de millions de femmes et de fillettes sont prostituées au profit d’une clientèle masculine en croissance, que celle-ci soit locale ou étrangère (tourisme sexuel). La traite à des fins de prostitution et de pornographie affecte des millions de femmes et de fillettes chaque année. La pornographie exploite à foison des jeunes femmes, des adolescentes, des enfants, et influence profondément la culture et la société.

Les années 70 ont remis en cause les rôles traditionnels et ont permis aux femmes de se libérer du contrôle infantilisant imposé par la société masculine sur leur vie − rappelons qu’elles étaient des mineures devant la loi, le mari devant tout endosser − et sur leur corps, notamment avec le droit à l’avortement. Le mouvement féministe a transformé radicalement la conception du viol, lequel était légal lorsque perpétré par le mari sur son épouse, et a imposé la notion de consentement. Le viol est désormais un viol nonobstant si la victime est vêtue de façon « provocante », n’est plus vierge ou pour tout autre raison invoquée pour dédouaner l’agresseur. La compréhension traditionnelle des magistrats pour les violeurs au détriment des victimes a été remise en cause. Les femmes n’étaient plus responsables des désirs masculins et de leur « impulsivité » virile « incontrôlable ». Enfin, la dissociation de la sexualité et de la reproduction a permis de lever ce poids qui a toujours pesé lourdement sur les femmes : la hantise de la grossesse non désirée.

Les années 80 ont vu apparaître un nouveau discours libéral qui a remplacé peu à peu la liberté sexuelle par le devoir de la performance, tout en mettant en place le diktat de la jeunesse, de la sveltesse anorexique et de la féminité exacerbée. La mode unisexe cédait la place à une sexualisation figée des attributs. La libération sexuelle était de moins en moins un élément de la libération des femmes. La domination masculine se renouvelait en s’avançant « masquée, sous le drapeau de la liberté sexuelle [21] ».

Les années 90 ont fait du corps des femmes un temple du marché, l’objet de transactions et un support commercial. Leur autonomie plus grande, une conquête essentielle du mouvement féministe, a été transformée au fil du triomphe des relations marchandes et du néolibéralisme en une soumission accentuée aux plaisirs sexuels masculins. C’est l’ère des légalisations du proxénétisme et de la prostitution des jeunes femmes en bordels et dans des zones dites de tolérance dans les pays capitalistes dominants (Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Australie, Nouvelle-Zélande). C’est également l’époque de l’explosion de la production et de la consommation pornographiques. L’injonction « libératrice » est désormais individualisée et non plus collective. Elle a réintroduit par la porte arrière ce qui avait été chassé devant, l’obligation d’un lourd entretien féminin sexualisé des corps, lequel est devenu très onéreux : diététique, cosmétique, exhibition vestimentaire, symbolisée entre autres par le string et le jean taille basse, centre de conditionnement physique, etc. Les ventes de lingerie féminine progressent de 10 % par an depuis les années 80. L’essor de la chirurgie plastique est phénoménal. « Le nombre d’interventions réalisées mondialement a grimpé vertigineusement [22] ». La juvénilité obligée du corps féminin l’infantilise : nymphoplastie (opération pour réduire les petites lèvres du vagin), resserrement des parois vaginales, épilation totale des poils pubiens, etc.

Les nouvelles prescriptions sont corporelles. Le corps féminin transformé et mutilé est plus que jamais une surface d’inscription de l’idéologie dominante, à la fois bourgeoise et sexiste. Le corps est désormais traité comme une propriété individuelle, dont chacun est responsable. Ses métamorphoses aggravées sont paradigmatiques de la beauté et de la séduction. Le contrôle individuel sur le corps suggère un contrôle sur la vie, laquelle sera par conséquent épanouie. Plus le corps est moulé et exhibé, plus il est artificiellement construit et dépouillé de sa naturalité, plus il est. Enjeu commercial, la beauté féminine juvénile est désormais de l’ordre de la compulsion. Elle doit, en outre, impérativement se dévoiler pour exister : ce corps dénudé fait partie des représentations quotidiennes et sature l’espace public.


Domination et pornographie

Dans la nouvelle mouture du capitalisme, le contrôle de soi est la condition à la vente de soi, laquelle est elle-même une condition de la réussite sociale. À l’ère du néolibéralisme, la « revendication de ne pas être une chose, un instrument, manipulable et marchandisable, serait passéiste et non une condition de dignité du sujet », assène Véronique Guienne [23]. L’apparence est décisive dans le travail sur soi pour sa propre mise en valeur. Du coup, le nouvel esprit du capitalisme fait reculer les frontières de ce qui est commercialisable, légitimant de plus en plus la vente et la location du corps et du sexe des personnes, c’est-à-dire la marchandisation des femmes et des enfants, avant tout des fillettes.

Les régressions sont à la fois symboliques − retour à la femme-objet [24] − et tangibles : exploitation sans précédent des corps féminins par les industries du sexe, reculs sur le droit à l’avortement, pauvretés et inégalités accrues à l’échelle mondiale, etc.

Les nouvelles prescriptions sont également sexuelles. Performatives, elles s’inspirent de la pornographie et de ses codes, devenus le nouveau manuel de la libération sexuelle. L’injonction de jouir, une preuve de la réussite sexuelle, est désormais une condition de la santé et de l’équilibre mental. L’eldorado orgasmique serait à la portée de toutes, il n’en reste pas moins que les jeunes femmes consultent majoritairement pour leur « frigidité » réelle ou supposée et des douleurs lors des rapports sexuels. « Les plaintes les plus fréquentes en matière de sexualité viennent des adolescentes et des femmes de moins de trente ans, constate la gynécologue Anne de Kervasdoué [25]. Plus de 50 % trouvent les rapports douloureux. » En outre, est constatée chez les filles une multiplication de pathologies où le corps dit non à la place de la tête : mycoses à répétition, inflammations, etc.

Cette biopolitique du corps impose un contrôle intériorisé contraignant pour tous, mais avant tout pour les femmes qui sont ses cibles charnelles privilégiées. « Plutôt qu’à une disparition des contraintes, on assiste à une intériorisation des maîtrises et des surveillances », explique Philippe Perrot, qui poursuit « par étapes successives, accompagnant la montée de l’individualisme, les normes cessent de s’imposer brutalement pour s’exercer insidieusement, en souplesse, par la voie d’un chantage déguisé en sollicitude, en invite à l’épanouissement et au bien-être [26]. » L’intériorisation des contraintes sociales ne se limite pas aux seules questions relatives à la plastique du corps et aux normes vestimentaires, elle est de plus en plus reliée aux codes pornographiques. Par sa focalisation sur les organes, la déréalisation pornographique mettant en scène des corps jeunes et très jeunes, à la libido exacerbée mais toujours fabuleuse, influence les attitudes et les comportements.

L’invasion des représentations sexuelles pornographiques débouche sur un nouveau conformisme. « L’industrialisation de l’image sexuelle […], de la pornographie à la publicité, reconduit les normes de genre les plus réactionnaires (andocentrisme et hétérosexisme) et le vieux contrôle des corps, surtout des corps féminins », conclut François Cusset [27]. Cette représentation de la femme hypersexuelle, grande masturbatrice, dont le lesbianisme n’est fonction que de l’hétérosexualité masculine, cette séductrice invétérée, à la fois salope, délurée et putain, chienne et pompe à foutre, trous à remplir par des organes, des mains, des pieds et toutes sortes d’objets, à la fois insatiable et masochiste, est une preuve que cet être de chair, et essentiellement de chair, ne vivrait que par le sexe et pour le sexe.

Pour être belle, une femme doit être jeune et le rester [28]. À partir des années 80, la jeunesse n’est plus associée à la révolte et aux idées nouvelles bouleversant les cadres archaïques et rigides. L’audace juvénile se limite à un idéal corporel uniformisant, impérieux et commercial. « Sois audacieuse » serinent aux adolescentes les magazines qui s’empressent de compléter leur injonction par un « consomme » tel ou tel produit, par un « sois sexy », une garantie de bien-être, et par un « ose tout » décliné pornographiquement. Alors, l’audace paiera et, en retour, l’adolescente pourra atteindre sa plénitude sexuelle et, par conséquent, personnelle.

Pour les femmes d’âge adulte, le « c’est décidé, je me fais du bien » (Cosmopolitan, septembre 2005), signifie le plus souvent « ayez un lifting du visage, des injections de botox, une liposuccion, adoptez des diètes miraculeuses, surtout avant l’été, apposez des crèmes antirides, raffermissantes et anticellulites, faites quotidiennement des exercices physiques, etc. Libérez-vous ! Restez jeunes dans votre corps et dans votre tête ! Consommez, consommez, consommez ! Soyez de votre temps ! Inspirez-vous dans les sex-shops, visionnez de la pornographie, apprenez à faire un strip-tease afin d’attiser le désir déclinant de votre homme, pour lequel vous êtes responsable. » Bref, restez jeunes, vous serez jolies et, par conséquent, intéressantes… au regard d’autrui.

« Le jeunisme est un ressort idéologique majeur des années 1980 [29]. » On le voit en œuvre partout. La norme dans la pornographie, la publicité et la mode (notamment avec son utilisation de mannequins très jeunes) est largement « adocentriste ». Mais si les jeunes, particulièrement les jeunes femmes et les adolescentes, sont parmi les principales cibles des vendeurs de biens de consommation, ils sont également des biens de plus en plus consommables. Par ailleurs, on constate une sexualisation précoce des filles imprégnées de références sexuelles adultes. Les garçons, s’ils n’adoptent pas le style vestimentaire pimp, s’attendent à ce que les filles reproduisent les actes et les attitudes consommés dans la pornographie, ainsi que les pratiques corporelles qui lui sont liées comme l’épilation totale du pubis. Les contraintes ont changé de nature. La nouvelle morale sexuelle, tout aussi normative que l’ancienne, impose un nouvel ordre sexuel tyrannique, lequel se traduit dans des normes corporelles et des rapports sexuels focalisés sur la génitalité et le plaisir masculin. Le nouveau conformisme est tonitruant tout en rendant docile. Il est sexiste, infantilisant et pornographique. Le discours permissif sans précédent dans l’histoire qui caractérise les sociétés occidentales [30] s’accompagne d’une violence accrue. Dans la pornographie contemporaine, cela s’exprime, entre autres, par une humiliation accentuée des femmes et une brutalité davantage tangible et normalisée.


L’influence sociale pornographique

La pornographie emblématise les corps féminins comme des objets-fantasmes mis au service sexuel fantasmagorique des hommes et exploités réellement par les industries du sexe. Elle féminise les enfants, leur conférant une maturité sexuelle d’adultes, tout en infantilisant les femmes. Le couple de la jeune femme sensuelle et de la nymphette lui est indissociablement lié, sinon constitutif.

Ce que nous avons nommé « la pédophilisation » dans notre livre Pornographie et hypersexualisation rend compte à la fois du jeunisme comme ressort idéologique qui s’est imposé à partir des années 80, du processus de rajeunissement du recrutement par les industries du sexe, de sa mise en scène par la pornographie et de l’« adocentrisme » de ces représentations. Il rend également compte des techniques d’infantilisation employées par l’industrie. Cependant, le rajeunissement constaté n’est pas que la conséquence des modalités actuelles de la production des industries du sexe, il joue également dans la consommation. Désormais, on consomme très jeune. Comme le révèle notre enquête, plus les jeunes consomment tôt, plus ils sont influencés dans leur sexualité et dans leur rapport au corps; plus leurs désirs, leurs fantasmes et leurs pratiques s’inspirent des codes pornographiques. Plus ils consomment jeunes, plus les corps sont modifiés, tatoués, percés et épilés. Plus ils consomment jeunes, plus ils demandent à leur partenaire de consommer et de reproduire les actes sexuels qu’ils ont vus. Plus ils consomment jeunes, plus ils consomment avec régularité et fréquence. Plus ils consomment jeunes, plus ils sont anxieux quant à leur corps et à leurs capacités physiques. Il ressort également que la consommation par les jeunes filles affecte leur estime de soi. Par ailleurs, plus l’estime de soi est faible, plus les jeunes filles sont précocement actives sexuellement. L’enquête de Statistique Canada sur la santé montrait que « les filles dont l’image de soi était faible à l’âge de douze ou treize ans étaient plus susceptibles que celles qui avaient une forte image se soi de déclarer, dès l’âge de quatorze ou quinze ans, avoir déjà eu des relations sexuelles [31] ». Alors que 10,9 % des filles qui affichent une bonne estime de soi déclarent avoir eu des relations sexuelles avant quinze ans, la proportion est presque deux fois plus importante (19,4 %) chez celles qui affichent une piètre estime de soi [32]. Plus elles sont actives précocement, plus elles sont perçues comme des « salopes », ce qui n’est certes pas le cas des garçons.

Bref, plus la consommation est jeune, plus elle a de conséquences tangibles et durables.

Notons également que ce sont les jeunes Québécois de 15 à 24 ans qui sont le plus touchés par une infection sexuelle transmissible. Pour la chlamydisose, 72 % des cas féminins déclarés et 49 % des cas masculins se trouvent dans ce groupe d’âge [33]. En ce qui concerne l’infection gonococcique, les données les plus récentes indiquent que de 2004 à 2006, le nombre de cas déclarés a augmenté de 68 %. Cette hausse est 3,5 fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. En fait, ce sont les adolescentes âgées de 15 à 19 ans qui ont vu leur taux grimper en flèche avec un accroissement de 250 % [34].


Les femmes à l’épreuve de la beauté

Les impératifs actuels de la beauté féminine requièrent le (dé)coupage de la peau, les injections, le réarrangement ou l’amputation de parties du corps, l’introduction de corps étrangers sous et sur la peau, etc. [35] Les femmes et les adolescentes souffrent pour devenir belles. Au quotidien, elles font subir à leur corps un nombre important de stress. Elles utilisent des produits de beauté − savon, shampoing, revitalisant, fixatif, gel, crème, maquillage, déodorant et parfum − qui contiennent des agents nocifs pour la santé [36] sans compter qu’elles portent des souliers à talon haut, lesquels engendrent des dommages parfois irréversibles au dos, au talon d’Achille, aux muscles des mollets, à la forme du pied et des orteils et qui produisent à la longue des varices qui exigeront plus tard une chirurgie réparatrice. Les colorants pour les cheveux sont parmi les produits les plus nocifs pour la santé. Les régimes alimentaires auto-administrés représentent 7 % environ des causes de retard de croissance et de puberté anormale [37].

L’impératif de la beauté est tellement contraignant que de plus en plus de femmes et d’adolescentes soumettent leur corps à la chirurgie plastique. Dans le cas de l’augmentation du volume mammaire, on repère un certain nombre d’effets, dont les infections liées à l’opération, des cancers plus fréquents, de la nécrose, de l’extrusion, de l’adénopathie, de la fibromyosite, des problèmes neurologiques, de la contracture capsulaire, etc. [38], sans compter la douleur lors de l’intervention, laquelle peut persister. Comme les implants mammaires ne durent pas toute la vie − beaucoup se rompent au cours des trois premières années −, ils devront un jour être remplacés. Lors du remplacement, le risque de futures complications pour la santé augmentent par rapport à la première intervention. À la suite de l’implantation, les seins subissent de nombreux changements qui sont irréversibles, ce qui empêche souvent la patiente de revenir à l’état naturel. Enfin, les implants mammaires rendent les mammographies de dépistage du cancer du sein plus difficiles.

Les impératifs normatifs de la beauté, qui se sont massifiés et qui pèsent lourdement sur les femmes et les filles, exigent un travail sans cesse recommencé. Un temps important lui est consacré. Et parce que la femme est sexe, ses appâts désormais dilatés remplissent l’espace et forcent le regard. L’absolu de la minceur et du ventre plat − garder la ligne à tout prix − fait plonger certaines adolescentes dans l’anorexie boulimie. À cela s’ajoutent le sein haut et la grande bouche pulpeuse. Les cheveux sont longs, les poils ne sont plus. Des marchés fantastiques s’organisent autour de la « beauté » féminine. Pour rester dans la course à la beauté, « les adolescentes doivent développer une “écoute inquiète” de leur corps [39] ». Celles qui ne s’y conforment pas sont out et indignes. Elles n’ont aucun maîtrise sur elles-mêmes, ne savent pas se mettre en valeur et se vendre, sont donc peu performantes. « Sauver son corps de la disgrâce, le soustraire à la pénalisation sociale qu’elle entraîne, est devenu un nouveau tourment [40]. »

La prime à la beauté ouvre les portes, mais rendu à un certain niveau, pour les femmes, elles se referment. Parce que belles, elles sont soupçonnées d’avoir progressé grâce à leur beauté, laquelle est également le signe d’une acuité intellectuelle déficiente, d’où leur difficulté à progresser au-delà du « plafond de verre [41] ».

Les femmes, les filles et même les fillettes maintenant sont poussées à l’exhibition, leur corps étant leur atout et leur destin. Ce devoir de paraître, qui exige beauté et jeunesse, est déguisé au droit au bien-être. Le corps doit être lisse, désirable, désirant et performant. Il est en même temps morcelé, ses parties sont offertes chacune leur tour, ce qui est particulièrement évident dans la publicité et davantage dans la pornographie. La partie est préférée au tout et l’érotisme masculin contemporain se caractérise par un « fétichisme polymorphe », du sein en passant par les fesses jusqu’au pied. Par ailleurs, « la loupe portée sur tous les détails conduit d’abord à écarter les corps réels du corps idéal, les corps vécus du corps rêvé [42] » Le corps féminin réel, malgré tous les efforts qui lui sont consacrés, déçoit fatalement, particulièrement les hommes qui ont commencé à consommer très jeunes.

Certains préfèreront alors les real dolls aux vraies femmes. Quelques clics de souris permettent aux clients de construire un ersatz de la femme idéale. La poupée-réalité a le sexe aussi étroit que celui d’une adolescente. Elle est belle, jeune, silencieuse, passive, toujours consentante à son esclavage sexuel. Elle est parfaite ! Cette poupée, qui est un support masturbatoire pénétrable, est pour Élisabeth Alexandre, un symbole de la détestation des femmes [43], des vraies femmes en chair et en os. L’une des raisons invoquées par les hommes qui ont acquis de telles poupées (ou des femmes par catalogues des agences internationales de mariage et de rencontre) renvoie à leurs problèmes avec l’autonomie des femmes occidentales, laquelle semble faire obstacle à la relation « amoureuse véritable ». L’expression américaine « real doll » affublée à une jeune femme ou à une adolescente désigne une fille particulièrement mignonne et facile à vivre. Elle ne revendique pas, reste passive, ne vit que pour plaire… C’est ce qui la rend si attrayante.

Que des hommes soient capables de bander pour des objets synthétiques, totalement dociles, et jouir en dit sans doute long sur eux en particulier et sur la société masculine dans son ensemble. Puisque encore plus d’hommes sont capables de bander sur des corps de femmes, de filles et d’enfants par écrans interposés et jouir… comment arriver à comprendre cette pratique sociale qui s’élargit de jour en jour ? Cela ne renvoie-t-il pas à des fantasmes d’esclavage sexuel, à des désirs impérieux de domination? Cela ne suggère-t-il pas que ce qui est mis en œuvre relève, au fond, de la question du pouvoir?


Pouvoir

Les représentations des corps et les valeurs qu’elles induisent reproduisent à leur échelle les pouvoirs de la structure sociale. L’assise de la domination « passe par la maîtrise des usages du corps et l’imposition de ses normes [44] ». Ces normes sont fortement corrélées historiquement à l’ascension de la bourgeoisie puis à sa victoire [45]. La domination masculine impose non seulement une division sexiste du travail et une essentialisation des rôles − à l’homme la raison et la sphère publique, à la femme la procréation, les émotions, le travail des apparences et la sphère privée −, mais également une maîtrise du corps féminin, laquelle est intériorisée par les principales concernées, les dominées [46]. Elle s’exprime, entre autres, par le vêtement, du corset magnifiant la féminité et étouffant le corps, qui est par ailleurs en plein retour, au string, à la lingerie et aux talons aiguille, en passant par les matériaux qui sont spécifiques aux vêtements féminins et qui réduisent la femme « à être une vitrine ostentatoire de la réussite sociale du mari [47] ». Si la domination masculine vêt les femmes − du voile à la haute couture −, elle les dévêt également dans la publicité, la pornographie et ailleurs. Pour Pierre Bourdieu, les femmes sont « sans cesse sous le regard des autres, elles sont condamnées à éprouver constamment l’écart entre le corps réel, auquel elles sont enchaînées, et le corps idéal dont elles travaillent sans relâche à se rapprocher [48] ». Ce sont les regards des hommes qui décident des corps des femmes [49]. Pourtant, les publicitaires, les magazines et les pornocrates prétendent inlassablement promouvoir la « libération » des femmes. Elles sont libérées de quoi exactement ? On ne le sait pas trop ? Cette prétendue libération n’en entraîne pas moins une forme exacerbée du souci de l’apparence, un travail constant sur celle-ci et une perpétuelle surveillance de soi ? Ce qui dans la pornographie atteint des sommets caricaturaux, puisque la féminité y est paroxystique. Elle implique de multiples transformations corporelles, du tatouage et du piercing obligés à la chirurgie plastique, des diètes répétées à l’usage des drogues (qui permettent par ailleurs de moins manger). Rester jeune s’avère là aussi un impératif catégorique, mais les corps sous stress constant vieillissent très rapidement, d’où une rotation exceptionnellement élevée des hardeuses dans l’industrie et, pour la très grande majorité, une espérance de vie dans le « métier » des plus courtes. Malgré cela, leurs prestations seront pérennes, car mises sur le Web et repiquées sur DVD, conséquemment, elles subiront une stigmatisation sociale pendant longtemps après leur passage dans la pornographie.

Les corps sont des enjeux de pouvoirs tout en étant leur symbolisation. L’époque actuelle inscrit systématiquement et massivement dans les corps les disparités sociales entre les sexes et les générations. Ces corps sont une expression de la domination sociale masculine et marchande, laquelle est hétérosexiste et, de plus en plus, adosexiste. Dans ce cadre, la liberté sexuelle libérale « permet aux plus forts, plus riches, plus cyniques de cautionner leurs désirs criminels au détriment des plus faibles ou des plus pauvres [50] ». L’argent-roi donne accès aux femmes et aux filles partout à travers le monde ainsi que sur tous les supports médiatiques tout en légitimant leur exploitation sexuelle.

Cette domination trouve une forme d’expression ultime dans les productions pornographiques qui pèsent considérablement sur les représentations collectives dominantes qu’elles « pédophilisent ». Dans son témoignage, Raffaëla Anderson raconte : « Elle termine enfin de me maquiller. Quand je vois ce que ça donne, je suis déçue. Je ressemble à une gamine de douze ans [51] ». La symbolique est forte. Faire croire que la hardeuse est âgée de 12 ans est l’une des techniques de représentation de l’inceste ou de l’abus sexuel d’une mineure, « ce qui donne à penser au spectateur que la pratique manifestée n’est pas si terrible, si anormale, puisqu’elle a pu être produite, réalisée, vendue, diffusée [52] ». L’infantilisation pornographique rejoint une autre tendance sociale normalisée : le choix par de nombreux hommes de partenaires beaucoup plus jeunes qu’eux, ou plus fragiles, que ce soit au moyen d’agences internationales de mariage et de rencontre ou non. Les hommes de pouvoir et d’argent ont souvent à leurs bras des jeunettes. Cela leur permet, entre autres, d’exhiber leur supériorité [53].

Plaisir sexuel et pouvoir, pouvoir sexuel et plaisir se conjuguent : ils excitent et incitent [54]. Dans la pornographie, le pouvoir s’exprime sans retenue. Quand la fille sexy et libérée archétypale est représentée à quatre pattes, la langue sortie, les lèvres humides, avec des seins défiant la gravité terrestre, au corps tatoué et percé aux endroits les plus sexuels, lisse et sans poils, en attente du mâle viril qui la prendra et la pistonnera avec des han de labeur, peut-on être surpris que des préadolescents et des adolescents instrumentalisent sexuellement les jeunes filles ? Qu’ils les laissent choir si elles refusent l’anale ou si elles n’y trouvent aucun plaisir ? Qu’ils croient que tout leur est dû et qu’elles sont à leur service sexuel ?

Le préadolescent et l’adolescent d’aujourd’hui sont gavés de pornographie. Ils sont accoutumés à une vision sexiste des rôles sexuels avant même d’atteindre une maturité sexuelle. Leur imaginaire sexuel est nourri par les produits de cette industrie et puisque le sentiment et la tendresse sont tabous dans la pornographie, puisque le sexe mécanique est valorisé, l’objectivation et l’instrumentalisation des femmes et des filles s’en trouvent socialement renforcées. Ils voient dans les filles de leur âge des objets sexuels potentiels. Les garçons affichent des conduites de contrôle sexuel, assure le psychothérapeute James Wright. Ces attitudes et les comportements qui en découlent commencent très tôt, habituellement à la fin de l’école primaire et sont étroitement imbriqués à leur perception de la masculinité [55], laquelle est déterminée par l’environnement social au sein duquel la pornographie joue certainement un rôle. Une enquête auprès de 3 000 élèves de huit écoles secondaires de Montréal, Kingston et Toronto, au Canada, a révélé que « trois élèves sur quatre » se font harceler sexuellement par leurs pairs [56] » ; 98,7 % des jeunes femmes d’un échantillon de 315 étudiantes universitaires ont été la cible de harcèlement sexuel avant l’âge de 18 ans [57]. Dans une société où la sexualité, surtout celle des jeunes femmes, est un bien de consommation qui sert à vendre des marchandises et à exciter sexuellement les hommes, il n’apparaît pas étonnant que l’on constate des taux élevés de harcèlement et d’agressions sexuels et que la cible des agressions soit particulièrement des adolescentes.

Dans la pornographie, « la femme crie et jouit de la jouissance de l’homme [58] ». L’adéquation est parfaite entre l’homme qui veut et la femme qui accepte d’être à son service sexuel. « La femme doit apprendre à aimer son corps, afin de pouvoir donner du plaisir [59]. » Mettre en valeur son corps pour faire plaisir s’apprend tôt et, aujourd’hui, le corps des fillettes se forme en se conformant aux modèles dominants largement influencés par la pornographie.


Pour citer cet article

Richard Poulin, « Pornographie, rapports sociaux de sexe et pédophilisation », www.lrdb.fr, mis en ligne en février 2009.

<articles.php?lng=fr&pg=1133>



[1] Notice sur lrdb.fr. Voir.

[2] Sur ce sujet on pourra lire son petit livre, Abolir la prostitution, Montréal, Éditions Sisyphe, 2006. Il est « abolitionniste » et condamne les « pro », notamment parmi les féministes. À compléter par son dernier livre, Prostitution et traite des êtres humains. Enjeux nationaux et internationaux, (coll., codir. avec Mélanie Claude et Nicole LaViolette), Éditions de L’Interligne, 2009.

[3] Concernant plus spécifiquement la pornographie, même si les deux questions sont liées (elles constituent, avec la traite des femmes, les industries du sexe), on pourra compléter par la lecture de son ouvrage récent : Enfances dévastées. Tome 2, Pornographie et hypersexualisation, Éditions de L’Interligne, 2008.

[4] Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes, Infractions sexuelles à l’égard des enfants, Ottawa, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 2 volumes, 1984.

[5] Philippe Di Folco (dir.), Dictionnaire de la pornographie, Paris, PUF, 2005.

[6] Mélanie-Angela Neuilly et Kristen Zgoba, « La panique pédophile aux États-Unis et en France », Champ pénal, 14 septembre 2005. Voir.

[7] Julia O’Connell Davidson, Children in the Global Sex Trade, Cambridge, Polity Press, 2007.

[8] Richard Poulin et Cécile Coderre, La Violence pornographique, la virilité démasquée, Hull, Canada, Éditions Asticou, 1986.

[9] Les résultats de notre enquête sur les jeunes consommateurs ont été publiés dans Pornographie et hypersexualisation. Enfances dévastées, tome 2, Ottawa, L’Interligne, 2008 (avec la coll. de Mélanie Claude).

[10] Bernard Arcand, Le jaguar et le tamanoir, vers le degré zéro de la pornographie, Montréal, Boréal, 1991.

[11] Catharine A. MacKinnon, Ce ne sont que des mots, Paris, Des femmes Antoinette Fouque, 2007.

[12] Claude-Jean Bertrand et Annie Baron-Carvais, Introduction à la pornographie. Panorama critique, La Musardine, 2001, p 192.

[13] Ruwen Ogien, Penser la pornographie, Paris, PUF, 2003, p. 133.

[14] Voir, entre autres, Ruwen Ogien, « L’incohérence des critiques des morales du consentement », Cahiers de recherche sociologique, n° 43, janvier 2007, p. 133-140.

[15] Frédéric Joignot, Gang Bang, Paris, Seuil, 2007.

[16] Deux exemples récents parmi d’autres : Ruwen Ogien, op. cit., et Debbie Nathan, Pornography, Toronto / Berkely, Groundwood Books & House of Anansi Press, 2007.

[17] Voir à ce sujet Richard Poulin, « Apparence, hypersexualisation et pornographie », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 1, 2009, 227-246.

[18] Au Québec, 20% des viols sont le fait d’adolescents et 20% des agressions sexuelles rapportées à la Protection de la jeunesse sont commises par des jeunes de moins de 19 ans.

[19] Du point de vue de la recherche sociale, la question n'est pas de savoir si la pornographie est une cause directe du viol — ce qui est une approche monocausale simpliste et antiscientifique —, mais plutôt de comprendre le rôle complexe qu’elle joue en tant que média de masse dans le maintien si ce n’est dans la promotion d'une culture banalisant l’agression sexuelle. Aux États-Unis, chaque minute, une femme est violée. On estime à 700 000 le nombre de viols par année. Selon le FBI (Federal Bureau of Investigation), une Américaine sur quatre est agressée sexuellement ou violée avant l’âge de vingt ans. D’après Statistique Canada, une Canadienne sur quatre sera agressée sexuellement au cours de sa vie, la moitié de ces agressions sera perpétrée contre des filles de moins de seize ans. À l’échelle mondiale, une femme sur cinq est victime d’un viol ou d’une tentative de viol. Cette culture du viol et de la violence sexuelle rencontre un large écho dans la pornographie tout en y étant promue.

[20] Diana H. Russel, The Politics of Rape. The Victim’s Perspective, New York, Stein & Day, 1974.

[21] Anne-Marie Sohn, « Le corps sexué », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, tome 3, Paris, Seuil, 2006, p. 93-128.

[22] Angelika Taschen (dir.), La chirurgie esthétique, Köln, Taschen, 2005, p. 10.

[23] Véronique Guienne, « Savoir, se vendre : qualité sociale et disqualification sociale », Cahiers de recherche sociologique, n° 43, janvier 2007, p. 13.

[24] Christine Détrez et Anne Simon, À leur corps défendant. Les femmes à l’épreuve du nouvel ordre moral, Paris, Seuil, 2006, p. 12.

[25] Dans Blandine Kriegel, La violence à la télévision, Paris, PUF, 2003.

[26] Philippe Perrot, Le travail des apparences. Le corps féminin, XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Seuil, 1984, p. 206-207.

[27] François Cusset, La décennie. Le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2008, p. 274.

[28] Jean-Claude Kaufmann, Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, Paris, Nathan, 1998. Il y montre la force de l’ostracisme encouru par les personnes âgées dans le lieu de liberté apparente et de la tolérance affichée, la plage.

[29] François Cusset, op. cit., p. 280.

[30] Jean-Claude Guillebaud, La tyrannie du plaisir, Paris, Seuil, 1999, p. 36-37.

[31] Statistique Canada, Les relations sexuelles précoces, 3 mai 2005, [site consulté le 15 mai 2005]. Voir.

[32] L’enquête sociale et de santé auprès des enfants et des adolescents québécois 1999 (Institut de la statistique du Québec, op. cit.) indique que 61% des filles de seize ans qui ont fréquenté un garçon dans l’année qui a précédé le sondage et qui avaient une faible estime de soi ont subi de la violence. Chez les filles qui affirmaient avoir une estime d’elles-mêmes élevée, ce taux se situait à la moitié, soit 30%.

[33] Agence de santé publique du Canada, Supplément Rapport de surveillance canadien 2004 sur les infections transmises sexuellement, mai 2007, [site visité le 25 juin 2007],

[34] Bureau de surveillance et de vigie du ministère de la Santé et des Services sociaux, Portrait des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) au Québec année 2005 (et projections 2006), Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 2006, p. 6.

[35] Sheila Jeffreys, Beauty and Misogyny. Harmful Cultural Practice in the West, London and New York, Routledge, 2005, p. 149.

[36] Plusieurs produits, notamment des marques Cover Girl, Pantene, Secret, Dove, Revlon, Suave, Clairol, Estée Lauder et Calvin Klein contiennent du « phtalates », une toxine nocive qui a des effets à long terme sur la santé. Pour de plus amples informations sur le sujet des industries pharmaceutiques, voir Stacy Malkan, Not Just a Pretty Face. The Ugly Side of the Beauty Industry, Canada, New Society Publishers, 2007.

[37] Sandrine et Alain Perroud, La beauté à quel prix ?, Lausanne, Favre, 2006.

[38] INAMED, Information importante pour les femmes envisageant une augmentation mammaire au moyen des implants remplis de gel de silicone Style 410, 2006, [site consulté le 22 mai 2008. Voir.

[39] Caroline Moulin, Féminités adolescentes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 78.

[40] Philippe Perrot, op. cit., p. 205.

[41] Voir à ce sujet, Jean-François Amadieu, Le poids des apparences. Beauté, amour et gloire, Paris, Odile Jacob, 2005.

[42] Philippe Perrot, op. cit., p. 67.

[43] Élisabeth Alexandre, Des poupées et des hommes. Enquête sur l’amour artificiel, Paris, La Musardine, 2005.

[44] Christine Détrez, La construction sociale du corps, Paris, Seuil, 2002, p. 173.

[45] Voir entre autres Michel Foucault, Histoire de la sexualité. tome 1. La volonté de savoir, France, Éditions Gallimard, 1976 ; Georges Vigarello, Le corps redressé, Paris, Delarge, 2001 ; Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, Paris, Aubier, 1982.

[46] Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

[47] Christine Détrez, op. cit., p. 187.

[48] Pierre Bourdieu, op. cit., p. 95.

[49] Jean-Claude Kaufmann, op. cit.

[50] Dominique Folscheid, Sexe mécanique. La crise contemporaine de la sexualité, Paris, La Table Ronde, 2002, p. 14.

[51] Raffaëla Anderson, Hard, Paris, Grasset, 2001, p. 17.

[52] Pascal Le Rest, Des rives du sexe, Paris, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 56.

[53] Janine Mossuz-Lavau, La vie sexuelle en France, Paris, La Martinière, 2002, p. 49.

[54] Michel Foucault, op. cit., p. 66.

[55] James E. Wright, The Sexualization of America’s Kids and How to Stop It. New York, Lincoln, Shanghai, Writers Club Press, 2001.

[56] Citée par Pierrette Bouchard, Consentantes ? Hypersexualisation et violences sexuelles, Rimouski, CALACS de Rimouski, 2007, p. 52.

[57] Julia Whealin, « Women’s report of unwanted sexual attention during chilhood », Journal of Child Sexual Abuse, vol. 11, n° 1, 2002, p. 75-94.

[58] Matthieu Dubost, La tentation pornographique, Ellipses, Paris, 2006, p. 66.

[59] France Inter, 5 juin 2005, dans Christine Détrez et Anne Simon, op. cit., p. 245.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 11 octobre 2011 19:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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