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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ Quel avenir ? ” (1978)


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Jean-Marc Piotte, “ Quel avenir ? ”. Un article publié dans la revue Politique aujourd'hui, Paris, no 7-8, 1978, pp. 103 à 107. [Dossier: Québec: de l'indépendance au socialisme]. [Autorisation accordée le 21 juin 2003.

Texte intégral de l'article


Imaginons l'Angleterre pour éclairer la scène électorale canadienne : trois partis politiques s'y disputent les banquettes du parlement : le Parti libéral (P.L.) qui est présentement au pouvoir, le Parti conservateur (P.C.) et un parti social-démocrate appelé le Nouveau Parti démocratique (N.P.D.). Les deux premiers jouent à la chaise musicale avec le gouvernement tandis que le N.P.D. a jusqu'ici été réduit à un rôle de simple figurant, contrairement à son grand frère anglais, le Labour Party. Ajoutons enfin une particule, le Crédit Social, maintenant limité à quelques comtés ruraux de Québec, qui, conformément à son maître à penser, la major anglais Douglas, croit que la solution des problèmes économiques réside dans une plus grande impression de papier-monnaie.

Les différences entre le P.L. et le P.C. sont, comme en Angleterre, minimes, quoiqu'au Canada ce soit le Parti libéral qui défende l'interventionisme de l'État. Le Parti conservateur, pro-britannique, a toujours charrié un nationalisme canadien-anglais de mentalité colonisatrice. Le Parti libéral, plus ouvert aux influences américaines, a cherché à assurer l'hégémonie de la nation canadian (Note 1) sur le peuple québécois en intégrant « l'élite » québécoise. Le parti libéral gouverne donc avec l'appui de l'électorat québécois tandis que le Parti conservateur domine l'électorat de l'Ouest du pays tout en étant présent en Ontario et dans les Maritimers. Pierre-Elliott Trudeau, Premier Ministre du Canada, s'affiche comme le prototype du Canadian : mère canadienne-anglaise et millionnaire, père canadien-français. Pour lui, il n'existe que la nation canadian composée de différentes ethnies dont les deux principales sont l'anglaise et la française. Ce nationalisme canadian repose sur l'intégrité territoriale et sur l'ordre juridique qui la légalise : il est donc compatible avec la mainmise américaine sur l'idéologie et l'économie du Canada : les appareils idéologiques canadians véhiculent l'idéologie américaine, sinon les produite idéologiques américains, et hormis les banques et les communications dont le caractère canadian a été protégé par l'État, dans tous secteurs les capitaux américains et canadians coexistent, et ceux-ci sont souvent dominés par ceux-là. (Note 2) Face à la montée du mouvement national québécois, le Parti libéral, sous la houlette de Trudeau, cherche à convaincre la nation canadian de concéder le bilinguisme dans les institutions fédérales et des écoles françaises dans les territoires où la nation canadian est majoritaire.

Le Nouveau Parti démocratique défend un réformisme aussi discret que celui prôné par son frère anglais. Préconisant une plus forte intervention de l'État dans l'économie, quoique sans nationalisations, il soutient la centralisation des pouvoirs à Ottawa au détriment des aspirations nationales du peuple québécois : il n'a jamais pénétré le Québec. Le Congrès du Travail du Canada (C.T.C.), qui regroupe les unions canadians et américaines (la majorité des syndicats ouvriers sont sous la tutelle de l'appareil syndical américain), appuie le N.P.D. Après la dernière guerre, les communistes, qui pourtant avaient été les principaux instigateurs de l'implantation de syndicats C.I.O. (Congress of Industrial Organisations) parmi les ouvriers canadians, deviennent la cible principale des appareils syndicaux américains et canadians : la solidarité des unions canadians et américains contre les communistes se fera sous l'étendard de la social-démocratie dont la présence politique distingue le Canada des États-Unis.

Le Canada est divisé en dix provinces munies, chacune, d'un gouverne-ment jouissant d'une source autonome de fiscalité et de certaines prérogatives constitutionnelles (éducation, services sociaux, ressources naturelles, ...). Les canadiens-français sont majoritaires au Québec (80 % de la population), se maintiennent dans les territoires limitrophes au Québec (Ontario et, surtout, Nouveau-Brunswick) et sont en voie de disparition dans les autres provinces.

Depuis le 15 novembre 1976, le Parti québécois (P.Q.) gouverne la province. Il a battu aux élections le Parti Libéral du Québec (P.L.Q.), petit frère provincial du Parti libéral fédéral, l'Union nationale (U.N.), constituée à. l'origine de conservateurs québécois réformistes, et les candidats des partis plus ou moins poujadistes (Crédit social et Parti national populaire). Le Parti québécois se constitua à la fin des années 60 en regroupant sous l'hégémonie des nationalistes qui avaient quitté le Parti libéral, les indépendantistes de tendance créditiste et ceux de facture plus progressiste. Le Parti québécois préconise la souveraineté politique du Québec couplée à une association économique avec le reste du Canada (monnaie et marché communs). Le P.L.Q., lui, prône un fédéralisme qui serait renouvelé par l'octroi de pouvoirs plus étendus aux gouvernements provinciaux. L'U.N., enfin, chante un air constitutionnel qui oscille entre ces deux gammes.

D'ici la fin de son mandat, le Parti québécois tiendra un référendum sur l'avenir politique du Québec par lequel il espère obtenir la majorité des votes en faveur de sa proposition constitutionnelle. Majorité difficile à obtenir car la majorité canadien (20 % de la population) votera contre toute libération du Québec et parce que les Québécois francophones demeurent toujours divisés sur la solution politique. Aussi, pour espérer recueillir 50 % des voix plus une, le P.Q. sera sans doute amené à diluer la souveraineté au profit de l'association dans le projet constitutionnel qu'il soumettra à la population.

La victoire au référendum devient l'objectif qui justifie que le parti veuille plaire à tout un chacun : l'Union des cultivateurs et les commerçants, les syndicats et le patronat, les catholiques et les laïques,... Le programme du parti, qui était déjà immodéré (il ne prévoyait, au niveau économique, que la nationalisation des mines d'amiante), fut donc assagi : les mesures adoptées devaient heurter le moins de susceptibilités possible. Malgré le caractère timoré du programme législatif et même si, contrairement aux partis sociaux-démocrates, le P.Q. n'entretient aucun lien organique avec les centrales syndicales, il a su conserver la sympathie de la majorité des travailleurs et l'appui, un tantinet critique, des appareils syndicaux québécois.

Le Parti québécois a réussi à diviser les trois centrales syndicales : la Fédération des Travailleurs du Québec (F.T.Q.), succursale québécoise du C.T.C., qui regroupe la majorité ouvrière du Québec, collabore ouvertement avec le nouveau gouvernement tandis que la Confédération des Syndicats nationaux (C.S.N.) - l'équivalent de la C.F.D.T. - qui regroupe la majorité des employés du secteur public, et la Centrale de l'Enseignement du Québec (C.E.Q.) observent une attitude de collaboration plus prudente et nuancée. Le nombre de grèves au Québec a diminué et le gouvernement s'apprête à sou-mettre les syndiqués du secteur public à une politique salariale qu'ils avaient jusqu'ici combattue avec succès : échelle salariale conforme à celle prévalente dans le secteur privé dans la mesure où elle tient compte des bénéfices sociaux supérieurs octroyés aux salariés de l'État.

Le patronat devrait se réjouir de ces résultats obtenus en échange de bien piètres concessions de sa part, mais, ingrat, il ne cesse de critiquer le PQ. Car le patronat, dont le capital est américain ou canadien, se méfie de ce Parti trop interventionniste et refuse évidemment la souveraineté du Québec.


Les quelques capitalistes francophones d'envergure sont intégrés au capital canadian tandis que les petits industriels ou commerçants francophones craignent tout changement qui pourrait déstabiliser leur entreprise déjà bousculée par la stagflation. Le Parti québécois trouve sa base de classe ailleurs : dans la bourgeoisie québécoise reliée aux appareils d'État et au mouvement coopératif, et chez tous les intellectuels petits bourgeois dont le travail est rémunéré par l'État provincial.

La force du P.Q. est évidemment d'avoir su canaliser à son profit les aspirations plus que séculaires du peuple québécois à la libération. Je n'entrerai pas dans les problèmes complexes que soulève la définition de la nation ou celle de l'oppression nationale, mais j'aimerais signaler celle-ci par quelques indices : après les Amérindiens (Note 3), les Québécois francophones constituent le groupe ethnique dont les revenus sont les plus bas; la culture québécoise est écrasée par la culture de masse américaine même si elle est rattachée, par la langue et la littérature, à la culture française ; la nation ne possède pas les pouvoir politiques qui lui assureraient la maîtrise de son avenir.

La faiblesse du P.Q. est de ne reposer sur aucune classe sociale déterminante. Même si le P.Q. n'est pas anti-capitaliste, le capital américain et canadian préfère le statu quo, et lui est dont opposé. Et le parti québécois ne veut pas s'appuyer sur la classe ouvrière pour mener une bataille résolument anti-capitaliste. Il en est donc réduit à une valse en deux temps : solliciter la sympathie des travailleurs et demander au patronat plus de compréhension.

Mais le Parti de René Lévesque a beau promettre de ne pas toucher aux propriétés américaines et avouer que les forces militaires du futur État québécois s'intégreraient à celles de l'impérialisme américain, le big business, les milieux militaires et le gouvernement américain continuent de manifester leur appui à l'État canadian. Les Nations Unies n'ont-elles pas condamné à une écrasante majorité, en 1970, toute tentative de sécession au sein des États constitués ! Le P.Q. ne saurait donc attendre d'appuis ni des pays influencés par l'impérialisme américain ni de ceux sous l'hégémonie de l'U.R.S.S. ou de la Chine. (Note 4) De la France, peut-être, mais, seule, elle ne fait définitivement pas le poids.

Le capital canadian favorise évidemment l'unité de l'État canadian. Pour-quoi deux États, qui devraient continuellement négocier les tarifs douaniers et la politique monétaire, alors que l'État actuel remplit bien sa fonction ? Pourquoi accepter qu'un Québec libre sépare les provinces maritimes de l'Ontario et des provinces de l'ouest, fractionnant ainsi le Canada, le capital canadian ne défend donc que son État.

L'import-export lie fortement les marchés de l'Ontario et du Québec : le capital canadian, dont le centre se situe en Ontario, est donc intéressé à l'unité économique de Canada. Pour cette raison, prétend le P.Q., la bourgeoisie canadian fera pression pour que ses représentants politiques acceptent la souveraineté du Québec dans la mesure où elle protège l'essentiel : l'association économique. Cette interprétation de classe - lapsus marxiste dans le marais idéologique péquiste - dans son économisme, nie la spécificité du politique : pourquoi la bourgeoisie canadian n'accorderait-elle pas autant d'importance à « son » État que celle allouée par le P.Q. au « futur » État du Québec ? Le Parti québécois alors anachronique, ressort l'argument qu'utilisait le front populaire d'avant Pinochet : la tradition démocratique du pays que l'État canadian ne pourrait facilement remettre en question. Il garde ainsi pudique-ment sous oubli les événements d'Octobre 1970 où la loi des mesures se guerre permit l'occupation armée du Québec. (Note 5) La « gauche » péquiste justifie cette pudeur pars sa peur de faire « peur au monde » (avant le référendum). Le couple économisme / juridisme masque donc les intérêts politiques de la bourgeoisie canadian protégés par ses appareils d'État : armée, Royal mounted Police, diplomatie,...

L'espoir péquiste recouvre un lendemain qui pleure. Car, même avec une victoire au référendum, le peuple restera démuni, parce que non préparé idéologiquement et politiquement, au refus probable d'Ottawa. Espérons toutefois une victoire : la preuve historique serait alors faite que la libération du Québec ne peut être qu'anti-capitaliste. La bourgeoisie canadian, appuyée par l'impérialisme américain, s'opposerait à la souveraineté : la lutte pour la souveraineté politique et celle pour le socialisme deviendraient donc indissociables. La défaite au référendum entraînerait sans doute la solution constitutionnelle des libéraux (réduction de certains pouvoir du gouvernement central au profit des gouvernements provinciaux) et l'élite péquiste justifierait alors l'échec par son argument démagogique préféré : on ne peut pas aller plus vite que le peuple 1 comme si le parti n'était que le miroir bien intentionné du peuple et comme s'il ne jouait aucun rôle dans le cheminement de celui-ci.



Notes :

(1) Canadian dorénavant pour canadien-anglais.
(2) Rotstein, Abraham, « De quoi le nationalisme canadien-anglais est-il fait ? », Le Devoir, 2 février 1978.
(3) L'Amérique du Nord, dont le Canada, repose sur l'élimination de la population autochtone et sur l'encerclement des restes de celle-ci dans des « réserves ». De coureurs des bois, les Amérindiens enfermés furent réduits à l'assistance sociale du monde des « blancs ».
(4) Vallières, Pierre, un Québec impossible, Éditions Québec/Amérique, 1977, 171 p.
(5) En collaboration, Québec occupé, Éditions parti pris, 1971, 249 p.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Piotte, politologue, professeur et conférencier. Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 24 novembre 2004 15:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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