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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ Pour une renaissance syndicale ” (1984)
Présentation de l'oeuvre


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean-Marc Piotte, Pour une renaissance syndicale ”. Un article publié dans la revue Les cahiers du socialisme, Montréal, no 14, printemps 1984, (pp. 14 à 35). [Autorisation accordée le 21 juin 2003.]

Introduction

Bien écrit et très informé (François Demers était le journaliste attitré du comité de négociation de la C.S.N. lors du troisième Front commun) les Chroniques impertinentes [note 1] constitue un important ouvrage de consultation pour quiconque veut réfléchir sur le syndicalisme des travailleurs de l'État durant la dernière décennie.

L'auteur, avec honnêteté et modestie, définit dans sa préface la portée et les limites de son point de vue descriptif et critique. Dans le corps de l'ouvrage, il dévoile avec une impudeur moqueuse et provocante les manques, les travers, les ambivalences et les contradictions du mouvement syndical. Puis il conclut son exposé par un appel à la recherche d'un modèle alternatif.

Qu'un renouvellement de la stratégie et de la problématique syndicale soit indispensable, que cette renaissance exige un regard froid, lucide et distancié sur le syndicalisme que nous avons vécu depuis la crise d'Octobre, voilà une approche à laquelle je souscris entièrement et dont la nécessité, démontrée encore par l'expérience du dernier Front commun, devrait s'imposer à tout syndicaliste. Malgré cette concordance avec les positions de François Demers, la lecture de son livre m'a plongé dans un profond malaise. Une seconde lecture, aussi attentive mais sans doute plus analytique, m'a permis de sortir de cet embarras en me révélant ce qui l'avait suscité.

François Demers est, dit-il, "désabusé" et "cynique" : les actions humaines ne seraient nues que par "des intérêts étroits et les calculs mesquins" alors qu'il aspire incurablement à une société égalitaire, à salaire unique, qui serait le fruit "d'une qualité morale et d'une lucidité politique exceptionnelle des acteurs". Cette vision a la cohérence du manichéisme : face à l'espoir céleste et béat de l'auteur, toute réalité humaine ne peut être que basse, vile, bestiale.

Je ne mentionnerais pas la morale de l'auteur, aussi naïve soit-elle, "vestige", comme il le dit, de son éducation "d'avant 1960", si elle n'avait des effets non innocents sur ses analyses. Car que reproche Demers aux revendications égalitaristes des Fronts communs ? D'être le fruit de compromis entre différents groupes de syndiqués, de correspondre à leurs intérêts, de s'inscrire dans une vision stratégique où l'appui de l'opinion publique est sollicité ... comme si les luttes pour la réduction des écarts de salaire, les hausses de salaire minimum et l'égalité entre les hommes et les femmes ne devraient pas correspondre aux intérêts clés travailleurs en lutte et s'inscrire au sein d'un rapport de forces très concret.

Évidemment, les gains syndicaux sont fort éloignés du salaire unique prôné par Demers, objectif que n'a d'ailleurs jamais partagé le mouvement syndical. Mais il faut se souvenir de l'immense travail accompli ail début des années soixante-dix pour amener les syndiqués des trois Centrales, habitués jusque là à militer dans une perspective strictement locale, non seulement à penser leurs propres intérêts à travers ceux de l'ensemble des syndiqués de l'État, mais aussi à les intégrer à une politique salariale progressiste pour comprendre que s'est joué là un changement majeur, une transformation qualitative de la pratique syndicale. La scission de la C.S.D. - et non son expulsion, comme le dit erronément l'auteur - n'est que le symptôme de ce bouleversement : des syndiqués du secteur privé, surtout parmi les plus démunis, résignés à leur exploitation, soumis au capitalisme et à ses maux, et habitues à déléguer leurs pouvoirs à l'appareil syndical suivirent leurs permanents et dirigeants qui, au nom de la tradition, se dissocièrent du discours progressiste et de la pratique contestatrice des nouveaux militants.

Avant les années soixante-dix, l'objectif de réduction des écarts salariaux était pratiquement absent des préoccupations syndicales, y compris parmi ceux qui fonderont la C.S.D. Et ce n'est évidemment pas le patronat toujours partisan du "au plus fort de la poche", ni les gouvernements, ni les partis politiques, ni les fabricants d'opinion qui ont imposé comme débat public une politique salariale progressiste. Si nous pouvons aujourd'hui nous disputer sur les retombées de la politique salariale du mouvement syndical, discuter de la plus ou moins grande réduction des discriminations et les écarts salariaux et questionner les effets des gains des syndiqués de l'État sur ceux du secteur privé c'est, qu'au préalable, les syndiqués des Fronts communs ont pris l'initiative et ont eu la capacité de poser comme enjeu social une politique de réduction des disparités de revenus.

Que la politique salariale ait été établie en dépassant dans une unité supérieure les intérêts corporatistes de chaque secteur et de chaque profession, que cette politique corresponde aux intérêts des travailleurs impliqués, tout cela m'apparaît normal et sain. Pourtant François Demers s'en désole au nom d'une éthique du sacrifice datant d'avant la révolution (plutôt que résolution*****) tranquille. On ne peut comprendre les gens de .n a génération si on méconnaît la morale masochiste dont on nous a abreuvée durant notre enfance comme on ne peut comprendre un Québécois si on ignore l'hiver. Mais j'aurais espéré que Demers dépasse cette morale d'antan. Car si on doit aimer les autres comme soi-même, il faut, au préalable, pour que ce précepte puisse fonctionner, s'aimer soi-même. Le don, la générosité, sauf s'ils s'inscrivent au sein d'une martyrologie, impliquent toujours un certain calcul oh le soi se retrouve dans l'autre.

François Demers juge très sévèrement les résultats des Fronts communs à la lumière du projet social qui les animait. Je ne questionne pas l'utilité d'une telle approche, mais sa partialité. Car ce projet et son actualisation doivent être inscrits dans le temps et comparés à la réalité qui les précédait si on veut les évaluer historiquement, ce que néglige notre téléologique auteur.

Ainsi Demers a raison d'affirmer que, dans certains syndicats, les conseils syndicaux se sont coupés de leur base par un radicalisme tout azimut. Mais même dans ces syndicats subsistait toujours au sein des conseils une tendance minoritaire qui pouvait S'opposer au groupe dominant et espérer la renverser grâce à l'Assemblée générale : ce qu'elle a d'ailleurs fréquemment réussi. Le conseil syndical, en élargissant la participation des membres, en favorisant un plus grand accès à l'information et en diffusant le pouvoir, a accrû la démocratie syndicale. Or l'auteur, qui privilégie la structure syndicale traditionnelle, oublie qu'elle était formée d'un exécutif étroit, dépositaire du savoir-faire et le plus souvent homogène, exécutif qui recevait ses mandats d'une Assemblée générale qu'il arrivait à peine à réunir. Cette structure n'est sûrement pas plus démocratique que la structure syndicale à doubles paliers ou l'exécutif, entre les assemblées générales, est contrôlé par les délégués des divers départements ou disciplines : le conseil syndical

Ainsi, Demers qui était conseiller à l'information de Marcel Gilbert, négociateur en chef de la C.S.N. lors du troisième Front commun oppose le "Ca" revendicatif et débridé les militants au "surmoi" répressif et rationnel des négociateurs. Ce conflit réel, symptôme d'un discours qui n'arrive plus à unifier ces deux moments de l'action syndicale, s'il est bien perçu par l'auteur, même si c'est en valorisant le "surmoi" au détriment du "ça", l'empêche devoir et de reconnaître les changements bénéfiques qu'ont apporté les Fronts communs par rapport à la pratique syndicale antérieure. Car la différence entre mobilisation et négociation traverse, sous des noms différents, l'ensemble de l'histoire syndicale : elle est indépassable comme celle qui lie et oppose projet et réalisation. Et le syndicalisme de combat a démocratisé ces deux moments et leur interaction en exerçant une surveillance plus serrée et continue sur les négociateurs et les responsables à l'action qui, auparavant, n'avaient de compte à rendre à aucun militant et à personne, sauf aux assemblées convoquées irrégulièrement.

Malgré son moralisme et son finalisme qui pervertissent ses analyses historiques et politiques, le pamphlet de Demers a l'indéniable mérite de secouer les partisans du syndicalisme de combat dans leurs dernières certitudes et de les rappeler à une nécessaire réflexion [note 2].



Notes:

Note 1- Nouvelle Optique, 1982, 170 p.

Note 2- Ce texte était déjà écrit lorsqu'est paru "Le dernier Front commun" de F. Demers (Les Cahiers du Socialisme, nos 12-13, (printemps 1983) ; pp. 24-43).

L'auteur s'y lance dans une attaque tout azimut contre un article rédigé avec Thierry Hentsch ("Le malaise du syndicalisme québécois", Le Devoir, 18 janvier 1982) et contre la gauche en général. Dans cet article - et face aux attaques convergentes du gouvernement, du patronat et de la majorité des intellectuels - nous soutenions la légitimité, pour les syndiqués, de défendre leurs acquis même si, dans la présente crise économique, cette défense ne pouvait s'articuler sur un projet social global. Dans une réplique, Jacques Godbout critique avec justesse notre position, en montrant que le mouvement syndical ne peut affronter la crise qu'en mettant de l'avant un projet de société ("Du bon usage de la force syndicale", Le Devoir, 1er mars 1982). Mais Godbout fonde sa critique en l'appuyant sur une opposition entre les syndiqués privilégiés du secteur public et ceux désavantagés du secteur privé et en proposant comme modèle les positions du syndicalisme suédois. Or cette opposition, dans sa globalité, est fallacieuse et le modèle suédois, dans cette négociation, se révélait trompeur. Je m'en explique d'ailleurs dans "Une attaque d'une ampleur sans précédent" (Le Devoir, 13 octobre 1982) que Demers passe pudiquement sous silence.

Demers, lui, appelait de ses vœux une négociation nationale où les syndiqués de l'État auraient pu généreusement se sacrifier au profit des moins bien nantis. Or, j'ai dit ailleurs l'illusoire efficacité syndicale d'une telle position ("La négociation nationale comme stratégie, magazine C.E.Q., février 1983, pp. 39-43).

Dans la présente crise économique, le mouvement syndical doit repenser sa stratégie, et l'inscrire dans un projet reformulé de société là s'arrête mon accord avec Demers qui ose encore affirmer que les syndiqués du secteur publie sont des "biens nantis" et que le gouvernement Lévesque a doublé à gauche le mouvement syndical lors des dernières négociations.



Retour au livre de l'auteur: Jean-Marc Piotte Dernière mise à jour de cette page le Lundi 07 juillet 2003 13:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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